Il y a conflit positif de nationalités lorsque la même personne possède simultanément au moins deux nationalités différentes. Étant entendu qu’il s’agit de nationalité octroyée par des États internationalement reconnus.
Ce problème a profondément changé de positions au cours des dernières décennies.
La pluri nationalité a été considérée pendant longtemps comme un désordre grave, à empêcher autant que possible et à combattre aussi énergiquement que possible. Cet état était vu avec suspicion parce qu’on redoutait qu’il manque de loyalisme. On a invoqué à ce propos une phrase fameuse de l’Évangile : « Nul ne peut servir deux maîtres » et on appliquait cette phrase à la nationalité. Cela explique que jusqu’après 1970, les textes internationaux en la matière avaient surtout pour objet d’empêcher ou de faire cesser les cas de pluri nationalités.
Aujourd’hui, la réflexion a changé chez un grand nombre d’auteurs pour des raisons très fortes.
—> D’abord, l’idée que nul ne peut servir deux maîtres suppose une vision très autoritaire de la nationalité où l’État est le maître de ses ressortissants (vision assez peu démocratique).
—> Ensuite, sur un terrain pratique :
Le développement des relations internationales est telle que se sont vus multipliés les couples mixtes et les enfants plurinationaux et cette situation a été accentuée par le principe juridique nouveau de l’égalité des sexes : ce principe a eu un effet considérable en droit de la nationalité française.
—> Jusqu’en 1973, le père transmettait sa nationalité française beaucoup plus facilement et beaucoup plus largement que la mère.
—> Depuis 1973, la transmission est absolument égale, de telle sorte que :
Par exemple, un enfant qui naît à l’étranger d’une mère française est français de naissance dans les mêmes conditions qu’un enfant qui naît à l’étranger d’un père français. Il suffit d’avoir un parent français pour que l’on soit français de naissance où que l’on soit né.
Evidemment, la plupart des législations des pays d’Europe ont aujourd’hui exactement la même solution puisque le principe d’égalité des sexes est très fortement reconnu dans les pays européens. Cela signifie comme on le verra que le mariage n’emporte plus aucun effet automatique sur la nationalité des enfants. Par conséquent le nombre de couples de nationalités différentes est de plus en plus important et bien entendu dans la plupart des législations des pays voisins comme chez nous chacun des parents transmet à égalité sa nationalité à ses enfants. Il n’est plus question de dire les enfants n’auront que la nationalité du père. Par conséquent, la pluri nationalité des enfants est une conséquence obligée d’une stricte application de l’égalité des sexes en matière de nationalité et c’est une conséquence qui va de soi.
Il serait donc aberrant dans le cadre de la législation française de pouvoir combattre ce type de pluri nationalité et cette position nouvelle est assez largement partagée dans les pays européens.
Cela nous met dans une situation qui n’a rien à voir avec celle de l’apatridie, il ne s’agit plus d’empêcher le conflit positif donc la question centrale se déporte vers le traitement du conflit positif.
Sur le terrain d’abord des droits, il est clair que le ressortissant français qui a au moins une autre nationalité jouit en France exactement des mêmes droits ni plus ni moins que ceux de n’importe quel national français. La France traite le plurinational comme un français mono national. Il serait scandaleux de lui retirer certains droits au motif qu’il aurait une nationalité française et il serait extravagant d’en ajouter.
—> Quand est-il sur le terrain du devoir ?
La réponse est à priori la même, un plurinational français a en principe exactement les mêmes droits qu’un français sans autres nationalités. Là, encore il serait scandaleux de lui donner des devoirs supplémentaires et extravagants de lui en retirer.
Il y a eu tout de même un cas très particulier avec la question des obligations militaires tant qu’il existait une obligation de service militaire en France (jusqu’en 2001). Normalement, le français plurinational devait accomplir son service militaire français exactement comme le français mono national. Mais évidemment, cette situation pouvait être fâcheuse pour l’intéressé qui risquait de devoir accomplir son service militaire dans un autre pays, risque de cumul très lourd d’obligations militaires. Face à ce problème, il y a eu d’abord un choix à faire entre deux situations différentes :
C’est la troisième solution qui a été le plus souvent retenu dans le cadre de très nombreuses conventions bilatérales conclus entre la France et les pays étrangers. Ces conventions ont suivi selon les cas deux solutions différentes tout en conservant chaque fois d’ailleurs au plurinational le service non retenu :
Le premier type de convention est sans doute préférable car dans le deuxième type de conventions, un doute peut surgir sur la sincérité du choix, sur la réalité du choix, puisque le plurinational peut choisir le service dans un pays où il ne réside pas. Il est vrai également qu’un certain nombre de plurinationaux habite dans un pays tiers.
Quoiqu’il en soit ces questions difficiles n’ont plus beaucoup de sens en France, puisqu’il n’existe plus à proprement parlé, une obligation de service national, c’est un peu une précision qui n’est plus d’actualité.
—> Qu’en est-il des droits et obligations en France de la personne qui a plusieurs nationalités dont aucune n’a la personnalité française ?
La réponse est simple, cette personne est traitée comme un ressortissant étranger.
On entend par statut personnel, l’ensemble des règles du droit des personnes et de la famille. Dans notre système de conflit de loi, le statut personnel relève de la loi nationale de l’intéressé selon l‘article 3 du Code civil.
Il se pose ici, pour les plurinationaux un problème qui est un peu symétrique de celui des apatrides. L’application de la loi nationale pose un problème spécifique aux apatrides puisqu’ils n’ont pas de nationalité et donc pas de loi nationale. La même application de la loi nationale pose un problème spécifique aux plurinationaux puisqu’ils ont plusieurs nationalités et donc potentiellement, plusieurs lois nationales.
—> Dès lors quelle loi nationale faut-il appliquer à leurs statuts personnels ?
Étant entendu qu’il est exclu de leurs appliquer toutes leurs lois nationales à la fois.
La jurisprudence française a dégagé une solution constante, à défaut d’être tout à fait convaincante, qui conduit à distinguer deux types de situations suivant que l’intéressé plurinational possède ou non la nationalité française dans ses différentes nationalités.
Nous supposons qu’un juge français est saisi d’un litige intéressant le statut personnel d’un individu possédant au moins deux nationalités et dont aucune n’est la nationalité française. Il se pose au juge français un problème de conflits de lois.
—> Quelle loi appliquer au statut personnel de l’intéressé ?
Ce problème de statut de loi est compliqué par un conflit de nationalité. La règle du conflit de lois français est simple : la loi applicable est la loi nationale. Puisqu’il y a conflit de nationalité, il y a plusieurs lois applicables.
Dans ce type de situation, la jurisprudence adopte de façon constante une solution qui est sans doute satisfaisante et qui consiste à retenir la loi de la nationalité active ou effective de l’intéressé, c’est-à-dire de la nationalité qu’il pratique le plus activement ou le plus effectivement. Objectif qui départage les deux lois nationales en fonction du comportement pratique de l’intéressé. Cette solution part du constat très largement vérifié que les plurinationaux dans leur très grande majorité pratiquent plus activement une nationalité qu’une autre. Il est extrêmement rare qu’un plurinational se comporte de telle façon, et qu’il est impossible de dire dans quels pays sont ses attaches.
Cette solution conduit le juge du fond à faire une analyse d’ensemble de la situation de l’intéressé et dans cette analyse le rôle du domicile de l’intéressé est évidemment important mais il ne peut pas être absolument exclusif et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle les tribunaux français appliquent la loi de la nationalité la plus active, la plus effective et non pas nécessairement la loi de la nationalité qui est corroborée par le domicile de l’intéressé. Il se peut en effet que dans certains cas, l’indice du domicile soit contredit par d’autres éléments du comportement de l’intéressé.
Par exemple : l’intéressé a ses affaires économiques dans l’autre pays, ou bien il se partage de façon égale deux domiciles dans ces deux pays.
Autre exemple : Et il se peut aussi que le plurinational ait établi son domicile dans un pays tiers auquel cas, le domicile ne peut pas départager à lui tout seul les deux nationalités en conflit.
Si l’on réfléchit à la façon dont le problème se pose en pratique, il est assez vraisemblable que dans un assez grand nombre de cas, le juge français sera saisi parce que l’intéressé à son domicile en France, il est à craindre que l’intéressé ait son domicile en France ait la nationalité française dans ces différentes nationalités et le domicile ne pourra donc départager. Cette solution encore une fois est constante, elle est d’ailleurs très généralement la même dans les pays qui comme la France applique la loi nationale au statut personnel. Elle a le petit inconvénient d’une certaine insécurité, tout dépend de l’investigation du juge intéressé mais en pratique, elle fonctionne assez correctement.
Dans cette hypothèse, le juge français est saisi d’un litige touchant le statut personnel d’un individu doté de plusieurs nationalités dont la nationalité française.
—> Quelle loi doit-il appliquer ?
La réponse à cette question est en règle très générale d’appliquer la loi française même si la nationalité française n’est pas la nationalité la plus active ou la plus effective. Le professeur Laborde a critiqué cette solution qu’il estime regrettable pour plusieurs raisons :
— il y a une critique qu’on ne peut pas faire à cette solution qui consisterait à la taxer de « chauvinisme français », on préférerait la nationalité française de façon partiale, un peu comme on soutiendrait l’équipe de France. La même solution est retenue dans tous les pays comparables. La loi du for est systématiquement préférée.
Critique triple :
—> c’est une solution irréaliste lorsque la nationalité française n’est pas la plus active ou la plus effective et évidemment cette solution est d’autant plus irréaliste quand la nationalité française est purement formelle.
—> Cette solution est dangereuse dans la mesure où elle expose le jugement français à n’être pas exécuté dans l’autre pays puisque l’autre pays préférera de la même façon sa propre nationalité et considérera que le juge français n’a pas appliqué la bonne loi au statut personnel de l’intéressé. Cette solution fait courir un risque d’inefficacité et de situations boiteuses (solution reconnue dans un pays et pas dans l’autre).
—> Cette solution confond de façon inadmissible le terrain des conflits de loi et le terrain de la nationalité. On dit en effet, à l’appui de cette solution que le juge français dans cette hypothèse ne peut pas appliquer une autre loi que la loi française, car le juge est soumis à la loi et la loi dit que l’intéressé est français. En d’autres termes, selon cette justification de la solution : appliquer au français la loi de son autre nationalité reviendrait à lui nier la possession de la nationalité française. Cette argumentation en réalité, pour impressionnante qu’elle soit en apparence, tient parce qu’il ne s’agit pas de savoir si l’intéressé n’est ou n’est pas français. Il est absolument évident que le plurinational est français et qu’elle aura des effets indiscutables. Le problème est de savoir touchant le statut personnel de l’intéressé et non pas l’ensemble de sa situation économique, la loi française est la plus adéquate, la plus adaptée. Or, on ne peut en douter quand la nationalité française n’est pas la nationalité activement appliquée par l’intéressé.
A son sens, il vaudrait mieux donner à ce type de situation, la même solution à l’autre type de situation, c’est-à-dire la préférence à la loi de la nationalité activement ou effectivement appliquée même si la loi n’est pas française.
—> Est-ce que cette solution est absolument constante, indéboulonnable ?
Il est arrivé à la Cour de cassation de donner le sentiment (réel ou apparent) qu’elle pouvait commencer à bouger sur ce problème. Il est en effet, le 22 juillet 1987 un arrêt de la 1ère civile de la Cour de cassation, dans une affaire DUJAQUE, qui a retenu une solution très inhabituelle.
En l’occurrence, il s’agissait de savoir si on pouvait donner effet en France à un jugement polonais, qui, touchant le statut personnel d’un double national polonais et français avait évidemment appliqué la loi polonaise à la question litigieuse. Et, contre toute attente, la Cour de cassation a jugé qu’il pouvait avoir effet en France, alors qu’il n’avait pas appliqué la loi française. Cette solution a été approuvée par certains auteurs notamment Paul Lagarde.
Est-ce à dire que dans cet arrêt DUJAQUE, on s’est approché de la solution de la préférence à la nationalité la plus active ? Ce n’est pas du tout certain. L’arrêt DUJAQUE n’a pas eu depuis 1987 de postérité très claire (arrêt d’espèce ?). Il faut observer que dans l’arrêt DUJAQUE, la Cour de cassation ne va pas du tout valider la considération que la nationalité polonaise aurait été la plus active, ce n’est pas parce qu’elle aurait été la plus active qu’elle aurait été retenue, il semble plutôt que la Cour ait considéré s’agissant seulement de donner effet en France à un jugement étranger, on pouvait admettre que le juge étranger ait préféré sa propre nationalité. En revanche, l’arrêt DUJAQUE ne semble pas du tout annoncer l’abandon par le juge français de la préférence à sa propre nationalité quand le juge français est directement saisi. On peut penser que l’arrêt DUJAQUE est en réalité une application d’une solution proposée par le professeur Lagarde consistant à retenir ce que le professeur Lagarde a appelé une « solution fonctionnelle au problème posé », c’est-à-dire une solution variant en fonction de la nature du problème posé.
En d’autres termes, si le juge français est directement saisi d’une question touchant le statut personnel d’un français plurinational, il doit toujours préféré la nationalité française. En revanche, si le juge français est indirectement saisi en exéquatur d’un jugement étranger qui a préféré sa propre nationalité comme le fait le juge français alors le juge français peut dans certains cas, au moins, admettre que le juge étranger ait préféré sa propre nationalité tel est sans doute le sens de l’arrêt DUJAQUE. Il n’est même pas sûr que dans d’autres hypothèses comparables, il y ait la même solution. Ce qui est probable qu’elle donnerait préférence systématique à la nationalité française.
1° L’esprit de la convention franco-polonaise du 5 avril 1967 étant de régler l’ensemble des rapports juridiques de caractère international en matière de droit des personnes et de droit de la famille, il convient de faire jouer cette convention dès lors que le litige concerne des personnes qui ont la nationalité polonaise même si elles ont aussi la nationalité française ; . Et la cour d’appel, qui a justement estimé que la question de la garde et du droit de visite, après le prononcé du divorce des parents, devait être soumise aux dispositions des articles 10 et 11 de la convention aux termes desquels les tribunaux compétents sont, en cas de domicile distinct des parents et enfants, ceux du pays sur le territoire duquel l’enfant est domicilié, a fait une exacte application de l’article 11, alinéa 2, en retenant la compétence des juridictions polonaises, l’enfant résidant avec sa mère en Pologne .
2° Elle a de même, à juste titre, estimé que la juridiction étrangère était en droit pour déterminer la loi applicable de prendre en considération la nationalité qui était attribuée à l’enfant par la loi locale, savoir la loi polonaise
—> Est-ce à dire que le problème en 2010 est décidément tout à fait clôt ?
Il y a un autre secteur, une évolution s’est produite, qui est le secteur du droit communautaire. On peut se demander si la remise en cause de la jurisprudence traditionnelle ne viendrait pas plutôt aujourd’hui du droit communautaire.
Le droit communautaire n’a en principe aucune compétence en matière de nationalité des États membres et devrait donc être hors-sujet.
Or, ce n’est pas tout à fait le cas, comme le montre un arrêt de la CJCE du 2 octobre 2003, dans une affaire GARCIA AVELLO, qui a fait pas mal de bruit.
La Cour de justice de l’Union européenne énonce en effet que la Belgique en l’occurrence ne pouvait pas imposer aux parents d’un enfant à la fois belge et espagnol de suivre exclusivement les règles du droit belge en matière d’attribution du nom patronymique de l’enfant sans tenir aucunement compte des règles différentes du droit espagnol. En l’occurrence, le père était espagnol et la mère était belge et les parents d’un commun accord souhaitaient que l’enfant à la fois belge et espagnol porte en premier, le nom de son père et en second, le nom de sa mère. Les autorités belges compétentes s’y étaient refusées en considérant que le droit belge s’appliquait. Et c’est cette position que la CJCE censure, elle reproche aux autorités belges, pour trancher de la loi applicable au nom de l’enfant, d’avoir donné référence exclusive à la loi belge.
Il est clair que dans l’arrêt GARCIA AVELLO, la CJCE censure une préférence de principe à la nationalité de l’autorité saisie et de ce point de vue, c’est un recul de la solution traditionnelle.
Cependant, ce recul ne doit pas être surestimé :
—> d’une part, la CJCE se fonde sur une motivation exclusivement de droit communautaire, elle invoque notamment l’interdiction de toute discrimination relative à la nationalité d’un autre État membre
—> d’autre part, elle invoque aussi l’atteinte à la liberté de circuler et de séjourner dans un État membre des ressortissants d’un autre membre, l’atteinte que porterait une solution qui ne respecterait en rien la nationalité d’un autre État membre.
En d’autres termes, une famille franco-espagnole ne se verrait pas reconnaître une liberté de circuler en
Europe et en Belgique, si elle ne pouvait pas faire respecter les dispositions du droit espagnol en Belgique. Cette jurisprudence se place sur le terrain des libertés communautaires et cette jurisprudence n’est pas transposable au-delà de l’Union Européenne.
L’article 18 CE s’oppose à ce que les autorités d’un État membre, en appliquant le droit national, refusent de reconnaître le nom patronymique d’un enfant tel qu’il a été déterminé et enregistré dans un autre État membre où cet enfant est né et réside depuis lors et qui, à l’instar de ses parents, ne possède que la nationalité du premier État membre.
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