Le détournement de pouvoir (recours en excès de pouvoir)

Le détournement de pouvoir, un des cas d’ouverture d’un recours pour excès de pouvoir

Il s’agit de déterminer quels sont les moyens juridiques par lesquels on peut constater la légalité d’un acte administratif. On appelle ces moyens les « cas d’ouverture » du recours en excès de pouvoir. Mais ces moyens sont également invocables à l’appui d’un recours en plein contentieux ou d’un recours en application de légalité, ou d’un recours adressé à l’administration elle-même.

Qu’est ce qu’un recours pour excès de pouvoir

Le recours pour excès de pouvoir est un recours par lequel le requérant demande au juge administratif de contrôler la légalité d’une décision administrative et d’en prononcer l’annulation si elle est illégale. Selon l’arrêt Dame Lamotte r(Conseil d’État le 17 février 1950), le recours pour excès de pouvoir est « le recours qui est ouvert même sans texte contre tout acte administratif et qui a pour effet d’assurer, conformément aux principes généraux du droit, le respect de la légalité ».

On distingue habituellement 5 modalités de l’illégalité : l’incompétence, le vice de procédure, le vice de forme, la violation de la loi et le détournement de pouvoir.Ces cas peuvent être regroupés en 2 catégories) : 

  1. Les moyens de légalité externe

Les moyens de légalité externes sont l’incompétence ainsi que le vice de forme et de procédure. Le juge ne s’occupe pas du fond, mais vérifie que l’acte a été pris par l’autorité compétente et dans les formes requises. 

  • L’incompétence lorsque l’auteur de l’acte n’avait pas pouvoir légal de prendre cette décision, ce pouvoir étant dans les attributions d’une autre autorité
  • Le vice de forme et de procédure permet l’annulation d’un acte administratif unilatéral pour violation des règles relatives aux opérations d’élaboration de cet ace, par exemple un manquement ou un accomplissement irrégulier par l’administration des formalités prévues.
  1. Les moyens de légalité interne
  • L’erreur de fait
  • L’erreur de droit
  • Le détournement de pouvoir ou de procédure lorsque l’autorité administrative a utilisé volontairement ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ils lui avaient été conférés. Il s’agit d’un contrôle de la moralité administrative.

Qu’est ce quele détournement de pouvoir

Le détournement de pouvoir ou de procédure, si l’autorité publique a utilisé ses pouvoirs ou la procédure à des fins autres que celles pour lesquelles ces pouvoirs lui ont été confiés. La forme la plus simple consiste en l’accomplissement d’un acte en raison de préoccupations d’ordre privé. Mais il peut y avoir aussi détournement de pouvoir même en cas de prise en considération d’un intérêt public. Exemple : le maire de Biarritz prend un arrêté interdisant aux baigneurs de se déshabiller et de s’habiller ailleurs que dans les établissements de bains situés sur la plage. Or, il ne s’agissait pas de préserver la moralité publique mais d’augmenter les revenus de ces établissements, source de revenus pour la ville (CE 4 juillet 1924 Beaugé).

C’est un moyen d’annulation qui concerne le but de l’acte. On peut découper un acte administratif en 3 morceaux. Premièrement tout acte administratif a des motifs même s’ils n’apparaissent pas forcément noir sur blanc dans l’acte. Deuxièmement un contenu matériel. Troisièmement un but. Le juge va faire porter son contrôle sur la légalité de ces trois éléments de l’acte administratif.  

Tout acte administratif doit être pris dans un but d’intérêt général. Il y aura détournement de pouvoir dans deux hypothèses selon la jurisprudence du Conseil d’Etat :  

Premièrement lorsque l’administration aura poursuivi un but d’intérêt privé. Par exemple la vengeance ou le favoritisme. Une autorité administrative prend par exemple un plan local d’urbanisme en adoptant des règles qui favorisent les propriétés foncières. 

Deuxièmement lorsque l’autorité administrative a utilisé ses pouvoirs dans un but autre que celui pour lequel ses pouvoirs lui ont été conférés. L’exemple type est l’administration qui utilise des pouvoirs de police pour faire rentrer de l’argent dans les caisses de la collectivité publique. L’autorité administrative a utilisé des pouvoirs de police dans un but autre que le maintien d’ordre public, dans le but de fournir des ressources financières pour la collectivité publique.  

Arrêt du 26 novembre 1875 Pariset : il s’agissait d’un préfet qui avait utilisé ses pouvoirs de police spéciale sur les établissements dangereux incommodes et insalubres (aujourd’hui on appelle cela les ICPE installation classées pour la protection de l‘environnement) pour ordonner la fermeture d’une fabrique d’allumettes à une époque où a été instauré le monopole de la fabrication du tabac et allumettes par l’Etat pour éviter à l’Etat d’avoir à exproprier le producteur d’allumettes et pour être dispensé de lui verser une juste et préalable indemnité pour l’expropriation. Le préfet avait préféré fermer cette fabrique alors qu’il n’y avait aucun danger. Il y a donc détournement de pouvoir. Annulation de la décision de fermeture de la fabrique d’allumettes.  

Il y a deux hypothèses de détournement de pouvoir. Il faut voir le détournement de procédure : consiste pour l’autorité administrative à suivre une procédure qui n’est pas la procédure normale pour échapper à la compétence de la juridiction administrative et au contrôle administrative.  

Arrêt du 24 juin 1960 Société Frampar : le préfet d’Algérie avait opéré une saisie de journaux sur le fondement d’un article du code d’instruction criminelle (CPP aujourd’hui) au motif que des infractions pénales avaient été commises par les journalistes dans leurs écrits. Le juge saisi de la légalité de la saisie de journaux constate un détournement de procédure de la part de l’autorité administrative qui a inventé des infractions pénale et qui en réalité a voulu faire une opération de police judiciaire sur le fondement du CPP pour échapper à la compétence de la juridiction administrative. Il n’y avait pas d’opération de police judiciaire en l’espèce, il s’agissait d’une saisie de journaux préventive et qui se rattachait à une opération de police administrative de la compétence administrative et par ce détournement de procédure l’autorité administrative cherchait à se soustraire à la compétence du juge administratif. 

Le moyen d’annulation détournement de pouvoir pose trois difficultés : 

Premièrement le détournement de pouvoir est très difficile à prouver. Le juge administratif va utiliser les pouvoirs inquisitoriaux qu’on vient de voir mais on s’aperçoit que lorsque même le juge administratif identifie l’existence d’un détournement de pouvoir il peut revenir sur son appréciation des circonstances de fait et considérer qu’en fait il n’y a pas détournement de pouvoir. 

Arrêt 3 octobre 1980 Schwarts ( ?) : constate l’existence d’un détournement de pouvoir. 

Arrêt du 7 décembre 1983 Commune ( ?): le Conseil d’Etat constate qu’en fait il n’y a pas de détournement de pouvoir. 

Etait en cause un projet de création d’un plan d’eau. En 1980 le Conseil d’Etat considère que le projet d’expropriation d’un plan d’eau constitue à un objectif d’intérêt privé en favorisant l’exploitation de la société privé. En 1983 il y avait un motif d’intérêt général, il n’y a pas eu détournement de pouvoir. 

La deuxième difficulté est que l’existence d’un détournement de pouvoir relève de l’appréciation des circonstances de fait, c’est au regard de l’espèce des circonstances de fait que le juge va apprécier s’il y a eu détournement de pouvoir ou pas. Or depuis 1982 où le Conseil d’Etat est juge de cassation, c’est une question d’appréciation qu’il laisse aux juges du fond et sur laquelle il ne veut pas se prononcer en tant que juge de cassation. Si lors d’une expropriation un requérant plaide le détournement de pouvoir, ce sera apprécié par les juges d’instances et les juges d’appel mais le Conseil d’Etat en cassation ne voudra pas connaitre de cette appréciation des faits sur le détournement de pouvoir. C’est la portée de l’arrêt du 3 juillet 1998 Madame Salva Couderc ( ?). 

La troisième difficulté est comme l‘a souligné Hauriou au début du 20ème siècle, le contrôle du détournement de pouvoir peut s’analyser comme un contrôle de la moralité administrative. Quand il est retenu par le juge, le motif d’annulation détournement de pouvoir stigmatise l’administration. Le juge reconnait que l’administration a manqué à son devoir de moralité. Ce qui explique que le motif d’annulation détournement de pouvoir soit très rarement retenu par le juge et que celui-ci préfère depuis les années 1960 un autre motif d’annulation qui concerne non pas le but mais les motifs : l’EMA des motifs de fait. En tant qu’erreur ca ne stigmatise pas l’administration. Donc il y a de la part du juge un certain glissement du contrôle du but par le détournement de pouvoir vers le contrôle des motifs grâce à l’erreur manifeste d’appréciation, mais depuis 1960. L’EMA concerne les motifs. 

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