Le droit au respect de la vie privée

Le droit au respect de la vie privée est solidement établi à la fois dans les textes internationaux et dans le droit français. Plusieurs normes, telles que l’article 12 de la Déclaration universelle des droits de l’homme et l’article 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), consacrent ce droit fondamental. En droit interne, c’est l’article 9 du Code civil qui consacre explicitement le droit au respect de la vie privée, bien que sa définition et son étendue aient été largement précisées par la jurisprudence.

I – Le principe

Article 9 du Code civil : Cet article établit que « chacun a droit au respect de sa vie privée ». Il se divise en deux alinéas :

  • L’alinéa 1 affirme ce droit général, mais ne définit pas ce que la notion de « vie privée » recouvre précisément. La tâche de déterminer son champ d’application revient ainsi aux juridictions françaises, qui ont peu à peu élaboré une interprétation extensive de cette protection.
  • L’alinéa 2 autorise les tribunaux à prendre des mesures pour faire cesser toute atteinte à la vie privée, en ordonnant des actions telles que la confiscation de documents, la suppression de contenus en ligne, ou la publication de décisions judiciaires pour rétablir l’honneur de la personne concernée.

La délimitation de la vie privée par la jurisprudence

L’absence de définition légale précise de la « vie privée » a amené la jurisprudence à en tracer les contours. La vie privée est interprétée comme l’ensemble des informations ou des aspects personnels de la vie d’une personne que celle-ci peut légitimement souhaiter garder confidentiels, tels que :

  • Le droit à l’image : Le droit de contrôler la diffusion de son image a été rattaché à l’article 9, interdisant la publication de photos sans le consentement de la personne.
  • Le droit à la correspondance privée : Le respect de la correspondance (lettres, courriels, messages) est protégé, interdisant leur divulgation sans autorisation.
  • Le respect du domicile : Toute intrusion dans un domicile privé sans autorisation est une atteinte à la vie privée.

De manière générale, la limite entre vie privée et vie publique est établie en considérant que la vie privée s’arrête là où la vie publique commence. Cela signifie que les informations relatives aux fonctions publiques ou activités professionnelles visibles de la personne ne sont pas automatiquement couvertes par la vie privée. Le droit au respect de la vie privée est ainsi le droit de mener son existence personnelle sans ingérence extérieure indue.

Les principes jurisprudentiels fondamentaux

La jurisprudence a fixé des principes clairs pour protéger la vie privée. L’arrêt de principe de la 1ère chambre civile de la Cour de cassation du 6 mars 1996 a jugé que toute ingérence arbitraire dans la vie d’autrui est illicite, sauf exceptions justifiées par l’intérêt public. Ce principe signifie que même les faits vrais, mais non consentis, ne doivent pas être publiés si leur divulgation porte atteinte à la dignité ou à la vie privée de la personne.

II-   Étendue de la protection

Le droit à la vie privée en France couvre un large éventail d’aspects de la vie d’une personne. La protection juridique s’applique à des éléments variés, permettant de garantir le respect de la vie intime et de l’identité de chacun, conformément aux dispositions du Code civil et de la jurisprudence. Voici un aperçu des principaux domaines protégés.

A) L’identité de la personne

Définition : L’identité personnelle inclut tous les éléments qui permettent de distinguer un individu, tels que son nom, prénom, et coordonnées personnelles. La divulgation de ces informations sans consentement constitue une atteinte à la vie privée.

Exemple jurisprudentiel : Dans un arrêt de la Cour d’appel de Paris du 15 mai 1970, la publication du véritable nom de l’artiste Jean Ferrat sans son accord a été jugée attentatoire à sa vie privée. Cette décision a renforcé la protection de l’identité personnelle en imposant le respect de la volonté des individus concernant la divulgation de leur identité.

B) L’intimité de la personne

Cette catégorie regroupe plusieurs aspects spécifiques de la vie privée, protégés par la jurisprudence.

  1. La nudité : Toute exposition non consentie de la nudité d’une personne est considérée comme une atteinte à sa vie privée. Cette protection vise à préserver l’intégrité personnelle et le respect de la pudeur.

  2. La vie conjugale et sentimentale :

    • Les fiançailles : Le Tribunal de Grande Instance de Paris (26 juin 1976) a estimé que la vie sentimentale relève de la sphère privée. La divulgation de détails sentimentaux sans accord de la personne concernée est donc interdite.

    • Le mariage : Dans l’affaire concernant le mariage de Johnny Hallyday et Sylvie Vartan (CA Paris, 16 février 1974), un journal a été condamné pour avoir publié des détails personnels sur leur union, établissant que seules les personnes concernées peuvent décider de ce qu’elles souhaitent divulguer.

    • Le divorce : Depuis la loi de 1975 et les dispositions sur la presse de 1881, la jurisprudence protège les informations relatives aux procédures de divorce. La Cour d’appel de Dieppe en 1970 a confirmé qu’un article de presse fournissant des informations permettant d’identifier une personne en cours de divorce constitue une violation de la vie privée.

  3. La maternité : L’état de grossesse est un aspect intime de la vie privée. Dans un arrêt du 27 juillet 1981 (CA Paris), l’actrice Isabelle Adjani a vu sa vie privée protégée lorsqu’une journaliste, ayant été informée de sa grossesse sous réserve de discrétion, a révélé cette information publiquement, ce qui a entraîné une condamnation pour atteinte à la vie privée.

  4. L’esthétique : La divulgation de détails sur l’apparence physique ou des caractéristiques corporelles non visibles, sans accord, est une atteinte à la vie privée. Dans un arrêt de la CA Paris (20 juin 1973), un journal ayant commenté des défauts physiques d’une personne a été condamné.

C) La santé de la personne

Les informations concernant l’état de santé sont strictement protégées. La Cour d’appel de Paris, dans une décision du 9 juillet 1980, a jugé attentatoire à la vie privée la publication d’informations sur la maladie de Jacques Brel, contre sa volonté. La protection couvre également les fausses informations sur la santé, interdisant ainsi toute divulgation non autorisée de détails médicaux.

D) Les souvenirs de la personne

Les souvenirs relèvent de la sphère intime de chaque individu. Leur publication, même bien intentionnée, constitue une atteinte à la vie privée, car ces éléments appartiennent strictement à l’histoire personnelle et sentimentale de chaque personne.

E) Les convictions religieuses, politiques et philosophiques

Ces convictions sont protégées comme des croyances personnelles relevant de la vie privée. La jurisprudence a renforcé cette protection dans plusieurs cas :

  • Référé de Lyon (15 décembre 1887) : Un éditeur a été condamné pour avoir publié un annuaire recensant les membres de la communauté israélite sans leur consentement, violant ainsi leur droit au respect de leurs convictions religieuses.

  • Limites de la protection : En 2005, la Cour de cassation a jugé que publier les noms de responsables d’une loge maçonnique, en raison de leurs fonctions publiques, ne constituait pas une atteinte à la vie privée, car ces fonctions sont exercées dans un cadre public.

F) Le patrimoine

Historiquement, la divulgation d’informations patrimoniales était interdite pour préserver la vie privée des individus. Cependant, la jurisprudence a évolué, notamment pour des raisons d’intérêt public. Dans un arrêt de la 1ère Chambre civile du 20 octobre 1993, la Cour a estimé que la publication de données patrimoniales sans lien direct avec la vie privée ou la personnalité d’une personne ne porte pas atteinte à sa vie privée.

 

III- le régime de la protection

Les atteintes au respect de la vie privée sont sanctionnées à la fois civilement et pénalement.

  • Sanctions civiles : La personne victime d’une atteinte à la vie privée peut demander des dommages-intérêts pour compenser le préjudice moral ou matériel subi. Des mesures non financières peuvent également être ordonnées, comme la confiscation de documents ou le séquestre de contenus compromettants, voire la publication judiciaire de la décision pour rétablir l’image de la victime.

  • Sanctions pénales : Une atteinte grave peut être pénalement réprimée, notamment lorsqu’il s’agit de la divulgation de secrets protégés par le secret professionnel. Le Code pénal prévoit pour ces cas des peines d’amende, des peines d’emprisonnement, ou les deux, en fonction de la gravité du préjudice. Les professionnels (médecins, avocats, etc.) sont notamment tenus au respect strict de ce secret, et sa violation est passible de sanctions importantes.

 

Le cours Introduction au droit français est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, patrimoine, organisation judiciaire, sources du droit, preuves…)

 

Isa Germain

Share
Published by
Isa Germain

Recent Posts

A propos / qui sommes nous?

Qui sommes nous? Cours-de-Droit.net Créés en 2009 par des étudiants regrettant l'absence de cours gratuits…

4 semaines ago

Les mesures de police administrative

Les actions des autorités de police administrative La police administrative peut se définir comme étant…

2 mois ago

La légalité des mesures de police administrative

La légalité des mesures de police administrative L’exercice du pouvoir de police est strictement encadré…

2 mois ago

Les autorités de police administrative

Les autorités administratives compétentes en matière de police administrative Les autorités administratives compétentes en matière…

2 mois ago

Police administrative générale et police spéciales

La police administrative générale et les polices administratives spéciales Il convient de différencier, au sein…

2 mois ago

La protection de l’ordre public [police administrative]

La protection de l’ordre public, une des finalité des mesures de police administrative L'ordre public…

2 mois ago