La Constitution : conception, contenu, forme
La Constitution se situe au sommet de la hiérarchie des normes, jouant un rôle fondamental dans la garantie de l’État de droit. Elle est à la fois un instrument juridique, politique et philosophique qui établit les bases de l’État et encadre l’exercice du pouvoir. Quels sont les fondements conceptuels de la Constitution, son contenu essentiel, et comment se manifeste-t-elle dans sa forme ?
A- Les conceptions de la Constitution
Historiquement, les conceptions de la Constitution ont évolué. Initialement perçue comme un rempart contre les abus de pouvoir, elle a progressivement intégré une dimension plus neutre et fonctionnelle. Aujourd’hui, la Constitution moderne fusionne ces deux approches.
I. Les conceptions de la Constitution
1. La conception classique : un acte de fondation de l’État
La conception classique, apparue au XVIIIe siècle avec la naissance de l’État moderne, voit la Constitution comme un acte fondateur. Elle établit et organise les bases essentielles de l’État.
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Établissement de l’État : La Constitution formalise l’existence de l’État, en identifiant :
- Les citoyens : Définition des critères d’appartenance à la communauté nationale.
- Le territoire : Description des limites territoriales, y compris des entités spécifiques comme les territoires d’outre-mer.
- Les institutions : Identification et structuration des organes de l’État (exécutif, législatif, judiciaire).
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Encadrement du pouvoir : La Constitution vise à éviter l’arbitraire en distribuant les compétences, en énonçant les droits fondamentaux et en limitant les prérogatives des pouvoirs publics. Inspirée des théories contractualistes de Hobbes, Locke ou Rousseau, elle incarne la volonté de garantir la paix civile et de prévenir les abus.
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Réaction au passé : Cette conception est née en réaction aux régimes arbitraires et absolus, comme en témoignent les premières constitutions modernes :
- Constitution américaine de 1787, fondée sur la séparation des pouvoirs.
- Constitution française de 1791, conçue pour encadrer la monarchie constitutionnelle.
2. La conception moderne : un cadre neutre et adaptable
Au fur et à mesure que les systèmes politiques se sont stabilisés, une nouvelle approche de la Constitution a émergé. Elle est désormais perçue comme un outil d’organisation, neutre et durable, apte à accompagner l’évolution démocratique.
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Neutralité politique : La Constitution moderne se veut apolitique, c’est-à-dire qu’elle doit permettre l’alternance entre différents courants politiques sans nécessiter de changements structurels.
- Exemple français : La Constitution de 1958, bien que conçue dans un contexte particulier pour répondre aux attentes du général de Gaulle, a su s’adapter aux gouvernements successifs, de droite comme de gauche, sans remise en cause fondamentale.
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Liberté et démocratie : Fondée sur un postulat libéral (au sens philosophique), la Constitution garantit la liberté individuelle et collective, permettant aux citoyens de choisir leurs gouvernants en toute conscience.
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Nature juridique : La Constitution est avant tout un texte de droit positif, contenant des règles obligatoires auxquelles l’État et ses institutions doivent se conformer. Elle établit :
- Les procédures de gouvernance.
- Les droits fondamentaux.
- Les mécanismes de contrôle et de révision.
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Stabilité et révision : Bien que conçue pour durer, la Constitution doit rester flexible pour répondre aux évolutions sociétales et politiques. Par exemple, la révision constitutionnelle de 2000 en France a introduit le quinquennat, adaptant ainsi la Constitution aux réalités politiques modernes.
II. Contenu essentiel et forme de la Constitution
1. Contenu essentiel de la Constitution
La Constitution regroupe les règles fondamentales qui structurent l’État et garantissent les droits des citoyens. Ces règles peuvent se répartir en plusieurs catégories principales :
Liste des autres articles :
2. La forme de la Constitution : écrite ou coutumière
La Constitution écrite : une norme accessible et explicite
- Prévalence : Aujourd’hui, la quasi-totalité des États adoptent une Constitution écrite pour des raisons de clarté et d’opposabilité.
- Avantages :
- Facilité de consultation et de contrôle par les citoyens.
- Sécurité juridique accrue grâce à des règles explicites.
- Prévisibilité dans les relations entre gouvernants et gouvernés.
La Constitution coutumière : un cadre flexible mais incertain
- Exemple britannique : Le Royaume-Uni illustre l’existence d’une Constitution coutumière, composée d’usages, de lois ordinaires et de principes non écrits. Bien que cette approche permette une grande flexibilité, elle peut engendrer des incertitudes juridiques.
- Coutumes dans les États écrits :
- Même dans les systèmes à Constitution écrite, des coutumes constitutionnelles peuvent se développer pour combler les lacunes du texte.
- Exemple français : Sous la IIIe République, la renonciation par les présidents au droit de dissolution est devenue une coutume (Constitution Grévy).
B- La forme de la Constitution
On peut se demander si la Constitution peut être écrite ou non.
1. La Constitution écrite : une forme prédominante et structurante
La Constitution écrite est aujourd’hui la norme dans la majorité des États modernes. Environ 99 % des États dans le monde ont adopté cette forme, issue du mouvement constitutionnaliste du XVIIIe siècle, pour encadrer et limiter le pouvoir de manière claire et accessible.
Les avantages de la Constitution écrite :
- Accessibilité et opposabilité : Les citoyens et les gouvernants peuvent consulter et invoquer des règles claires pour s’informer ou faire valoir leurs droits devant un juge.
- Encadrement du pouvoir : Une Constitution écrite consacre généralement des articles qui précisent la révision constitutionnelle, garantissant ainsi qu’elle ne puisse être modifiée de manière arbitraire.
- Adaptabilité contrôlée : Bien qu’une Constitution soit conçue pour durer, elle inclut souvent des mécanismes de révision qui permettent de répondre aux évolutions de la société sans en compromettre la stabilité. En France, par exemple, l’article 89 de la Constitution de 1958 encadre la procédure de révision.
Rôle des lois organiques :
- Ces lois complètent la Constitution en précisant certains détails, notamment relatifs à l’organisation des pouvoirs publics. En France, les lois organiques définissent, par exemple, les modalités de l’élection présidentielle, sans alourdir le texte constitutionnel. Cela permet de maintenir la Constitution concise et accessible tout en s’adaptant aux besoins institutionnels.
2. Les constitutions coutumières et les coutumes constitutionnelles
Les constitutions coutumières :
Une constitution coutumière repose sur des règles non écrites mais respectées parce qu’elles sont perçues comme juridiquement contraignantes (opinio juris). Ces constitutions sont rares et caractérisent principalement des États comme le Royaume-Uni, où l’essentiel du système politique repose sur des pratiques établies au fil des siècles.
- Exemple britannique :
- Les règles relatives à la nomination du Premier ministre ou au fonctionnement de la monarchie ne sont pas formalisées dans un texte unique.
- Cette souplesse permet une adaptation progressive des institutions aux réalités contemporaines, mais peut engendrer une incertitude juridique en l’absence de règles écrites claires.
Les coutumes constitutionnelles dans les États à constitution écrite :
Dans les États ayant une constitution écrite, des coutumes constitutionnelles peuvent se développer pour :
- Compléter les lacunes du texte (praeter legem), par exemple lorsque des situations imprévues lors de la rédaction nécessitent des solutions pragmatiques.
- Parfois même contredire des dispositions écrites (contra legem), bien que cela soit souvent considéré comme juridiquement problématique.
Exemple français : la Constitution Grévy (IIIe République)
En 1877, la dissolution de l’Assemblée nationale par le président Mac Mahon a provoqué une crise politique majeure. Son successeur, Jules Grévy, a renoncé à ce droit de dissolution, créant ainsi une coutume contra legem, qui a influencé les pratiques jusqu’à la IVe République.
3. La pratique constitutionnelle : une application évolutive
Définition et rôle :
La pratique constitutionnelle correspond à l’ensemble des comportements ou interprétations qui, sans être juridiquement contraignants, influencent la manière dont les institutions appliquent la Constitution.
- Ces pratiques évoluent pour s’adapter aux besoins des sociétés modernes et reflètent souvent des usages qui, bien que non écrits, s’imposent dans les faits.
- Exemple français : Le vote le dimanche n’est pas imposé par la Constitution mais découle d’une pratique visant à faciliter la participation électorale.
Avantages et inconvénients de la pratique constitutionnelle :
- Avantages :
- Flexibilité accrue, permettant une adaptation rapide sans révision formelle.
- Illustration des évolutions institutionnelles en phase avec la société.
- Inconvénients :
- Peut engendrer une certaine insécurité juridique.
- L’absence de base écrite rend parfois difficile l’arbitrage en cas de conflit.
Exemples internationaux récents :
- Royaume-Uni : La crise du Brexit a illustré les limites de la flexibilité constitutionnelle coutumière, notamment concernant le rôle du parlement et du gouvernement.
- États-Unis : Certaines pratiques, comme l’absence de limite de mandats présidentiels jusqu’en 1947, ont été formalisées dans la Constitution par le 22e amendement, montrant le passage d’une coutume à une règle écrite.
C- Le Contenu de la constitution
La Constitution, en tant qu’acte juridique et politique fondamental, est rédigée par celui qui détient la souveraineté. Dans les systèmes démocratiques, cette souveraineté appartient au peuple, ce qui confère à la Constitution son caractère universel et suprême. Cependant, son contenu peut être extrêmement varié et refléter des choix politiques, sociaux ou même pragmatiques propres à chaque État.
I. La souveraineté et le contenu constitutionnel
La Constitution est rédigée par le pouvoir constituant souverain, qui est libre d’y inclure les dispositions qu’il juge nécessaires ou pertinentes. Cela signifie qu’il n’existe pas de modèle uniforme, et chaque Constitution reflète les besoins, les valeurs et les priorités de son contexte historique et politique.
Exemple atypique : Constitution helvétique : Dans la Constitution suisse, une règle concernant l’abattage du bétail pour raisons sanitaires a été inscrite, faute de parvenir à un accord par voie législative classique. Cela montre que, dans certains cas, des dispositions inhabituelles peuvent trouver leur place dans un texte constitutionnel.
II. Les trois types de dispositions constitutionnelles
Malgré cette variabilité, il existe des catégories de dispositions fréquemment présentes dans la plupart des Constitutions modernes.
1. Dispositions relatives aux droits et libertés
- Fondement démocratique : La relation entre les gouvernés et les gouvernants repose sur des droits et libertés garantis par la Constitution. Ces droits établissent des limites à ne pas franchir par les gouvernants, assurant ainsi une protection des citoyens contre l’arbitraire.
- Exemple en France :
- La Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, intégrée dans le préambule de la Constitution de 1958, garantit des droits fondamentaux comme la liberté d’expression, l’égalité devant la loi, ou encore le droit de propriété.
2. Missions et organisation de l’État
- Répartition des pouvoirs : La Constitution précise comment le pouvoir politique est exercé, qui le détient, et dans quelles conditions il est désigné. Cela inclut :
- Le type de gouvernement : République, monarchie constitutionnelle, fédération, etc.
- Les compétences des institutions : En France, l’Assemblée nationale (représentant le peuple) et le Sénat (représentant les territoires) doivent s’accorder pour adopter les lois. Cela reflète un équilibre entre volonté populaire et représentation des territoires.
- Exemple : La Constitution française de 1958 institue un régime semi-présidentiel en définissant clairement les compétences respectives du Président de la République, du Premier ministre et du Parlement.
3. Dispositions techniques ou procédurales
- Nature des règles : Certaines dispositions précisent ce que les institutions peuvent faire dans des circonstances exceptionnelles, sans pour autant leur imposer de le faire de manière impérative.
- Exemple en France :
- En cas de vacance de la présidence (décès, démission ou destitution), la Constitution prévoit l’organisation d’élections présidentielles dans un délai de 20 à 40 jours. Bien que cette règle soit obligatoire, elle n’est pas impérative dans le sens où elle s’applique uniquement si les circonstances la rendent nécessaire.
III. La flexibilité du contenu constitutionnel
La Constitution, bien qu’elle contienne des règles fondamentales, doit également rester adaptable pour répondre aux évolutions de la société. Pour ce faire :
- Concision : Les Constitutions sont généralement des textes courts (environ 100 articles), qui établissent les principes fondamentaux sans entrer dans des détails excessifs.
- Compléments législatifs : En France, les lois organiques servent à préciser certaines dispositions constitutionnelles sans alourdir le texte principal. Par exemple, l’organisation détaillée de l’élection présidentielle ou le fonctionnement des assemblées législatives relèvent de ces lois organiques.
Conclusion : Le contenu de la Constitution reflète l’histoire, la culture et les priorités d’un État. Elle combine des droits fondamentaux, des mécanismes d’organisation du pouvoir, et des règles techniques pour encadrer les institutions.