La théorie de la loi-écran ou écran-législatif

La théorie de la loi-écran (ou écran-législatif) en droit administratif

La théorie de “l’écran législatif” appelée plus communément “loi écran” signifie que le Conseil d’Etat ne peut pas exercer de contrôle de constitutionnalité de la loi. Cette limite a été posée par le Conseil d’Etat lui-même, sous l’empire des lois constitutionnelles de la III ème République par un très célèbre arrêt Arrighi (CE section, 6 novembre 1936, Arrighi) où le juge se déclare incompétent pour apprécier la constitutionnalité d’une loi donc il refuse de vérifier la constitutionnalité des actes réglementaires d’application de cette loi

Mais avant d »étudier la théorie de la loi-écran ( I ), il convient de définir les sources constitutionnelles du droit administratif (II). Puis nous conclurons sur le principe de légalité en droit administratif.

I ). La théorie de la loi-écran

Cette théorie constitue en effet une limite au principe selon lequel les règles de valeur constitutionnelle s’imposent à l’administration. En réalité, l’obligation de conformité à la Constitution n’est sanctionnée par le juge administratif que si l’acte administratif viole directement la Constitution. Si l’inconstitutionnalité découle du fait que l’acte administratif est pris en application d’une loi elle-même inconstitutionnelle, elle n’est pas sanctionnée. Car le juge administratif ne pourrait annuler l’acte qu’en affirmant l’inconstitutionnalité de la loi. Or le Conseil d’Etat a toujours refusé de contrôler la constitutionnalité d’une loi. C’est un arrêt de section du Conseil d’Etat du 6nov 1936, ARRIGHI. En effet, c’est au Conseil constitutionnel qu’est réservé en France ce type de contrôle. Et dans cette hypothèse, on dit que la loi fait écran entre l’acte administratif et la constitution ce qui fait obstacle au contrôle du juge administratif.

En réalité, les effets de la théorie de la loi écran sont limités par quatre facteurs d’évolution :

Le Conseil d’Etat considère depuis quelques années que l’écran disparait dès lors que la loi se contente d’habilité le gouvernement à intervenir sans préciser les principes à respecter. Autrement dit, chaque fois que la loi fait écran transparent. Arrêt du 17 mai 1991, QUINTIN.

La théorie de la loi écran a été purement et simplement abandonnée à l’égard des traités internationaux et ce depuis 2008.

La QPC vient contourner la théorie de la loi-écran, la QPC est de nature a atténué également la portée de la théorie de la loi-écran. En effet, le Conseil d’Etat s’est vu attribuer le rôle de filtrer ces questions de constitutionnalité. Et dans ce cadre il doit en particulier s’assurer que la question n’est pas dépourvue de caractère sérieux, or il s’agit bien là d’une mission de contrôle de constitutionnalité de la loi.

De façon plus générale, dans son travail d’interprétation des textes, le Conseil d’Etat prend toujours soin de faire prévaloir une lecture de la loi qui soit compatible avec les exigences constitutionnelles. Cette méthode d’interprétation suffit souvent à éviter un conflit entre la loi et la Constitution.

Ces quatre facteurs cumulés vont dans le sens d’une certaine relativité de la théorie de la loi écran (situation qui arrive donc peu souvent).

II ) Les règles de valeur constitutionnelle

Les sources du droit administratif sont nombreuses et composent la hiérarchie des normes applicables en droit administratif. On étudie ici les sources constitutionnelles du droit administratif

La Constitution est la source essentielle de toute légalité car c’est elle qui organise toutes les compétences qui s’exercent dans notre système juridique. La Constitution c’est la norme première de l’Etat et dans l’Etat. En réalité, cette supériorité est restée très théorique tant qu’il n’existait pas de véritable contrôle de constitutionnalité. Aujourd’hui encore, la suprématie de la Constitution n’est pas assurée de façon absolue par le juge administratif. C’est ce qu’on expliquera en étudiant la théorie de la loi écran. Avant cela, encore faut-il préciser quelles sont les diverses règles de valeur constitutionnelle.

  1. La constitution à proprement dite

La constitution constitue une source de la légalité de l’action administrative. On se rend compte que plusieurs de ses dispositions posent directement des règles administratives. Ex de l’article 20 al 2 de la Constitution précise que « le gouvernement dispose de l’administration et de la force armée ». Voilà qui fixe la règle de la subordination hiérarchique de l’administration au gouvernement. Autre ex, le Titre XII de la Constitution fixe les règles fondamentales du statut des collectivités territoriales et naturellement c’est le droit administratif.

  1. Les autres dispositions constitutionnelles

C’est ce qu’on appelle souvent le Bloc de constitutionnalité, qui s’étend au-delà des seuls articles de la constitutionnel de 1958, puisqu’il englobe les principes énoncés par son préambule, lequel renvoi à divers textes (la DDHC, du préambule de la Constitution de 1946 et de la Charte de l’environnement adopté en 2004).

On remarque que le Conseil constitutionnel comme le Conseil d’Etat ont reconnu une pleine valeur constitutionnelle au préambule de 1958 et donc par voie de conséquence à la DDHC et au préambule de la Constitution de 1946. Arrêt d’assemblée du 12 février 1960, société EKY : solution implicite, considère implicitement que la DDHC et que le préambule de 46 ont valeur constitutionnelle. Et aussi la décision numéro 44 DC du 16 juillet 1971 sur la liberté d’association.

Deuxième remarque : le préambule de la constitution de 1946 consacre directement un certain nombre de principes notamment le droit de grève, mais il fait aussi référence à des principes qu’on qualifie de principes non écrits, les fameux principes fondamentaux reconnu par les voies de la République. Ils ne reposent sur aucune base écrite incontestable ce qui explique que le Conseil constitutionnel soit assez réticent à les reconnaitre. La découverte d’un tel principe n’est pas le monopole du juge constitutionnel. En effet, le conseil d’Etat s’est reconnu cette compétence en 1996, dans un arrêt controversé (arrêt d’assemblée du 3 juillet 1996, Koné). Le conseil d’Etat a consacré le principe selon lequel l’Etat doit refuser l’extradition d’un étranger lorsqu’elle est demandée dans un but politique.

Troisième remarque : la Charte de l’environnement revêt elle aussi une pleine valeur constitutionnelle, quel que soit d’ailleurs le degré de précision de ses dispositions. Pour le conseil constitutionnel c’est la décision numéro 564 DC du 19 juin 2008, dite OGM. Le conseil d’Etat a lui aussi eu l’occasion de certifier la valeur constitutionnelle de la Charte de l’environnement, arrêt d’assemblée 3 octobre 2008, commune d’Annecy.

  1. La jurisprudence constitutionnelle

Il est clair que la jurisprudence constitutionnelle constitue elle aussi une source importante de la légalité de l’action administrative. C’est d’ailleurs prévu par l’article 62 de la Constitution (article qui prévoit que les décisions du conseil constitutionnel s’imposent aux pouvoirs publics et à toutes les autorités administratives et juridictionnelles. Décision 18 L du 16 janvier 1962 loi d’orientation agricole, qui précise que l’autorité de chose jugée s’attache à deux éléments de cette décision à savoir le dispositif et les motifs qui en sont le soutien nécessaire. Le dispositif d’une décision de justice c’est sa partie finale sous forme d’article. Quant au motif, ce sont les raisons de faits et de droit qui constituent le fondement même de la décision. Le juge administratif est tenu d’assurer le respect de ces deux éléments, et le Conseil d’Etat en a pris acte dans un arrêt d’Assemblée du 20 décembre 1985, société anonyme, établissement OUTTERS. Il faut ajouter que l’interprétation des textes faite par le juge constitutionnel s’impose également au juge ordinaire. C’est la décision numéro 455 DC du 12 janvier 2002, loi de modernisation sociale. Le Conseil d’Etat a même devancé cette jurisprudence puisque c’est en 1994 dans un arrêt d’Assemblée du 11 mars 1994, société anonyme L’A5 qui considère que les réserves d’interprétation émises par le Conseil constitutionnel s’imposent au juge administratif.

Ainsi, lorsque le juge administratif vérifie la conformité d’un acte administratif à un principe constitutionnel il doit le faire en respectant l’autorité de la chose jugée ou interprétée, qui s’attache aux décisions du Conseil constitutionnel.

III) Conclusion sur le principe de légalité en droit administratif

De façon générale, dans un pays démocratique, il va de soi que l’action des autorités administratives doit être strictement encadrée par le droit.

Le principe de la légalité signifie que les actes de l’administration doivent respecter toutes les normes qui leur sont supérieures. Il faut noter que cette expression date d’une époque à laquelle la loi apparaissait comme la seule norme supérieure. Et ce en raison de l’absence de contrôle de constitutionnalité des lois. Aujourd’hui évidemment le principe de légalité va bien au-delà du simple respect de la loi puisqu’il englobe notamment la constitution et les traités internationaux. C’est pour cette raison que certains auteurs critiquent l’utilisation de cette expression. Ces auteurs préfèrent utiliser le terme de « principe de juridicité » pour désigner la soumission de l’administration au droit. On peut ajouter que le principe de légalité peut se décomposer en deux obligations complémentaires qui pèsent sur l’administration, d’une part l’obligation de se conformer à la loi, au droit ; et d’autre part l’obligation d’initiative pour assurer la mise en œuvre de la loi. L’obligation de se conformer à la loi constitue l’aspect négatif du principe de légalité puisqu’il s’agit d’une obligation de ne pas faire. Alors que l’obligation d’initiative, renvoie à l’aspect positif du principe de légalité puisqu’il s’agit d’une obligation de faire. Ex : c’est ainsi que l’administration est tenue de prendre une mesure de police dès lors que celle-ci est indispensable pour faire cesser une menace pour l’ordre public. Dans certains domaines l’administration peut s’affranchir du domaine de la loi.