Le contrôle de constitutionnalité des lois
Le contrôle de constitutionnalité des lois est une procédure qui vise à garantir la conformité des lois aux dispositions de la Constitution. Cet outil est un élément essentiel de l’État de droit, car il assure la suprématie de la Constitution sur les autres normes juridiques.
La suprématie de la Constitution : La Constitution, en tant que norme suprême, occupe une place au sommet de la hiérarchie des normes. Elle fixe les principes fondamentaux qui organisent le fonctionnement de l’État et garantit les droits fondamentaux des citoyens.
- Articles 34 et 37 de la Constitution française : Ils précisent la répartition des compétences entre les domaines législatif (lois) et réglementaire (actes exécutifs). Le contrôle de constitutionnalité veille au respect de cette distinction.
L’objectif du contrôle de constitutionnalité est de :
- Préserver la suprématie de la Constitution en empêchant l’entrée en vigueur de lois qui lui seraient contraires.
- Garantir l’État de droit en assurant que les institutions respectent les règles constitutionnelles.
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A) Un organe de contrôle à caractère juridictionnel
1) Les modèles de contrôle : centralisé et décentralisé
a) Contrôle centralisé
Le contrôle de constitutionnalité est dit centralisé lorsqu’il est exercé par un organe unique et spécialisé :
- Origine : Ce modèle a été introduit en Autriche par Hans Kelsen et adopté dans plusieurs pays européens (France, Allemagne, Italie, Espagne).
- Caractéristiques :
- Le contrôle est confié à une juridiction constitutionnelle dédiée, distincte des juges ordinaires.
- En France, cette tâche incombe au Conseil constitutionnel, qui dispose d’un monopole pour vérifier la conformité des lois à la Constitution.
- Les juges ordinaires, notamment les juges administratifs, ne peuvent pas contrôler directement la constitutionnalité des lois, mais ils peuvent vérifier la conformité des actes administratifs à la Constitution.
b) Contrôle décentralisé
Le contrôle est qualifié de décentralisé lorsqu’il peut être exercé par tout juge ordinaire, à condition qu’un recours puisse être porté devant une juridiction supérieure :
- Origine : Ce modèle est issu des États-Unis et a été transposé dans d’autres pays comme le Japon ou la Suisse.
- Caractéristiques :
- Tout juge, même de première instance, peut évaluer la constitutionnalité d’une loi.
- Aux États-Unis, la Cour suprême joue un rôle central dans l’interprétation de la Constitution, et ses décisions s’imposent à toutes les juridictions.
2) Le cas particulier du contrôle en France
a) Le rôle du Conseil constitutionnel
En France, le Conseil constitutionnel est l’organe spécialisé dans le contrôle de constitutionnalité. Créé par la Constitution de 1958, il est perçu comme une juridiction indépendante et spécialisée :
- Il intervient principalement avant la promulgation des lois (contrôle a priori), mais depuis 2008, il peut également intervenir après leur promulgation grâce à la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC).
- Ses décisions sont contraignantes et s’imposent à toutes les autorités publiques.
b) Les limites des juges ordinaires
Les juges ordinaires français ne peuvent pas contrôler la constitutionnalité des lois. Cependant :
- Ils peuvent examiner la conformité des lois aux traités internationaux, notamment à la Convention européenne des droits de l’homme.
- Les juges administratifs (ex. : Conseil d’État) peuvent vérifier la constitutionnalité des actes administratifs, mais pas des lois.
3) La dimension politique du contrôle de constitutionnalité
a) Une juridiction parfois perçue comme politique
Bien que le Conseil constitutionnel soit une juridiction, son rôle dans l’arbitrage de questions constitutionnelles sensibles lui confère une dimension politique. Cette perception est renforcée par la manière dont ses membres sont nommés :
- Les membres sont désignés par des autorités politiques (président de la République, président de l’Assemblée nationale, président du Sénat).
- Cette procédure nourrit parfois des critiques sur son indépendance.
b) La critique du « gouvernement des juges »
L’expression « gouvernement des juges » désigne une situation où des juges, sans légitimité démocratique directe, influencent ou bloquent des décisions politiques. Ce débat est particulièrement vif dans deux contextes :
- En France : Lorsque le Conseil constitutionnel censure une loi portée par la majorité parlementaire, certains responsables politiques dénoncent une ingérence dans la volonté populaire exprimée par le suffrage universel.
- Aux États-Unis : La Cour suprême, en exerçant une interprétation extensive de la Constitution, est parfois accusée de dépasser son rôle judiciaire pour peser sur les grandes orientations politiques (ex. : arrêt Roe v. Wade sur l’avortement).
B) Les modalités de contrôle.
Le contrôle de constitutionnalité peut varier en fonction de plusieurs éléments, notamment le moment où il est exercé (avant ou après l’entrée en vigueur de la loi) et les techniques utilisées (par voie d’action ou par voie d’exception). Ces distinctions influencent la portée et les effets des décisions rendues par les juridictions compétentes.
1) Le moment du contrôle
a) Le contrôle a priori
Le contrôle a priori intervient avant l’entrée en vigueur de la loi. Il s’agit d’une évaluation préventive visant à empêcher qu’une loi contraire à la Constitution soit promulguée.
-
Caractéristiques principales :
- Le contrôle est effectué avant la promulgation, à la demande de certains acteurs politiques ou institutionnels (en France : Président de la République, présidents des assemblées parlementaires, ou un groupe de parlementaires).
- Si la loi est jugée inconstitutionnelle, elle est invalidée avant même de produire des effets juridiques.
-
Avantages :
- Évite qu’une loi inconstitutionnelle entre en vigueur.
- Garantit une meilleure sécurité juridique en empêchant des litiges futurs liés à l’application de la loi.
-
Inconvénients :
- Dimension politique : Le contrôle a priori intervient souvent peu de temps après l’adoption de la loi par le parlement, ce qui peut entraîner des critiques sur l’indépendance des juges ou des soupçons d’instrumentalisation.
-
Exemple : En France, le Conseil constitutionnel exerce ce contrôle a priori selon l’article 61 de la Constitution.
b) Le contrôle a posteriori
Le contrôle a posteriori s’effectue après l’entrée en vigueur de la loi, généralement au cours d’un litige judiciaire. Il vise à vérifier la conformité d’une loi déjà promulguée à la Constitution.
-
Caractéristiques principales :
- Ce contrôle se fait souvent par voie d’exception, c’est-à-dire qu’il est soulevé dans le cadre d’un litige précis.
- En cas d’inconstitutionnalité, la loi peut être écartée dans le cadre de l’affaire en cours, sans forcément être annulée pour l’ensemble des situations.
-
Avantages :
- Permet de corriger des erreurs ou des dérives après l’adoption d’une loi.
- Plus concret, car il est basé sur des cas réels et non sur des hypothèses abstraites.
-
Inconvénients :
- Complexité à annuler rétroactivement une loi qui a déjà produit des effets.
- Risque de fragmentation juridique si une loi est appliquée différemment selon les décisions judiciaires.
-
Exemple : En France, depuis la réforme de 2008, la Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) permet un contrôle a posteriori par le Conseil constitutionnel.
2) La technique de contrôle
a) Le contrôle par voie d’action
Le contrôle par voie d’action est un contrôle abstrait, exercé indépendamment d’un litige spécifique. Il vise directement à annuler une loi jugée inconstitutionnelle.
-
Caractéristiques principales :
- La loi est attaquée devant une juridiction spécialisée (ex. : Conseil constitutionnel en France).
- L’objectif est de supprimer la loi de l’ordre juridique pour tous, avec des effets erga omnes (à l’égard de tous).
-
Effets :
- Si la loi est annulée a priori, elle ne pourra pas entrer en vigueur.
- Si elle est annulée a posteriori, l’annulation est rétroactive : la loi est considérée comme n’ayant jamais existé.
-
Accès au juge :
- Généralement restreint à certains acteurs politiques ou institutionnels.
- En France, le contrôle a priori par voie d’action est réservé à des organes comme le Président, les présidents des chambres parlementaires ou un groupe de parlementaires.
-
Exemple : La saisine du Conseil constitutionnel pour le contrôle a priori en France.
b) Le contrôle par voie d’exception
Le contrôle par voie d’exception est un contrôle concret, soulevé dans le cadre d’un litige particulier. Une partie invoque l’inconstitutionnalité d’une loi pour demander qu’elle ne soit pas appliquée dans son cas.
-
Caractéristiques principales :
- Ce recours est accessoire et intervient au cours d’un procès.
- Le juge saisi peut :
- Trancher directement la question d’inconstitutionnalité (ex. : modèle américain).
- Saisir une juridiction constitutionnelle spécialisée pour obtenir un avis préalable (ex. : Allemagne, France avec la QPC).
-
Effets :
- La loi n’est pas nécessairement annulée, mais son application est écartée pour le litige en cours.
- Ce contrôle permet d’éviter des conséquences injustes pour les parties concernées.
-
Exemple :
- Aux États-Unis, tout juge ordinaire peut évaluer la constitutionnalité d’une loi.
- En France, la QPC introduit une forme limitée de contrôle par voie d’exception, où le Conseil constitutionnel peut invalider une loi.
Comparaison des deux techniques
Aspect | Voie d’action | Voie d’exception |
---|---|---|
Nature du contrôle | Contrôle abstrait, indépendant d’un litige | Contrôle concret, soulevé dans un litige précis |
Juridiction compétente | Organe spécialisé (ex. : Conseil constitutionnel) | Juge ordinaire ou organe spécialisé |
Effet des décisions | Annulation générale (erga omnes) | Application limitée à l’affaire en cours |
Moment du contrôle | A priori ou a posteriori | Toujours a posteriori |
Exemple | Conseil constitutionnel en France (contrôle a priori) | Cour suprême des États-Unis (contrôle décentralisé) |
Les modalités de contrôle de constitutionnalité des lois varient donc en fonction du moment où elles interviennent (a priori ou a posteriori) et de la technique utilisée (voie d’action ou voie d’exception). Ces différences influencent la portée des décisions et la capacité des citoyens à contester une loi. Si le contrôle a priori par voie d’action est plus préventif, le contrôle a posteriori par voie d’exception offre une approche plus concrète et adaptée aux litiges spécifiques. La combinaison de ces deux modalités permet de garantir efficacement la primauté de la Constitution.