Peut-on parler de déclin de la loi ?

LE DÉCLIN DE LA LOI ÉTATIQUE 

  —>   L’idéal de la loi est un acte de grande qualité qui serait au monde des normes ce que le travail de haute couture est au monde du vêtement mais en réalité la loi est devenue de plus en plus un acte de puissance.

  —>   Les lois sont progressivement devenues très nombreuses et très mal faites à tel point que les phénomènes de méconnaissance de la loi se sont aggravés et ce qui fait que le corps social puis la communauté des juristes cherche des remèdes nouveaux à cette méconnaissance.

 

  1. La méconnaissance de la loi
  1. L’inflation législative et ses corollaires

  —>   Trop de lois tuent la loi c’est à dire que le nombre de lois et de règlements s’est tellement accru que leur valeur s’est effondrée et ce phénomène de multiplication des textes peut se mesurer aisément quand on compare 2 exemplaires du JO.

  —>   Les pouvoirs publics ont eux-mêmes pris conscience cette sorte d’incontinence normative, le Conseil d’Etat de 1791 y a consacré tout un rapport en 2005.

  —>   Le phénomène d’inflation législative se manifeste à 2 niveaux : problème quantitatif et problème de volume car les lois augmentent dans les 2 cas (30 articles avant < 400 articles maintenant)

 => Problème qualitatif = manque de précision du langage législatif contemporain ou à l’inverse son excès de précisions, il descend trop dans les détails.

  —>   Il y a aussi un problème de stabilité qui est le fruit des précédents problèmes car lorsque la loi est mal faite elle créée des contestations donc on modifie sans arrêt.

 => Complexité de l’application des normes

 —>   Les lois sont aussi devenues précaires pour une raison plus profonde contre laquelle il ne peut y avoir de solution (c’est irréversible) car aujourd’hui la loi change aussi souvent que les politiques publiques varient.

 => Cela créé des problèmes d’application lourde

  —>   Exemple : a fortiori la matière fiscale (faillite) ou les questions politiquement sensibles (nationalité).

 

  1. Les conséquences

  —>   L’inflation législative produit l’inefficacité législative : « Il ne faut point de lois inutiles, elles affaibliraient les lois nécessaires » (Montesquieu).

  —>   Culture d’indifférence à la norme qui est source de désordre et c’est ce que le Conseil d’Etat exprimait dans une formule qui dit que « quand le droit bavarde on ne l’écoute plus ».

  —>   En plus l’Etat n’aime pas qu’on lui désobéisse donc il multiplie les organes de contrôle ce qui a un coût économique très lourd et en dernier lieu la multiplication des textes, leur manque de coordination, la faiblesse de leur rédaction fait qu’il est difficile d’appréhender leur application (insécurité juridique).

 

  1. Les remèdes à la méconnaissance des lois
  1. Le remède classique

  —>  Il consiste à nier le problème ou du moins à interdire qu’on puisse en tirer des conséquences juridiques et le principe « nul n’est censé ignorer la loi » est invoqué.

 « nemo censetur legem ignorare » (formule latine)

  —>   C’est un principe qui refoule l’erreur de droit dans un rôle mineur et même si l’erreur est légitime on ne peut échapper à la loi, ce principe ayant un fondement apparent et un fondement réel.

 

  • Fondement apparent du principe

  —>   C’est apparemment la possibilité qu’on les individus de connaître la loi, ce qui fait que s’il ignore c’est tant pis pour eux car c’est le résultat de leur négligence.

  —>   C’est ainsi qu’on légitime moralement l’adage « nul n’est censé ignorer la loi » et c’est pour lui donner cette légitimité et permettre de faire comme si le jeu était respecté que les textes sont publiés, les publications devant être physiquement accessibles (collections) et les lois devant être écrites en français.

  —>   Néanmoins, il faut reconnaître que cette légitimité morale est essentiellement factice car il ne suffit pas que les lois soient matériellement accessibles et écrites en français pour qu’on puisse supposer que tous les citoyens vont la lire et que celui qui l’ignore est en faute.

 

  • Le fondement réel

  —>   En fait, l’adage s’explique pour des raisons pratiques en premier lieu car c’est tout d’abord un principe nécessaire à l’ordre social (quel serait le tableau si on admettait que l’ignorance de la loi soit une excuse suffisante pour s’y soustraire, y désobéir) car sinon ce serait une prime à l’ignorance et une peine infligée à l’intelligence, source d’inégalité entre les citoyens mais aussi une source de paralysie de l’action de l’Etat.

 =>Principe nécessaire pour maintenir l’ordre, on ne peut pas admettre qu’un citoyen se fasse de sa propre ignorance un bouclier.

  —>   L’autre raison qui est à la racine de ce principe et qui fait que malgré son caractère fictif il a toujours été proclamé c’est qu’il a un caractère relativement anodin c’est à dire qu’il ne nuit pas beaucoup car traditionnellement les lois reflétaient des valeurs assez consensuelle et la transmission d’une morale assez commune ainsi que sa répétition notamment par l’Eglise assurait une certaine cohésion, un certain partage des mêmes valeurs au sein de toute la société.

  —>   Finalement, on avait tous à peu près la même conception du mal et du bien même si on ne connaissait pas la loi mais aujourd’hui la loi est source de révolte parce que justement cette morale commune diffusée ne semble plus très commune puis les notions de bien et de mal sont devenues beaucoup plus hétérogènes.

 => Un équilibre est donc rompu et le principe est moins anodin

  —>   Donc d’une part la morale s’est éclatée et d’autre part le droit est devenu très complexe, cette évolution entraînant l’apport d’autres remèdes que la simple proclamation du principe nemo censetur

 

  1. Les remèdes contemporains

  —>   Mauvaise qualité des textes législatifs et nombre trop important.

  • Exigence de clarté et d’intelligibilité de la loi

  —>   C’est une exigence qui a été affirmée par tous les gouvernements des 20 dernières années sans qu’aucun ne lui fasse produire des effets sensibles et dès lors c’est le conseil constitutionnel qui a repris cet objectif à son compte en prenant des mesures concrètes pour le faire respecter.

 => Rééquilibrage des pouvoirs

  —>   Le Conseil constitutionnel a donc, à plusieurs reprises, tiré des articles 6 et 16 de la DDHC un objectif à valeur constitutionnelle de clarté et d’intelligibilité de la loi.

  —>   Article 6 : égalité devant la loi et Article 16 : garantie des droits

  —>   Devant le peu de réaction à la constitutionnalisation de ce principe, le Conseil constitutionnel a déclaré qu’il devenait un principe constitutionnel à même à fonder une invalidation d’un texte obscur.

  —>   Décision du 12 janvier 2002 : principe posé afin de prémunir les sujets de droit contre le risque d’arbitraire et exigeant une formulation non équivoque et précise de la part du législateur et a invalidé les dispositions de plusieurs lois car les limitations qu’elles apportaient n’étaient pas suffisamment techniquement précise.

 => Sécurité juridique à même de restreindre la liberté du pouvoir politique et marquant les progrès de l’Etat de droit, Etat devant lui aussi être soumis aux exigences du droit.

  —>   On s’engage progressivement vers la possibilité pour un juge d’écarter un texte obscur comme c’est le cas au Canada, juges qui tendent à priver de force les dispositions législatives obscures.

 

  • Les codes et les banques de données
  1. Les codes

  —>   La multiplication des lois a débouché sur un phénomène de dispersion des textes si grand que même les auteurs des textes ne savaient plus exactement quelle était la dernière version qu’on pouvait considérer comme étant en vigueur et pour lutter contre cela on a créé des recueils rassemblant tout les textes concernant une matière déterminée.

  —>   Cette action est typique de la codification qui consiste au minimum en une mise en ordre, en un rassemblement ordonné des règles gouvernant une matière déterminée présenté dans un codex.

  —>   Il y a les codes savants et les codes compilations, le code savant étant une véritable mise en ordre systématique d’une matière de manière telle que les différentes parties vont se compléter sans se chevaucher et se répondre les unes les autres facilitant la mise en œuvre par les juges.

  —>   Le code savant est un chef d’œuvre au sens ancien du mot c’est à dire l’accomplissement parfait d’un parcours car une codification savante ne peut opérer que sur une matière longuement éprouvée par l’expérience de la pratique et sur laquelle les juristes ont beaucoup réfléchi pour la synthétiser et  l’enrichir de concepts relativement sophistiqués

=> Le Code civil en est sans aucun doute l’exemple symbolique le plus fort

  —>   On en trouve un autre exemple dans la législation contemporaine qu’est le Code de procédure civile de 1976 qui a été l’œuvre essentiellement de Jean Foyer et de Gérard Cornu, fruit de 20 ans de travail.

  —>   Beaucoup plus nombreux sont les codes compilations qui consistent en une addition de tous les textes concernant une matière sans modification de leur contenu, codification dite à droit constant et réponse d’urgence à la dispersion qu’emporte l’inflation législative.

 => Objectif de simplification de l’accès à l’information

 

  1. Les banques de données

  —>   Les textes de droits communautaires ou purement nationaux sont informatisés et mis en ligne (portail général d’accès gratuit = légifrance ou banque de données payantes plus ordonnées).

  —>   La mise en ligne de la jurisprudence notamment signale au passage à quel point en marge du déclin de loi parlementaire la jurisprudence est devenue elle-même une source de droit qu’il importe aux praticiens de connaître.

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