La souveraineté royale : origine, développement, affirmation

La souveraineté royale : origine, développement, affirmation

Au XIIIe siècle le roi a réussi à soustraire son autorité à l’ordre féodal. Désormais les légistes royaux vont donner un nouveau fondement au pouvoir royal, à la fonction royale en s’appuyant dans un premier temps sur les théories chrétiennes du pouvoir puis dans un second temps sur le droit romain (compilations de Justinien) qui met le pouvoir entre les mains du peuple, peuple qui transfère ensuite son pouvoir à l’empereur.

Le mot souverain vient de l’adjectif latin « superus », « superanus », qui signifie supérieur.

la souveraineté royale

I – L’origine de la notion de souveraineté

Sous l’Ancien Empire de Guillaume le Conquérant il existait une figure prioritaire à l’égard des princes.
Le grand coutumier de Normandie rappelle que l’ensemble des habitants doit allégeance au duc. Il profite au roi de France dès 1204.
On pense que cette fidélité prioritaire provient des coutumes développées non seulement en Normandie mais également en Angleterre.
Après avoir rappelé que « le roi ne saurait tenir en fief de quiconque », l’auteur du Livre de Jostice et de Pleb affirme qu’il ne doit jamais y avoir de conflit de royauté en défaveur du roi. L’auteur affirme que cette règle vaut en raison de la dignitas du roi, de la fonction du roi. En fait, il ne dit pas qu’il faut soutenir son roi, il affirme qu’il ne faut pas suivre son seigneur si celui ci est opposé au roi dans un conflit. C’est une fidélité prioritaire négative. Elle ne résulte pas d’un serment particulier passé entre le roi et un vassal, cette fidélité est prioritaire du fait même de la fonction du roi, de la situation du roi.
On n’est pas ici dans un cadre synallagmatique, il n’y a pas de réciprocité : le roi impose une fidélité prioritaire valable pour tous les sujets du royaume.
On la voit apparaitre dans le duché de Normandie puis se diffuser.
Jean de Blanot dans son Commentaire au livre IV des Compilation de Justinien affirme que « le roi a l’imperium sur tous les hommes de son royaume ». A partir des écrits de Jean de Blanot un certain nombre de juristes vont poursuivre dans cette voie et forger un concept de souveraineté qui se rapproche du majestas romain. Ce terme comprend l’idée d’une grandeur propre au représentant de l’Etat avec l’idée d’un ordre hiérarchique. A Rome ce fut d’abord le peuple qui fut détenteur de la majesté, puis ce fut l’empereur à l’époque impériale.
Les écrits de Jean de Blanot vont être repris 25 ans plus tard par Philippe de Beaumanoir qui va mettre par écrit les coutumes du comté de Beauvaisis et ce faisant donner une définition de la souveraineté royale qui montre que le roi a fini par étendre son autorité sur tout l’ordre féodal. Il commence par affirmer que « chaque baron est souverain en sa baronnie » avant d’ajouter que « le roi est souverain par dessus tous et a de son droit la générale garde de tout son royaume ». Le roi est au sommet de son royaume et ne dispose de personne. Des juristes comme Jean de Blanot ont identifié cette autorité pleine et entière à celle de l’empereur romain.
On est passé de la suzeraineté à la souveraineté. Les juristes vont affirmer progressivement la souveraineté de la fonction royale.


II – L’affirmation de la souveraineté royale à l’intérieur et à l’extérieur du royaume

A l’époque franque les rois et les reines affirmaient leur imperium sur leur royaume et faisaient régulièrement état de leur auctoritas.
A partir du XIIIe, la notion de souveraineté va commencer à être invoque par le roi de France et ses légistes pour faire face à ceux qui tentent de contester l’autorité du monarque. En retrouvant sa vocation de contrôle et d’autorité sur tout le royaume, la royauté va s’affirmer sur la hiérarchie féodale. La souveraineté royale est l’expression de la nouvelle puissance du roi capétien. Ces nouvelles ambitions se dirigent à la fois vers l’intérieur du royaume, mais aussi vis à vis de l’extérieur, de l’empereur et du pape.

1. « Le roi est princeps en son royaume »

Jean de Blanot de sert du roi romain pour affirmer que la puissance royale est juridiquement équivalente à celle de l’empereur. Ensuite, il fournit un exemple extrêmement concret fondé sur la notion de majesté pour expliquer cette équivalence : suivre son seigneur lorsque celui-ci est opposé au roi dans un conflit revient à se révolter contre le roi qui est princeps au sein de son royaume. Blanot ajoute que cela revient à se rendre coupable d’un crime de lèse majesté. Il utiliser ce concept romain de majesté pour condamner la fidélité d’un vassal à son seigneur dans le cas où ce seigneur serait en conflit avec le roi. Tout vassal doit donc préférer répondre à un ordre du roi plutôt qu’à un ordre de son seigneur parce que le roi agit en vue du bien public. Blanot conclut que la finalité de la fonction royale consiste dans l’avènement de l’utilité publique au sein de tout le royaume.
Tous les auteurs justifient la souveraineté royale par l’utilité publique.
Blanot termine sa démonstration en écrivant qu’être prince en son royaume c’est « ne reconnaître aucun supérieur dans les affaires temporelles ». Il emprunte cette phrase au pape Innocent III.

2. L’affirmation de la souveraineté royale face à l’empire et à la papauté

Le roi se soustrait en fait à l’autorité des deux autres puissances de l’époque, le pape et l’empereur.

*L’empereur
C’est sous le règne de Philippe le Bel que la question de l’indépendance du royaume commence à être posée.
L’empire traverse depuis 1250 une crise dynastique qui ne lui permet pas vraiment de s’affirmer face au roi de France. L’empereur Henri III tentera de réanimer les prétentions impériales à la domination universelle. Le royaume de France n’a jamais reconnu aucun supérieur.

*La papauté
Contrairement à l’empire, elle va avoir l’imprudence de s’immiscer dans la vie publique du royaume au nom de la supériorité du pouvoir spirituel sur le temporel. Ce conflit entre spirituel et temporel remonte à plusieurs siècles. Entre le IVe et le Ve la question ne va pas poser de problème. Elle va réapparaitre au moment où la royauté capétienne commence à affirmer sa souveraineté.
Au IVe Augustin évêque d’Hippone affirme dans son œuvre que le pouvoir temporel devait être utilisé pour servir les intérêts de la religion sans pour autant que le pouvoir politique puisse s’immiscer dans les affaires spirituelles. Augustin na va pas jusqu’à proclamer le principe d’une prééminence du spirituel sur le temporel mais ses disciples un siècle plus tard extrapoleront la pensée de St Augustin pour affirmer cette prééminence.
Ce cap sera franchit par le pape Gélase dans une lettre qu’il va envoyer à l’empereur Anastase en 494. Gélase se considère comme la seule autorité héritière de l’empire romain. Il affirme que « depuis l’avènement du christ aucun empereur ne s’est donné le nom de pontife et aucun pontife n’a pu revendiquer la dignité royale ».
« Il y a deux choses par lesquelles ce monde est principalement gouverné, l’auctoritas consacrée des pontifes, et la potestas des rois. » Gélase soumet le pouvoir de l’empereur à l’autorité du pape en reprenant des notions de droit public romain.
Cette lettre va être reprise au XIVe pour invoquer la supériorité du spirituel sur le temporel.
Le conflit entre Philippe IV le Bel et Boniface VIII trouve sa source dans des questions financières. Le roi va mettre en place la levée de subsides mais le pape va défendre à tous les clercs de payer les subsides et au roi de les percevoir.

Grâce au travail des légistes la formule « le roi est empereur en son royaume » a permis d’affirmer l’indépendance et la souveraineté de la royauté, de la couronne de France, et a permis de faire admettre à la papauté l’autorité du roi de France. Cette maxime va être réutilisée ; au milieu du XVIe sous le règne de François Ier, la maxime sera invoquée contre l’empereur et pour soutenir la candidature royale à la couronne impériale contre Charles Quint.
Le pape essayera de s’immiscer dans la crise successorale française.