Le champ d’application dans le temps des lois pénales

Le champ d’application dans le temps des lois pénales

La date d’entrée en vigueur et la date d’abrogation sont une chose, mais le champ d’application de la loi en est une autre. Et la loi pénale peut s’appliquer à des situations qui lui sont antérieures ou au contraire survivre à son abrogation pour s’appliquer encore après celle-ci. C’est en cela qu’il est nécessaire de délimiter l’application de la loi dans le temps et, ici, le droit pénal s’écarte nettement des règles du droit civil. Le principe de légalité domine ici les débats.

Concernant le champ d’application de la loi pénale dans le temps, une question se pose : à quels faits la loi pénale peut-elle s’appliquer lorsque ces faits sont antérieurs à son entrée en vigueur ou postérieurs à son abrogation?

La loi pénale s’applique bien sûr aux infractions commises après son entrée en vigueur, mais peut-elle s’appliquer à celles qui sont commises avant ?

La réponse est donnée par le principe de légalité tel qu’il est énoncé par l’article 8 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen : nul ne peut

être puni qu’en vertu d’une loi établie et promulguée antérieurement au délit et légalement appliquée.

La non-rétroactivité de la loi pénale est la conséquence immédiate et inéluctable du principe de légalité car appliquer une loi pénale qui aggrave la répression à des faits commis à une époque où elle n’était pas applicable, ce serait évidemment violer le principe de légalité selon lequel on ne peut être puni qu’en vertu d’un texte préalable. C’est donc à propos des lois de fond, celles qui portent sur la définition des incriminations et des peines et lorsqu’elles aggravent la répression que le principe de légalité impose cette non-rétroactivité de la loi pénale. Pour les autres textes, il ne s’impose pas avec la même force, voire pas du tout.

Sous l’ancien code pénal, un seul article posait les principes et la Jurisprudence avait construit peu à peu les solutio ns concrètes et précises. Le nouveau code pénal lui, est beaucoup plus précis mais il ne règle pas toutes les difficultés et les solutions jurisprudentielles n’ont donc pas perdu tout leur intérêt. Le nouveau code distingue en tout cas entre:

  • les lois relatives à la définition des incriminations et des peines : Article112-1.

  • les lois relatives à l’exécution et à l’application des peines art. 112-2, 3°

  • les lois relatives à la prescription art. 112-2, 4°

  • et les lois relatives à l’organisation judiciaire , la compétence et la procédure art. 112-2, 1°, 2° et 112-3.

C’est ce plan d’analyse que nous suivrons en y ajoutant, in fine, les lois relatives au mode de preuve.

  1. Les lois d’incrimination et de pénalité

Ce sera, et de loin, la question qui nous retiendra le plus longuement et c’est aussi vous le sentez bien la question la plus importante pour les libertés.

Par lois d’incrimination et de pénalité, on désigne toutes les lois qui forment le droit pénal général et spécial, les lois qui définissent de manière générale, puis infraction par infraction, les incriminations et les peines ainsi que les conditions de mise en œuvre de la responsabilité pénale des auteurs de ces infractions.

L’article 112-1 (lecture) pose deux principes :

  • la non rétroactivité de la loi pénale plus sévère
  • l’application immédiate de la loi pénale plus douce.

Il reprend donc les principes qui sont inscrits un peu partout : art 8 de la DDHC, les articles 9, 10, 11 de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme, les articles 9, 10, 11 de la CESDH et l’article 15 du pacte international relatif aux droits civils et politiques.

  1. les lois relatives à l’exécution et à l’application despeines

Avant le nouveau code pénal, la Jurisprudence estimait que la loi nouvelle même plus sévère devait s’appliquer immédiatement aux situations en cours ; Crim. 21 nov. 1984 B n° 364

La justification de cette position était à la fois juridique et pragmatique. Nul n’aurait droit définitivement à bénéficier d’un régime d’application des peines en vigueur au moment de la commission des faits et d’ailleurs ce serait matériellement ingérable dans les prisons. Mais, le principe ainsi posé n’était pas plus facile à mettre en œuvre car il n’est pas toujours si facile de distinguer la peine de ses modalités d’application et puis, appliquer la loi nouvelle aux situations en cours n’est pas si simple car on est ici en matière d’exécution des peines dans un domaine qui s’étale dans le temps et il n’est pas si simple de mesurer ce qu’est une situation en cours, de les inventorier.

On pouvait avoir une loi nouvelle qui remettait en cause des situations vécues par tous comme des situations acquises : la loi du 31 déc. 1987 qui avait en matière de stupéfiants supprimé toute possibilité de solliciter le relèvement d’interdictions définitives du territoire français s’appliquait ainsi à ceux qui avaient été condamné à une époque où les juges pouvaient penser que l’interdiction définitive n’était pas si grave que cela puisque un relèvement pourrait être accordé ensuite.

  1. les lois relatives à la prescription

Article 112-2, 4° du code pénal.

Ici alors qu’il s’agit d’une question classique de droit pénal général, nous aurons changé de règles trois fois en 20 ans.

Avant le nouveau code, la Jurisprudence assimilait les lois sur la prescription de la peine aux lois de fond. En revanche, s’agissant de la prescription de l’action publique, la loi nouvelle, assimilée à une loi de procédure s’appliquait immédiatement aux prescriptions en cours même si elle était plus sévère.

En 1994, l’article 112-2, 4° on range les lois sur la prescription de l’action publique sous le régime des lois d’incriminations et de pénalité. Si elle est plus sévère, pas d’application immédiate aux prescriptions en cours.

Loi du 9 mars 2004, on abroge la dernière partie de la phrase « saufquand elles auraient pour résultat d’aggraver la situation de l’intéressé». A nouveau, application immédiate aux prescriptions encours.

Sur les prescriptions acquises, au moins les choses sont stables, et c’est bien le moins, la loi nouvelle ne « ré-ouvre » pas le délai. Ex. : 3 sept. 1997, Bull n°294.

  1. les lois de procédure et celles relatives à la compétence

Selon les articles 112 -2 et 112-3 du Code Pénal :

«Sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur :

1° Les lois de compétence et d’organisation judiciaire, tant qu’un jugement au fond n’a pas été rendu en première instance ;

2° Les lois fixant les modalités des poursuites et les formes de la procédure ;

3° Les lois relatives au régime d’exécution et d’application des peines ; toutefois, ces lois, lorsqu’elles auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation, ne sont applicables qu’aux condamnations prononcées pour des faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur ;

4° Lorsque les prescriptions ne sont pas acquises, les lois relatives à la prescription de l’action publique et à la prescription des peines »

« Les lois relatives à la nature et aux cas d’ouverture des voies de recours ainsi qu’aux délais dans lesquels elles doivent être exercées et à la qualité des personnes admises à se pourvoir sont applicables aux recours formés contre les décisions prononcées après leur entrée en vigueur. Les recours sont soumis aux règles de forme en vigueur au jour où ils sont exercés. »

  1. Les lois relatives au mode de preuve.

Certaines lois qu’on pourrait penser être des loisde preuve sont en réalité des lois de fond et elles suivent donc les règles relatives aux lois de fond. Ce fut le cas des dispositions édictant des présomptions ed mauvaise foi. Et ce sont en effet des lois qui modifient l’élément intellectuel de l’infraction.

Quand on est à proprement parler devant une loi rel ative aux modes de preuve, la Jurisprudence semble penche en faveur de l’application en vigueur au moment où la preuve doit être fournie. On évite ainsi, évidemment, de devoir reprendre des procédures terminées, mais, de l’autre coté, comme en matière de procédure, on considère que la loi nouvelle est présumée constituer un progrès et qu’elle doit s’appliquer immédiatement aux affaires encours pour favoriser la découverte de la vérité qui n’est, elle, à dire vrai, « ni plus douce ni plus sévère ».