TOUT SAVOIR SUR LE CONTRÔLE DE CONSTITUTIONNALITÉ
Le contrôle de constitutionnalité vise à s’assurer que les normes juridiques infra-constitutionnelles (lois, règlements, actes administratifs) respectent la supériorité de la Constitution. Cette prééminence repose sur son rôle de clef de voûte de l’ordre juridique, conférant à la Constitution un statut de « super légalité ». Il s’agit d’une composante essentielle du principe de hiérarchie des normes, conceptualisé par Hans Kelsen
a) Pourquoi un contrôle de constitutionnalité ?
- La Constitution incarne les valeurs fondamentales et les principes juridiques structurant un État de droit.
- Sans mécanisme de contrôle, il existe un risque que les lois et règlements adoptés par le législateur ou l’exécutif portent atteinte aux droits constitutionnels ou violent les principes fondamentaux établis par la Constitution.
b) La super légalité de la Constitution
- La Constitution est supérieure à toutes les autres normes juridiques.
- Les préambules et déclarations associés à la Constitution, comme la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen (DDHC) de 1789 ou le Préambule de 1946 en France, participent à cette supériorité.
I. Le contrôle politique
Le contrôle politique, bien qu’il ait historiquement tenté de garantir la suprématie de la Constitution, souffre de nombreuses limites liées à sa nature même. Souvent soumis aux influences du pouvoir, il n’offre pas la neutralité et l’objectivité nécessaires pour trancher des questions de constitutionnalité.
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Avec l’évolution du Conseil constitutionnel et l’émergence d’un contrôle juridictionnel en France, le rôle du contrôle politique tend à décliner au profit d’un modèle plus juridique et indépendant. Cependant, la dimension politique de certaines décisions constitutionnelles reste un sujet de débat, particulièrement en ce qui concerne les mécanismes de nomination des membres et leur impact sur l’impartialité des jugements.
1) Définition et mécanismes du contrôle politique
Le contrôle politique se distingue du contrôle juridictionnel par sa nature : il est exercé par des corps politiques, souvent proches du pouvoir législatif ou exécutif, et non par des juridictions. L’objectif affiché est d’assurer la conformité des textes juridiques à la Constitution, mais la réalité en fait souvent un outil à des fins stratégiques ou symboliques.
L’exception d’irrecevabilité
- Mécanisme permettant de contester la constitutionnalité d’un projet ou d’une proposition de loi avant son examen par le Parlement.
- Utilisée lors des débats parlementaires, elle permet à l’opposition de retarder l’adoption d’un texte ou d’amorcer un débat public sur des questions de constitutionnalité.
- En pratique, cet outil est fréquemment détourné pour des fins politiques, les arguments juridiques étant parfois secondaires.
Exemple notable :
En octobre 1997, une exception d’irrecevabilité est soulevée contre le projet de loi sur le PACS (Pacte Civil de Solidarité) au motif qu’il serait contraire au principe constitutionnel de protection du mariage. Bien que cette exception ait temporairement retardé l’adoption de la loi, elle a surtout permis de cristalliser le débat politique autour du projet.
2) Les organes spécialisés dans le contrôle politique
a) Les Sénats napoléoniens
- Sous les constitutions de l’An VIII (1800) et de 1852, le Sénat était chargé de vérifier la conformité des lois avec la Constitution.
- Composé de membres fidèles à l’empereur, il fonctionnait davantage comme un instrument de légitimation que comme un véritable organe de contrôle.
- Le concept de « senatus consulte » permettait au Sénat de déclarer qu’un texte était conforme à la Constitution, même en l’absence de réelle analyse.
- Limite majeure : ce système permettait à l’empereur de contourner toutes les restrictions constitutionnelles, rendant le contrôle inopérant.
b) Contrôle de la révolutionnarité au Portugal
- Après la Révolution des Œillets en 1974, le Conseil de la Révolution portugais avait pour mission de vérifier la conformité des lois aux objectifs révolutionnaires.
- Ce contrôle, centré sur des finalités politiques, cherchait à protéger l’esprit révolutionnaire plutôt qu’à garantir une hiérarchie juridique stricte.
c) Le comité constitutionnel sous la IVᵉ République
- Créé par l’article 91 de la Constitution de 1946, le comité constitutionnel était un organe politique hybride, composé de représentants des principales institutions politiques.
- Sa mission : vérifier si une loi votée nécessitait une révision constitutionnelle.
- Limite conceptuelle : plutôt que de bloquer une loi inconstitutionnelle, le comité pouvait forcer une révision constitutionnelle pour adapter la Constitution à la loi.
- Ce système a illustré la souplesse constitutionnelle de la IVᵉ République, mais il n’a jamais fonctionné efficacement.
3) Le Conseil constitutionnel à mi-chemin entre contrôle politique et juridictionnel
a) Origines et critiques initiales
- Lors de sa création en 1958, le Conseil constitutionnel apparaissait comme un organe mixte, davantage perçu comme une instance politique que juridictionnelle.
- Critiques principales :
- Mode de nomination des membres : 3 membres nommés par le président de la République, 3 par le président de l’Assemblée nationale, et 3 par le président du Sénat. Ce système favorise les nominations politiques.
- Les anciens présidents de la République, membres de droit, renforcent l’image d’un organe lié au pouvoir politique.
b) Évolution vers une juridiction constitutionnelle
- Au fil des années, le Conseil constitutionnel a acquis une légitimité juridictionnelle en se positionnant comme un véritable gardien de la Constitution.
- Des décisions clés, comme celle de 1971 sur la liberté d’association, ont renforcé son rôle en étendant le champ des normes constitutionnelles (bloc de constitutionnalité).
- Aujourd’hui, il est considéré comme un organe juridictionnel comparable aux cours constitutionnelles d’autres pays européens, bien qu’il conserve certaines particularités liées à son mode de nomination.
4) Limites et enjeux du contrôle politique
a) Une efficacité limitée
- Le contrôle politique, exercé par des organes liés au pouvoir, est souvent inefficace pour garantir une véritable conformité constitutionnelle.
- Les exemples historiques, comme les Sénats napoléoniens ou le comité constitutionnel de 1946, montrent que ces mécanismes ont tendance à servir les intérêts du pouvoir en place.
b) La politisation des décisions
- Même dans des structures modernes comme le Conseil constitutionnel, des critiques subsistent sur le risque de partialité politique.
- Le défi est d’assurer un équilibre entre indépendance des membres et légitimité démocratique.
II. Le contrôle juridictionnel
Une idée séduisante en théorie ; Le contrôle juridictionnel, qui repose sur l’intervention de juges pour garantir la conformité des lois à la Constitution, semble être une solution rationnelle et apolitique. On attend des juges qu’ils fassent preuve de neutralité, de sagesse et d’objectivité, en se concentrant uniquement sur l’interprétation juridique des normes et non sur des considérations politiques.
Une critique récurrente : le contrôle des juges sur le souverain : Cependant, cette approche soulève une problématique majeure, notamment en termes de légitimité démocratique. Les lois sont adoptées par les représentants élus du peuple, agissant au nom de la souveraineté populaire. Le contrôle exercé par des juges non élus pourrait alors être perçu comme un acte de surveillance ou même de contrôle indirect du peuple souverain.
- Loi comme expression de la volonté générale : Selon la tradition républicaine, les lois traduisent la volonté du souverain (le peuple). Le fait qu’un organe non élu puisse censurer ces lois peut être perçu comme une atteinte à cette souveraineté.
- Une tension entre démocratie et État de droit : Le contrôle juridictionnel pose la question de savoir si les juges, dont la mission première est de faire respecter la hiérarchie des normes, peuvent s’immiscer dans des décisions issues du processus démocratique.
La critique va plus loin en dénonçant le risque d’un gouvernement des juges. Dans ce scénario, les juges, sous couvert d’interprétation juridique, imposeraient leurs propres conceptions politiques ou idéologiques au détriment des décisions démocratiquement adoptées par le législateur.
A) Le problème théorique du contrôle de constitutionnalité
Le contrôle juridictionnel de constitutionnalité soulève une question fondamentale : un juge, non élu, peut-il légitimement contrôler les lois votées par les représentants du peuple, acte supposé incarner la souveraineté populaire ? Cette interrogation est au cœur des débats sur la compatibilité entre démocratie et primauté constitutionnelle.
1) La difficulté de concilier contrôle et souveraineté
a) La loi, expression de la volonté générale
- Selon les principes issus de la Révolution française, la loi est l’expression directe de la volonté générale. Elle incarne la souveraineté populaire exercée par les représentants élus.
- Permettre à des juges non élus de censurer ces lois semble poser un paradoxe : c’est, en apparence, soumettre le souverain à un contrôle extérieur.
b) L’absence de contrôle avant 1958
- En France, jusqu’à la Constitution de 1958, il n’existait pas de mécanisme effectif pour garantir la conformité des lois à la Constitution.
- Sous la IVe République, les tentatives, comme le Comité constitutionnel, ont échoué, renforçant l’idée d’une souveraineté parlementaire absolue.
c) Les tensions après 1958
- Le Conseil constitutionnel, créé en 1958, a initialement exercé un contrôle limité et prudent, mais ses décisions ont parfois suscité des polémiques.
- Exemple notable : en 1993, une décision du Conseil sur une loi portée par Édouard Balladur a été vivement critiquée par des parlementaires, illustrant les résistances au contrôle juridictionnel.
2) Les justifications du contrôle juridictionnel
Deux principales justifications théoriques permettent de légitimer le rôle des juges dans le contrôle de constitutionnalité.
a) La théorie du mandat
- Principe : Les représentants du peuple exercent leur pouvoir dans le cadre d’un mandat défini par la Constitution.
- Le peuple, en adoptant la Constitution, fixe les règles fondamentales qui régissent l’exercice de la souveraineté.
- Les représentants doivent donc agir dans les limites de ce mandat constitutionnel.
- Rôle du juge : Lorsque le Conseil constitutionnel censure une loi, il ne s’oppose pas à la volonté du peuple, mais rappelle à ses représentants qu’ils sont tenus de respecter le cadre constitutionnel.
- Exemple : Décision du Conseil constitutionnel, 23 août 1985 (Nouvelle-Calédonie) :
« La loi exprime la volonté générale dans le respect de la Constitution. »
Cette formule résume l’idée que le mandat des élus inclut une obligation de conformité à la Constitution.
b) La permanence de la nation
- Cette justification repose sur la distinction entre souveraineté populaire instantanée et souveraineté nationale permanente :
- La souveraineté populaire correspond aux décisions prises par le peuple ou ses représentants à un moment donné.
- La souveraineté nationale s’inscrit dans la continuité historique et reflète les valeurs fondamentales et les objectifs durables de la société.
- Rôle du juge : Garantir que les lois votées respectent les principes fondamentaux et la cohérence des institutions sur le long terme.
- Le juge constitutionnel agit comme un gardien de cette souveraineté permanente, en veillant à ce que les décisions prises à un moment donné ne compromettent pas le projet global de la nation.
- Exemple concret : Les Principes Fondamentaux Reconnus par les Lois de la République (PFLR) :
- Ces principes, issus des lois républicaines antérieures à 1946, sont protégés par le Conseil constitutionnel et constituent une part importante du bloc de constitutionnalité.
- Exemple : Arrêt Koné (Conseil d’État, 3 juillet 1996), où un décret sur l’extradition a été annulé au motif qu’il contrevenait à un PFLR interdisant l’extradition pour des motifs politiques.
3) Procédés de contrôle : action et exception
Le contrôle juridictionnel peut être exercé selon deux procédés distincts : par voie d’action ou par voie d’exception.
a) Contrôle par voie d’action
- Principe : Une autorité compétente saisit directement le juge constitutionnel pour contester la conformité d’une loi à la Constitution.
- Exemple en France : Avant 2010, seul un nombre restreint d’autorités (ex. : Président de la République, Premier ministre, présidents des chambres, ou 60 députés/sénateurs depuis 1974) pouvait saisir le Conseil constitutionnel.
- Avantage : Permet de contrôler une loi avant son entrée en vigueur (contrôle a priori).
- Limite : Procédure souvent perçue comme réservée aux élites politiques.
b) Contrôle par voie d’exception
- Principe : Lors d’un litige, une partie soulève une exception d’inconstitutionnalité pour contester l’application d’une loi dans son cas particulier.
- Exemple en France : Depuis 2010, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet à tout justiciable de contester une loi déjà en vigueur devant le Conseil constitutionnel.
- Avantage : Rapproche le contrôle de constitutionnalité des citoyens, en le rendant accessible à tous dans le cadre de contentieux.
- Effet : Cette méthode permet de développer une jurisprudence constitutionnelle au fil des affaires.
B) Le « procédé offensif » : la voix d’action devant une juridiction spéciale
Le procédé offensif, ou contrôle par voie d’action, permet à un individu ou à une autorité d’agir directement contre une loi, même si elle ne s’applique pas encore à lui ou ne le concerne pas directement. L’objectif est d’empêcher l’entrée en vigueur d’une loi jugée contraire à la Constitution. Cette action se déroule devant une juridiction spécialisée, dont le rôle est de statuer sur la conformité du texte à la Constitution. Si le juge déclare la loi inconstitutionnelle, celle-ci est annulée et n’entre pas dans l’ordre juridique.
Avantages
- Efficacité et spécialisation : Le recours à un juge spécialisé garantit une expertise approfondie sur la constitutionnalité des lois.
- Responsabilité citoyenne : Dans certains systèmes, chaque citoyen est habilité à saisir le juge constitutionnel, renforçant ainsi la participation démocratique et la défense de l’État de droit.
Inconvénients
- Risque d’encombrement : Lorsque la saisine est ouverte à tous, le volume de recours peut surcharger la juridiction, comme en Allemagne, où le Verfassungsbeschwerde (recours constitutionnel) génère 4000 à 5000 recours par an.
- Limitation de la saisine dans certains pays : Afin d’éviter cet encombrement, certains États restreignent l’accès au contrôle par voie d’action, réduisant ainsi son caractère démocratique.
Exemples de mise en œuvre
France : une saisine limitée et politique
En France, le contrôle par voie d’action est prévu uniquement pour des lois avant leur promulgation (contrôle a priori). Cependant, la saisine est très restreinte : seules certaines autorités politiques peuvent saisir le Conseil constitutionnel pour vérifier la conformité d’une loi à la Constitution :
- Président de la République (qui ne l’a jamais fait),
- Premier ministre,
- Présidents de l’Assemblée nationale et du Sénat,
- Depuis la révision constitutionnelle de 1974, 60 députés ou 60 sénateurs.
La saisine, fermée aux citoyens, reste donc un outil réservé aux acteurs politiques, souvent utilisé par l’opposition pour contester des projets gouvernementaux.
Systèmes étrangers : des approches variées
-
Italie :
- Saisine fédérale et régionale : Le gouvernement central peut contester les lois des régions, et inversement, les régions peuvent attaquer les lois de l’État central.
- Ce mécanisme reflète une organisation territoriale et un respect de l’autonomie des entités régionales.
-
Allemagne :
- Saisine élargie : Plusieurs acteurs peuvent saisir la Cour constitutionnelle fédérale :
- Le gouvernement fédéral,
- Les gouvernements régionaux (Länder),
- Un tiers des membres du Bundestag (chambre basse),
- Les citoyens, à travers le Verfassungsbeschwerde, lorsqu’ils estiment qu’une loi menace leurs droits fondamentaux. Ce mécanisme démocratique explique le nombre élevé de recours en Allemagne.
- La structure fédérale et l’héritage des régimes autoritaires expliquent ce contrôle rigoureux.
-
Suisse :
- Le recours constitutionnel est ouvert à tous les citoyens, permettant une large participation démocratique. Ce modèle favorise un contrôle inclusif, bien que potentiellement encombrant.
En résumé : Le contrôle par voie d’action est une méthode rigoureuse pour prévenir l’entrée en vigueur de lois inconstitutionnelles. S’il garantit une défense proactive de la Constitution, son accessibilité varie selon les pays :
- Modèles restrictifs : En France, seuls les acteurs politiques peuvent saisir le juge constitutionnel, limitant la participation citoyenne.
- Modèles ouverts : En Allemagne ou en Suisse, les citoyens peuvent directement intervenir, renforçant le caractère démocratique du contrôle.
C) Le « procédé défensif » : la voix d’exception devant une juridiction ordinaire
Le contrôle par voie d’exception, bien qu’introduit tardivement en France, représente une avancée majeure pour la protection des libertés fondamentales. S’il reste un outil politique dans certains systèmes comme celui des États-Unis, il constitue en France un mécanisme plus strictement encadré. La QPC témoigne de cette volonté d’offrir aux citoyens un recours effectif
Principe général : le citoyen comme acteur du contrôle constitutionnel
Le procédé défensif, ou contrôle par voie d’exception, permet à un justiciable de contester l’application d’une loi à son cas en invoquant son inconstitutionnalité. Ce mécanisme est central dans le système américain, illustré par l’arrêt Marbury v. Madison (1803), décision fondatrice du contrôle de constitutionnalité aux États-Unis. Dans ce système, tout juge, quel que soit son niveau, est compétent pour examiner la conformité d’une loi à la Constitution. Par le jeu des appels, les affaires remontent jusqu’à la Cour suprême, qui tranche en dernier ressort. Bien que la Constitution des États-Unis ne mentionne pas explicitement le contrôle de constitutionnalité, cet arrêt a consacré la Cour suprême comme gardienne de la Constitution.
Avantages et limites du système américain
Avantages : un contrôle intégré et accessible
- Absence de procédure spécifique : Le contrôle s’intègre dans un litige ordinaire, sans nécessiter de recours spécifique, ce qui évite l’encombrement des juridictions.
- Accessibilité : Tout justiciable peut soulever l’inconstitutionnalité d’une loi dans le cadre de son affaire.
Inconvénients : portée limitée et risques politiques
- Effet relatif de la chose jugée : En théorie, la décision déclarant une loi inconstitutionnelle ne s’applique qu’à l’affaire jugée. Cependant, en pratique, la jurisprudence de la Cour suprême rend la loi inapplicable dans des affaires similaires, entraînant une annulation de facto.
- Risque de politisation : Le contrôle peut refléter des choix politiques, surtout lorsque les juges se prononcent sur des principes généraux tels que la liberté ou l’égalité. Par exemple :
- Dans les années 1930, la Cour suprême a censuré des mesures du New Deal de Roosevelt, qu’elle jugeait contraires au libéralisme économique de la Constitution.
- À l’inverse, la Cour a joué un rôle progressiste en invalidant des lois ségrégationnistes des États du Sud, promouvant ainsi l’intégration raciale.
- Dépendance à la composition politique de la Cour : Les juges de la Cour suprême sont nommés par le Président avec l’accord du Sénat, ce qui peut influencer leurs orientations idéologiques. Cela se reflète dans des débats contemporains comme celui de l’avortement, où les décisions de la Cour varient selon la majorité politique.
Situation en France : une évolution récente
Un contrôle historiquement limité à la voie d’action
Jusqu’en 2010, le contrôle de constitutionnalité en France ne pouvait être exercé que par voie d’action (a priori), avant la promulgation d’une loi. Ce contrôle, réservé à certaines autorités politiques (Président, Premier ministre, 60 députés ou sénateurs depuis 1974), visait à garantir que la loi en devenir respecte la Constitution. Ce système reflétait un attachement au principe de souveraineté de la loi, perçue comme l’expression de la volonté générale.
L’introduction tardive de la voie d’exception : la QPC
L’idée d’un contrôle par voie d’exception, permettant à un justiciable de contester une loi déjà en vigueur, a longtemps été débattue sans aboutir. Quelques jalons historiques :
- Projet de Robert Badinter (années 1980) : Soutenu par François Mitterrand, ce projet visait à permettre aux citoyens de contester une loi devant toute juridiction. Bien que voté par l’Assemblée nationale, il fut bloqué par le Sénat.
- Rapport Vedel (1993) et projets ultérieurs : L’idée fut reprise dans plusieurs rapports, dont celui de la commission Balladur (2008), préconisant un système d’exception d’inconstitutionnalité.
Le projet aboutit finalement avec la révision constitutionnelle de 2008 et l’entrée en vigueur de la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) en 2010.
La QPC : un système hybride et protecteur des libertés
Fonctionnement
- Initiative citoyenne : Tout justiciable peut, dans le cadre d’un procès, soulever une question d’inconstitutionnalité concernant une loi applicable à son affaire.
- Filtrage : La question est d’abord examinée par la juridiction saisie, puis transmise, si elle est sérieuse, à la Cour de cassation ou au Conseil d’État.
- Décision finale : Si le Conseil constitutionnel juge la loi inconstitutionnelle, elle est abrogée, renforçant ainsi la protection des libertés fondamentales.
Impact
- La QPC a élargi le rôle du Conseil constitutionnel, qui ne se limite plus au contrôle a priori mais intervient désormais sur les lois en vigueur.
- Ce mécanisme rapproche la France des modèles européens, tout en préservant une spécificité dans l’articulation entre contrôle a priori et a posteriori.
III. Le problème de la valeur juridique des déclarations et préambules
La reconnaissance de la valeur juridique des déclarations et préambules, notamment par la décision de 1971, a profondément transformé le système juridique français. En intégrant ces textes au bloc de constitutionnalité, la France a renforcé la protection des droits fondamentaux.
Cependant, ce processus soulève des questions sur la stabilité juridique, la limitation du pouvoir législatif et la légitimité des juges constitutionnels dans un État démocratique.
1) La nature des déclarations et préambules : simple philosophie ou portée normative ?
La question de la valeur juridique des déclarations de droits et préambules soulève un débat doctrinal ancien et complexe. La problématique est de savoir si ces textes ont une force juridique contraignante, permettant de fonder un contrôle de constitutionnalité, ou s’ils se limitent à des orientations philosophiques sans effet juridique direct.
a) Les deux approches doctrinales classiques
-
Position minimaliste :
- Selon des auteurs comme Esmein ou Carré de Malberg, les préambules et déclarations, tels que la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen (DDHC) ou le préambule de 1946, n’ont pas de valeur juridique contraignante.
- Ils sont considérés comme des textes d’orientation, des déclarations d’intention ou des objectifs à atteindre. Ces textes reflètent une finalité morale ou politique, mais ils ne lient pas juridiquement le législateur.
- Exemple : un droit général comme « le droit au bonheur » ne peut être appliqué en raison de son abstraction.
-
Position normative :
- Des juristes comme Duguit ou Maurice Hauriou soutiennent que ces textes, ayant été adoptés selon les mêmes procédures que la Constitution, doivent être considérés comme ayant la même valeur juridique.
- En tant que normes constitutionnelles, ils sont directement applicables et peuvent servir de base à un contrôle de constitutionnalité.
- L’argument repose sur leur place dans la hiérarchie des normes et leur adoption démocratique.
b) Une position intermédiaire : l’applicabilité conditionnée
Avec l’introduction du contrôle de constitutionnalité, une position moyenne a émergé :
- Portée normative conditionnée : ces textes sont contraignants lorsqu’ils sont suffisamment précis et opérationnels, comme dans le cas du droit de grève mentionné dans le préambule de 1946.
- Mais les dispositions trop générales ou vagues, telles que « le droit au bonheur », restent inapplicables directement.
2) La reconnaissance progressive de la valeur constitutionnelle des préambules
a) Sous la IVᵉ République : une valeur légale seulement
- Pendant la IVᵉ République, les préambules (comme celui de 1946) n’avaient qu’une valeur légale, équivalente à celle des lois. Par conséquent, une loi pouvait contredire ces textes sans soulever de problème juridique.
b) Sous la Vᵉ République : une révolution juridique
La Vᵉ République a marqué un tournant majeur en reconnaissant la valeur constitutionnelle des préambules et déclarations, d’abord dans la jurisprudence administrative et judiciaire, puis dans celle du Conseil constitutionnel.
-
Reconnaissance par le juge administratif :
- Arrêt « Syndicat général des ingénieurs-conseils » (Conseil d’État, 26 juin 1959) : le préambule de 1946 est reconnu comme une norme supérieure aux actes administratifs.
- Arrêt « Société Eky » (Conseil d’État, 12 février 1960) : il étend cette reconnaissance aux décrets.
-
Reconnaissance par le Conseil constitutionnel :
- Décision « Liberté d’association » (16 juillet 1971) : le Conseil constitutionnel a reconnu la valeur juridique du préambule de 1946 en annulant une loi contraire à la liberté d’association. Cette décision a consacré la notion de « bloc de constitutionnalité », qui inclut :
- Le texte de la Constitution de 1958.
- Son préambule, qui remet en vigueur :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789.
- Le préambule de 1946.
- Les Principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFLR).
3) Le contrôle de constitutionnalité et le « bloc de constitutionnalité »
Depuis la décision de 1971, le contrôle de constitutionnalité s’appuie sur l’ensemble du bloc de constitutionnalité, qui constitue la référence normative supérieure pour le législateur.
a) Une avancée pour la protection des libertés
Le contrôle exercé par le Conseil constitutionnel garantit que les lois respectent les droits fondamentaux inscrits dans ces textes. Cette extension des normes de référence contribue à la protection des libertés.
b) Les critiques liées à l’imprécision de certains principes
Cependant, le caractère parfois vague de certains principes du bloc de constitutionnalité soulève des interrogations :
- Des critiques reprochent au Conseil constitutionnel d’inventer des principes ou de les interpréter de manière extensive pour censurer des lois.
- Exemple : les « Principes particulièrement nécessaires à notre temps » ou les PFLR reposent souvent sur des interprétations jurisprudentielles.
Cette situation alimente le débat sur le « gouvernement des juges », notamment depuis l’élargissement de la saisine du Conseil constitutionnel à l’opposition parlementaire en 1974.
4) Enjeux actuels : entre sécurité juridique et évolution des droits
a) La tension entre droit certain et principes incertains
- Problème de la sécurité juridique : un droit sûr et prévisible est nécessaire pour garantir la confiance des citoyens et des institutions dans le système juridique.
- Mais cette sécurité est parfois mise à mal par la souplesse d’interprétation des textes du bloc de constitutionnalité.
b) L’impact du contrôle sur le jeu démocratique
Le Conseil constitutionnel joue un rôle central dans l’équilibre entre respect des droits fondamentaux et expression de la souveraineté législative. Cette fonction, bien que essentielle, suscite un débat constant sur la légitimité démocratique de ses membres et la portée de ses décisions.
IV. La place du droit international et du droit européen
Le Conseil constitutionnel a décidé qu’il n’était pas concerné par l’examen de la conformité de la loi aux normes internationales. Certes, il y a l’article 55 qui dit que les traités régulièrement ratifiés ont une force supérieure à la loi. Mais, si ce principe existe, et ce n’est pas remis en question, le Conseil constitutionnel a admis que ce n’était pas à lui d’en juger.
1) Le refus du Conseil constitutionnel de contrôler la conventionalité des lois
Le Conseil constitutionnel a explicitement refusé de vérifier la conformité des lois aux traités internationaux, en s’appuyant sur une jurisprudence constante, notamment sa décision « IVG » du 15 janvier 1975. Cette décision repose sur l’idée que ce contrôle relève de la compétence des tribunaux ordinaires (judiciaires et administratifs) et non du Conseil constitutionnel.
-
Article 55 de la Constitution : il affirme que les traités régulièrement ratifiés ou approuvés ont une valeur supérieure à celle des lois internes. Cependant, cette supériorité n’est pas vérifiée par le Conseil constitutionnel, mais par les juridictions judiciaires et administratives.
-
Premières décisions des juridictions ordinaires :
- Cour de cassation, arrêt « Jacques Vabre » (24 mai 1975) : la Cour a affirmé sa compétence pour écarter une loi interne contraire à un traité international.
- Conseil d’État, arrêt « Nicolo » (20 octobre 1989) : le Conseil d’État a, à son tour, accepté de contrôler la conformité des lois aux traités internationaux, intégrant pleinement la hiérarchie des normes dans sa pratique juridictionnelle.
2) La hiérarchie entre Constitution, traités internationaux et lois
Une question importante est celle de savoir si la supériorité du droit international s’étend aussi à la Constitution française.
- Position française actuelle : la Constitution prime sur les traités internationaux
- Conseil d’État, arrêt « Sarran » (30 octobre 1998) et Cour de cassation, arrêt « Pauline Fraisse » (2 juin 2000) : ces décisions affirment que, si les traités internationaux sont supérieurs aux lois internes, ils ne peuvent pas prévaloir sur la Constitution française.
- Conseil constitutionnel, décision « Économie numérique » (10 juin 2004) : il confirme que les traités doivent céder devant une « disposition expresse de la Constitution ».
Ainsi, en droit français, il existe une hiérarchie des normes à trois niveaux :
- La Constitution, qui reste au sommet.
- Les traités internationaux et le droit européen, qui priment sur les lois.
- Les lois et règlements internes, qui doivent respecter les normes supérieures.
3) Une distinction entre droit international et droit européen
Le droit européen (issu de l’Union européenne) est perçu comme un ordre juridique distinct du droit international. Cette distinction repose sur l’intégration plus poussée des normes européennes dans l’ordre juridique interne.
- Article 88-1 de la Constitution française : il impose à la France de respecter ses engagements européens, créant une obligation constitutionnelle spécifique vis-à-vis du droit européen.
- Le Conseil constitutionnel a reconnu, dans sa décision du 19 novembre 2004 sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, que le droit européen est un ordre juridique spécifique, distinct du droit international classique, mais qu’il n’atteint pas la primauté sur la Constitution.
Cependant, les juridictions européennes, notamment la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), revendiquent la primauté absolue du droit européen sur les constitutions nationales. Cela crée une tension non résolue entre les ordres juridiques français et européen.
4) Les implications pour la hiérarchie des normes et le contrôle des lois
En pratique, deux blocs de normes supra-légales coexistent dans l’ordre juridique français :
- Le bloc de constitutionnalité, contrôlé par le Conseil constitutionnel.
- Le bloc de conventionalité, contrôlé par les juridictions ordinaires (administratives et judiciaires).
Cette double hiérarchie reflète une spécialisation des rôles :
- Le Conseil constitutionnel protège la Constitution et le respect du bloc de constitutionnalité.
- Les tribunaux ordinaires assurent la conformité des lois avec les normes internationales et européennes.
5) Vers une évolution du rôle du Conseil constitutionnel ?
La place du Conseil constitutionnel pourrait évoluer :
- Certains plaident pour que le Conseil constitutionnel interprète plus largement l’article 55, en affirmant que la supériorité des traités sur les lois est une exigence constitutionnelle. Cela renforcerait son rôle dans l’articulation entre droit interne et normes internationales.
- L’intégration croissante du droit européen soulève également la question de savoir si le Conseil constitutionnel doit contrôler la conformité des lois aux normes européennes.
6) Une réflexion plus large : la limitation du pouvoir
Le débat sur la hiérarchie des normes illustre une tension fondamentale :
- La souveraineté populaire (incarnée par la loi votée par les représentants élus).
- La limitation du pouvoir (assurée par le respect des normes supérieures comme la Constitution et les traités).
Cette tension reflète une contradiction entre liberté et autorité :
- Il est nécessaire de protéger les droits fondamentaux et de garantir la stabilité institutionnelle.
- Mais il faut aussi préserver une marge de manœuvre pour les représentants élus.
Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :
- Cours complet de Droit constitutionnel Les Théories sur l’origine de l’État La notion d’Etat Les éléments constitutifs de l’Etat : pouvoir, territoire, organisation, groupement humain Le pouvoir, moyen d’action d’Etat : origine, organisation et légitimité La résistance au pouvoir : contestation et opposition Les sources du Droit : règlement, coutume, loi, jurisprudence, doctrine La norme juridique, instrument du pouvoir Application et interprétation de la règle de droit
- Distinguer le droit public et le droit privé
- La théorie de la souveraineté populaire et de la souveraineté nationale Les différents modes de scrutin : scrutin uninominale, majoritaire, proportionnel Le scrutin combiné : la proportionnelle renforcée ou la proportionnelle majoritarisée.
- La Constitution : définition et formes Le pouvoir constituant Le contrôle de constitutionnalité
- Les différents régimes politiques : présidentiel, parlementaire, d’assemblée
- Les régimes politiques fondés sur la confusion des pouvoirs La séparation des pouvoirs : mythes et réalités L’Etat fédéral : définition et organisation Les partis politiques
- Le Consulat et l’Empire Le Directoire (1795 – 1799) La convention de 1793 et son échec constitutionnel De la Révolution à l’échec de la Constitution de 1791 De la Restauration à la Monarchie parlementaire (1814) Le Second Empire Le régime de la Troisième République Le régime politique de la IVème république et son héritage
- Le droit constitutionnel des États-Unis
- Le préambule de la constitution de 1958 Le bipartisme, le multipartisme et le tripartisme Les formes de l’Etat (unitaire, fédéral, composé)