Le contrat, une institution ?

Le contrat-institution

D’une part, le développement des dispositions impératives va de pair avec une intrusion de l’intérêt général au sein des intérêts particuliers. D’autre part, la complexité croissante des relations économiques aboutit à une standardisation des contrats imposée par le fonctionnement du système économique…

Introduction

Il est traditionnel d’opposer la notion de contrat à celle d’institution. Lorsqu’il y a contrat, les parties déterminent librement les obligations qui les unissent, sous réserve du respect de l’ordre public. Au contraire, lorsqu’il y a institution, les parties adoptent ou rejettent globalement un ensemble de règles, sans pouvoir les modifier.

Kelsen intègre le contrat dans la pyramide des normes et estime qu’il tire sa force obligatoire de la loi. Cependant, pour la doctrine dans sa majorité, le contrat est un accord de volontés, ce qui implique une idée de liberté.

Quant à l’institution, elle suppose un élément de permanence et une intervention des hommes. Il se dégage l’idée que le contrat est essentiellement frappé au coin de la liberté alors que l’institution est d’essence sacrée donc intangible et contraignante.

Sur la société, la doctrine s’accorde sur le fait qu’elle a une origine contractuelle et des effets qui la rapprochent de l’institution. En ce sens, contrat et institution ne sont pas incompatibles.

S’agissant de la liberté contractuelle, s’agit-il de la liberté de s’engager ou de celle de négocier. Selon les publicistes, si le contrat n’est pas débattu, ce n’est pas un contrat. Mais les privatistes considèrent que contrats réglementés et contrats d’adhésion sont des contrats.

Ceci souligne le déclin de l’autonomie de la volonté, qui se manifeste notamment par un recul de la libre négociation du contenu des contrats au moment de leur formation.

Il est dès lors possible de s’interroger sur le point de savoir si le cadre juridique qui définit la notion de contrat suffit encore à contenir les nouvelles formes dans lesquelles on croit toujours la voir. Le contrat devient de plus en plus statutaire, donc s’institutionnalise : il s’agit d’adhérer à un corpus de règles pré-établies. De plus, autre manifestation du déclin de l’autonomie de la volonté, la force obligatoire du contrat peut être remise en cause a posteriori, soit par la loi, soit par le juge.

Cette évolution correspond en fait à deux tendances. D’une part, le développement des dispositions impératives va de pair avec une intrusion de l’intérêt général au sein des intérêts particuliers. D’autre part, la complexité croissante des relations économiques aboutit à une standardisation des contrats imposée par le fonctionnement du système économique.

 

I – L’institutionnalisation, élément de direction du contrat

L’origine en est le désir de rétablir un équilibre par le droit entre le fort et le faible économiquement, fonction confiée en France à l’Etat : le principe directeur est celui de l’ordre public qui commande pour sa mise en œuvre l’intervention de la puissance publique.

A) Le principe de l’institutionnalisation

1) l’institutionnalisation, élément de direction du contrat par l’ordre public de direction

– Certains contrats sont encadrés (indexation des prix, contrôle des changes…). Répond à la doctrine économique en place.

– Le droit de la concurrence témoigne également de l’émergence de dispositions d’ordre public au sein de la sphère contractuelle.

– Le contrat est mis au service d’une politique déterminée, ce qui correspond à un sommet dans l’immixtion du public dans le privé. La dénationalisation permet de conclure à l’existence d’un véritable contrat-institution.

2) l’institutionnalisation, élément de direction du contrat par l’ordre public de protection

– il s’attache déjà à réglementer la période pré-contractuelle (publicité)

– Il ne se contente pas de réglementer le fond des contrats, mais aussi leurs formes.

Ainsi, le formalisme, par opposition au consensualisme, a été l’outil de l’ordre public économique de protection lorsqu’il s’est efforcé de rendre le débiteur conscient des engagements qu’il souscrivait. art 1326 : mention manuscrite en chiffres et lettres quand engagement de payer. La Cour de cassation a reconnu qu’il résulte des combinaisons des art 1326 et 2015 que cette exigence applicable en matière de cautionnement.

B) Les limites à l’institutionnalisation, élément de direction du contrat

– la première vient de l’attitude des juridictions qui refusent que l’OPP soit détourné de son véritable but et serve de moyen trop commode à l’une des parties pour échapper aux obligations contractuellement mises à sa charge.

– La véritable limite vient de la vie économique elle-même : quelles que soient les protections, le fort l’emporte toujours sur le faible.

La preuve en est que le législateur doit diriger le contrat a posteriori : il s’agit de la réfaction du contrat. Le fait de remettre en cause l’économie du contrat est la preuve de l’efficacité limitée des dispositions d’ordre public. La réfaction doit être distinguée des clauses de hardship qui sont, au contraire, l’hommage du contrat au rejet de la théorie de l’imprévision puisqu’il est nécessaire pour le contractant de stipuler une clause de révision de la convention.

– la protection des consommateurs passe surtout par le biais d’associations pour renforcer les cocontractants et faire contrepoids.

II – L’institutionnalisation, élément de standardisation du contrat

A) La normalisation du contrat

Pour Josserand, ce ne sont plus les droits de l’homme et du citoyen que nous exerçons, mais bien les droits du commerçant, de l’artisan, de l’ouvrier, de l’agriculteur…

Il y aurait une évolution récente du contrat allant dans le sens d’un « développement d’ensemble de la théorie contractuelle, qui se traduit par une pullulation et diversification des contrats qui aboutit à la standardisation du contrat et à un déclin du principe de l’autonomie de la volonté auquel sont appliqués des correctifs par les pouvoirs publics pour protéger, au cours des tractations préliminaires, le plus faible contre le plus fort et pour assurer ainsi la liberté effective du consentement, la standardisation du contrat pouvant elle-même être considérée comme un progrès à raison des facteurs de commodité et de rapidité qu’elle comporte.

– le contrat type est un contrat institution en ce sens que le choix laissé au cocontractant consiste à adhérer ou non à un modèle qui lui est proposé.

– les contrats d’adhésion reflètent les nécessités imposées par la production et la distribution de masse.

Le recul de la liberté contractuelle apparaît comme la conséquence de l’évolution économique, de la civilisation de consommation de masse et de son corollaire : la disparition de l’individu au profit des collectivités organisées. Le contrat-institution apparaît comme la forme contractuelle normale des sociétés modernes.

B) La contractualisation des formes

C’est le phénomène par lequel la loi est aujourd’hui discutée au niveau d’organisations représentatives d’intérêts de groupes, de la même manière qu’un contrat.

L’évolution du monde va dans un sens contraire à celui de l’individu. Le choix n’est plus entre consensualisme et dirigisme, le premier étant considéré comme destructuration juridique des rapports, mais entre deux types de dirigisme dont l’un est d’origine spontanée et vient de l’économie, l’autre étant imposé par l’Etat.

L’économie étant aujourd’hui une économie de masse et de groupe, les contrats deviennent collectifs non seulement par leurs participants, mais également par leurs fins. Il y a donc interpénétration du public et du privé (exemple de transactions administratives, notamment fiscales).

L’évolution future qui se dessine concerne plus particulièrement le droit de la consommation.

Ainsi, l’idée d’une convention collective de la consommation prend corps. La technique consiste à transposer la procédure des conventions collectives du droit du travail en faisant négocier sous le contrôle des pouvoirs publics les associations de consommateurs avec des entreprises ou des branches d’entreprises.

Ainsi, le contrat devient le principal « coordonnateur de la vie économique et sociale » à ce point qu’il se trouve aujourd’hui à certains égards à l’origine de la règle de droit.


Conclusion

L’évolution récente de la société permet de se rendre compte de l’émergence de phénomènes d’institutionnalisation de la volonté elle-même. La volonté devient statutaire, c’est-à-dire correspond à un corpus de règles établies en fonction d’intérêts standardisés. Elle est standardisée et correspond à un système mécanique et paramétré. (informatisation et automaticité des ordres de vente et d’achat).

 

 

III – La transformation du droit des contrats

Le législateur et la jurisprudence multiplient les dispositions et solutions spéciales incompatibles avec la théorie générale du contrat. La théorie générale des contrats a connu une forte crise de croissance par la remise en causes de l’autonomie de la volonté : droits de la consommation ou de la concurrence…

  1. Le constat de la transformation du contrat

Traditionnellement, le contrat apparaît comme un moyen donné aux parties d’exercer une certaine emprise sur l’avenir : instrument de prévisibilité.

  1. Du bloc contractuel au lien contractuel

Le contrat demeure un accord de volontés en vue de produire des effets de droit. L’image traditionnelle est celle d’un bloc : une fois conclu, le contrat apparaît comme une création statique s’imposant au parties, à la volonté desquelles il échappe désormais, s’imposant au juge, en principe impuissant à le modifier, et au législateur dont la foi nouvelle ne peut produire sur lui aucun effet.

La nouvelle physionomie du contrat : le contrat apparaît à la fois comme un lien entre les parties dont il est l’œuvre commune, et comme une entité contractuelle constituée d’un ensemble de droits et d’obligations, potentiellement cessible, qui s’insère dans un ordre juridique avec lequel il est relié.

La notion de lien contractuel tend à substituer au conflit d’intérêts l’union des intérêts dans une sorte d’affectio contractus, qui ne peut se réduire à la seule volonté de contracter mais également celle de maintenir le lien contractuel, de l’exécuter de bonne foi.

Si le lien contractuel devient plus plastique, plus souple, plus adaptable, il devient par là-même moins cassant.

  • – développement de la régularisation de l’acte initialement entaché d’irrégularité
  • – substitution d’une disposition régulière à une clause irrégulière
  • – généralisation de la sanction du non écrit
  • – apparition de la notion de dol incident
  • – obligation pour une partie de faire évoluer le contrat avec les circonstances
  • – validité de la détermination du prix par référence au tarif du vendeur

La souplesse contractuelle permet à l’acte de survivre par sa capacité à s’adapter.

La survie du contrat est également assurée en ce qu’il apparaît comme une véritable entité contractuelle susceptible de se détacher de la personne des contractants. Cette objectivation du contrat se manifeste par un « transfert unitaire et intégral de la qualité de contractant ». (L122-12)

Bien plus qu’au siècle passé, le contrat s’avère relié au milieu juridique. De nos jours, on ne peut plus le présenter abstraction faite du contexte juridique dans lequel il se développe : « contracter, ce n’est plus seulement vouloir, c’est aussi employer un instrument forgé par le droit ».

Quant aux obligations qui s’imposent aux parties, les effets obligatoires du contrat n’incluent plus seulement les obligations voulues par les parties mais aussi celles greffées à l’acte par la loi ou par le juge ; ainsi englobe-t-on aujourd’hui des obligations de sécurité, d’information, de conseil, de coopération, de loyauté. De plus, peuvent être liées les personnes qui l’ont conclu, mais également d’autres qui s’y sont adjointes. L’apparition des groupes de contrat traduisent les liens qu’un contrat est susceptible d’entretenir avec d’autres.

Le lien avec d’autres contrats s’exprime notamment par les répercussions de sanctions dans un ensemble contractuel et par l’octroi d’actions entre les contractants extrêmes d’une chaîne de contrats.

  1. De l’immuabilité absolue à la souplesse contractuelle

La sécurité juridique participe de la confiance entre les parties et plus largement de l’utilité sociale du contrat. De plus, la sécurité juridique ne constitue pas l’unique priorité. Elle se combine avec un souci croissant de justice contractuelle.

1 De l’intangibilité absolue à la possible adaptabilité des termes du contrat

– La redécouverte de la souplesse du fondement moral.

L’immuabilité des termes contractuels était souvent présentée comme l’application de la règle du respect de la parole donnée.

La doctrine a redécouvert qu’il n’y a pas de violation de la parole donnée lorsqu’une des parties ne remplit pas un engagement pris dans des circonstances qui se sont trouvées par la suite bouleversées.

– Le remplacement du fondement volontariste.

L’idée est aujourd’hui communément admise que le contrat tire en sa force obligatoire non pas de la volonté des parties, mais du droit objectif qui la lui confère.

– Le recadrage du fondement économique

C’est l’impératif d’utilité qui conduit à ce réexamen. Aujourd’hui, l’utilité recherchée n’est plus la même : c’est une utilité concrète et réciproque qui s’accommoderait mal du maintien du contrat dans l’arrêt Canal de Craponne.

Si le contrat n’est obligatoire que dans la mesure où il respecte l’éradication d’une clause abusive ou la réduction d’honoraires ou d’une clause pénale manifestement excessive n’apparaisse que comme l’expression d’une force obligatoire soumise au droit objectif.

Ensuite, la force obligatoire des obligations greffées au contrat par le juge ou la loi, telles les obligations d’information, de sécurité, de bonne foi ou de conseil résultent des fondements objectifs d’utilité et de justice.

2 Les parties au contrat, une catégorie évolutive

Le contrat n’est plus seulement la chose des parties, il entre en interaction avec l’ordre juridique dans lequel il s’insère. Et cette évolution du contrat a conduit la doctrine au constat d’un élargissement de la notion de parties aux personnes liées par les effets obligatoires du contrat.

  1. L’accueil de la transformation du contrat par la théorie générale

Si les textes du code civil qui régissent le contrat sont quasiment demeurés inchangés depuis 1804, la théorie générale, quant à elle, a considérablement évolué.

  1. Les insuffisances de la transformation de la théorie générale par exception

Outre les atteintes à l’autonomie de la volonté, se multiplient les atteintes aux principes qui en étaient déduits ; la lecture absolue du principe de force obligatoire et de sa conséquence d’immuabilité du contrat a dû se nuancer devant l’extension du pouvoir du juge de modifier le contrat.

Devant les exigences accrues du formalisme protecteur et informatif, la simple rencontre des volontés s’avère aujourd’hui impuissante à sceller le contrat de consommation.

  1. La nécessité d’une transformation de la théorie générale en expansion

1 L’évolution des fondements de la théorie générale

C’est la substitution de l’utile et du juste au dogme de l’autonomie de la volonté. Mais l’abandon du dogme de l’autonomie de la volonté en tant que fondement ne signifie pas pour autant un refoulement du rôle de la volonté dans le droit des contrats.

2 L’évolution des impératifs de la théorie générale

Si dans l’esprit du code, la liberté existe pour entrer dans le contrat, non pour en sortir, la formule pourrait presque s’inverser aujourd’hui.

3 L’émergence de nouveaux principes

  1. a) Le principe d’égalité contractuelle

Il permet de sanctionner l’inégalité ou de rétablir l’égalité entre les parties dans la formation et dans l’exécution du contrat conclu, afin que la partie en situation d’infériorité puisse contracter…

– la sanction de l’inégalité : interprétation évolutive et extensive des vices du consentement : vice d’erreur sur la substance de la chose (objectif), sur les qualités substantielles (subjectif), extension de la notion de dol (régression du dolus bonus, dol par réticence, obligation de renseignement)

– l’égalité peut être rétablie par l’information de la partie en situation d’infériorité relativement au contrat conclu : le vendeur doit être loyal, interprétation du contrat en faveur de la partie en situation d’infériorité dans le contrat d’adhésion

  1. b) le principe d’équilibre contractuel

Le contrat doit respecter un équilibre entre les prestations et un équilibre global entre les droits et les obligations des parties et entre les clauses.

– déséquilibre initial du contrat : le pouvoir de rééquilibrage du contrat par le juge s’est étendu par le biais de dispositions plus générales qui lui confèrent le pouvoir de réduire les clauses pénales manifestement excessives, d’annuler un contrat déséquilibré par l’absence de cause. Il apparaît en effet conforme aux exigences de la justice commutative de faire de l’existence d’une contrepartie une condition de validité de l’engagement.

– déséquilibre postérieur : la jurisprudence a admis de sanctionner la disparition de la cause lors de l’exécution du contrat. Quant à la révision du contrat pour imprévision, si la Cour de cassation en a refusé la possibilité, la loi et la jurisprudence postérieures y ont apporté des tempérament.

Les évolutions du droit positif traduisent un souci croissant de l’équilibre contractuel.

  1. c) le principe de fraternité contractuelle

Chacun des contractants est tenu de prendre en compte, par delà son propre intérêt, l’intérêt du contrat et celui de l’autre partie, en se déployant à leur service, voire en acceptant certains sacrifices afin de favoriser la conclusion, l’exécution et le maintien du contrat compris comme la base d’une collaboration.

Conclusion

L’évolution contemporaine a démontré comment une liberté contractuelle totale conduit inévitablement à l’inégalité contractuelle et que le principe de force obligatoire entendu dans un sens absolu peut conférer à la loi contractuelle une rigidité qui la rend indifférente à ses déséquilibres.

Garantir la sécurité du contrat sans pour autant sacrifier la justice contractuelle, c’est dépasser la contradiction pour entrer dans la complémentarité de ces aspirations faites principes.

 

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