La souveraineté, concept central du droit et de la politique, repose sur deux dimensions fondamentales : la souveraineté de l’État (sa capacité d’agir sans être soumis à une autorité extérieure) et la souveraineté dans l’État (son autorité sur son territoire et sa population). Ces dimensions ont évolué avec le temps, confrontées à des transformations historiques, politiques et sociales.
La souveraineté externe, selon la conception classique, désigne l’indépendance totale de l’État face à toute autre entité. Cette idée s’inscrit dans la défense de l’autorité absolue de l’État, particulièrement mise en avant par Jean Bodin dès 1576 dans Les Six Livres de la République. Bodin défend la monarchie française contre les ingérences de la papauté, affirmant que :
Cette conception a dominé les relations internationales et la structuration des États-nations pendant des siècles. L’État se pose comme la seule autorité légitime à l’intérieur de ses frontières, et aucun autre État ne peut intervenir sans son consentement.
À partir des années 1990, cette vision absolue de la souveraineté a été remise en question dans plusieurs domaines.
Le principe d’humanité et l’intervention internationale :
L’Union européenne :
Les organisations internationales et accords globaux :
La souveraineté interne reflète la capacité de l’État à exercer son autorité sur son territoire et sa population. Cela inclut :
En ce sens, l’État est l’instance suprême qui organise la société, garantit la sécurité et assure la paix sociale.
Aujourd’hui, la souveraineté interne est également mise à l’épreuve par plusieurs phénomènes :
La montée des ONG :
Les tribunaux internationaux :
Les multinationales :
La mondialisation :
Les crises sécuritaires :
Face à ces évolutions, certains s’interrogent sur la pérennité de la souveraineté étatique :
Les arguments en faveur de la fin de la souveraineté :
Les arguments en faveur de sa résilience :
La légitimité politique, qui fonde l’autorité d’un régime, varie selon les époques et les croyances des sociétés. Ce qui est perçu comme légitime dépend des valeurs partagées par les gouvernés. À l’époque de la monarchie de droit divin, la légitimité provenait des croyances religieuses : le pouvoir du roi était justifié par sa prétendue émanation divine.
Cependant, avec le développement de l’idéal démocratique, inspiré des penseurs grecs et renforcé par les Lumières en Europe, cette légitimité divine a été contestée. À partir du moment où le pouvoir a été pensé comme une émanation du peuple plutôt que d’un homme ou d’une divinité, la notion de légitimité s’est laïcisée.
La laïcisation de la légitimité et la transition démocratique :
Avec la remise en cause de l’autorité monarchique, la source du pouvoir est déplacée vers le peuple lui-même. Ce basculement marque la naissance de la souveraineté démocratique, où la légitimité repose désormais sur le Droit et non sur des fondements religieux ou divins.
1) La souveraineté populaire développée notamment par Jean-Jacques Rousseau, repose sur une compréhension directe du terme « démocratie » :
2) La souveraineté nationale, théorisée par l’abbé Sieyès, émerge dans un contexte où les révolutionnaires bourgeois cherchent à encadrer le pouvoir démocratique pour éviter les abus possibles d’un pouvoir exercé directement par le peuple. Dans cette conception :
La démocratie, littéralement « pouvoir du peuple », repose sur le principe d’un gouvernement exercé par et pour le peuple, comme l’exprimait Abraham Lincoln dans sa célèbre formule :
« C’est le gouvernement du peuple, par le peuple et pour le peuple. »
Ce principe est inscrit dans l’article 2 de la Constitution française de 1958, qui consacre la souveraineté comme fondement de la Ve République. Toutefois, cette souveraineté fait l’objet de deux conceptions théoriques opposées : la souveraineté populaire, développée par Rousseau, et la souveraineté nationale, théorisée notamment par l’abbé Sieyès.
La conception de la souveraineté populaire repose sur l’idée que chaque citoyen détient une part indivisible de la souveraineté. Dans son ouvrage Du Contrat Social (1762), Jean-Jacques Rousseau propose une théorie où :
Dans ce cadre, la souveraineté appartient à l’ensemble des citoyens et s’exerce par leur participation directe ou par délégation, mais toujours au service de l’intérêt général.
La souveraineté nationale repose sur l’idée que la souveraineté appartient à une entité abstraite, la nation, distincte des individus qui la composent. L’abbé Sieyès, dans son célèbre discours de 1789, explique que :
« La nation existe avant tout ; elle est à l’origine de tout. »
Cette conception, adoptée dans l’article 3 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (1789), est née d’un double objectif :
Fondements de l’opposition
Critiques croisées
Résumé sur l’opposition « souveraineté nationale » et souveraineté populaire » :
Critères | Souveraineté populaire | Souveraineté nationale |
---|---|---|
Source de la souveraineté | Le peuple (chaque individu) | La nation (entité abstraite) |
Mode d’exercice | Direct ou délégué | Représentatif |
Nature du suffrage | Droit naturel | Fonction |
Rôle des représentants | Mandat impératif | Mandat représentatif |
Risque | Tyrannie de la majorité | Gouvernance élitiste |
L’opposition entre souveraineté populaire et souveraineté nationale a façonné les débats autour de la démocratie moderne. Ces deux théories incarnent deux visions complémentaires :
L’article 3 de la Constitution française de 1958 constitue une synthèse qui dépasse l’antagonisme entre la souveraineté nationale et la souveraineté populaire. Cet article établit à la fois les principes fondamentaux de la souveraineté, son titulaire, et les modalités de son exercice.
« La souveraineté nationale appartient au peuple… »
Cette formulation affirme que le peuple est le titulaire de la souveraineté. Contrairement à la conception de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789 (article 3 : « Le principe de toute souveraineté réside dans la nation »), l’article 3 de 1958 combine l’idée que le peuple exerce cette souveraineté en tant qu’entité collective tout en affirmant que la nation reste une abstraction qui symbolise l’intérêt général.
Cependant, le peuple n’est titulaire de la souveraineté que dans les limites fixées par la Constitution. En effet, la souveraineté ne découle pas d’un droit naturel ou absolu du peuple mais d’une délégation organisée par le texte constitutionnel. Cela reflète une méfiance envers une application brute de la souveraineté populaire qui pourrait basculer dans une démocratie directe incontrôlable.
« … qu’il exerce par ses représentants et par la voie du référendum »
La souveraineté par représentation
Dans la grande majorité des cas, l’exercice de la souveraineté se fait par les représentants. Ces derniers, élus par le peuple, agissent au nom de la volonté générale. Leur légitimité découle du suffrage universel, qui constitue la participation indirecte du peuple à l’exercice du pouvoir.
Le rôle limité du référendum
Le référendum, mentionné dans l’article 11 de la Constitution, est l’une des rares expressions de démocratie directe. Cependant, son usage est strictement encadré :
Cette limitation reflète une certaine méfiance envers la démocratie directe, perçue comme potentiellement instable ou manipulable.
« Aucun section du peuple, ni aucun individu ne peut s’en attribuer l’exercice »
Cette disposition protège le caractère indivisible et inaliénable de la souveraineté. Elle implique que :
Cependant, cette règle est confrontée à des enjeux complexes liés à la construction européenne et à la mondialisation.
La souveraineté et l’Union européenne
Avec la construction européenne, des compétences étatiques ont été déléguées à l’Union européenne, notamment dans les domaines monétaire (adoption de l’euro) ou agricole (politique agricole commune). Ces transferts suscitent des débats sur leur compatibilité avec le principe de souveraineté nationale.
Selon l’article 54 de la Constitution, toute disposition d’un traité international qui contredirait la Constitution nécessite une révision préalable de cette dernière avant ratification. C’est dans ce cadre que le Conseil constitutionnel a, par exemple, encadré les transferts de compétences liés au traité de Maastricht.
Décisions du Conseil constitutionnel sur les limites de souveraineté
Exemple : La politique agricole peut être transférée sans révision, tandis que l’adoption de l’euro a nécessité une modification constitutionnelle.
L’article 3 de la Constitution reflète une synthèse entre les théories de la souveraineté nationale et populaire :
Cette organisation traduit une méfiance envers une application brute de la souveraineté populaire, tout en affirmant la primauté de la représentation. Elle préserve la stabilité institutionnelle tout en ménageant une place pour l’expression directe des citoyens.
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