Le déclenchement de la procédure de conciliation

  La sauvegarde d’une entreprise en difficulté suppose la mise en place d’une action préventive des associés ainsi que l’accord des débiteurs et de tous les créanciers.

Les difficultés ne sont pas favorables à un accord amiable.

Le débiteur refuse parfois de prendre conscience d’une évidence :

  • d’une part, les créanciers préfèrent un remboursement partiel mais immédiat à un plan de sauvegarde de l’entreprise qui leur paraît aléatoire ;
  •   d’autre part, les salariés inquiets utilisent la seule arme dont ils disposent, sans se rendre compte que la grève aggrave la situation.

En effet, le créancier court le risque de voir l’entreprise qu’il a aidée se trouver en cessation de paiement. Auquel cas, il sera relégué au rang peu enviable de créanciers antérieurs au jugement d’ouverture avec une créance impayée plus importante.

Au contraire, s’il refuse toute assistance, il peut être contraint en cas de redressement judiciaire de poursuivre ses engagements avec l’entreprise défaillante. Il bénéficiera alors du rang privilégié de créancier postérieur conféré par l’article L 621-32 du Code de Commerce.

Dès lors, il est aisé de comprendre le peu d’empressement manifesté par les créanciers à conclure un accord avec le débiteur.

Ce dernier, de son côté, peut se voir reprocher en cas d’échec de l’accord amiable de ne pas avoir fait preuve de suffisamment de diligence dans son dépôt de bilan et d’avoir abusivement poursuivi une exploitation déficitaire.

La loi de sauvegarde du 26 juillet 2005 a modifié et débaptisé le règlement amiable en lui substituant la conciliation.

Elle a élargi son champ d’application qui se confond avec celui des personnes susceptibles de se heurter à l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire et peuvent donc solliciter une conciliation.

Il faut également noter un allégement de la judiciarisation de la procédure de conciliation par la suppression de la possibilité pour le conciliateur de demander auprès du tribunal d’ordonner une suspension provisoire des poursuites.

En outre, l’homologation de la conciliation par le président du tribunal est désormais facultative.

Enfin, il convient de signaler que la conciliation n’empêche pas le président du tribunal de désigner un mandataire ad hoc dont il détermine la mission ; cette possibilité étant par ailleurs ouverte aux exploitants agricoles jusqu’à présent exclus de cette mesure.

 

Le déclenchement de la procédure de conciliation est marquée par le renforcement de la liberté contractuelle et l’allégement de l’interventionnisme judiciaire.

Bien que la décision d’y recourir résulte de l’initiative du chef d’entreprise, le président du tribunal de commerce ou du TGI, joue tout de même un rôle aussi bien à l’ouverture de la procédure qu’au stade des négociations.

La décision d’ouverture appartient en effet à ce dernier dans la mesure où il est chargé d’apprécier le bien-fondé de la demande exprimée par le chef d’entreprise,le représentant de la personne morale (le dirigeant) ou le professionnel indépendant.

I – la décision de recourir à la conciliation

   A / l’accès à la procédure de conciliation.

1 ) les entreprises concernées.

Les articles L 661-4 et L 611-5 Code de Commerce fixent à la conciliation un domaine d’application extrêmement vaste puisque peuvent en bénéficier toutes les entreprises individuelles, commerciales et artisanales, toute personne morale de droit privé sans exigence d’une activité économique (par exemple une association à caractère culturel), ainsi que, depuis la loi du 26 juillet 2005, les personnes physiques exerçant une activité professionnelle indépendante y compris une profession libérale soumise à un statut législatif et réglementaire dont le titre est protégé. Le législateur a donc calqué le champ d’application de la procédure de conciliation sur celui des procédures de la sauvegarde, du redressement judiciaire et de la liquidation judiciaire.

En ce qui concerne les agriculteurs, ils ne peuvent accéder à ce type de conciliation ; ils connaissent un régime spécifique dans lequel la demande d’un règlement amiable constitue le préalable légal à l’ouverture d’un redressement judiciaire. En effet, les créanciers d’une entreprise agricole doivent avant l’ouverture d’un redressement judiciaire solliciter la nomination d’un conciliateur auprès du tribunal du TGI.

 

2 ) la situation exigée.

En ne subordonnant plus l’ouverture de la procédure à la tenue d’une comptabilité régulière, la loi du 10 juin 1994 avait marqué sa volonté d’étendre le domaine d’application du règlement amiable.

Cependant, avec la nouvelle loi de 2005, contrairement au passé, la personne physique ou morale demanderesse peut être en cessation de paiement, qui est une condition d’ouverture du redressement ou de la liquidation judiciaire à condition que cet état n’excède pas 45 jours.

La procédure de conciliation peut-être ouverte à l’encontre d’une telle personne qui éprouve des difficultés juridiques, économiques ou financières avérées ou prévisibles.

Cette formulation exclut les difficultés sociales.

Dans sa requête, le débiteur, c’est-à-dire le représentant d’entreprise, doit exposer au président du tribunal saisi sa situation économique, sociale et financière, ses besoins de financement ainsi que, le cas échéant, les moyens d’y faire face.

Paradoxalement, la difficulté juridique avérée ou prévisible qui conditionne l’ouverture de la procédure n’a pas à être mentionnée dans la requête.

 Le décret du 1er mars 1985 corrige cette omission de la loi en précisant que la demande écrite émanant du représentant légal de la personne morale ou du chef d’entreprise expose les difficultés juridiques, économiques et financières qui la motivent.

Pour demander l’ouverture de la conciliation, le débiteur n’a donc pas à attendre que les difficultés soient avérées, il suffit qu’elles soient prévisibles. Mais que faut-il entendre par difficulté prévisible ? Selon un rapport présenté au parlement « la prévisibilité des difficultés du débiteur devra ressortir d’éléments factuels que le président du tribunal appréciera au cas par cas lors de sa décision d’ouvrir ou non la procédure de conciliation.A cet égard, la production par le requérant de comptes prévisionnels faisant apparaître des difficultés pourra constituer un élément objectif.  Cette prévisibilité pourrait résulter d’autres éléments tel que la perte d’un client important ou des difficultés d’ordre social ».

En définitive, d’une part la conciliation constitue une procédure alternative au redressement judiciaire, contrairement à la procédure de sauvegarde qui ne se conçoit qu’au profit du débiteur in bonis (bonne situation) ; d’autre part, la notion de difficultés rencontrées par le débiteur justifiant l’ouverture de la procédure de conciliation est plus large que celle de la procédure de sauvegarde.

             B / la demande de conciliation

1 ) l’auteur de la demande.

La demande de conciliation constitue un acte de gestion si bien qu’elles émanent obligatoirement du représentant légal de la personne morale, du chef d’entreprise individuelle ou du membre de la profession indépendante. Elle ne peut donc jamais apparaître comme la conséquence inéluctable d’une procédure d’alerte ou des questions écrites susceptibles d’être posées par les associés ou encore d’une saisine d’office par le président du tribunal compétent.

Toutefois, il est probable qu’à l’instar du règlement amiable, la procédure de conciliation sera souvent sollicitée soit à la suite de demandes plus ou moins pressantes de certains créanciers, soit parce qu’une demande d’intervention des pouvoirs publics pour aider l’entreprise a d’ores et déjà été faite.

La demande adressée auprès du tribunal compétent doit être écrite et exposée non seulement, les difficultés juridiques, économiques et financières, mais également les mesures de sauvegarde envisagées, les délais de paiement et les remises de dette qui permettraient la mise en œuvre de ces mesures. Elle est complétée par des annexes :

          tout d’abord, un plan de financement prévisionnel est un compte de résultat prévisionnel. Le requérant doit être en mesure de justifier qu’il dispose de ressources suffisantes pour continuer son exploitation sans se trouver dans un état de cessation de paiement remontant à plus de 45 jours ;

          ensuite, l’état des créances et des dettes ainsi que la liste des principaux créanciers ;

          l’état actif et passif des sûretés ainsi que celui des engagements hors bilan ;

          enfin, les comptes annuels, le tableau de financement ainsi que la situation de l’actif réalisable et disponible, exclusion faite des valeurs d’exploitation et aussi la situation du passif exigible des 3 derniers exercices si ces documents ont été établis.

2 ) le destinataire de la demande.

La juridiction matériellement compétente pour ouvrir une procédure de conciliation est le tribunal de commerce quand le débiteur est une entreprise commerciale ou artisanale ; le TGI, quand il est une personne morale de droit privé ou une personne physique.

La juridiction territorialement compétente est celle dans le ressort duquel l’entreprise débitrice a son siège ou à défaut de siège sur le territoire français, le centre principal de ses intérêts en France et où le professionnel indépendant exerce son activité.

En cas de changement de siège de la personne morale dans les 6 mois antérieur à la demande de conciliation, la juridiction  dans laquelle se trouvait le siège d’origine demeure seule compétente.

Dès la réception de la demande, le président du tribunal convoque le représentant de l’entreprise ou la personne physique intéressée en vue de recueillir ses explications et informe le procureur de la république de cette demande.

Les textes prescrivent une procédure dépouillée de tout formalisme et à caractère contractuel. Pour y parvenir, ils ont investi le président du tribunal d’un pouvoir discrétionnaire.

 

II – la décision de nommer un conciliateur

La décision d’accorder ou non la conciliation incombe au président de la juridiction compétente.

S’il fait droit à la demande, il ouvre la procédure en nommant un conciliateur.

Toutefois, le président du tribunal peut préalablement à l’ouverture de la procédure vérifier que la situation de l’entreprise relève bien de la conciliation et non d’un redressement judiciaire eu égard à la situation de cessation de paiement dont la date se situerait après 45 jours.

            A / La vérification de la situation de l’entreprise.

            Pour apprécier la situation du débiteur, la loi a doté le président du tribunal d’un important pouvoir d’investigation.

En effet, il n’est pas tenu par le secret professionnel qui lie les commissaires aux comptes, les membres et représentants du personnel, les administrations publiques, les organismes de sécurité et de prévoyance sociale, les services chargés de la centralisation des risques bancaires et incidents de paiement ainsi que les établissements bancaires ou financiers.

Cette levée du secret lui permet d’obtenir tous les renseignements utiles à une meilleure connaissance de l’entreprise. À cette fin, le président à la faculté d’ordonner une expertise sur la situation économique, sociale et financière de l’entreprise et d’obtenir des établissements bancaires et financiers, tous renseignements de nature à lui donner une exacte information sur cette situation.

Ce droit de communication pouvant être mis en œuvre malgré toutes dispositions législatives ou réglementaires contraires, les établissements bancaires ou financiers ne peuvent opposer le secret professionnel à l’enquête du président.

En revanche, ils doivent garder le secret sur l’existence de la procédure de conciliation dont ils ont connaissance du fait de la demande de renseignement dont ils se trouvent saisis.

  B / La nomination du conciliateur.

            Le président ainsi informé de la situation d’entreprise nomme un conciliateur s’il décide de faire droit à la demande de conciliation par le débiteur.

S’il ne procède pas à la désignation dans le délai d’un mois à compter de la demande, celle-ci est réputée non admise.

À propos de ce personnage, lors des débats parlementaires préalables à la loi de 1984, le garde des sceaux avait émis l’opinion que «le conciliateur ne constituera pas un corps, une profession formée de mandataire ad hoc en matière de difficultés d’entreprise, ce sont des personnalités choisies par le président du tribunal de commerce en raison de leurs compétences particulières et de leur autorité personnelle», comme c’est le cas actuellement.

Au stade de l’ouverture de la procédure de conciliation, le président du tribunal dispose donc d’une très grande liberté.

Le ministère public est bien loin de se voir confier un rôle aussi actif. Il ne peut ni saisir le président du tribunal d’une demande de conciliation, ni intervenir dans la procédure de conciliation. Il est cependant tenu informé de la demande par le président et reçoit communication du rapport d’expertise.

Lorsque le débiteur est membre d’une profession libérale, la décision est communiquée à l’ordre professionnel ou éventuellement à l’autorité compétente dont il relève.

Malgré la liberté de choix qui lui est conférée dans la désignation du conciliateur, le président du tribunal ne peut nommer pour accomplir cette mission, une personne ayant exercé au cours des 24 mois précédents et perçu directement ou indirectement une rémunération ou un paiement de la part du débiteur intéressé, de la part de tout créancier du débiteur ou d’une personne qui en détient le contrôle ou qui est contrôlée par lui.

Cette mission ne peut non plus être confiée à un juge consulaire en fonction ou ayant quitté ses fonctions depuis moins de 5 ans.

La décision ouvrant la procédure de conciliation est susceptible d’aucun recours. Néanmoins, le débiteur peut récuser le conciliateur dans les 15 jours de la décision désignant le conciliateur par un acte remis au greffe ou par une déclaration consignée par le greffier dans un procès-verbal.

Isa Germain

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