Le caractère plus doux ou plus sévère de la loi

APPRÉCIATION DU CARACTÈRE PLUS DOUX OU PLUS SÉVÈRE D’UNE LOI PÉNALE 

 

Dire ce qui est plus doux ou plus sévère n’est pas trop difficile. On en a même intuitivement une idée généralement assez juste. Mais les choses se compliquent lorsque, dans une loi, l’un se mêle à l‘autre et ne parlons pas du cas ou on a plus de deux lois en concours, plus douces ou plus sévères les unes par rapport aux autres.

 

  1. a) distinction entre le plus doux et le plus sévère

 

1) s’agissant des dispositions relatives aux incriminations et à la responsabilité pénale

 

Plus douces évidemment sont la suppression d’une incrimination non remplacée tel le vagabondage, la réduction du champd’application de la loi pénale, la restriction de l’exhibition sexuelle qui doit être imposée à la vue d’autrui par rapport à l’ancien outrage public à la pudeur, l’admission de nouvelles causes d’irresponsabilité tel l’erreur de droit, ou la restriction de la définition d’un type d’infraction comme par exemple la loi du 10 juillet 2000 sur les délits non intentionnels.

 

Plus sévères, la création, l’élargissement d’une fractionin ou d’une catégorie de personnes responsables, la suppression ou la restriction d’une clause d’irresponsabilité.

 

Mais des modifications apportées à la présentationdes textes sont neutres et n’emportent aucune conséquence quant à l’application de la loi dans le temps

 

La suppression d’une incrimination ne met pas nécessairement obstacle à la répression par exemple lorsque les faits restent punissables sous une autre qualification (exemple les articles 225-22-1 Code Pénal et 227-26, 4°abrogé sur les relations sexuelles avec un mineur prostitué).

 

Idem lorsqu’on a une simple codification à droit constant

 

2) S’agissant des peines

 

Plus douce est la suppression d’une peine, d’une pe ine complémentaire, ou la diminution du quantum de peine, le remplacement par une peine inférieure, ou de nouvelles modalités d’aménagement des peines . Exemples tirés du nouveau code pénal : la suppression de la peine de la dégradation civique, du bannissement, ou la suppression de l’emprisonnement en matière de contravention.

 

 

Plus sévère à l’inverse est évidemment la création d’une nouvelle peine, l’augmentation du quantum ou la suppression d’une faculté d’aménagement.

 

La nature des peines criminelle, correctionnelle ou contraventionnelle n’est pas seule prise en compte.

 

Les modalités et le quantum le sont aussi.

 

Ainsi, une peine privative de liberté est considérée comme plus sévère qu’une peine non privative de liberté ;

 

Entre deux peines privatives de liberté, la plus sévère est celle dont la durée est la plus longue, quelque soit la nature respective, criminelle ou correctionnelle des deux peines

 

Entre deux peines non privatives de liberté, de même contenu, deux peines d’amende ou deux peines d’interdiction d’émettre des chèques, la plus sévère est celle dont le quantum est le plus élevé.

 

Entre deux peines non privatives de liberté de nature différente, l’appréciation s’opère in concreto et la chambre criminelle a déjà eu l’occasion de dire que l’amende n’est pas a priori plus sévère que les autres peines puisqu’elle a jugé qu’une peine de fermeture d’établissement est plus sévère qu’une peine d’amende.

 

L’application par la cour de cassation de ces principes mérite quelques indications.

 

En 1994, par exemple, la peine encourue pour le meurtre a été ramenée de la réclusion perpétuelle à 30 ans. Des cours d’assises avaient, par erreur, condamné des auteurs de meurtres à la réclusion à perpétuité alors qu’elles devaient bien entendu faire application de la loi pénale nouvelle plus douce. En un tel cas et puisque aucune circonstance atténuante n’avait été retenu et que

 

le maximum encouru avait été prononcé, la cour de cassation a pu casser et ramener d’elle même sans renvoi la peine au nouveau maximum encouru 30 ans. Crim 9 et 16 mars 1994.

 

Mais si le maximum encouru n’a pas été prononcé, la cour casse et renvoie.

 

Autre problème : il ne suffit pas que la peine prononcée soit moins sévère que la peine encourue selon la loi nouvelle pour échapper à la censure de la cour de cassation. Encore faut-il qu’elle ait été légalement applicable à la date à laquelle est commise l’infraction.

 

Prenons l’exemple d’un assassinat commis avant l’entrée en vigueur du code pénal nouveau et jugé après. La peine encouru est la réclusion perpétuelle avant comme après le code nouveau. Imaginez une peine prononcée de 25 ans. La cour de cassation a cassé cette décision car elle appliquait ici une loi nouvelle plus sévère. En effet, sous l’ancien code, l’échelle des peines était : perpétuité, puis 20 ans ; la peine de trente ans n’existait pas . 20 ans était la peine maximale à temps. On ne pouvait pas prononcer 25 ans, ce que l’on peut faire sous l’empire de la loi pénale plus sévère (29 ou 25 etc.).

 

Crim 14 déc. 1994 B 414

 

3) S’agissant des circonstances aggravantes

 

On doit aussi comparer avec la loi ancienne ; ainsi à propos du nouveau code pénal, on a considéré que la création de circonstances aggravantes du meurtre faisant encourir la peine de réclusion criminelle à perpétuité n’aggravait pas le sort des condamnés puisque, sous l’empire du droit antérieur, ils encouraient également la perpétuité et même pour un meurtre simple (20 déc. 1995Bn° 393)

 

  1. b)La coexistence des dispositions plus douces etplus sévères.

 

Quand, dans un même texte, coexistent des dispositions plus douces et plus sévères, que faire ?

 

1) Une  solution  distincte  pour  les  dispositions divisibles et indivisibles

 

La jurisprudence distingue selon que les dispositions en cause sont divisibles ou non. Mais le critère de la divisibilité n’est pas si simple à manier.

 

Quand les dispositions sont divisibles, on les applique bien entendu séparément en faisant rétroagir les seules dispositions plus douces.

 

Si les dispositions forment un tout indivisible, on tente de dégager une solution unique.

 

La doctrine soutient qu’il existe deux méthodes pour dégager une solution unique : la première consisterait à rechercher la disposition principale du texte mais les applications de cette méthode sont rares et contestables car elles peuvent tout aussi bien relever de la seconde méthode qui consiste à procéder à l’appréciation globale du texte.

 

Dans cette seconde méthode, le juge dégage la tendance dominante du texte. Il le fait dans une appréciation in abstracto. Ainsi la chambre criminelle a-t-elle considéré comme globalement plus favorable al loi de 1970 qui a institué le sursis partiel (disposition plus sévère) tout en élargissant les conditions d’octroi du sursis simple (disposition plus douce) (Crim. 5 juin 1971, JCP 1972 II 17039 note Vitu, RSC 1972, p. 97 Légal) ;

 

Voir encore (Crim 10 mai 1961, B n° 2488 RSC 1962 o bs. Légal) : il s’agissait d’une ordonnance du 4 juin 1960 dont les dispositions étaient indivisibles et dont la tendance dominante a été jugée plus douce et donc d’application immédiate.

 

Elle relevait le minimum d’une peine encourue en matière de détournement de deniers publics ce qui était une disposition plus douce, mais elle substituait la réclusion criminelle aux travaux forcés et instituait des dispositions plus douces en matière de récidive etde circonstances atténuantes.

 

« Le système pénal instauré par l’ordonnance du 4 uinj 1960 forme un tout dont les éléments sont inséparables et qui considéré dans son ensemble est plus favorable à l’accusé ».

 

2) Le critère de divisibilité et sa mise en œuvre.

La circulaire d’application du nouveau code pénal a tenté certaines clarifications mais bien sûr les juges n’y sont pas tenus et le critère de divisibilité n’est pas très simple à manier comme il a déjà été dit.

 

L’unité ou la pluralité du texte, critère avancé par une partie de la doctrine ne permet pas de rendre tout à fait compte de l’ens emble des solutions dégagées par la Jurisprudence qui, au total, apparaissent du plus grand pragmatisme.

 

On peut présenter les choses de manière assez abstraite ici encore, et dire qu’il faut apprécier la divisibilité du texte en prenant en compte le lien rationnel entre les diverses dispositions, l’équilibre recherché par le législateur entre elles, et les conséquences pour la politique criminelle d’une application distributive des dispositions de la loi nouvelle ou au contraire d’une application immédiate de la loi pour le respect du principe de non rétroactivité. Un auteur enseigne lui que les choses ne peuvent pas être abordées de manière si abstraite et qu’il faut toujours se placer dans la perspective concrète d’une application du texte à un individu déterminé.

 

Notez bien que cela nous mène à une suite d’opérations assez distinctes : pour savoir si le texte est indivisible ou non, on va procéder à une appréciation concrète (l’application du texte à un individu déterminé est-elle divisible ou non) mais, ensuite, si le texte est estimé indivisible, lorsqu’il faudra dire s’il est globalement plus doux ou plus sévère, on procédera à une appréciation abstraite.

 

On a en tout cas sur cette question du caractère divisible ou non de la loi, trois situations concrètes qui peuvent se présenter et vous allez voir que les solutions tendent à la fois à prendre en compte les préoccupations de politique criminelle du législateur, l’esprit de la loi et à respecter aussi le principe de non rétroactivité.

 

  • Si pour une même poursuite et une même personne, il est impossible que du fait de la divisibilité de la loi les dispositions les plus douces de chaque loi (de l’ancienne et de la nouvelle) s’appliquent ensemble, il n’y a aucun inconvénient à ce que les dispositions plus douces de la loi nouvelle s’appliquent immédiatement et donc à considérer les dispositions de la loi comme divisibles.

 

Ex. une loi élargit une incrimination (plus sévère)mais réduit la peine applicable, comme ce fut le cas pour la loi sur le viol de 1980, personne ne peut à la fois bénéficier des dispositions plus douces de l’ancienne et de la nouvelle loi.

En effet de deux choses l’une :

 

  • Soit les faits, commis en un temps « T » antérieur à la réforme, n’étaient pas constitutifs de viol sous l’ancienne définition, mais ils auraient pu tomber sous le coup de la loi nouvelle s’ils avaient été commis postérieurement à celle-ci : en tout état de cause, on ne pourra pas les poursuivre sur le fondement de la nouvelle définition car le principe de non- rétroactivité s’y oppose. En pareil cas il ne peut y avoir de poursuites. Les dispositions pénales plus douces de la loi nouvelle sur les peines ne lui « bénéficient » pas puisqu’il n’est pas poursuivi et ne peut l’être. La question de savoir si la loi nouvelle est divisible entre les dispositions relatives à l’incrimination et la peine ne se pose à vrai dire pas.

 

  • Soit les faits tombent sous le coup de l’ancienne incrimination et cela ne pose aucune difficulté de considérer la loi nouvelle comme divisible, car les faits entrent en tout état de cause dans l’une et l’autre définition de l’infraction de viol y compris l’ancienne définition plus douce qui n’est donc d’aucun effet sur lui. Il peut donc bénéficier de la disposition pénale plus douce sur la peine, qui est celle de la nouvelle loi. Il ne cumule pas le bénéfice des dispositions plus douces des deux lois car la réforme de l’incrimination ne change rien pour lui. En appliquant immédiatement les dispositions plus douces de la loi nouvelle, et donc en les pensant comme divisibles, on s’évite tout débat généré par l’indivisibilité sur le caractère global plus doux ou plus sévère de la loi nouvelle. La personne poursuivie est éventuellement gagnante car, si on avait dit la loi est indivisible, il y avait un risque que l’on dise ensuite, la loi nouvelle est globalement plus sévère, nonobstant l’adoucissement de la pénalité, et on appliquait alors la loi ancienne et donc la pénalité plus sévère.

 

Exemple idem si la loi nouvelle réduit le domaine d’incrimination et augmente la peine. Si elle échappe à la répression désormais en vertu de la nouvelle incrimination, elle ne bénéficiera pas dela pénalité ancienne plus douce puisqu’elle ne peut plus être poursuivie. Sielle peut prétendre bénéficier de la peine plus douce de l’ancienne loi, c’est par ce qu’elle peut encore être poursuivie et qu’elle ne bénéficie pas de l’adoucissement de l’incrimination (voir sur la prise légale d’intérêt Crim. 4 juin 1996 B. n° 231).

 

  • Si, au contraire, la personne poursuivie est susceptible de bénéficier cumulativement des dispositions plus douces des deux lois,mais qu’il n’existe entre les dispositions concernées aucun lien, on peut là encore

 

considérer la nouvelle loi comme divisible et le prévenu cumulera les dispositions plus douces mais qui sont sans lien entre elles

 

Ex. la loi sur la diffusion de message pornographique ou de nature à porter atteinte à la dignité humaine art 227-24 du Code Pénal dont l’incrimination dans le nouveau code est à la fois plus large (disposition plus sévère) et plus étroite (disposition plus douce). En effet, antérieurement, tout message pornographique était visé, mais désormais le texte exige que le message puisse être vu par un mineur. Les deux circonstances nouvelles de la loi sont indépendantes. Si le message n’a pu être vu par un mineur, de nature à porter atteinte à la dignité humaine ou non, il ne peut être poursuivi. Il n’y apas cumul des dispositions plus douces. Idem si le message n’est pas pornographique, susceptible d’être vu par un mineur ou pas, il ne peut donner lieu à pour suites. On n’applique pas ensemble les deux dispositions plus douces.

 

 

  • Si la personne poursuivie est susceptible de bénéficier des dispositions plus douces des deux lois, l’ancienne et la nouvelle, mais que les dispositions plus douces de la nouvelle loi sont liées aux dispositions plus sévères, qu’il existe entre elles une situation qui est du ressort de la compensation, on ne va pas appliquer en même temps les dispositions plus douces de l’ancienne et de la nouvelle loi et on va considérer les dispositions de la nouvelle loi comme indivisibles. On considérera que la loi nouvelle est globalement plus favorable mais en s’abstenant de reprocher à quelqu’un des faits qui n’étaient pas punissables au moment où ils ont été commis, ou de lui infliger une peine plus forte que celle qu’il encourait au moment des faits pour respecter évidemment la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère.

 

On évite ainsi un régime super privilégié (le cumul des dispositions plus douces de la nouvelle et de l’ancienne loi) que le législateur n’a pas voulu car il a au contraire voulu compenser la disposition nouvelle plus douce nouvelle par une disposition plus sévère. On respecte ici l’esprit de la loi. Et on respecte aussi le principe de non rétroactivité de la loi dans le temps.

 

Ex l’importation et le trafic de stups. Ancien code art L 627 du code de la santé publique 20 ans d’emprisonnement. Depuis l’entrée en vigueur du nouveau code, 222-36 du CP, 10 ans encourus mais trente ans si commise avec la circonstance aggravante de bande organisée.

Si on disait « dispositions divisibles », un trafiquant ayant agi en bande organisée sous l’empire de l’ancienne loi pourrait dire : la peine encourue c’est celle de la nouvelle loi 10 ans (peine nouvelle plus douce) et la circonstance aggravante nouvelle, pas question de me l’appliquer, car elle est plus sévère. Il gagne sur tous les tableaux puisqu’il échappe à la peine de 20 ans prévue pour son cas par l’ancienne loi et à la peine de trente ans prévue pour son cas désormais.

 

Ce que l’on va dire pour éviter ce régime super privilégié c’est : les dispositions de la loi nouvelle sont indivisibles et globalement plus favorables, donc d’application immédiate. La réduction de la peine est indissociable de la circonstance aggravante nouvelle. Mais pour éviter qu’on aboutisse à l’application immédiate d’une loi pénale plus sévère, le trafiquant ayant agi en bande organisée ne pourra être condamné à plus de 02 ans, peine ancienne encourue, celui qui ne peut se voir reprocher la circonstance aggravante bénéficiant, lui, immédiatement de la loi pénale plus douce et de la réduction de la peine de 20 à 10 ans.

 

Idem lorsqu’une incrimination est supprimée (disposition plus douce) et remplacée par une incrimination nouvelle recouvrant des faits identiques ou similaires (disposition plus sévère). La loi est indivisible, on appliquera l’incrimination nouvelle mais aux faits commis sous l’empire de l’ancienne loi on appliquera les peines anciennes encourues si les dispositions de la loi nouvelle sont plus sévères.

 

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