Le droit européen et la fiscalité

Les manifestations du droit de l’Union Européenne sur le droit fiscal

Nous le savons, le droit de l’Union Européen a comme objectif la réalisation d’un marché unique. Or des règles fiscales prises par les Etats peuvent contrarier la réalisation de ce marché unique. C’est bien pourquoi le traité de Rome ne s’est pas désintéressé de la matière fiscale

D’une part, les auteurs du traité ont estimé que certains impôts devaient être harmonisés à cause de leur impact sur les échanges économiques. Des dispositions du traité ont donné compétence à la communauté dans des domaines bien particuliers (TVA, impôts sur les sociétés). Ce qui reste (impôt sur le revenu) est resté de la compétence des États. Mais on s’est vite aperçu que même dans l’exercice de ces compétences, les États pouvaient contrarier les objectifs de la communauté.

Politique de censure des dispositions internes des États qui contrarient les libertés communautaires.

&1 Les interdictions fiscales contenues dans le traité

  • Ce sont des interdictions qui visent les Etats. Les Etats doivent s’abstenir de prendre certaines mesures fiscales. Elles sont au nombre de 3
  • Interdiction de prendre des dispositions fiscales discriminatoires à l’égard des ressortissants des autres États membres
  • Interdiction de prendre des mesures fiscales qui auraient le caractère d’une aide publique contrariant la concurrence
  • Interdiction de créer des impôts qui auraient des effets équivalents à des droits de douanes

Ces interdictions ont suscité une jurisprudence abondante dans les années 70. Elles sont maintenant universellement respectées.

&2 l’harmonisation fiscale par voie de directive

Différentes dispositions du traité donnent compétence aux organes de la communauté pour harmoniser les dispositions fiscales des États membres. Surtout dans le domaine de la TVA, 6ème directive, mais aussi dans le domaine des rassemblements de capitaux (quelques directives en matière de fusion de sociétés).

Il reste qu’il existe en matière non fiscale des dispositions d’harmonisations qui ont des influences en matière fiscale (règles comptables).

Dans tous ces domaines, les organes communautaires ont compétence pour statuer par voie de directive. Evidemment s’est développée une jurisprudence très abondante pour faire transposer ces directives.

  • a) L’obligation de transposition des directives en matière fiscale.

La CJCE estime qu’un Etat membre manque à ses obligations en ne prenant pas dans le délai prescrit toutes les mesures nécessaires pour transposer la directive.

Les Etats conservent donc le choix de la forme et des moyens de la transposition. En revanche, jamais la transposition d’une directive ne peut se faire par voie de doctrine administrative.

De plus la CJCE considère que les dispositions inconditionnelles et précises d’une directive ont un effet direct. Les contribuables peuvent sans prévaloir même sans transposition (arrêt Becker, 1992).

Le CE n’est jamais allé aussi loin et considère que quelque soit les précisions qu’elles contiennent, les directives ne peuvent être invoquées par les Français à l’appui d’un litige fiscal. Cette différence de jurisprudence a peu d’importance. L’Etat français transpose les directives, mais parfois il maintient une législation contraire. Il existe des moyens de mettre fin à cette situation.

  • b) Les procédures juridictionnelles garantissant la transposition des directives

Il faut distinguer selon la nature des dispositions qui contrarient la mise en œuvre de la directive.

  • 1) l’élimination des règlements incompatibles avec les objectifs d’une directive.

La question ne se pose plus. Arrêt Alitalia. Le Conseil d’Etat a posé des règles claires. Les autorités françaises ne peuvent légalement, après l’expiration des délais impartis, laisser subsister des dispositions réglementaires incompatibles. A tout moment, un contribuable peut demander l’abrogation de ce règlement illégal. Le gouvernement est tenu d’y faire droit.

Le contribuable peut toujours soulever l’exception d’illégalité (arrêt Satan)

  • 2) Exclusion des lois incompatibles avec la directive.

Depuis Nicolo, le juge fiscal peut écarter pour inconventionalité une disposition législative contraire au droit communautaire. En droit fiscal cette invocabilité peut être d’exclusion ou de substitution

Ø Invocabilité d’exclusion. Le juge fiscal prononce l’annulation de la disposition. C’est un premier stade

Ø L’invocabilité de substitution est un complément. Le juge fiscal écarte la loi, mais, ensuite, il vérifie si l’imposition est conforme au droit communautaire. Le juge fiscal peut maintenir des impositions établies sur la base d’une disposition contraire du droit communautaire alors que l’imposition est conforme au droit communautaire, on trouve une autre base légale

  • 3) la restitution des impositions perçues en violation du droit communautaire.

Le juge constate l’inconventionalité d’une loi fiscale. Le juge fiscal annule l’imposition en question. Quid des tiers qui ont payé le même impôt, contraire au droit communautaire.

Ces tiers peuvent-ils obtenir le recouvrement des sommes payées. On opposait souvent l’épuisement des délais de recours.

La CJCE a proclamé le droit à restitution des impositions perçues en violation du droit communautaire. Existe-t-il des délais ? Dans un premier temps, la CJCE a paru admettre qu’il n’existait pas de délais. Emoi dans les différents gouvernements. En 1989, le gouvernement a donc fait voter une disposition particulière que l’on trouve à l’article L 110 d livre des procédures fiscale.

Désormais les contribuables peuvent réclamer la restitution d’une imposition qui était fondée sur une disposition contraire au droit communautaire. Evidemment, cela suppose que la non-conformité ait été révélée au contribuable par une décision juridictionnelle ayant une autorité définitive de chose jugée. Mais cette action est insérée dans un délai : la réclamation ne peut porter que sur la période postérieure au premier janvier de la 4ème année précédant celle ou la décision de non conformité est intervenue.

Ce délai de 4 ans est-il un délai raisonnable conforme au droit communautaire. La CJCE, dans un arrêt Fantask de 1997, a posé le principe que les Etats membres pouvaient opposer aux actions en restitution un délai de prescription dès lors que ce délai n’est pas moins favorable que pour les recours fondés sur le droit interne. Or en France les recours fondé sur le droit interne se prescrivent en 4 ans

  • &3 Neutralité du droit fiscal national à l’égard des libertés communautaires

Il s’agit des lois fiscales nationales qui ne concernent pas les impositions qui font l’objet d’une harmonisation communautaire. Il s’agit donc essentiellement de l’impôt sur le revenu, de l’ISF, des droits d’enregistrements. Jusqu’à 1990, l’exercice des compétences fiscales des Etats était purement discrétionnaire. Il n’existait aucun contrôle de la conformité des lois fiscales avec le droit communautaire. La CJCE, à la suite d’un certain nombre de saisine par voie préjudicielle, a posé une règle capitale nouvelle. L’arrêt de principe est un arrêt du 28 janvier 1992 : arrêt Bachmann. On peut décomposer les principes de la manière suivante :

Ø Les compétences fiscales des Etats doivent s’exercer dans le respect du droit communautaire même dans les domaines où il n’y a pas harmonisation

Ø Ensuite, il existe cependant des dérogations possibles et donc la possibilité pour certaines lois fiscales d’être contraire à certaine disposition communautaire. Il faut pour cela que l’Etat qui viole la disposition communautaire puisse justifier d’une raison impérieuse d’intérêt générale. Pour la cour de justice il n’existe qu’une seule raison impérieuse : lutter contre la fraude et préserver l’efficacité des contrôles.

Une autre dérogation est possible pour préserver la cohérence du système national. Si le droit communautaire a pour effet de démanteler totalement un régime d’imposition national.

Concrètement, la CJCE en est venue à censurer de plus en plus fréquemment des dispositions fiscales internes qui violent les grands principes communautaires tels la liberté d’établissement, de circulation, de prestation de service, de circulation de capitaux. Voilà un exemple concret : arrêt de Lasterye du Saillant, du 11 mars 2004 qui condamne la France pour avoir établit un régime fiscal contraire à la liberté d’établissement. Le gouvernement français devant un mouvement d’évasion des capitaux et de transfert du domicile fiscal, a essayé d’élaborer un régime dissuasif, « l’exit taxe ». Supposons qu’un Français veuille devenir contribuable belge pour payer moins d’impôt. L’administration fiscale va donner le quitus fiscal à cette occasion. Le gouvernement français a trouvé que cette procédure de quitus pouvait permettre d’asseoir un régime d’impôt particulier concernant les détenteurs de valeur mobilière. Appliquer préventivement l’imposition des plus-values latentes de ceux qui quittent la France. Ce mécanisme dissuadait les contribuables français de quitter la France. La CJCE a condamné la France qui a dû faire disparaître l’exit-tax.