La Vème République, présidentialisme et Parlement assujetti?

La constitution de 1958 en application : un président puissant, un parlement assujetti?

La Constitution de 1958 a initialement instauré un régime parlementaire dans lequel l’exécutif, et en particulier le Président de la République, disposait de pouvoirs renforcés pour répondre à l’instabilité institutionnelle de la Quatrième République. Cependant, l’introduction de l’élection du Président de la République au suffrage universel direct en 1962, par référendum, a marqué une transformation majeure du régime, renforçant la place du Président et inaugurant un régime souvent qualifié de semi-présidentiel.

La Cinquième République, dès lors, échappe aux typologies traditionnelles des régimes démocratiques. Elle présente une structure hybride, combinant des traits des régimes parlementaires et présidentiels.

 

Section 1. L’évolution de la Cinquième république : du parlementarisme (19858) au présidentialisme (1962)

A) Une base initiale parlementaire renforcée

À sa création, la Cinquième République reposait sur une structure parlementaire rationalisée, dans laquelle :

  • Le gouvernement était responsable devant le Parlement (article 49).
  • Le Président de la République, bien que chef de l’État et détenteur de certains pouvoirs propres (article 16 sur les pouvoirs exceptionnels, dissolution de l’Assemblée nationale prévue à l’article 12), n’était pas élu directement par les citoyens, mais par un collège de grands électeurs.
  • Le régime était marqué par une séparation souple des pouvoirs, typique des régimes parlementaires :
    • Le Parlement pouvait censurer le gouvernement.
    • L’exécutif, en retour, pouvait dissoudre l’Assemblée nationale.

Cependant, plusieurs éléments distinguaient déjà ce régime d’un régime parlementaire classique :

  • Le Président disposait de pouvoirs propres ne nécessitant pas le contreseing du Premier ministre, comme la dissolution de l’Assemblée ou la convocation du référendum.
  • La Constitution rationalisait le rôle du Parlement pour éviter les dérives de la Quatrième République :
    • Restriction des domaines d’intervention législative (article 34).
    • Encadrement de la procédure législative par des outils comme le 49-3 (engagement de responsabilité sur un texte).

B) La transformation de 1962 : l’élection présidentielle au suffrage universel direct

Avec la réforme de 1962, le Président de la République devient la figure centrale du régime, bénéficiant d’une légitimité démocratique directe, comparable à celle du Parlement. Ce changement a modifié l’équilibre institutionnel, conduisant à une présidentialisation de fait du régime.

Les effets de l’élection présidentielle au suffrage universel

  1. Renforcement de la légitimité présidentielle

    • Le Président élu au suffrage universel direct incarne la souveraineté populaire et s’impose comme le chef incontesté de l’exécutif.
    • Cela modifie le rapport entre le Président et le Premier ministre, ce dernier devenant souvent un simple exécutant des orientations présidentielles, en période de fait majoritaire.
  2. Lien direct avec les citoyens

    • Le Président peut mobiliser l’opinion publique pour légitimer ses décisions, notamment par l’usage du référendum (article 11), comme l’ont fait De Gaulle (référendum de 1962 sur l’élection présidentielle) ou Sarkozy (traité de Lisbonne en 2008 via le Congrès, pour contourner l’échec référendaire de 2005).
  3. Émergence du fait majoritaire

    • L’élection présidentielle au suffrage universel, couplée au mode de scrutin législatif uninominal majoritaire à deux tours, favorise l’émergence d’une majorité cohérente à l’Assemblée nationale. Cette majorité tend à soutenir le Président, consolidant la domination présidentielle.

 

Section 2. La présidentialisation.

 

La Cinquième République a consacré une forte présidentialisation du régime, reflet des institutions mises en place en 1958 et des évolutions politiques ultérieures. Cette présidentialisation repose sur des fondements institutionnels solides, mais connaît des limites, notamment en période de cohabitation.

§ 1. Origines de la présidentialisation

A. Origines institutionnelles

  1. La notion de pouvoir d’État : le discours de Bayeux
    Le discours de Bayeux (16 juin 1946) constitue la pierre angulaire de la conception gaullienne du pouvoir. De Gaulle y affirme la nécessité d’un État fort, incarné par un Président arbitre, au-dessus des partis politiques et des rivalités parlementaires. Il définit les contours d’une fonction présidentielle forte, orientée par trois objectifs :

    • Assurer la continuité de l’État.
    • Protéger la démocratie tout en dépassant les divisions partisanes.
    • Placer le Président au sommet des institutions pour garantir l’intérêt général.
  2. Les missions du chef de l’État

a) Le gardien de la Constitution

  • L’article 5 de la Constitution confie au Président le rôle de garant du respect de la Constitution.
  • Cette mission s’exerce à travers des actions comme la saisine du Conseil constitutionnel (rare en pratique) ou l’interprétation de ses propres prérogatives.

b) L’arbitre national

  • Contrairement à un arbitrage passif (compromis entre pouvoirs), l’arbitrage sous la Cinquième République est actif. Le Président oriente la politique nationale, choisit le Premier ministre, préside le Conseil des ministres et peut recourir à des outils tels que le référendum (article 11) ou la dissolution de l’Assemblée nationale (article 12).
  • Par exemple, le référendum de 1962 sur l’élection présidentielle au suffrage universel direct a consolidé cette conception d’un Président fort.

c) Le garant des grandes fonctions régaliennes

  • Le Président garantit l’indépendance nationale, l’intégrité territoriale et le respect des traités internationaux (article 5).
  • Il dispose également de prérogatives en matière de politique étrangère (article 14) et de défense nationale (article 15), confirmant son rôle central dans les affaires internationales.

B. Origines politiques

  1. Le soutien des électeurs

    • Avec l’instauration de l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962, le Président bénéficie d’une légitimité renforcée.
    • L’utilisation du référendum, comme sous De Gaulle (1969) ou Macron (projets évoqués en 2023), illustre cette relation directe avec les citoyens.
  2. Le soutien parlementaire

    • Le fait majoritaire, apparu dès 1962, consolide la présidentialisation en alignant la majorité présidentielle et parlementaire.
    • Les élections législatives, organisées juste après la présidentielle depuis 2002, renforcent ce mécanisme.

§ 2. Manifestations de la présidentialisation

A. La domination présidentielle sur le gouvernement

Le Président exerce une emprise importante sur le gouvernement, notamment en période de fait majoritaire :

  • Le Premier ministre est nommé par le Président (article 8) et doit partager une vision commune. En pratique, cette relation est asymétrique, le Président absorbant les pouvoirs exécutifs.
  • Par exemple, sous Nicolas Sarkozy (2007-2012), la figure du Premier ministre (François Fillon) était largement éclipsée par l’hyperprésidence. De même, Emmanuel Macron, dès 2017, a souvent été perçu comme centralisant l’action gouvernementale.

B. La domination présidentielle sur le Parlement

  1. Domination politique

    • Le Président, en tant que chef de la majorité présidentielle, influence directement les orientations législatives. Cette domination s’accentue en période de majorité alignée.
    • Par exemple, sous François Hollande (2012-2017), bien que fragilisé par des dissensions internes au PS, il a conservé une influence sur les grandes réformes économiques et sociales.
  2. Domination technique

    • Le Président peut indirectement légiférer via les projets de loi gouvernementaux qu’il inspire.
    • À l’inverse, il peut bloquer certains textes, comme le montrent les refus de De Gaulle d’accepter des réformes jugées contraires à l’intérêt général.

§ 3. Les limites de la présidentialisation : la cohabitation

La cohabitation se produit lorsque les majorités présidentielle et parlementaire diffèrent. Bien que moins probable depuis le quinquennat et l’inversion du calendrier électoral, elle reste une hypothèse théorique.

A. La réhabilitation du gouvernement

En période de cohabitation, le Premier ministre redevient la figure centrale de l’exécutif.

  • La pratique du contreseing reprend sa pleine vigueur, et le Président perd son rôle dominant dans les affaires intérieures.
  • Par exemple, Lionel Jospin (1997-2002) a imposé ses orientations économiques et sociales face à Jacques Chirac, tandis que François Mitterrand a dû composer avec Jacques Chirac (1986-1988) et Édouard Balladur (1993-1995).

B. Le Président conserve un rôle certain

Même en cohabitation, le Président conserve un rôle significatif, notamment dans les domaines régaliens :

  • Politique étrangère : François Mitterrand a largement influencé la gestion des affaires européennes, même en cohabitation.
  • Défense nationale : Jacques Chirac a maintenu son contrôle sur les décisions militaires, malgré la cohabitation avec Jospin.

En outre, l’article 5 reste une base pour interpréter extensivement ses prérogatives, comme le refus de privatisations sous Mitterrand ou l’utilisation stratégique du droit de veto.

Section 3. L’assujettissement du parlement.

Sous la Cinquième République, le Parlement est soumis à une double forme de contrôle, juridique et politique, renforçant la prééminence de l’exécutif et limitant les dysfonctionnements des républiques précédentes, notamment ceux liés à l’instabilité parlementaire.

§ 1. L’assujettissement juridique : la rationalisation.

La rationalisation du parlementarisme repose sur un encadrement juridique des fonctions principales du Parlement, limitant ainsi son pouvoir au profit de l’exécutif.

A. L’extension de la notion de rationalisation

La rationalisation du parlementarisme s’exprime de deux manières :

  1. Renforcement du gouvernement :

    • Les mécanismes de renversement du gouvernement sont encadrés par des procédures strictes, notamment l’article 49-3, qui permet d’engager la responsabilité du gouvernement sur le vote d’un texte.
    • Le gouvernement peut poser la question de confiance, ce qui dissuade les parlementaires de s’opposer.
  2. Encadrement de la fonction législative :

    • La distinction entre domaine de la loi et domaine du règlement, prévue par l’article 34, limite le champ d’action du Parlement.
    • L’article 38 permet au gouvernement de légiférer par ordonnances après autorisation parlementaire.

B. Le renforcement de l’efficacité de la rationalisation

La rationalisation est renforcée par le contrôle de constitutionnalité des lois.

  • L’article 41 permet au gouvernement ou au président de l’Assemblée concernée de saisir le Conseil constitutionnel en cas de litige sur la conformité d’une proposition ou d’un amendement au domaine législatif.
  • Le Conseil constitutionnel devient un arbitre clé, limitant les initiatives parlementaires incompatibles avec la Constitution.

 

§ 2. L’assujettissement politique du parlement : le fait majoritaire.

Le fait majoritaire repose sur l’articulation entre la majorité présidentielle et parlementaire, renforcée par les mécanismes électoraux et institutionnels.

A. Le phénomène majoritaire

L’élection du Président au suffrage universel direct depuis 1962 et les législatives au scrutin uninominal majoritaire à deux tours favorisent l’émergence de majorités parlementaires stables.

  • Avant 1981, la majorité parlementaire était largement dominée par la droite, avec un phénomène de stabilité.
  • Depuis 1981, l’alternance politique s’est imposée (gauche/droite, puis montée de la recomposition politique), notamment avec les victoires de François Mitterrand (1981, 1988), Jacques Chirac (1995, 2002), et plus récemment Emmanuel Macron (2017, 2022).

B. L’évolution du phénomène majoritaire

Le fait majoritaire a cependant connu des atténuations et des éclipses, notamment dans les périodes de crise interne ou de cohabitation.

1. Atténuation du fait majoritaire

Des ruptures dans la cohésion de la majorité parlementaire ont affaibli l’exécutif à plusieurs reprises :

  • 1976 : La démission de Jacques Chirac, alors Premier ministre de Valéry Giscard d’Estaing, a marqué une fracture au sein de la droite, donnant lieu à une opposition entre le RPR et les soutiens de Giscard.
  • 1988-1993 : Mitterrand, réélu sans majorité absolue, doit composer avec un Parlement divisé. Le gouvernement Rocard utilise alors massivement l’article 49-3 pour faire passer des lois sans vote (28 fois en 5 ans).

2. Les éclipses : les périodes de cohabitation

La cohabitation, où Président et Premier ministre appartiennent à des courants politiques opposés, a marqué des périodes d’éclipse du fait majoritaire. Trois cohabitations ont eu lieu :

  • 1986-1988 : François Mitterrand (PS) cohabite avec Jacques Chirac (RPR).
  • 1993-1995 : Mitterrand cohabite avec Édouard Balladur (RPR).
  • 1997-2002 : Jacques Chirac (RPR) nomme Lionel Jospin (PS) après une dissolution ratée de l’Assemblée.

Ces cohabitations, bien que stabilisées, ont conduit à une paralysie relative de l’exécutif et à des tensions institutionnelles. Depuis le passage au quinquennat en 2000 et l’alignement des calendriers électoraux (présidentielles suivies des législatives), ce phénomène a disparu.

 

Conclusion : La Cinquième République a profondément renforcé l’exécutif et rationalisé le législatif, mettant fin à l’instabilité chronique des républiques précédentes.

  • Renforcement de l’exécutif
    • Le Président de la République, élu au suffrage universel direct, dispose de pouvoirs étendus (articles 5, 8, 16, 12).
    • Le Premier ministre, chef du gouvernement, est directement lié à l’action présidentielle, renforçant la cohérence de l’exécutif.
  • Rationalisation du législatif
    • Le Parlement, bien que disposant toujours du pouvoir législatif (article 24), est soumis à des mécanismes de contrôle et d’encadrement qui en limitent les excès.
    • L’émergence du Conseil constitutionnel en tant que garant de l’ordre constitutionnel a consolidé cet encadrement.
Isa Germain

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