La Cinquième République est-elle un régime parlementaire ou présidentiel ? Un texte constitutionnel à géométrie variable

La nature juridique de la Ve République suscite des débats et des divergences d’interprétation. En effet, selon les périodes et les circonstances politiques, le régime oscille entre des caractéristiques présidentielles et parlementaires. Cette flexibilité a conduit certains à parler d’un régime parlementaire « présidentialisé » ou d’un régime « semi-présidentiel », termes qui révèlent la complexité de son organisation constitutionnelle.

1. Une évolution entre régime parlementaire et présidentialisation progressive

  • De 1958 à 1962 : un régime parlementaire pur : Lors de sa mise en place en 1958, la Ve République se caractérisait par une organisation parlementaire. Le président de la République, élu par un collège électoral restreint, exerçait un rôle d’arbitre au sein des institutions. L’autorité principale revenait au Premier ministre, qui assumait la direction du gouvernement en étant responsable devant l’Assemblée nationale. L’équilibre institutionnel était donc similaire aux régimes parlementaires classiques, comme l’avait souhaité Michel Debré dans son discours devant le Conseil d’État en 1958, affirmant qu’il fallait « donner à la France un régime parlementaire ».
  • À partir de 1962 : l’impact de l’élection présidentielle au suffrage universel direct : L’introduction de l’élection présidentielle au suffrage universel direct en 1962 transforme le régime en profondeur. Ce mode de scrutin confère au président une légitimité supérieure, renforçant considérablement son autorité. Désormais, la majorité législative s’aligne fréquemment sur le président, qui devient le leader de cette majorité, reléguant le Premier ministre à une position secondaire. Le président de la République dispose alors d’un contrôle accru sur l’orientation de la politique nationale, ce qui fait basculer la Ve République vers un modèle présidentialisé.

2. Régime dualiste ou moniste selon les périodes : la géométrie variable de la Ve République

En pratique, la Ve République fonctionne différemment selon que le président et l’Assemblée nationale partagent ou non une même majorité politique.

  • En période de concordance des majorités : un régime parlementaire dualiste, mais présidentialisé : Lorsqu’il y a concordance entre la majorité présidentielle et la majorité parlementaire, la Ve République adopte un régime parlementaire dualiste, mais fortement présidentialisé. Le président dispose en réalité d’une autorité décisive, dirigeant les grandes orientations politiques et influençant l’action gouvernementale. Dans la pratique, le Premier ministre devient davantage un exécutant de la politique définie par le président, qui est le véritable chef de l’exécutif. Pour renforcer son contrôle, le président peut demander au Premier ministre de lui présenter sa démission en cas de désaccord majeur, un acte qui montre la responsabilité de fait du gouvernement devant le président, même si elle reste juridiquement imprécise.
  • En période de cohabitation : un régime parlementaire moniste : En cas de cohabitation, c’est-à-dire lorsque la majorité parlementaire diffère de celle du président, la Ve République fonctionne comme un régime parlementaire moniste. Le président voit son influence sur la politique intérieure considérablement réduite, le gouvernement et le Premier ministre s’appuyant alors sur le Parlement, et non sur le président, pour mener leur action. Dans ce contexte, le Premier ministre exerce la responsabilité gouvernementale de manière plus autonome, et l’équilibre institutionnel se rapproche d’un régime parlementaire classique, où l’exécutif dépend de la majorité parlementaire.

3. Régime semi-présidentiel ou présidentialisme à la française ?

  • La notion de « semi-présidentialisme » selon Maurice Duverger : Pour qualifier le régime de la Ve République, Maurice Duverger propose le terme de régime « semi-présidentiel », une qualification qui reconnaît à la fois les caractéristiques parlementaires (responsabilité du gouvernement devant le Parlement, possibilité de dissoudre l’Assemblée) et présidentielles (élection du président au suffrage universel direct, président chef de l’exécutif). Cette vision prend en compte l’autorité renforcée du président, même si elle n’est pleinement effective qu’en l’absence de cohabitation.
  • Une critique de la notion de semi-présidentialisme : un régime parlementaire à correctif présidentiel : Toutefois, une partie de la doctrine juridique estime que la Ve République reste fondamentalement un régime parlementaire. Ces experts considèrent que les régimes semi-présidentiels ne sont qu’une variante des régimes parlementaires dualistes. Dans la Ve République, le gouvernement est responsable devant le Parlement, et le président, bien que renforcé, ne peut exercer un pouvoir absolu. Ainsi, pour refléter l’influence du président, la Ve République est souvent qualifiée de régime « parlementaire présidentialisé » ou de « régime parlementaire à correctif présidentiel ». Ces expressions mettent en lumière l’importance du président dans l’organisation institutionnelle, tout en soulignant que cette présidentialisation dépend en grande partie des résultats électoraux et de la conjoncture politique.

En pratique, les frictions entre le président et le Premier ministre deviennent rares (sauf en cas de cohabitation), le Premier ministre appliquant une politique définie par le président. Ainsi, la Ve République, bien que toujours parlementaire, présente un visage très présidentialisé, avec un chef de l’État qui joue un rôle prépondérant, y compris en politique intérieure.

A) Un régime parlementaire ou présidentiel?

La loi du 3 juin 1958 imposait au gouvernement de la Ve République de respecter des principes fondamentaux, notamment la séparation des pouvoirs et la responsabilité gouvernementale. Ces principes sont les caractéristiques dominantes d’un régime parlementaire. Cependant, le caractère du régime n’était pas défini de façon stricte en 1958. Dans une célèbre conférence, le général de Gaulle déclarait en 1961 qu’il n’y avait pas de raison de choisir entre un régime parlementaire et un régime présidentiel. Michel Debré, devant le Conseil d’État, soulignait lui aussi : « Il faut donner à la France un régime parlementaire. »

Les caractéristiques parlementaires

La Ve République est dotée d’éléments fondamentaux d’un régime parlementaire :

  • Régime bicéphale : le pouvoir exécutif est partagé entre le président et le Premier ministre.
  • Responsabilité gouvernementale : le gouvernement doit bénéficier de la confiance du Parlement.

La France ne peut donc pas être considérée comme un régime présidentiel, dans lequel la responsabilité gouvernementale serait absente. Cependant, la spécificité de la Ve République réside dans le rôle central conféré au président de la République et dans le renforcement de ses pouvoirs dans le texte même de la Constitution.

Vers un modèle parlementaire hybride

La Ve République peut être considérée comme un régime parlementaire, mais elle introduit aussi des éléments d’inspiration présidentielle, dans un modèle unique. En effet, le rôle du président est influencé par la configuration politique issue des élections. La Constitution permet différentes interprétations selon les résultats des élections législatives et présidentielles, et l’opinion publique joue un rôle central dans l’exercice du pouvoir.

Ce régime peut être décrit comme un « gouvernement d’opinion rationalisée » à option présidentielle. La Ve République adopte un modèle dualiste : le Premier ministre doit à la fois obtenir la confiance du Parlement et être en accord avec le chef de l’État pour gouverner. En cas de cohabitation, c’est-à-dire lorsque les majorités présidentielle et parlementaire ne coïncident pas, le régime bascule vers un modèle parlementaire moniste, où le gouvernement est responsable devant le Parlement.

Trois scénarios selon la majorité parlementaire

L’ampleur de la majorité parlementaire influence le rôle des institutions et l’étendue des pouvoirs du président :

  • Si une majorité de députés opposée au président est élue, le corps électoral rejette la lecture présidentialiste.
  • Si une majorité favorable au président est élue, le régime penche vers une présidentialisation plus marquée.
  • Si la majorité présidentielle est relative ou faible, cela atténue la présidentialisation.


B. Un régime parlementaire dualiste

1. Hypertrophie de la fonction présidentielle en cas de coïncidence totale

Entre 1959 et 1986, c’est une présidentialisation du régime qui s’installe progressivement, renforcée par l’élection présidentielle au suffrage universel direct instaurée en 1962. Cette élection confère au président une légitimité populaire forte, le plaçant au-dessus du Premier ministre, qui est nommé et non élu, et du Parlement.

Cependant, la Ve République n’est pas un régime présidentiel comme aux États-Unis. Cinq éléments fondamentaux distinguent le régime français du modèle américain :

  • La dissolution de l’Assemblée nationale est une prérogative présidentielle, alors que le Congrès américain ne peut être dissous.
  • En France, le gouvernement doit obtenir la confiance d’une majorité parlementaire, alors qu’aux États-Unis, l’exécutif ne dépend pas du Congrès.
  • Le référendum, réintroduit sous la Ve République, est un outil de gouvernement en France, absent du système américain.
  • L’initiative législative est partagée entre le gouvernement et le Parlement en France, alors qu’aux États-Unis, le président n’a pas le pouvoir de proposer des lois.
  • La responsabilité du gouvernement devant le Parlement est un critère essentiel du régime parlementaire français, inexistant aux États-Unis.

2. En cas de coexistence relative entre les majorités

Quand les titulaires des fonctions exécutives sont du même bord politique mais sans adéquation parfaite, on observe un « recentrage » des pouvoirs présidentiels. Par exemple, sous Mitterrand, les relations entre le président et Michel Rocard, Premier ministre, étaient marquées par cette coexistence relative. Le président ne pouvait imposer totalement sa vision, et devait composer avec son Premier ministre. Ce genre de configuration favorise une lecture littérale de la Constitution, et le rôle d’arbitre du président revient au centre de l’exercice présidentiel.

En conclusion, la Ve République est un régime parlementaire hybride, caractérisé par une présidentialisation modulée par les résultats électoraux et la configuration politique.


C. Un régime parlementaire moniste en période de distorsion des majorités

Avec la Ve République, le système politique français est devenu davantage moniste, c’est-à-dire que le gouvernement n’est plus responsable que devant le Parlement, ce qui écarte le Président de toute autorité directe en cas de cohabitation. Les périodes de cohabitation ont mis en lumière une dualité des pouvoirs, mais aussi des adaptations permettant à la Constitution d’être appliquée dans un esprit plus parlementaire. Voici comment le pouvoir du Président s’est exprimé et ajusté selon deux dynamiques distinctes durant ces périodes de cohabitation.


1. Le reflux actif du président ou la coexistence

Sous la présidence de François Mitterrand, la cohabitation avec Jacques Chirac a illustré une phase où le Président a interprété de manière extensive certains de ses pouvoirs. Mitterrand a exercé ce que l’on pourrait appeler un « reflux actif », en revendiquant un rôle important dans des domaines traditionnellement réservés au gouvernement en période de cohabitation. Cela s’est traduit par plusieurs pratiques :

  • Refus de contreseing : Mitterrand a contesté le champ d’action du Premier ministre et a refusé de contresigner certaines ordonnances et décrets préparés par le gouvernement Chirac, s’appuyant sur l’article 13 de la Constitution. Cette interprétation visait à limiter l’autonomie du gouvernement dans certains domaines.
  • Arbitrage constitutionnel élargi : Se référant à l’article 5, qui lui attribue le rôle de « garant du fonctionnement régulier des pouvoirs publics », il a cherché à étendre son influence à l’arbitrage des politiques intérieures et extérieures. Bien qu’officiellement non autorisé, il a pratiqué une forme de cogestion diplomatique, prenant part aux affaires extérieures et militaires malgré la cohabitation.
  • Marge d’intervention en politique extérieure : Dans le domaine diplomatique, le Président a conservé un rôle actif, et cette approche s’est institutionnalisée. Il a réussi à maintenir une influence en matière de relations internationales et de défense nationale, exploitant la Constitution pour élargir son rôle de chef de l’État en temps de cohabitation.

Cette période de cohabitation est souvent considérée comme ayant instauré un système de partage des pouvoirs, avec un Président jouant un rôle de contrepoids face au gouvernement, tout en imposant une certaine autorité en matière de diplomatie.


2. Le « reflux passif » du Président, ou la « cohabitation pacifique »

La deuxième cohabitation, entre Mitterrand et le Premier ministre Édouard Balladur, s’est déroulée dans un contexte différent. Mitterrand, en fin de mandat, a adopté une position de « reflux passif », s’éloignant davantage des affaires intérieures et extérieures. Cette cohabitation est caractérisée par une plus grande harmonisation entre les pouvoirs exécutif et législatif :

  • Dominance du gouvernement en politique intérieure : Sous cette cohabitation, le gouvernement a appliqué la Constitution de manière plus conforme à l’esprit parlementaire, en assumant pleinement les pouvoirs conférés par l’article 20 (« Le gouvernement détermine et conduit la politique de la Nation »). Cela a permis au Premier ministre Balladur d’être particulièrement influent et de mener la politique nationale avec une autonomie considérable.
  • Retour à une répartition classique des fonctions en politique extérieure : Contrairement à la première cohabitation, Mitterrand n’a pas cherché à imposer un domaine réservé en matière de défense et de politique étrangère, ce qui a permis un fonctionnement plus fluide et plus équilibré des institutions. Le président n’a plus exercé de pression pour cogérer la diplomatie, laissant le gouvernement se concentrer sur ces sujets en toute autonomie.
  • Une stabilité renforcée par une majorité forte : La cohabitation de 1993-1995 a été marquée par une majorité parlementaire écrasante soutenant Balladur, ce qui a permis d’éviter les conflits institutionnels observés précédemment. Cette situation a créé un modèle de cohabitation plus pacifique, sans tension visible entre les deux têtes de l’exécutif.

3. Évolutions récentes et le quinquennat :

Depuis l’instauration du quinquennat en 2000 et la synchronisation des élections présidentielles et législatives, on uarait pu croire que les périodes de cohabitation seraient devenues improbables. Toutefois, les dernières décennies montrent que des frictions peuvent subsister entre le Président et le Premier ministre, même en dehors d’une cohabitation classique, comme lors des premiers mois de collaboration entre Emmanuel Macron et Édouard Philippe.

  • Exercice renforcé de la présidence : Avec le quinquennat, le Président est de facto assuré d’une majorité parlementaire. Cela a réduit l’autonomie du Premier ministre, rapprochant le régime d’un modèle présidentialiste. Sous Emmanuel Macron, la forte centralisation des décisions au niveau présidentiel a renforcé l’image d’un Président actif, surtout en matière de gestion de crise, comme la pandémie de COVID-19. Le rôle du Premier ministre, notamment Jean Castex puis Élisabeth Borne, puis Gabriel Attal, est souvent perçu comme une extension de la présidence, ce qui limite les conflits institutionnels.

  • Rapport de force atténué : Avec l’absence de cohabitation, la séparation des fonctions n’est plus une question majeure. Le Président garde une autorité renforcée, assumant des rôles étendus en politique intérieure et extérieure, tandis que le Premier ministre applique la politique définie par le Président, sans intervention marquée en matière de gouvernance indépendante.

Toutefois, ceci est remis en cause par la dissolution de 2024 : la dissolution de l’Assemblée nationale par le Président Macron a conduit à des élections législatives anticipées. En conséquence, les élections présidentielles et législatives ne sont plus synchronisées.

 

Isa Germain

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