Le dommage en matière de responsabilité contractuelle.
L’article 1147 du Code civil dispose : « le débiteur est condamné, s’il y a lieu, au payement de dommages et intérêts, soit à raison de l’inexécution de l’obligation, soit à raison du retard dans l’exécution, toutes les fois qu’il ne justifie pas que l’inexécution provient d’une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu’il n’y ait aucune mauvaise foi de sa part ».
Cela semble renvoyer à la seule idée d’inexécution du contrat, mais il est usuel de transposer l’analyse de l’article 1382 du Code civil : l’octroi de dommages et intérêts est soumis à la triple constatation d’un dommage, d’une faute et d’un lien de causalité.
Pour obtenir réparation, la victime (le créancier) doit justifier d’un préjudice ; c’est seulement si l’inexécution donne lieu à un dommage qu’elle justifie l’octroi de dommages et intérêts. La Cour de cassation a réaffirmé la nécessité d’un préjudice comme condition d’indemnisation : « des dommages et intérêts ne peuvent être alloués que si le juge constate qu’il est résulté un préjudice de la faute contractuelle » (Civ. 3 ; Contrat Concurrence Consommation mars 2004 n°38 obs. Leveneur).
A) Les rapports du dommage à l’inexécution.
- Droit des contrats
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L’inexécution comprend aussi bien le défaut que le retard dans l’exécution, la distinction résulte du texte.
1°/ Le défaut d’exécution.
Bien souvent le dommage résulte du seul fait de l’inexécution. C’est au créancier qu’il appartient de prouver son préjudice, l’article 1147 du Code civil ne comprend aucune présomption. Une exécution défectueuse sera assimilée à une inexécution, l’assimilation sera totale ou partielle selon le degré de défectuosité. La carence définitive du débiteur sera réparée par des dommages et intérêts compensatoires ; le défaut peut être partiel, le montant des dommages et intérêts variera alors. La résolution du contrat est exclue en cas d’inexécution partielle dans l’hypothèse où ce qui a été exécuté laisse une cause suffisante à l’obligation d’une partie.
2°/ Le retard dans l’exécution.
Le préjudice qui en résulte est réparé par des dommages et intérêts moratoires ; le créancier devra rapporter la preuve du dommage invoqué.
Pour une créance portant sur une somme d’argent, la preuve du dommage n’est ici pas nécessaire, ni quant à son existence ni quant à son étendue. Le législateur considère que le préjudice existe toujours car le créancier, s’il avait été payé à l’échéance, aurait pu replacer à intérêt la somme (ces dommages et intérêts sont dus sans que le créancier soit tenu de justifier d’aucune perte : article 1153, al. 2). La réparation du préjudice consiste forfaitairement dans l’allocation d’intérêts de retard qui courent au taux légal (taux de la Banque de France – 2 points).
Ces intérêts courent en principe à compter de la sommation de payer, ou par exception de plein droit lorsque le débiteur est de mauvaise foi ou en cas de disposition légales (le mandataire doit l’intérêt des sommes qu’il a employées à son usage, à dater de cet emploi; et de celles dont il est reliquataire, à compter du jour qu’il est mis en demeure : article 1996 du Code civil ; l’intérêt des avances faites par le mandataire lui est dû par le mandant, à dater du jour des avances constatées : article 2001 du Code civil). Si le débiteur est de mauvaise foi et si le créancier a éprouvé un préjudice indépendant du retard, des dommages et intérêts supplémentaires pourront lui être octroyés.
Les dispositions de l’article 1153 du Code civil ne sont pas impératives, les parties peuvent les écarter dans le principe du forfait, dans celui de la nécessité de sommation ou du taux légal.
B) Nature et caractère du dommage réparable.
1°/ La nature du dommage réparable.
a) Préjudice matériel et moral.
Un doute a existé au XIXe siècle, à propos du préjudice moral : l’objet du contrat devait présenter un intérêt pécuniaire pour le créancier. Le doute est dissipé aujourd’hui en raison notamment de la considération que la responsabilité contractuelle a été construite sur le modèle de la responsabilité délictuelle. Des dommages et intérêts peuvent être dus aussi bien pour réparation du préjudice moral que du préjudice matériel (qui inclut le préjudice corporel).
b) Perte subie et gain manqué.
La distinction est exprimée dans l’article 1149 du Code civil : « les dommages et intérêts dus au créancier sont, en général, de la perte qu’il a faite et du gain dont il a été privé, sauf les exceptions et modifications ci-après ». Le créancier peut réclamer des dommages et intérêts tant pour la perte subie (damnum emergens) que pour le gain manqué (lucrum cessans), en raison de l’inexécution du contrat. Dans le contrat de transport maritime de marchandises destinées à la vente, s’il y a des avaries ou des manquants à l’arrivée, les dommages et intérêts alloués au destinataire tiennent compte du prix payé mais également du prix auquel il aurait raisonnablement pu les vendre.
2°/ Le caractère du dommage réparable.
a) Un dommage certain.
Il ne doit pas être éventuel mais il peut fort bien être futur s’il est certain. La perte d’une chance, dès lors qu’elle est réelle, constitue un préjudice réparable parce que certain.
b) Un dommage prévisible.
L’article 1150 du Code civil dispose : « le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée ».
α) Le principe.
Il ne faut pas confondre la notion d’imprécision et la notion de dommage prévisible. Il ne s’agit pas ici de dégager la responsabilité mais de la mesurer : le contractant doit être en mesure d’apprécier le risque qu’il court en concluant le contrat, en raison des aléas extérieurs, mais surtout en raison des propres carences de celui qui s’oblige.
La réparation est limitée au dommage prévisible lors de la formation du contrat. Certains dommages « extraordinaires », bien que pouvant être objectivement une suite immédiate et directe de l’inexécution, n’ont pas pu être prévus lors de la conclusion du contrat, s’agissant de leur étendue. Le caractère prévisible du dommage intéresse uniquement sa quotité, son étendue : dans le contrat de transport d’une malle, si le transporteur perd la malle, sa responsabilité sera limitée quant au quantum à ce qu’il est d’usage de faire transporter dans une malle (des vêtements, pas des bijoux).
Le fondement réside dans l’autonomie de la volonté, les contractants déterminent comme ils le veulent leurs obligations contractuelles et les conséquences de l’inexécution des obligations : ces conséquences ne peuvent être déterminées que selon ce que les parties ont pu prévoir, ce qui est entré dans le champ contractuel. Cette limitation de la responsabilité au dommage prévisible est caractéristique de la responsabilité contractuelle face à la responsabilité délictuelle. Quant au principe de sa mise en œuvre, dans le contrat de transport et le contrat de dépôt, en cas de perte de la chose, la prévisibilité du dommage s’apprécie au moment de la formation du contrat, in abstracto (seul le dommage normalement prévisible ouvre droit à réparation). Cela a deux conséquences.
Si le dommage est susceptible de revêtir une ampleur exceptionnelle, le créancier devra en informer le débiteur, sauf si les circonstances sont telles que le débiteur aurait du le prévoir (dépôt dans le coffre-fort d’un palace) ; il appartient au créancier, en matière de contrat de transport, de déclarer la valeur de la chose. C’est au juge d’apprécier ce qui aura été prévu par les parties, en fonction des termes du contrat et des usages ; il arrive que le législateur fixe une limite aux dommages et intérêts prévisibles pour certains types de contrats (dans tous les autres cas, les dommages-intérêts dus au voyageur sont, à l’exclusion de toute limitation conventionnelle inférieure, limités à l’équivalent de 100 fois le prix de location du logement par journée, sauf lorsque le voyageur démontre que le préjudice qu’il a subi résulte d’une faute de celui qui l’héberge ou des personnes dont ce dernier doit répondre : article 1953, al. 3 du Code civil, pour le dépôt hôtelier).
L’exigence de prévisibilité porte sur les éléments constitutifs du dommage (étendue, dommage) et non pas sur les équivalents monétaires destinés à le réparer ; pour son évaluation, les variations de valeur entre le jour de la conclusion du contrat et le jour de l’évaluation du préjudice sont toujours à la charge du débiteur.
β) L’exception.
Selon l’article 1150 du Code civil (le débiteur n’est tenu que des dommages et intérêts qui ont été prévus ou qu’on a pu prévoir lors du contrat, lorsque ce n’est point par son dol que l’obligation n’est point exécutée), en cas de dol du débiteur, celui-ci sera tenu même des dommages imprévisibles. La jurisprudence assimile à l’inexécution dolosive, intentionnelle, la faute lourde du débiteur, ainsi que la simple mauvaise foi (sans intention de nuire mais refus délibéré d’exécuter l’obligation).