Le bicamérisme : principe, formes et débats

 

Le pouvoir législatif, qui se manifeste par la capacité de proposer, discuter et adopter les lois, est exercé par le Parlement. Selon les choix institutionnels des États, le Parlement peut être constitué soit d’une seule chambre (monocamérisme), soit de deux chambres (bicamérisme). Ces deux systèmes présentent des caractéristiques distinctes. La majorité des démocraties modernes optent pour le bicamérisme, considérant que ce système offre une meilleure garantie de pluralisme et d’équilibre des pouvoirs. Toutefois, le choix entre monocamérisme et bicamérisme est parfois dicté par des contraintes historiques, politiques ou sociales.

Pour bien comprendre le fonctionnement et la pertinence de ces modèles, il est essentiel d’analyser les formes que peut prendre le bicamérisme et d’en évaluer les effets sur l’efficacité législative et la représentativité démocratique.

1- Les différences entre le système monocaméral et le système bicaméral

a) Le système monocaméral

Dans un système monocaméral, une seule assemblée législative, élue par les citoyens, assume l’intégralité des fonctions législatives.

  • Exemples : Le Danemark, la Grèce et le Portugal fonctionnent sous ce modèle.
  • Avantages :
    • Simplicité des procédures : Les lois sont discutées et adoptées dans un cadre unique, réduisant les délais et les conflits potentiels.
    • Clarté dans les relations avec le Gouvernement : Une seule chambre législative permet une interaction directe avec l’exécutif, limitant les frictions institutionnelles.
    • Coût réduit : L’absence d’une deuxième chambre diminue les dépenses liées au fonctionnement parlementaire.

Ce modèle est souvent adopté dans les États de taille modeste ou ceux où la centralisation des pouvoirs est privilégiée.

b) Le système bicaméral

Dans le bicamérisme, deux chambres législatives se partagent les responsabilités législatives. Chacune a un rôle spécifique et un mode de désignation parfois différent.

  • Pourquoi opter pour deux chambres ?
    • Éviter la concentration du pouvoir : Une seule assemblée peut monopoliser le pouvoir législatif, ce qui pourrait mener à des abus, comme ce fut le cas sous le Directoire en 1795.
    • Représentation d’intérêts spécifiques : La deuxième chambre est conçue pour représenter des institutions ou groupes particuliers.
      • États fédérés : En Allemagne (Bundesrat) et aux États-Unis (Sénat), la deuxième chambre représente les entités fédérées.
      • Collectivités territoriales : En France, le Sénat défend les intérêts des collectivités locales.
      • Noblesse ou élites : Au Royaume-Uni, la Chambre des Lords incarne encore aujourd’hui cet héritage historique.

2- Les formes du bicamérisme

Le bicamérisme, qui repose sur l’existence de deux chambres législatives au sein d’un même Parlement, a évolué au fil de l’histoire et se décline sous plusieurs formes principales : aristocratique, fédéral et sociologique. Chaque forme reflète des choix historiques, politiques et sociaux propres à un État.

a) Le bicamérisme aristocratique

Cette forme de bicamérisme est la plus ancienne et trouve son origine dans les premières limitations du pouvoir monarchique. Elle repose sur la représentation de la noblesse ou des élites aristocratiques dans une deuxième chambre, tandis que la première chambre représente le peuple.

  • Origines historiques :

    • Apparue en Angleterre dès le XIIᵉ siècle, avec la création de la Chambre des Lords, antérieure à celle des Communes.
    • Cette chambre, constituée d’aristocrates, limitait le pouvoir des monarques absolus, souvent sous la pression de la noblesse. À partir du XIVᵉ siècle, les revendications populaires s’ajoutent aux exigences de la noblesse, élargissant peu à peu la représentativité des institutions.
  • Évolution en France :

    • Contrairement à l’Angleterre, la France a d’abord institué une chambre pour le peuple, avant de créer une chambre aristocratique, mais pour d’autres raisons, notamment pour équilibrer le pouvoir entre les différentes classes sociales.
  • Situation contemporaine :

    • Les chambres aristocratiques ne subsistent aujourd’hui que comme des vestiges historiques, et peu d’États continuent à les maintenir.
    • Le Royaume-Uni est en transition, avec des réformes visant à rendre la Chambre des Lords moins aristocratique et davantage représentative.

b) Le bicamérisme fédéral

Dans les États fédéraux, le bicamérisme adopte un schéma différent : la deuxième chambre représente non pas des groupes sociaux, mais les entités fédérées (États, Länder, provinces). L’objectif principal est de garantir un équilibre entre les différentes composantes territoriales de l’État.

  • Principes fondamentaux :

    • La première chambre représente le peuple de l’État fédéral.
    • La deuxième chambre représente les entités fédérées.
  • Questions clés :

    • Mode de désignation : La deuxième chambre peut être élue ou nommée.
      • Aux États-Unis, les sénateurs sont élus au suffrage universel indirect.
      • En Allemagne, les membres du Bundesrat sont nommés par les exécutifs des Länder.
    • Répartition des sièges : Les États fédérés peuvent être représentés à égalité ou en fonction de leur démographie.
      • Aux États-Unis, chaque État dispose de deux sénateurs, quelle que soit sa population.
      • En Allemagne, la représentation au Bundesrat varie en fonction de la population de chaque Land.
  • Rapport de pouvoir :

    • Aux États-Unis, le Sénat a des pouvoirs étendus et joue un rôle clé dans la politique fédérale.
    • En Allemagne, le Bundesrat a un rôle plus consultatif, bien qu’il intervienne dans certains domaines législatifs cruciaux.

c) Le bicamérisme sociologique

Cette catégorie regroupe les formes de bicamérisme qui ne sont ni aristocratiques ni fédérales. Il s’agit de systèmes dans lesquels la deuxième chambre apporte une perspective différente à l’élaboration des lois, même si une seule chambre pourrait suffire.

  • Caractéristiques générales :

    • La première chambre est toujours élue au suffrage universel direct, garantissant la représentation démocratique du peuple.
    • La deuxième chambre est conçue pour refléter des intérêts spécifiques ou une vision différente, offrant une complémentarité à la première.
  • Exemple en France : Depuis 1958, le Sénat français représente les collectivités territoriales, ce qui explique que ses membres soient élus par un collège de grands électeurs, composé principalement de délégués des conseils municipaux.

  • Autres exemples : Certains États choisissent de représenter dans leur deuxième chambre les différentes composantes économiques ou sociales du pays, reflétant une vision sociologique de la société.

  • Débats contemporains : Bien que la majorité des États aient opté pour un système bicaméral, le bicamérisme fait régulièrement l’objet de critiques et de remises en cause, certains le jugeant coûteux ou inefficace.

En résumé : Le bicamérisme se décline en trois formes principales : aristocratique, axé sur la représentation des élites ; fédéral, orienté vers la représentation des entités territoriales dans les États fédérés ; et sociologique, visant à refléter des perspectives spécifiques complémentaires au suffrage universel. Chacune de ces formes répond à des besoins institutionnels et historiques propres, mais leur pertinence continue de susciter des débats.

 

3- La remise en cause du bicamérisme

Le bicamérisme, bien qu’adopté par de nombreuses démocraties, fait l’objet de critiques récurrentes. Ces objections reposent principalement sur des arguments liés à son efficacité, sa pertinence démocratique et sa complexité.

A) Les critiques du bicamérisme

  1. Complexité et lenteur des procédures

    • Le bicamérisme est souvent accusé de ralentir le processus législatif en raison des navettes entre les deux chambres.
    • Lorsque les deux chambres sont en désaccord, des allers-retours prolongés sont nécessaires, retardant l’adoption des textes.
    • En France, bien que l’Assemblée nationale ait le dernier mot après deux navettes, les partisans du monocamérisme estiment qu’une seule chambre suffirait à accélérer les décisions législatives.
  2. Inutilité en cas de consensus

    • Si les deux chambres s’accordent sur un texte dès le début, la deuxième chambre est jugée redondante, rendant son rôle superflu.
  3. Critique démocratique

    • Les détracteurs du bicamérisme considèrent parfois la deuxième chambre comme moins démocratique, notamment lorsqu’elle est élue au suffrage indirect (comme le Sénat français).
    • Toutefois, cette critique est nuancée : le suffrage indirect, bien qu’indirect, reste une forme de démocratie représentative, offrant une perspective différente de celle du suffrage direct.
  4. Tendance conservatrice des secondes chambres

    • Dans de nombreux États, les secondes chambres sont perçues comme plus conservatrices que les premières. Par exemple :
      • En France, le Sénat est resté majoritairement à droite entre 1958 et 2011, renforçant cette perception.
      • Cependant, le basculement du Sénat à gauche en 2011 a tempéré cette critique.
  5. Une institution parfois qualifiée d’anachronique

    • Certains hommes politiques, comme Lionel Jospin lorsqu’il était Premier ministre, ont qualifié le Sénat de « démocratie aberrante », estimant qu’il devrait être supprimé.

B) Les arguments en faveur du bicamérisme

  1. Un temps de réflexion supplémentaire

    • Les navettes entre les deux chambres permettent d’affiner les textes législatifs, grâce à un débat approfondi et à une prise de recul.
    • Bien que les navettes puissent être réduites pour gagner du temps, un système monocaméral risque de produire des décisions précipitées.
  2. Une garantie de contre-pouvoir

    • La deuxième chambre joue souvent un rôle de rempart contre les dérives législatives ou les décisions trop partisanes.
    • Par exemple, sous la IIIᵉ République, le Sénat a été un acteur majeur de la démocratie, soutenant des lois progressistes telles que celles sur la liberté de la presse ou la liberté d’association.
  3. Un équilibre politique

    • La composition de la deuxième chambre peut offrir un équilibre par rapport à la première chambre, qui est souvent soumise à des changements de majorité plus fréquents.
    • En France, bien que le Sénat soit parfois en désaccord avec l’Assemblée nationale, ce contrepoids peut limiter les excès liés à une majorité trop dominante.
  4. Une institution soutenue historiquement

    • Lors de la rédaction du premier projet de Constitution de la IVᵉ République, qui proposait un système monocaméral, le peuple français a rejeté cette proposition, montrant un attachement à la structure bicamérale.

 

Aujourd’hui, le bicamérisme reste une source de tension politique, notamment en France.

  • Le Sénat, souvent moins à gauche que l’Assemblée nationale, bloque certains textes, ce qui agace régulièrement le gouvernement.
  • Cependant, il n’existe pas de consensus sur la nécessité de le supprimer ou de réformer radicalement son rôle.

En résumé : Le bicamérisme est régulièrement remis en question pour sa complexité et son coût, mais ses défenseurs soulignent son rôle de contre-pouvoir, sa capacité à enrichir le débat législatif et sa fonction de garantie démocratique. Aucun système, monocaméral ou bicaméral, n’est parfait, et les critiques adressées à la deuxième chambre doivent être nuancées par les avantages qu’elle offre en termes de réflexion et d’équilibre institutionnel.

Isa Germain

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