La sociologie du vote

L’explication du vote par les variables sociodémographique, socioéconomique, socioculturelle.

On a vu dans le chapitre précédent l’analyse écologique du vote. Les analyses environnementales du vote prennent en compte trois types de variables : sociodémographique, socioéconomique, socioculturelle.

  • 1) L’explication du vote par les variables démographiques.

Les analyses environnementales du vote prennent en compte trois types de variables : sociodémographique, socioéconomique, socioculturelle.

Exemple de variable de sociodémographique: le genre et l’âge.

Pendant longtemps on a constaté qu’en France les femmes votaient plus à droite que les hommes.

Ex : lors des 1ères élections du président de la république eu Suffrage Universel Direct (1965) 39% des femmes votent à droite contre 30% des hommes. Donc, la droite gaullienne à gagner grâce aux femmes.

Ces différences ont presque disparu aujourd’hui, ces différences sont de moins en moins importantes depuis 20 ans.

Exemple : lors des élections présidentielles de 1988 (second tour) 55 % des femmes ont voté en faveur de Mitterrand.

Depuis 1995, on n’a jamais noté d’écarts significatifs entre les genres. En 2002, 16 % des femmes et 16 % des hommes ont voté en faveur de Lionel Jospin au premier tour et 17 % des hommes et 22 % des femmes ont voté en faveur de Chirac. Il n’y a donc plus de détermination sexuée des comportements politiques.

La barrière de l’âge a cessé d’être significative en matière de comportement électoral. Pendant longtemps, il existait une corrélation entre l’âge et le choix du parti.

Exemple : plus on est vieux, plus on vote à droite.

En 1988 Chirac était majoritaire chez les plus de 65 ans. Alors que 70 % des 18-24 ans avaient voté Mitterrand et 63 % des 25-34 ans avaient voté pour Mitterrand.

Aujourd’hui il existe une atténuation de ce phénomène. Il y a notamment un balancier dans le comportement électoral des jeunes. Aujourd’hui, les jeunes ne votent pas plus à gauche que les autres catégories d’âge. Dans les années 1970/1980 les jeunes votaient majoritairement à gauche. Dans les années 1990 : il y eut un retournement : les jeunes votent plus à droite que la moyenne nationale. Depuis 2000 : ils votent plus à gauche voire à l’extrême gauche. Du fait de ce mouvement de balancier, il est difficile de parler « d’un vote jeune » (contrairement à avant).

  • 2) Les variables socioéconomiques

En France, l’un des clivages majeurs sur le plan électoral réside entre les travailleurs indépendants et les salariés.

Les travailleurs indépendants ont toujours majoritairement voté à droite ou au centre tandis que les salariés (surtout dans le domaine public) votent majoritairement à gauche.

De plus, la détention d’un patrimoine est un facteur prédictif du choix politique. Les propriétaires sont plutôt de droite, ceux qui n’ont rien sont de gauche. Le pourcentage de vote à droite augmente avec le nombre de propriétés détenues.

  • 3) Les variables socioculturelles

Elles prennent en compte le niveau d’instruction et l’appartenance religieuse.

– L’intérêt pour la politique et la propension à voter augmente avec le niveau d’études.

En revanche, il n’y a pas de lien entre le niveau de diplôme et la détermination politique du vote.

Moins les scrutins sont mobilisateurs, plus on trouve parmi les électeurs des gens qui ont fait des études.

Pour les élections cantonales, on a peu de gens qui votent mais il y a un noyau dur qui se compose majoritairement des gens qui ont fait des études. Ceux qui ont fait des études votent régulièrement aux présidentielles comme aux cantonales. Mais ils sont moins bien représentés aux élections présidentielles (car plus de gens votent).

Aujourd’hui, de plus en plus de personnes accèdent aux études supérieures. Cela devrait augmenter la participation aux élections.

– La variable la plus prédictive du vote est la pratique religieuse même si cela semble être paradoxal.

Ceux qui pratiquent une religion vont plus voter que les non pratiquants.

Cette variable a été évaluée à partir de la religion catholique. Or il existe beaucoup d’autres religions. Il existe quelques études sur la religion musulmane (il en résulte qu’il n’y a pas de vote musulman), des études sur le vote juif…

Les études électorales permettent d’établir d’importantes corrélations entre le vote (ou l’abstention ou les choix politiques) et de multiples variables sociologiques.

Cette corrélation montre bien que les comportements politiques sont conditionnés par de multiples facteurs sociaux contrairement à ce que postule la théorie de l’électeur rationnel. Mais ces observations ne sont que des constats et en rien des explications.

Ceci amène encore plus de questions. Se pose d’abord le problème du sens de la corrélation. Est-ce que le catholique pratiquant vote ? S’il vote, est-ce à droite ? Vote-il à droite parce qu’il va à la messe (modèle de Siegfried avec l’influence de l’église) ?

Beaucoup de variables énoncées précédemment se recoupent les unes les autres. Dans les années 1980, dire que les non diplômés, les ouvriers, les sans patrimoine votent à gauche, cela revient à dire 3 fois la même chose.

Ces variables ne sont pas en elle-même explicatives. Elles ne répondent pas à la question essentielle c’est-à-dire celle de savoir pourquoi les ouvriers votaient majoritairement à gauche. Il existe l’explication de l’entraînement des militants politiques dans les quartiers, mais il existe d’autres explications comme la famille ou le travail.

Jusqu’à une date récente, les partis politiques de gauche s’adressaient assez directement aux ouvriers, et avaient un programme destiné aux ouvriers.

Longtemps, la gauche a présenté des candidats auxquels les ouvriers pouvaient s’identifier (souvent le cas du parti communiste). Quand on est ouvrier, on est sensible au fait qu’un candidat vienne du milieu ouvrier.

Concernant l’identification, ce n’est pas tant les caractères objectifs qui comptent mais les caractères subjectifs. Ce qui compte c’est le sentiment d’appartenance à un groupe social.

Exemple : Bayrou joue sur ses origines rurales, cela donne l’image de quelqu’un qui fait les choses concrètement.

Exemple : Torez a écrit Fils du peuple

Le fait que des ouvriers ne se perçoivent pas comme des ouvriers explique que moins d’ouvriers votent à gauche.

Pour qu’il y ait un sentiment d’appartenance, il faut qu’il y ait des structures qui contribuent à le faire exister. En politique, ces structures sont les partis politiques.

Exemple : aux Etats-Unis, il n’y a pas moins d’ouvriers qu’en France et pourtant il n’y a jamais eu d’identification au groupe ouvrier car il n’y a jamais vraiment eu un parti représentant ce groupe là. L’origine ethnique prévaut sur le fait d’appartenir au groupe ouvrier.

En Europe, les structures ont longtemps favorisé le groupe ouvrier.

Ce qui compte ce ne sont pas les caractéristiques sociales objectives (niveau d’instruction, salaires, qualification professionnelle, patrimoine possédé) mais le sentiment subjectif d’appartenance à la classe ouvrière.

En effet, les enquêtes montrent que les ouvriers qui se sentent ouvriers ne votent absolument pas comme les ouvriers qu’ils ne se sentent pas ouvriers. Les ouvriers qui s’identifient votent surtout à gauche (encore aujourd’hui) alors que des ouvriers qui se sentent extérieurs à cette classe et qui pense appartenir à la classe moyenne votent plutôt à droite, voire à l’extrême droite.

Le sentiment subjectif d’appartenance à un groupe est plus important que les indicateurs d’appartenance objective à un groupe.

Ex : Le vote frontiste serait autant féminisé que masculinisé contrairement à ce que l’on dit car les femmes sont plus réticentes à avouer qu’elles votent front national (pas de déclarations ouvertes).

Si les femmes ont longtemps voté à droite, ce n’est pas du fait de leur sexe mais c’est sans doute car elles ne travaillaient pas et que leur statut de femme au foyer les prédisposait plus que des hommes à voter en faveur de partis politiques qui valorisaient la femme au foyer, la bonne mère de famille. L’entrée massive des femmes sur le marché du travail explique le fait que le vote des femmes est devenu identique à celui des hommes.

La sociologie électorale doit non seulement rechercher à établir statistiquement les variables explicatives du vote mais elle doit aussi chercher à en donner l’explication (ce qui est plus compliqué). Les sondages permettent rarement de donner des explications. Pourquoi ? Car les sondages reposent sur du déclaratif. Or les électeurs ne disposent pas des clés de compréhension de leurs comportements électoraux (il faudrait constamment être en auto analyse de son comportement électoral).

De plus, dans les sondages, les réponses n’ont pas la même valeur. Certains prennent les sondages au sérieux, d’autres non.

Autre type d’approche sur le vote : l’approche anthropologique c’est-à-dire que le vote correspond à un rituel.

Les élections n’ont pas pour seule fonction de faire élire des candidats. Elle constitue une sorte de rite : le même jour, plein de gens vont faire le même geste (voter). C’est un immense rite à l’échelle de la nation. C’est un rite qui n’est pas sans produire des effets. Le premier effet est de produire un sentiment d’appartenance à la communauté nationale. C’est à la fois être reconnu comme un membre de la collectivité par les autres participants et une manière d’affirmer son appartenance à cette collectivité en participant. Cela contribue à faire exister la nation. Les élections constituent un épisode important dans le sentiment d’appartenance nationale.

Cela explique également une part de l’abstention, de la désertion des urnes (notamment de l’abstention de la jeunesse des quartiers populaires). Pourquoi ? Dans les quartiers populaires les jeunes sont souvent des Français d’origine étrangère et subissent des discriminations. Ils ont le sentiment d’être des citoyens de seconde zone.

Le fait de ne pas être un citoyen à part entière est un facteur explicatif de l’éloignement du comportement électoral.

Les jeunes peuvent adopter 2 réactions :

  • – une étude a montré que les jeunes Français d’origine étrangère tendent à voter autant (sinon plus) que la moyenne électorale (pour certaines élections). Il sur agissent, ils montrent qu’ils votent. C’est le « zèle électoral ».
  • – puisqu’on n’est pas accepté dans la communauté nationale, on se tient à l’écart des rites nationaux. On parle de « retournement de stigmate » c’est-à-dire le fait de dire que ce n’est pas la nation ou les politiques qui ne veulent pas d’eux mais c’est le contraire.

Stéphane Beaud dans Pays de malheur retranscrit une conversation qu’il a eue avec un homme d’origine étrangère. Celui-ci explique qu’au service militaire on regarde qui chante la marseillaise et qui fait semblant. Cela permet de faire un contrôle social.

Le cumul des explications permet de cerner un comportement électoral. Il faut donc éviter les explications simplistes.