La théorie jurisprudentielles de gestion des périodes de crise
Deux théories de gestion des crises élaborées par le juge administratif et qui vont pouvoir porter atteinte aux libertés.
– La théorie des circonstances exceptionnelles : Elle a été créée par la jurisprudence du Conseil d’État. CE, « HEYRIES », 1918.= Circonstances dans lesquelles la légalité normale devient tellement inadaptée qu’il faut lui substituer provisoirement une légalité d’exception.
Deux conditions cumulatives :
- Une situation profondément anormale = guerre étrangère (« HEYRIES »), guerre civile ou agitation sociale qui en est proche (« JARRIGION », 1947 : grève générale de 1938 ; « DAME DE LA MURETTE », 1952 : période de la libération ; « CANAL », 1962, GUERRE D’ALGERIE »), cataclysme naturel (« RODES », 1983, éruption d’un volcan).
- L’impossibilité pour l’administration d’agir légalement.
– La théorie de l’urgence : Elle a surtout une influence moins forte: les pouvoir de l’autorité administrative resteront limités
- Cours de Libertés Publiques et Droits de l’Homme
- La protection des libertés fondamentales par les juges
- La protection des droits de l’Homme par la CEDH
- Le droit au recours et au procès équitable
- Les AAI et le Défenseur des droits dans la protection des libertés
- HALDE, Médiateur de la République et AAI protectrices des droits
- Le rôle de l’administration dans la garantie des droits fondamentaux
A) La théorie des circonstances exceptionnelles
Cette théorie va permettre au juge administratif d’être plus souple dans son contrôle quand l’administration doit faire face à des circonstances qui rendent le respect de la stricte légalité secondaire, c’est à dire que le juge ferme un peu les yeux sur certains vices.
3 arrêts importants :
- l’arrêt de 1919 Dame DOL et LAURENT, Ce sont des prostitués, le prefet empeche le racolage actif et passif sur le port de Toulon. Le Conseil d’Etat est d’accord pour l’interdire en temps de guerre.. Il y’ a atteinte à la liberté de commerce et d’industrie mais le conseil d’état valide l’arrêté au nom des circonstances exceptionnelles.
Cet arrêt concerne la prostitution. Les dames dol et Laurent sévissaient dans le port de Toulon. Le problème est qu’à cette époque, il y avait la guerre se qui posait de grandes difficultés car les marins étaient tentés. Par conséquent, le Préfet a décidé d’interdire aux débitants de boissons de servir à boire aux prostituées (« filles publiques ») et même de les recevoir dans leurs locaux, sous peine d’une sanction administrative qui est la fermeture de l’établissement. Cet arrêté a même interdit aux filles de racoler leurs clients en dehors du quartier réservé à cela, sous peine d’internement ou d’expulsion du camp retranché. L’arrêté préfectoral est déféré par les dames Dol et Laurent qui se disent « dames galantes ».
- Conseil d’Etat arrêt HEYRIES de 1918 le conseil d’état valide la décision de suspension de la règle de la communication du dossier dans le cadre des procédures disciplinaires des fonctionnaires pendant la guerre. (Conseil d’Etat, 28 Juin 1918, Heyries. La loi de 1905 prévoit la communication du dossier d’une personne publique quand il est sanctionné. Ici, Heyries n’a pas son dossier, l’intérêt de l’État passe avant.)
- Conseil d’Etat, 3 Novembre 1989, Galliot. Emeute en Nouvelle-Caledonie. Un conseil municipale crée un comité de salut publique. Il s’agit d’une compétence qui en temps normal ne serait pas admise. Le Conseil d’État dit qu’en cas d’émeutes on peut digresser des compétences.
Dans ce contrôle des circonstances exceptionnelles, le juge vérifiera 3 choses :
-
il contrôle d’abord la réalité et le caractère exceptionnel des circonstances
-
il contrôle l’impossibilité pour l’administration de rester dans la légalité courante
-
il contrôle la valeur de l’objectif poursuivi au regard de l’atteinte aux droits
On a aussi une jurisprudence européenne qui connaît de ce type de contentieux. Cela se voit dans un arrêt de la Cour EDH de 2009 A et autres contre Royaume-Uni, a partir de 2001 on a une recrudescence des législations anti terroristes parmi lesquelles on porte atteinte aux droits et libertés fondamentaux notamment des personnes interrogées. Dans cet arrêt la CEDH va évaluer la proportionnalité des mesures restrictives de liberté par rapport au risque pour la sécurité nationale invoqué par le gouvernement britannique. Dès 2001 le Royaume-Uni avait mis en place des régimes dérogeant à certains droits garantis par la convention notamment dans le cadre de la sûreté et de la vie privée. Les RU avaient invoqué l’article 15 paragraphe I qui précise qu’ « en cas de war ou autres dangers publics menaçant la vie de la nation, toute autre partie contractante peut prendre des mesures dérogeant aux obligations prévues par la convention où la situation l’exige et à la condition que ces mesures ne soient pas en contradiction avec les autres obligations découlant du droit international » Face à cet article les requérants avaient argués de l’article 3 de la CEDH relatif à la torture et traitements inhumains. La CEDH dans cet arrêt élude la question en disant que l’article 3 ne peut subir aucune dérogation même si la vie de la nation est en danger + la détention dont a été objet les requérants a pu être contestée avec succès mais les souffrances subies n’ont pas atteint un seuil intolérable.
B) La théorie de l’urgence
Dans le cadre de cette théorie, l’autorité de police peut intervenir par tous les moyens appropriés quand il est urgent soit de faire cesser l’opposition à une décision légale, soit quand il est urgent de faire face à un trouble grave à l’ordre public.
- La théorie de l’urgence s’applique en période de circonstances normales ( mais quand il y a nécessite d’agir rapidement).
-
Effets limités par rapport à la première théorie.
-
L’urgence justifie l’exécution forcée ( Possibilité donnée à l’administration d’exécuter elle-même ses propres décisions par la force sans autorisation du juge), exécution forcée possible : quand urgence ou quand la loi l’autorise ==> 1902 TC Société immobilière de Saint-Just : Le commissaire de la République y définit les conditions qui définissent l’exécution forcée en cas d’urgence, c’est Romieu. Il dit » Quand la maison brûle on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers ».
-
L’urgence justifie l’inobservation des règles de procédure et de forme. Exemple : CE 1955 époux de vives : Était en cause une vieille loi de 1877 autorisant les réquisitions militaires pour loger les troupes de passage : En cas de réquisitions militaires, les décisions peuvent être prises verbalement et non pas de manière écrite.
-
L’urgence peut justifier l’inobservation de certaines règles de compétences ( lorsqu’une autorité administration a empiété sur la compétence d’une autre autorité administrative). Exemple : CE 1965 Alix : Police du Préfet qui lui permet de prendre toutes les mesures nécessaires face au dysfonctionnement de ce genre d’établissements insalubres ( fermeture provisoire parfois) : En cas d’urgence, le maire peut agir à la place du Préfet.
Dans un arrêt de 1961 WERQUIN, le juge justifie le recours à la théorie de l’urgence, le juge conforme ainsi la décision du maire de réquisitionner un bâtiment pour assurer le relogement de deux personnes évacuées d’un immeuble menaçant de ruines. Mais l’arrêt le plus important est la décision du tribunal des conflits Société immobilière Saint Just de (groupe de nones qui s’étaient enfermées dans un couvent d’où recours à la force publique pour les évacuer et démolir le couvent ) Le commissaire du gouvernement ROMIEU dans cet arrêt nous dit qu’il est « de l’essence même de l’administration d’agir immédiatement et d’employer la force publique sans délai ni procédure quand l’intérêt immédiat de la force publique l’exige » Romieu a aussi dit « Quand la maison brûle on ne va pas demander au juge l’autorisation d’y envoyer les pompiers » l’urgence justifie l’exécution forcée