La théorie du bilan : son abandon

LE THÉORIE DU BILAN : SA FIN

Les spécialiste de la fiscalité connaissaient cette théorie : l’inscription d’un bien à l’actif du bilan d’une entreprise individuelle est libre ; les produits et les charges correspondants entrent dans le calcul du bénéfice professionnel. Nous évoquerons la fin de cette théorie (loi du 29 décembre 2010, applicable en 2012), et expliquerons ce que signifiait cette théorie et ses conséquence sur l’imposition des entreprise, avant 2012

Depuis 2012, le fin de la théorie du bilan

Mais l’article 155 du Code Général des Impôts, issu de la loi du 29 décembre 2010 a mis fin à ce principe. Depuis le 1er janvier 2012, s’il est toujours permis d’inscrire ce que l’on veut à l’actif de l’entreprise individuelle, les produits et les charges correspondants doivent être retraités pour être imposés comme s’il étaient perçus directement par l’exploitant en tant que contribuable particulier. Il en est ainsi, par exemple, d’un immeuble qui ne serait pas utilisé par l’entreprise et qui aurait été acquis dans le but de le louer et d’en tirer des revenus fonciers.

Cette solution peut être pénalisante comme avantageuse selon les cas. Pénalisante puisqu’elle empêche à l’entrepreneur de déduire les frais liés à cet actif. Mais avantageuse lorsqu’il s’agit d’appliquer un régime de plus-values moins pénalisant que celui de l’entrepreneur individuel. C’est le cas, par exemple, de la cession d’un immeuble détenu depuis plus de 30 ans : il est désormais exonéré alors que la plus-value à court terme était jusqu’alors fiscalisée.

Avant 2012 : Pour information, un retour sur ce qu’était la théorie du bilan et ses conséquencessur l’imposition des bénéfices des entreprises.

La théorie du bilan a des conséquences sur la détermination du bénéfice net. Qui dit bilan dit comptabilité. Pour les entreprises qui tiennent une comptabilité, la théorie du bilan a une conséquence importante : le bénéfice sort de l’analyse de la comptabilité.

Est-ce que le droit fiscal doit tenir compte de l’activité de l’entreprise telle qu’elle ressort de la comptabilité tenue. Le principe est simple : dans le silence de la loi fiscale, les catégories comptables et les écritures comptables doivent être prises en compte tel quel par l’administration. Les amortissements doivent être sauf dérogation pris en compte en tant qu’amortissement au sens de la loi fiscale. Cela ne veut pas dire qu’il y a une coïncidence totale entre les écritures et le mode de détermination du bénéfice fiscal. Il existe nécessairement un retraitement limité des écritures du bénéfice comptable pour déterminer. L’entreprise doit procéder à des réajustements. Il y a toutefois une large coïncidence.

L’autre problème est l’opposabilité des écritures comptables à l’administration. Est-ce que des écritures comptables erronées s’imposent.

  • &1 L’entrepreneur individuel et la liberté de composition du bilan

L’entrepreneur individuel, pas les sociétés. En droit fiscal, les sociétés n’ont pas de liberté de composition de leur bilan. Tous les éléments d’actif doivent figurer à leur bilan alors même que ces éléments ne sont pas rattachable à l’activité de ces sociétés.

Passons à l’entrepreneur individuel. En droit civil il y a une règle de l’unité du patrimoine. Il est impossible pour un contribuable d’avoir 2/3 patrimoines. Le boulanger est propriétaire de son fonds de boulangerie. Il est propriétaire de l’immeuble dans lequel il exerce son activité et il est propriétaire d’un immeuble aux Champs-Elysées. Le problème est de savoir si le boulanger va pouvoir inscrire à l’actif de son bilan l’immeuble des C-E ou non ? Aura-t-il la liberté d’inscrire l’immeuble ou il tient sa boulangerie ?

Avant 55, régnait la théorie de l’affectation par nature. Tous les immeubles qui étaient par nature affectés à l’exploitation de l’entreprise devaient figurer au bilan de l’entreprise et rien d’autre. Dans notre exemple, l’immeuble des C-E ne pourra pas être inscrit au bilan de l’entreprise.

En 67, le Conseil d’Etat estime que la position antérieure était trop rigoureuse et qu’il pouvait être inscrit au bilan de l’entreprise tous les actifs qui pouvaient avoir un lien avec l’activité de l’entreprise. «Considérant que l’article 38 du CGI est applicable notamment au cas où l’exploitant d’une entreprise prélève en nature en vue de l’incorporer dans son patrimoine personnel et de le gérer dans les conditions du droit civil, un bien jusqu’alors compris dans les éléments composant l’actif de l’entreprise et dont la valeur figurait dans sa comptabilité commerciale.» L’entrepreneur peut retirer n’importe quel bien de son entreprise. C’est la consécration de la dualité du patrimoine de l’entrepreneur : patrimoine professionnel et patrimoine civil. L’arrêt nous dit aussi qu’il y a une liberté de passage des biens de l’un à l’autre sans que l’on prenne en considération la nature du bien. On va voir les conséquences.

Pédagogie par l’exemple : M. Bichon, boulanger, est propriétaire d’un immeuble de rapport. Application de la liberté d’inscription. Premier cas : le boulanger inscrit l’immeuble à l’actif de son entreprise de boulanger. Absurde ? Que nenni. La conséquence, c’est que le régime fiscal de l’immeuble va être soumis au régime fiscal de l’entreprise, donc des BIC. Les charges d’entretien de l’immeuble seront donc déductibles au titre des BIC, les loyers perçus seront considérés comme des bénéfices de l’activité de boulangerie. L’immeuble pourra être amorti selon le régime applicable en matière de BIC.

Second cas : l’immeuble n’est pas inscrit à l’actif de la boulangerie. Les loyers seront des revenus fonciers. Les charges de l’immeuble seront déductibles au titre des revenus fonciers. La déduction de l’amortissement ne sera pas déductible.

Pourquoi M. Bichon inscrirait-il l’immeuble ? Pour la déduction des charges. En effet, en matière de BIC les déductions sont plus avantageuses qu’au titre des revenus fonciers. Pas de limitation + possibilité d’amortir.

Il y a un danger : L’inscription au bilan n’est pas neutre, si l’on passe du patrimoine privé au patrimoine de l’entreprise, ou si inversement on passe du patrimoine de l’entreprise au patrimoine privé, c’est considéré comme une vente. Si M Bichon prend sa retraite, il ne va pas forcément vendre l’immeuble de rapport. A la cessation, l’immeuble ne figurera plus au bilan, il sera réintégré dans le patrimoine privé, ce qui va être considéré comme une vente. Si en 1970, l’immeuble valait 100. En 2006, le boulanger retire l’immeuble de la compta de sa boulangerie, mais l’immeuble, en 2006, vaut 500. Le boulanger empoche donc une plus-value professionnelle de 400, même s’il ne touche pas 1 centime.

Mais que se passe-t-il lorsque l’immeuble passe du patrimoine privé au patrimoine professionnel en 2006 ? Il inscrit pour 500, il touche une plus-value privée de 400. Mais les plus-values privées sur immeubles ne sont imposables qu’en cas d’opération juridique effective.

Mais, le revirement de 1967 portait en principe sur tous les éléments constitutifs du bilan. On peut se demander si l’entrepreneur individuel pourra tout sortir de son bilan.

Ø Aucun doute pour les créances professionnelles, qui peuvent être considérées comme des créances non professionnelles de l’entrepreneur.

Ø Il semble que les stocks doivent toujours être au bilan.

Ø Le grand problème, c’est le fonds de commerce. Le Conseil d’Etat a limité cette liberté d’inscription dans un arrêt de 1990, arrêt Ahner : le Conseil d’Etat affirme que le droit au bail, élément constitutif du fonds, doit être regardé même s’il ne figure pas au bilan comme un des éléments de l’actif immobilisé dès lors qu’il ne peut être utilisé qu’en vue de l’exercice d’une profession. Ce qui veut dire que l’entrepreneur a l’obligation d’inscrire son fonds de commerce et que l’administration est fondée à procéder à des redressements comme s’il était inscrit au bilan.

Cette jurisprudence est critiquable. La définition des BIC se fonde sur la théorie du bilan. Logiquement devrait donc figurer au bilan de l’entreprise tous les éléments d’actifs affectés à l’entreprise. Mais le droit fiscal est écartelé entre la théorie fiscale et la théorie civile du patrimoine. En conséquence, le Conseil d’Etat a fait prévaloir une idée plutôt civiliste. Ce choix est regrettable, nous verrons que cela peut perturber l’application d’autres régimes.

  • &2 La valeur des écritures comptables.

Le problème est le suivant. Est-ce que, lorsqu’une écriture comptable est opérée, elle s’impose à l’administration fiscale, ou est-ce que l’administration fiscale peut la rectifier. De même est-ce que cette écriture s’impose au contribuable.

Existence de deux grandes catégories d’écriture comptable : celles qui impliquent un choix fiscal du contribuable (décision de gestion), et celles qui sont obligatoires fiscalement (application de la théorie des erreurs comptables, voire des erreurs comptables délibérées)

  • A) Les décisions de gestion.

Ce sont des écritures comptables qui sont le résultat d’un choix fiscal du contribuable. Ce qui veut dire que la loi fiscale autorise le contribuable à passer ou à ne pas passer cette écriture (par exemple, inscription de l’immeuble au bilan, ou encore le choix d’amortissement). Le régime est simple : la décision de gestion est opposable au contribuable et opposable à l’administration. Une fois faite, l’administration doit en tirer toutes les conséquences pour asseoir l’impôt et le contribuable ne peut plus modifier son écriture

Le problème qui se pose, c’est de savoir quel est la norme fiscale qui autorise le choix du contribuable, qui fonde la décision de gestion. Les choses sont simples : seule une disposition législative ou réglementaire peut fonder une décision de gestion. Si c’est un élément de la doctrine administrative, le juge estimera que la décision de gestion n’est pas fondée.

  • B) Les écritures obligatoires et la théorie des erreurs comptable.

On reconnaît au contribuable un certain droit à l’erreur et le droit de réclamer la correction de ces erreurs. Ce droit à l’erreur ne joue que pour une catégorie d’écriture, les écritures imposées par le droit fiscal. Si le contribuable a omis de passer telle ou telle écriture, il pourra en demander la rectification. Les choses se passent de la manière suivante : ou bien le contribuable s’aperçoit de son erreur. Evidemment cette erreur a été prise en compte pour la détermination du revenu imposable. La déclaration des BIC doit être redressée. Le contribuable demande la rectification de l’erreur dans le délai normal de réclamation contre son imposition. Le contribuable va introduire une réclamation contre l’imposition établie sur la base de la déclaration en demandant que soit rectifier l’erreur et le bénéfice imposable. L’administration a l’obligation d’opérer la rectification et d’en tirer les conséquences.

Si c’est l’administration qui s’aperçoit d’une erreur. Le contribuable pourra demander que l’administration tienne compte de l’erreur et en tire les conséquences. Mais il faut que l’écriture comptable soit obligatoire. On peut avoir un doute sur l’origine de l’erreur. N’est-elle pas voulue pour diminuer le bénéfice. Ne cache-t-elle pas une fraude ? Le contribuable doit en même temps prouver sa bonne foi.

Rappel : depuis 2012, c’est la fin de la théorie du bilan

  • C) L’erreur comptable délibérée.

Intention de frauder le fisc. Quel est le régime. C’est un régime dissymétrique. L’écriture s’impose au contribuable alors que l’administration a l’obligation de la rectifier. Il en sortira nécessairement un redressement et peut être même des sanctions fiscales pour mauvaise foi. Mais c’est à l’administration de démontrer l’intention frauduleuse. L’erreur comptable délibérée, on l’a appelé naguère la décision de gestion irrégulière. Ce terme était inadéquat. Le Conseil d’Etat a abandonné cette distinction.

CE du 12 mai 1997 SARL Intraco : CE ne prend pas en compte les motifs fiscaux ou non qui ont motivé l’erreur comptable délibérée. De plus rappel, que rectification est impossible.

  • &3 La correction symétrique des bilans.

Concerne le champ temporel de correction des erreurs comptables. Ne concerne que les erreurs qui ont été portées sur des bilans successifs. Comment doit-on les traiter ?

L’administration, lorsqu’elle fait un contrôle à l’obligation de corriger l’erreur sur tous les bilans sur lesquels portent son contrôle, c’est à dire sur les 3 exercices. Avant 73, le Conseil d’Etat disait qu’il ne fallait pas tenir compte de la prescription du droit de reprises. L’administration devait rectifier les écritures de tous les exercices entachés de l’erreur. (Si l’erreur a été commise dans une période prescrite, l’administration devait quand même corriger, sans se préoccuper du fait qu’elle ne pouvait pas redresser. Le résultat est favorable au contribuable, on agit comme si l’entreprise ne s’était pas trompée. Rappel : depuis 2012, c’est la fin de la théorie du bilan

En 73, revirement de jurisprudence : l’analyse est juridiquement erronée. Il dit qu’il est impossible de ne pas tenir compte de l’étendue du droit de contrôle de l’administration. L’administration ne peut rectifier que pour les exercices pour lesquels elle peut exercer son pouvoir de contrôle et de redressement. Problème pour la première année soumise au contrôle (2002). Le bilan d’ouverture de 2002 doit être identique au bilan de clôture de 2001. Mais attention, si le Conseil d’Etat dit que la correction ne peut plus s’effectuer lors des exercices prescrits, cela signifie qu’il est impossible de contrôler 2001. Ce qui crée une plus-value fictive qui donne lieu a un redressement. Si l’entreprise a par malheur commis une erreur comptable dans les écritures d’un exercice prescrit, l’administration fiscale peut redresser à compter de l’exercice non prescrit. Pour l’exercice 2002, l’administration va redresser. C’est un raisonnement juridique imparable, mais un raisonnement fiscal inique.

Le Conseil d’Etat applique cette jurisprudence avec constance, mais des commissaires au gouvernement s’offusquent.

Mais en 2004, le Conseil d’Etat revient à sa jurisprudence de 73. Mais l’administration, ne pouvant plus faire ces redressements, perdait 2’000’000’000 € par an. Il y a donc eu une loi qui a repris la solution de la jurisprudence de 73 avec cette limitation que lorsque l’erreur a été commise 5 ans avant les exercices contrôlés, elle peut être rectifiée dès l’origine.