Le contrôle de constitutionnalité : définition, rôle…

Le Contrôle de Constitutionnalité 

La supériorité de la Constitution est un principe ancien en droit français, proclamé dès 1791. Cependant, pendant plus de 150 ans, il n’a existé aucun mécanisme concret pour garantir cette primauté :

  • 1791-1958 : La Constitution française ne prévoyait aucun organe ou procédure spécifique pour vérifier que les lois respectaient les principes constitutionnels.
  • L’absence de contrôle était liée à une vision sacralisée de la loi, vue comme l’expression directe de la volonté générale, suivant les idées de Rousseau. Toute contestation d’une loi équivalait alors à remettre en question la souveraineté populaire.

Ce n’est qu’avec la Constitution de 1958, marquant la naissance de la Cinquième République, qu’un juge constitutionnel (le Conseil constitutionnel) a été institué pour garantir la conformité des lois à la Constitution.

Le contrôle de constitutionnalité garantit que les lois et règlements respectent la Constitution, tant sur le plan juridique que politique. S’il soulève des débats sur sa légitimité et son rôle dans l’équilibre des pouvoirs, il reste un pilier fondamental pour protéger les droits des citoyens et assurer la primauté de la Constitution.

SECTION I : La Signification du Contrôle de Constitutionnalité 

Le contrôle de constitutionnalité est une garantie fondamentale dans un État de droit. Il consiste à vérifier qu’une norme juridique respecte la Constitution, norme suprême au sommet de la hiérarchie des normes. Ce contrôle se décline sur deux plans : juridique et politique.

1. La signification juridique

a. Les normes de référence et les normes contrôlées

  • Normes de référence : Ce sont les textes qui constituent le cadre de contrôle. En France, le bloc de constitutionnalité (comprenant la Constitution de 1958, le préambule de 1946, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, la Charte de l’environnement de 2004, ainsi que les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République) sert de base pour le contrôle.
  • Normes contrôlées : Il s’agit des textes soumis à examen :
    • Les lois organiques, qui précisent ou mettent en œuvre des dispositions constitutionnelles.
    • Les lois ordinaires, qui doivent respecter les dispositions constitutionnelles.
    • Les règlements des assemblées parlementaires, qui doivent également être conformes à la Constitution.
    • Les traités internationaux avant leur ratification, conformément à l’article 54 de la Constitution.

Le contrôle de constitutionnalité est spécifique : c’est le juge constitutionnel (en France, le Conseil constitutionnel) qui est compétent pour l’exercer. Ce contrôle ne s’étend pas aux règlements administratifs ou aux actes de l’exécutif, qui relèvent du juge administratif.

b. Le rapport de constitutionnalité
Lorsqu’une norme est examinée par rapport à la Constitution, plusieurs situations peuvent se présenter :

  • Conformité absolue : La norme respecte pleinement la Constitution.
  • Non-conformité absolue : La norme est totalement incompatible et peut être annulée ou censurée.
  • Conformité ou non-conformité partielle : Certaines dispositions sont conformes, tandis que d’autres ne le sont pas. Le Conseil peut censurer uniquement les articles non conformes.

Techniques d’interprétation :
Le Conseil constitutionnel a développé plusieurs mécanismes pour nuancer ses décisions :

  1. Réserves d’interprétation :
    • Réserves neutralisantes : Le Conseil écarte une interprétation contraire à la Constitution.
    • Réserves constructives : Le Conseil oriente positivement l’interprétation d’une disposition pour la rendre conforme.
  2. Erreur manifeste d’appréciation : Le Conseil censure une disposition lorsque le législateur a gravement sous-estimé ou mal évalué ses conséquences dans un contexte donné.

En vertu de l’article 62 de la Constitution, les décisions du Conseil constitutionnel s’imposent à toutes les autorités publiques et juridictionnelles.

2. La signification politique du contrôle de constitutionnalité

Le contrôle de constitutionnalité dépasse le cadre juridique : il a un impact direct sur la société et les relations institutionnelles.

a. Impacts sociétaux et institutionnels
Les décisions du Conseil constitutionnel influencent le modèle de société et les rapports entre les pouvoirs :

  • En 1971, le Conseil constitutionnel intègre la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen et les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République dans le bloc de constitutionnalité, étendant considérablement la protection des libertés fondamentales.
  • En matière économique, le Conseil est intervenu pour encadrer des politiques publiques majeures :
    • En 1981, il a restreint les projets de nationalisation de François Mitterrand, invoquant des atteintes au droit de propriété.
    • En 1986, il a imposé des limites aux privatisations sous Jacques Chirac, alors Premier ministre en période de cohabitation.

b. Légitimité du juge constitutionnel
La question de la légitimité du contrôle de constitutionnalité est centrale :

  • Conflit avec le législateur élu : Les juges du Conseil constitutionnel ne sont pas élus, mais nommés par des autorités politiques (Président de la République, présidents des chambres). Comment peuvent-ils contester des lois votées par des représentants démocratiquement élus ?
  • Accusation de gouvernement des juges : Certains critiques estiment que le Conseil constitutionnel, en interprétant les textes, se substitue au Parlement et au gouvernement.

Cependant, la mission du Conseil est avant tout juridique, non politique : il veille à ce que les lois respectent les droits fondamentaux et la structure constitutionnelle, dans l’intérêt de l’État de droit et de la démocratie.

 

SECTION II : Les modalités techniques du contrôle de constitutionnalité

1)  L’Organe de contrôle

En France, le contrôle de constitutionnalité est assuré par un organe juridictionnel, le Conseil constitutionnel, créé en 1958 par la Constitution de la Cinquième République. Toutefois, son organisation et ses modalités de nomination des membres lui confèrent un caractère hybride, oscillant entre organe politique et juridiction spécialisée.

Le Conseil constitutionnel français
  • Composition : 9 membres principaux, nommés par le Président de la République, le Président du Sénat et le Président de l’Assemblée nationale (chacun désigne 3 membres). À cela s’ajoutent les anciens présidents de la République, membres de droit, bien que cette pratique soit aujourd’hui peu utilisée.
  • Mandat et politisation : Les membres du Conseil constitutionnel sont nommés pour un mandat non renouvelable de 9 ans. Cette procédure, bien qu’encadrée, n’élimine pas totalement les soupçons de politisation, puisque les nommés sont souvent proches des autorités politiques ayant procédé à leur désignation.
Autres modèles en comparaison
  • Modèle américain : La Cour suprême des États-Unis, bien qu’elle exerce un contrôle diffus sur la constitutionnalité des lois, n’a pas été conçue initialement pour cette fonction. Elle s’est elle-même attribué ce pouvoir avec l’arrêt Marbury v. Madison (1803). Les juges sont nommés à vie par le Président des États-Unis avec l’accord du Sénat.
  • Modèles européens : L’Espagne et l’Italie disposent également d’organes constitutionnels dont les membres sont en partie désignés par les pouvoirs exécutif et législatif. Ces juridictions, bien que spécialisées, ne sont pas exemptes de débats sur leur impartialité.

 

2)   Les Organes de saisine

Le contrôle de constitutionnalité peut être activé par différents acteurs, selon qu’il s’agisse d’un système fermé ou ouvert, et selon la nature du contrôle (a priori ou a posteriori, par voie d’action ou d’exception).

Système fermé (France jusqu’en 2008)

  • Seules certaines autorités politiques pouvaient saisir le Conseil constitutionnel :
    1. Le Président de la République.
    2. Le Premier ministre.
    3. Le Président de l’Assemblée nationale.
    4. Le Président du Sénat.
  • Depuis 1974, ce droit de saisine a été élargi à 60 députés ou 60 sénateurs, ouvrant le contrôle à l’opposition parlementaire.

Système ouvert (France depuis 2010)

Avec la réforme constitutionnelle de 2008 (entrée en vigueur en 2010), un mécanisme de contrôle a posteriori, appelé Question prioritaire de constitutionnalité (QPC), a été instauré :

  • Tout justiciable peut soulever une QPC s’il estime qu’une loi appliquée dans son affaire porte atteinte aux droits garantis par la Constitution.
  • La QPC est posée devant une juridiction ordinaire. Si elle est jugée sérieuse, elle est transmise à la Cour de cassation ou au Conseil d’État, qui décident de la transmettre ou non au Conseil constitutionnel.
  • Ce système est a posteriori (sur une loi déjà en vigueur) et par voie d’exception (soulevée dans le cadre d’un litige).

Comparaison avec d’autres modèles

  • Système ouvert en Espagne et en Allemagne : Dans ces pays, tout citoyen peut saisir directement le juge constitutionnel s’il considère que ses droits fondamentaux ont été violés. Ce système est généralement a posteriori et par voie d’action.
  • Système américain : La Cour suprême n’est pas saisie directement. Les questions de constitutionnalité sont soulevées dans le cadre de procès ordinaires (par voie d’exception). Tout citoyen peut soulever un problème de constitutionnalité, mais l’accès à la Cour suprême reste conditionné par un parcours juridictionnel complexe.

3) Nature du contrôle

Le contrôle de constitutionnalité peut être caractérisé selon plusieurs critères :

A priori ou a posteriori

  • Contrôle a priori : En France, les lois peuvent être contrôlées avant leur promulgation. C’est un contrôle abstrait, exercé sur des textes qui n’ont pas encore produit d’effets. Exemple : saisine du Conseil constitutionnel avant la promulgation d’une loi controversée.
  • Contrôle a posteriori : Introduit en France avec la QPC, il permet de contester des lois déjà en vigueur lorsqu’elles sont appliquées dans une affaire particulière.

Par voie d’action ou par voie d’exception

  • Voie d’action : Le juge constitutionnel est directement saisi pour examiner une loi ou un acte. C’est le cas du contrôle a priori en France.
  • Voie d’exception : La question de constitutionnalité est soulevée dans un litige, puis transmise à l’organe compétent. C’est le cas des QPC en France et du système américain.

En résumé, la France combine désormais deux dispositifs de contrôle :

  1. Contrôle a priori (fermé, par voie d’action) : réservé aux autorités politiques et exercé avant la promulgation des lois.
  2. Contrôle a posteriori (ouvert, par voie d’exception) : introduit par la QPC, il est accessible à tout justiciable et s’applique à des lois en vigueur.

 

SECTION III : Les Risques du contrôle de constitutionnalité 

1) Le risque de « gouvernement des juges »

Ce terme désigne une situation où le juge constitutionnel prend une place prépondérante dans le processus législatif ou politique, en allant au-delà de son rôle de garant de la Constitution. L’expression est née aux États-Unis à la fin du XIXᵉ siècle, lorsque la Cour suprême a annulé des lois votées par le Congrès et soutenues par le Président, sur la base de sa propre interprétation des normes constitutionnelles.

Exemple américain

  • Au début du XXᵉ siècle, la Cour suprême a bloqué plusieurs réformes sociales proposées dans le cadre du New Deal de Franklin D. Roosevelt. Ces décisions, perçues comme un frein à la volonté populaire, ont déclenché un débat sur la légitimité d’un organe non élu à intervenir dans les choix politiques.

Risque similaire en France

  • En France, le Conseil constitutionnel est parfois critiqué pour des décisions perçues comme influencées par des considérations politiques. Certains auteurs soulignent que cela peut transformer le Conseil en une « troisième chambre législative », dotée du pouvoir d’annuler ou de censurer les lois adoptées par les représentants élus du peuple.
  • Exemple : la censure de lois symboliques, comme celles relatives à des réformes sociétales ou économiques majeures, peut être interprétée comme un dépassement du rôle juridictionnel du Conseil.

2) Propositions pour limiter les dérives

Certains proposent des réformes pour réduire le risque d’un « gouvernement des juges » :

  • Renforcer la légitimité des juges constitutionnels :

    • Supprimer la participation automatique des anciens présidents de la République au Conseil constitutionnel.
    • Modifier le processus de nomination pour garantir une plus grande indépendance : par exemple, prévoir une approbation parlementaire avec majorité qualifiée ou introduire des critères de compétence spécifiques.
    • Élargir la composition à des experts indépendants ou des universitaires pour limiter l’influence politique directe.
  • Limiter le champ d’intervention du juge constitutionnel :

    • Interdire au Conseil de se prononcer sur des lois portant exclusivement sur des choix politiques ou de société.
    • Revenir à un contrôle a priori strict, limitant les possibilités d’intervenir sur des lois déjà en vigueur.

3) Le rôle positif du juge constitutionnel

Malgré ces critiques, une autre école de pensée défend le rôle du juge constitutionnel en mettant en avant son action dans la durée.

Un protecteur des droits fondamentaux

  • En France, le Conseil constitutionnel a contribué à renforcer les libertés fondamentales, notamment grâce à la reconnaissance progressive du bloc de constitutionnalité (avec des références à la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen, au Préambule de 1946, et à la Charte de l’environnement).
  • Exemple : la décision de 1971 sur la liberté d’association a marqué un tournant en consacrant les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République.

Un acteur adaptatif

  • Le juge constitutionnel peut prendre en compte l’évolution des normes sociales et juridiques. Son rôle ne se limite pas à une application rigide du texte, mais inclut une interprétation parfois progressive, qui reflète les transformations de la société.
  • Exemple : les décisions relatives à la protection des données personnelles ou au droit à l’environnement montrent que le juge peut anticiper des enjeux émergents.

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