La limitation du pouvoir politique par le contrôle juridictionnel

La soumission du pouvoir politique au contrôle d’un juge est le fruit d’un processus long et complexe. Elle repose sur l’idée que les détenteurs du pouvoir dans l’État doivent respecter une norme fondamentale, la Constitution, qui fixe les règles du jeu institutionnel. Ce principe vise à faire de la Constitution un rempart contre l’arbitraire, en limitant les pouvoirs par des techniques juridiques. La soumission du pouvoir politique peut se faire à travers deux concepts visant à limiter le pouvoir politique en instituant des règles contraignantes qui protègent les citoyens et leurs droits fondamentaux. :

  • Le constitutionnalisme est un mouvement juridique et politique qui affirme la supériorité de la norme constitutionnelle sur toute autre norme, y compris celles produites par les organes législatifs ou exécutifs. Il se caractérise par :
    • La primauté de la Constitution : Elle est le socle du système juridique et la source de légitimité des institutions.
    • Le contrôle du pouvoir : Les décisions des gouvernants sont soumises à des mécanismes de vérification par un juge, souvent un juge constitutionnel, pour garantir leur conformité à la Constitution.
  • État de droit : Le constitutionnalisme est une étape essentielle pour l’instauration d’un État de droit, où le pouvoir est soumis aux règles juridiques. En effet :
    1. La Constitution devient une norme supérieure : Elle n’est plus une simple référence morale ou politique, mais une norme juridique contraignante.
    2. Le juge constitutionnel joue un rôle central : Il assure le respect de la Constitution en examinant les actes du législatif et de l’exécutif, et en sanctionnant ceux qui s’en écartent.
    3. Les libertés fondamentales sont garanties : La Constitution, interprétée et appliquée par le juge, protège les droits des individus contre les abus de pouvoir.

Ce processus transforme la Constitution en un outil de régulation, permettant d’organiser l’exercice du pouvoir tout en le limitant, pour éviter les dérives autoritaires.

Le constitutionnalisme français, bien que tardif a permis de renforcer l’État de droit et de protéger les libertés fondamentales. Ce mouvement s’inscrit dans une évolution mondiale du rôle des Constitutions comme piliers des démocraties modernes. Ces deux concepts permettent d’organiser l’exercice du pouvoir tout en le limitant, pour éviter les dérives autoritaires.


                          
1 – Le constitutionnalisme

Le constitutionnalisme désigne l’idée que la Constitution constitue la norme juridique suprême, au sommet de la hiérarchie des normes. Elle incarne un pacte social entre les composantes d’une nation et bénéficie d’une légitimité qui peut la sacraliser. Si ce concept est ancien dans certains pays comme les États-Unis ou l’Allemagne, son développement en France est relativement récent et a pris de l’ampleur à partir des années 1970.

A) Le constitutionnalisme : une légitimité historique et symbolique

1. Un modèle établi dans d’autres pays

Dans des pays comme les États-Unis et l’Allemagne, la Constitution occupe une place centrale depuis leur refondation :

  • Aux États-Unis, la Constitution de 1787 est considérée comme le fondement de l’unité nationale. Son préambule, commençant par « We, the people… », exprime la souveraineté populaire et la primauté du texte sur toute autre norme. Ce document fédérateur transcende les clivages politiques et inspire un attachement profond.
  • En Allemagne, la Loi fondamentale de 1949 a été conçue comme une réponse aux excès des régimes autoritaires. Elle intègre des mécanismes pour se protéger des ennemis de la démocratie, qu’ils soient nazis ou communistes, affirmant la supériorité de la Constitution.

2. Une instabilité constitutionnelle française

En France, entre 1789 et 1958, le paysage politique et institutionnel est marqué par une grande instabilité, avec pas moins de quinze Constitutions. Chaque régime politique remplaçait rapidement le précédent, affaiblissant l’idée de primauté de la Constitution. Cette instabilité a conduit à une dévalorisation de la norme constitutionnelle, perçue comme transitoire et fragile.

B) Le développement tardif du constitutionnalisme en France

Le constitutionnalisme français émerge véritablement à partir des années 1970, grâce à plusieurs évolutions politiques et institutionnelles.

1. Une transformation idéologique et politique

Avec le départ du Général de Gaulle en 1969 et l’arrivée de Valéry Giscard d’Estaing à la présidence en 1974, une nouvelle classe politique adopte une vision différente de la démocratie. Contrairement à de Gaulle, pour qui le Droit était avant tout au service de l’État, les libéraux considèrent que les procédures juridiques et les règles de droit sont les meilleurs garde-fous pour protéger les libertés individuelles.

2. Le rôle central du Conseil constitutionnel

Créé en 1958, le Conseil constitutionnel avait initialement un rôle limité :

  • Il se contentait de vérifier la répartition des compétences entre le législatif et l’exécutif, notamment en appliquant les articles 34 et 37 de la Constitution.
  • Sous de Gaulle, il agissait avec neutralité et retenue, dans le cadre d’un légicentrisme hérité de la Révolution française, où la loi était considérée comme l’expression suprême de la volonté générale.

Cependant, à partir des années 1970, plusieurs événements transforment radicalement son rôle :

  • L’intégration du préambule au bloc de constitutionnalité en 1971 : Le Conseil décide de s’appuyer sur le préambule de la Constitution de 1958, incluant la Déclaration des droits de l’Homme et du citoyen (1789) et le préambule de la Constitution de 1946. Cette décision marque une évolution majeure, faisant du Conseil le gardien des libertés fondamentales.
  • La révision constitutionnelle de 1974 : Cette réforme permet à 60 députés ou 60 sénateurs de saisir le Conseil constitutionnel. Ce changement donne un véritable statut protecteur à l’opposition parlementaire, qui peut contester les lois inspirées par la majorité gouvernementale. La saisine devient ainsi une arme politique.

Ces évolutions consacrent le Conseil constitutionnel comme un acteur central du contrôle de constitutionnalité, garantissant la conformité des lois à la norme fondamentale.

3. Le renforcement de la Constitution comme norme suprême

Grâce à l’action du Conseil constitutionnel, la Constitution retrouve son rôle de norme fondamentale. Elle devient une référence incontournable pour évaluer la légalité des lois et protéger les libertés. Ce renforcement s’inscrit dans une tradition plus large, inspirée notamment par des modèles étrangers :

  • Aux États-Unis, l’arrêt Marbury vs. Madison de 1803 établit le contrôle juridictionnel des lois, posant les bases du constitutionnalisme moderne.
  • En France, cette évolution est plus tardive mais suit une trajectoire similaire, affirmant progressivement la suprématie de la Constitution.

C) Le constitutionnalisme aujourd’hui : entre mythe et réalité

Le développement du constitutionnalisme a transformé la place de la Constitution en France :

  • Une norme juridiquement supérieure : La Constitution est désormais au sommet de la hiérarchie des normes, conformément à la théorie de Hans Kelsen, et le contrôle de constitutionnalité s’exerce pour garantir sa primauté.
  • Une légitimité politique et symbolique : La Constitution, comme dans d’autres pays, est progressivement perçue comme un pacte social. Toutefois, en France, cette sacralisation reste plus fragile qu’aux États-Unis ou en Allemagne, où la Constitution est un véritable symbole d’unité nationale.

 

2 – L’État de Droit

Un État de droit est un système dans lequel les gouvernants et les gouvernés sont soumis aux mêmes règles juridiques, et où les citoyens disposent de voies légales pour contester les décisions des autorités publiques devant un juge. Ce principe repose sur l’idée que le Droit constitue à la fois la source de l’autorité et sa limite. La célèbre formule « Point de Droit sans État ; point d’État sans Droit » illustre bien ce lien indissociable entre le Droit et l’État.

A) Les doctrines sur le rapport entre État et Droit

Le concept d’État de droit a donné lieu à des théories divergentes sur le rapport entre l’État et le Droit, principalement à travers deux grandes doctrines : la dualité et l’unité.

1. La théorie de la dualité : le jusnaturalisme

Les jusnaturalistes ou tenants du Droit naturel soutiennent que :

  • Deux types de Droit coexistent :
    • Le Droit positif, créé par les organes de l’État (règles écrites, lois, règlements).
    • Le Droit naturel, préexistant et supérieur au Droit positif. Ce Droit peut être d’origine divine ou rationnelle, et sert de fondement moral ou éthique au système juridique.
  • Le Droit naturel limite l’État : Les gouvernants doivent respecter des principes supérieurs, tels que la justice ou les droits fondamentaux, qui transcendent le Droit édicté par les lois.

Cette approche met l’accent sur la primauté de la raison ou des principes universels sur les règles instituées.

2. La théorie de l’unité : le positivisme juridique

Les positivistes considèrent que :

  • Le Droit se réduit au Droit positif, c’est-à-dire aux règles observables et créées par l’État. Il n’existe pas de norme supérieure extérieure au système juridique lui-même.
  • Le Droit découle exclusivement de la volonté humaine : L’État est la source unique de la normativité juridique.

Pour les positivistes, l’État de droit repose sur un mécanisme d’autolimitation de l’État, où l’autorité publique s’oblige à respecter les règles qu’elle a elle-même instituées. Cette idée est développée notamment dans les théories allemandes du XIXe siècle.

B) L’État de droit : une conception moderne

Dans une approche moderne, les conceptions jusnaturalistes et positivistes convergent partiellement pour définir l’État de droit.

1. Les principes fondamentaux de l’État de droit

Un État de droit repose sur :

  • La soumission de l’État au Droit : Les institutions publiques doivent agir conformément aux normes juridiques.
  • La garantie des droits fondamentaux : Les citoyens doivent pouvoir contester les décisions publiques devant une juridiction indépendante.
  • La compétence juridique des organes étatiques : Toute action de l’État doit être justifiée par une base légale claire, garantissant la légitimité de la puissance publique.

Ainsi, le Droit institue les organes de l’État tout en fixant leurs limites.

2. Le rôle des procédures dans l’État de droit

L’État de droit est rendu effectif grâce à des procédures juridiques accessibles aux citoyens. Ces mécanismes garantissent :

  • Le contrôle juridictionnel : Les actes des gouvernants peuvent être contestés devant des juges.
  • La séparation des pouvoirs : Chaque branche de l’État agit dans le cadre de ses compétences, sous le contrôle des autres.
  • La protection des droits fondamentaux : Les juridictions constitutionnelles ou internationales (ex. Cour européenne des droits de l’homme) jouent un rôle clé dans la sauvegarde des libertés.

C) L’État de droit en pratique : équilibre entre institution et limitation

L’État de droit assure un équilibre entre l’institution des pouvoirs publics et leur limitation.

  • Institution : Le Droit confère aux autorités publiques la compétence nécessaire pour gouverner et exercer la puissance publique.
  • Limitation : Ces mêmes autorités doivent respecter les normes juridiques qui encadrent leurs actions, sous peine de sanctions ou d’annulation de leurs décisions.

Cette dualité garantit que la puissance publique reste au service des citoyens, évitant les abus de pouvoir et assurant la primauté du Droit dans toutes les sphères de la vie politique et sociale.

 

En conclusion, l’État de droit est le fondement des démocraties modernes, assurant que l’autorité publique agit conformément à des normes juridiques transparentes et respectueuses des libertés fondamentales. Qu’il trouve son origine dans une conception jusnaturaliste ou positiviste, il repose sur des principes universels : la primauté du Droit, la séparation des pouvoirs et l’accès à une justice impartiale.

 

 

Le cours de droit constitutionnel est divisé en plusieurs fiches

 

Isa Germain

Recent Posts

A propos / qui sommes nous?

Qui sommes nous? Cours-de-Droit.net Créés en 2009 par des étudiants regrettant l'absence de cours gratuits…

4 semaines ago

Les mesures de police administrative

Les actions des autorités de police administrative La police administrative peut se définir comme étant…

2 mois ago

La légalité des mesures de police administrative

La légalité des mesures de police administrative L’exercice du pouvoir de police est strictement encadré…

2 mois ago

Les autorités de police administrative

Les autorités administratives compétentes en matière de police administrative Les autorités administratives compétentes en matière…

2 mois ago

Police administrative générale et police spéciales

La police administrative générale et les polices administratives spéciales Il convient de différencier, au sein…

2 mois ago

La protection de l’ordre public [police administrative]

La protection de l’ordre public, une des finalité des mesures de police administrative L'ordre public…

2 mois ago