Les différents modes de subordination de l’administration au pouvoir politique à travers le monde
Dans les pays de tradition libérale, on considère que l’organisation de l’administration doit concilier deux principes :
– subordination au pouvoir politique : principe de légitimité démocratique
– indépendance des fonctionnaires : l’Administration est assurée par des professionnels recrutés selon des procédures objectives.
Dans tous les pays il y a différentes pratiques qui ont été introduites pour assurer la subordination de l’Administration au pouvoir politique.
On pourrait distinguer trois modèles :
– politisation partisane
– neutralisation partisane
– politisation limitée
1) Les modèles de politisation partisane
Ces modèles sont assez nombreux. Le moyen le plus sûr est de nommer des gens de confiance. Il y a le fameux spoil system aux Etas-Unis : cela remonte à la présidence d’Andrew Jackson élu en 1828. Un pas a été fait vers la démocratie en ce sens que dans la plupart des Etats, le suffrage est devenu universel sauf pour les esclaves. Jackson se méfie des bureaux fédéraux et gouverne sans eux. Il décide que pour bien gouverner, il faut nommer ses proches. Ce système a progressivement été remis en cause après que l’on se soit rendu compte qu’il avait pour conséquence d’empêcher le recrutement de gens compétents mais en plus de favoriser la corruption.
A partir de la fin du XIXe siècle, on instaure le merit system. Ce système a été progressivement étendu aux Etats membres. C’est aujourd’hui le système le plus implanté.
Il y a d’autres systèmes partisans.
Le système à parti unique (ex : Nomenclature en ex-URSS).
Dans les pays qui sont habitués à des gouvernements de coalition, on rencontre fréquemment des pratiques ayant pour objet des accords de partage des postes entre les partis politiques. Ce système consiste à considérer la détention des gros postes de l’Administration comme un point important de négociation.
Il est parfois allé très loin. Par exemple en Belgique, il y avait un système de notation des postes et en fonction du nombre de points affectés à chaque poste, les partis discutaient l’affectation des postes. En
Autriche, idem mais cette fois, il associait le principal parti d’opposition. Jusqu’aux années 1980, il y avait un partage de pouvoir entre le parti social-démocrate et le parti chrétien-démocrate et dans le bus de pacification des rapports (guerre civile entre les partisans), le parti d’opposition avait droit à un nombre de postes : propors.
Il y a des inconvénients : les personnes nommées ne sont pas nécessairement les plus qualifiées. En outre, la situation la plus défavorable pour accéder à certains postes est de n’appartenir à aucun parti. C’est un facteur d’opportunisme politique.
2) Le système opposé est la neutralisation politique de la fonction publique.
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Ce système s’est imposé en Grande-Bretagne au milieu du XIXe siècle après l’adoption du rapport Northcote-Trevelyan. C’est dans un contexte d’alternance que l’on revoit la pratique clientéliste de l’Administration. Jusque là, elle était peu de choses au niveau des effectifs. Cela persistera jusqu’à la première guerre mondiale.
A partir du moment où le parlementarisme s’installe et l’alternance s’impose, on s’interroge sur les inconvénients d’une logique qui voudrait que chaque nouveau gouvernement remplace les fonctionnaires par des personnes ayant sa préférence politique. C’est dans ce contexte que le rapport émet l’idée d’une Administration permanente, stable et neutre sur le plan politique. Les fonctionnaires doivent pouvoir servir indifféremment les libéraux et les conservateurs. En contrepartie, ils s’abstiennent d’avoir une activité politique. On s’est donc mis à recruter sur la base du mérite et non plus de la faveur.
Ce service est à la base du civil service : ce sont les fonctionnaires employés par la Couronne. La reine s’est imposée que l’Administration soit permanente, que les ministres n’aient aucun pouvoir de choix dans la nomination dans les hauts postes. Par exemple, le permanent secretary (interlocuteur direct du secrétaire d’Etat) est choisi à l’ancienneté dans le corps des hauts fonctionnaires.
La contrepartie de cette neutralité c’est l’interdiction d’avoir une activité politique : ils ne peuvent jamais être candidat à une élection. Il y a quand même des enseignants à la Chambre des communes puisqu’ils ne sont pas fonctionnaires.
Il a commencé à être remis en cause avec des ministres qui se plaignaient d’être à la merci de leurs fonctionnaires. C’est à partir de 1981 (Thatcher) que ce système a été remis en question. L’attaque est venu sous l’angle du management : elle a fait valoir que ce système ne pouvait pas donner du dynamisme à l’Administration et qu’il fallait recruter les personnes pour les hauts postes. Derrière la réforme de l’organisation administrative (création des agences exécutives), on changeait le mode de nomination des hauts postes. Le permanent secretary n’a ainsi plus autant de pouvoirs qu’avant.
Le système britannique a été repris dans de nombreux pays de Common Law mais sans être appliqué avec la rigueur du Royaume-Uni jusqu’aux années 1980. On a gardé l’idée d’absence d’activités politiques pour les fonctionnaires. Mais ils ont eu le même tournant managérial.
3) Dernier système est la politisation limitée.
C’est le système français qui a été exporté avec des quelques différences en Espagne par exemple. Les fonctionnaires sont protégées mais un certain nombre de postes sont à la décision du gouvernement. Ils donnent lieu à une liste publiée par un décret en Conseil d’Etat. Dans ces postes, le gouvernement peut donner la personne qui lui convient à condition de satisfaire aux conditions minimales d’accès aux emplois publics. Ce peut être des fonctionnaires et des haut-fonctionnaires. On peut remplacer à tout moment le titulaire du poste. En France, cela représente environ 500 postes. Ces postes sont dans l’administration d’Etat : directeurs et directeurs généraux de ministère, secrétaires généraux, préfets, recteurs d’académie, chefs de mission diplomatique. En dehors la nomination et le retrait dans des postes d’administration est subordonné aux règles de la fonction publique. Il est admis la nomination par décret en Conseil ministre du Directeur général du CNRS (CE, 1962, Tessier).
Ce compromis a été repris dans la fonction publique espagnole après l’adoption de la Constitution de 1978.
Dans les pays d’Europe de l’Est, ce système n’a pas fonctionné. La préférence partisane a prévalu.
A côté des ces pratiques, il y a la pratique des cabinets ministériels. Ici, la question est la suivante : ministre nommé à la tête d’une Administration, qui ne peut pas choisir les hauts fonctionnaires, de quelles ressources peut-il disposer en vue de mettre en œuvre sa politique ? Différentes techniques existent.
Il y a celle du cabinet ministériel. Ce cabinet ne fait pas partie de l’Administration : c’est l’entourage du ministre qui nomme discrétionnairement ses conseillers. Ce système est apparu dès les débuts de la IIIe République et s’est développé. En particulier sous la Ve République il a progressivement changé de caractère dans la mesure où la plupart des membres du cabinet ministériel ont été recrutés parmi les hauts fonctionnaires alors que sous la IIIe République, ils étaient choisis parmi les membres du parti.
Le cabinet assure le secrétariat privé du ministre, la fonction de conseil politique et le contrôle de l’Administration. En effet ce sont les services qui préparent les projets de loi et le cabinet du ministre à remplir sa mission de direction.
Ce système a été critiqué car les membres du cabinet peuvent absorber les tâches qui relèvent normalement du bureau du ministère. La contestation s’est développée au milieu des années 1970 ce qui n’est pas étonnant car c’est à ce moment là que la production de l’ENA commence à être visible dans les postes supérieurs des ministères et dans les cabinets. Le rapport Pick La France, une nation ouverte sur le monde préconisait différentes mesures dont celles consistant à réduire le rôle des cabinets. Le seul à avoir tenté de réduire leur rôle a été Juppé : il y a eu un affaiblissement des relations entre cabinet et fonctionnaires et de niveau de préparation des mesures.
Ce système est inexistant en Allemagne, au Royaume-Uni est au Pays-Bas.
Au Royaume-Uni, le cabinet ministériel est un mode de fonctionnement en contradiction avec la philosophie du système britannique puisque le ministre doit s’appuyer sur une Administration publique neutre. Traditionnellement, un ministre britannique n’a pas de conseillers. Comme cela avait quelques inconvénients, il y a des systèmes de substitution.
D’abord, le secrétariat privé est assuré par un fonctionnaire qui sera son collaborateur immédiat.
Le conseil politique doit venir du permanent secretary qui mobilise les fonctionnaires de ses services.
Quelles ressources ? 1° On a utilisé le concours des sous-ministres qui concourent à la gestion d’un grand ministère en exerçant les tâches que le ministre leur attribue. Mais ces sous-ministres sont nommés par le premier ministre. 2° On peut faire appel aux parlementaires du parti à la Chambre des communes voire à la Chambre des lords. 3° Faire appel aux centres d’étude et de réflexion du parti (universitaires notamment).
La fonction de direction est celle qui est la plus difficile à assurer car il ne dispose que de sous-ministre et n’a pas beaucoup de moyens.
Petit à petit, on a vu apparaître des special advisers. Ils sont apparus d’abord au bénéfice du premier ministre, recruté ou non au sein des personnalités dont il a pu vouloir s’entourer. Après le premier ministre, les ministres ont obtenu aussi la possibilité d’avoir un special adviser. En 1995, Un civil service order in Council (décret pris en Conseil de la reine) a permis au premier ministre de nommer jusqu’à trois conseillers spéciaux au 10 Downing Street avec le pouvoir d’adresser des instructions aux fonctionnaires au nom du premier ministre.
Les ministres ont également eu des special advisers. A la fin du gouvernement Brown, il y a eu un projet de réforme présenté en 2007 qui prévoyait de restreindre le rôle des conseilleurs spéciaux en limitant leur pouvoir d’adresser des instructions aux fonctionnaires.
En Allemagne, il y a des fonctionnaires politiques prévus par la législation. Il est à mi-chemin entre fonction publique et cabinet ministériel. Le fonctionnaire politique est nommé dans un emploi de l’Administration fédérale : directeur général, secrétaire d’Etat. Il est fonctionnaire au sens juridique du terme pendant la durée où il occupera le poste. Au terme de son mandat, s’il n’est pas fonctionnaire, il ne peut pas être intégré dans la fonction publique. Sa mission est de conduire la mise en œuvre de la politique du premier ministre.
On retrouve ce système dans l’administration des landers.