Quels sont les fondements de la règle de droit?

 LES FONDEMENTS DE LA RÈGLE DE DROIT

Le droit, en tant qu’ensemble de règles destinées à organiser la vie en société, impose des normes de conduite qui s’accompagnent de sanctions pour garantir leur respect. Mais qu’est-ce qui justifie ce caractère obligatoire et coercitif de la règle de droit ? Pourquoi les individus doivent-ils respecter les lois et règlements qui régissent leur quotidien ? Autrement dit, quels sont les fondements philosophiques et éthiques du droit ?

La règle de droit doit être perçue comme légitime pour que les citoyens l’acceptent et la respectent. Cette légitimité repose sur différentes conceptions philosophiques :

1. Le positivisme juridique et l’autorité de l’État

Selon les positivistes juridiques, comme Rudolf von Ihering et Hans Kelsen, la règle de droit est légitime parce qu’elle émane de l’État, seule autorité reconnue pour édicter des règles de conduite. La règle de droit doit être respectée, non pas parce qu’elle est moralement juste, mais parce qu’elle est imposée par une autorité souveraine.

  • La force de l’autorité : dans cette conception, l’État représente le seul fondement de la légitimité, et il est doté de l’autorité nécessaire pour imposer ses normes.
  • Avantages et limites : cette approche favorise l’ordre social et la sécurité juridique, mais elle peut se détacher des valeurs de justice si l’État édicte des lois injustes ou arbitraires.

2. Le droit naturel et la notion de justice universelle

Les partisans du droit naturel, tels que Saint Thomas d’Aquin ou Hugo Grotius, considèrent que la légitimité de la règle de droit repose sur sa conformité à un idéal de justice universelle. Le droit naturel est perçu comme un ensemble de principes moraux universels, indépendants des lois humaines et transcendant toute autorité étatique.

  • Le droit comme reflet de la justice : selon cette approche, la règle de droit est légitime si elle est juste et conforme aux valeurs morales fondamentales.
  • Exemple : les droits de l’homme et les libertés fondamentales sont des exemples de principes inspirés par le droit naturel. Ils constituent des critères de légitimité pour juger les lois et, en cas d’incompatibilité, permettent de contester les normes positives.

3. Le positivisme sociologique : le droit comme expression de la volonté collective

Pour les sociologues comme Auguste Comte et Émile Durkheim, le droit est avant tout un produit de la société. Le positivisme sociologique soutient que la légitimité de la règle de droit repose sur l’adhésion de la société et la conformité aux valeurs collectives.

  • Droit et évolution sociale : le droit doit refléter les valeurs, les besoins et les aspirations de la société pour être accepté et respecté.
  • Exemple contemporain : les réformes récentes, comme celles sur le mariage pour tous ou la bioéthique, montrent comment les évolutions sociales influencent le contenu et la légitimité du droit. 

I) Théories idéalistes ou du droit naturel.

Les théories du droit naturel, aussi appelées théories idéalistes, soutiennent qu’en plus du droit positif — c’est-à-dire le droit applicable dans un pays et à un moment donné — il existe un droit d’essence supérieure, un idéal de justice universel. Selon cette approche, le droit positif doit être évalué à l’aune de ce droit idéal, qui transcende les lois établies et reflète des valeurs intemporelles et immuables.

Origines et principes du droit naturel dans l’Antiquité

L’idée de droit naturel trouve ses racines dans la pensée de l’Antiquité grecque, où le droit est perçu comme un moyen d’atteindre la justice. Pour les philosophes grecs, le droit ne se limite pas à un ensemble de règles fixées par l’État : il doit s’inspirer de principes universels de justice. Platon et Aristote, par exemple, voient dans la justice un idéal vers lequel les lois humaines doivent tendre. Le droit est alors perçu comme une « science de la justice » et doit être construit en fonction de cet idéal de justice.

La pensée de Saint Thomas d’Aquin au Moyen Âge

Cette idée de droit naturel est reprise et enrichie par Saint Thomas d’Aquin au Moyen Âge. Pour lui, la justice ne dépend pas seulement de lois humaines, mais elle est guidée par des principes supérieurs qui peuvent être divins ou naturels :

  • La loi divine : inspirée par les enseignements religieux, elle guide les actions humaines et oriente les lois vers la moralité et la justice selon les préceptes de la religion chrétienne.
  • La loi naturelle : découverte par la raison, elle permet à l’homme de distinguer le bien du mal, indépendamment de la religion. Selon Saint Thomas, la loi naturelle est un reflet de la « loi éternelle », un concept qui désigne la sagesse divine à l’origine de tout ordre universel.

Pour Saint Thomas, l’idée de justice universelle doit ainsi inspirer le droit positif. Bien que les lois humaines puissent parfois s’en écarter, elles ne doivent pas s’opposer aux principes du droit naturel, car cela créerait un désordre supérieur à l’injustice elle-même.

L’École du droit naturel au XVIIe siècle : Hugo Grotius

Au XVIIe siècle, les théories du droit naturel se laïcisent et se détachent des seules références religieuses. Avec Hugo Grotius, l’un des fondateurs de l’école du droit naturel moderne, apparaît l’idée de normes universelles applicables à tous les êtres humains, indépendamment de la religion ou de la culture. Grotius affirme qu’il existe des principes rationnels et universels, comme le respect de la vie, de la propriété et de la dignité humaine, qui devraient régir les relations entre les États, notamment dans le domaine des relations internationales. Il considère que même sans intervention divine, la raison humaine est capable de découvrir ces principes universels et de les appliquer au droit.

Principes universels et influence sur le droit moderne

L’école du droit naturel a eu un impact profond sur le développement du droit moderne, en particulier en matière de droits de l’homme et de droit international. Les principes du droit naturel, tels que l’égalité et la dignité humaine, ont inspiré des textes fondateurs, comme la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 en France ou la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ces documents traduisent la volonté de fonder le droit positif sur des valeurs universelles, au-delà des contingences locales ou temporelles.

 

 

Le droit positif.

Le droit positif repose sur l’idée que seules les règles établies par l’État, c’est-à-dire les lois et les règlements en vigueur dans une société, ont une force contraignante. Contrairement à la conception du droit naturel, qui repose sur des principes universels et intemporels, le droit positif est ancré dans le concret : il est le reflet des normes adoptées par les autorités légitimes à un moment donné et dans un contexte particulier.

La théorie positiviste et le rôle de l’État

Selon la doctrine positiviste, il n’existe pas de règles de droit en dehors de celles édictées par l’État. La règle de droit est donc obligatoire parce qu’elle émane de l’autorité légitime et non en raison de sa justice intrinsèque. Pour les positivistes, l’État est la source unique de la législation, et la loi, expression de la volonté collective, doit être respectée en tant qu’instrument de stabilité et de cohésion sociale.

Kelsen et la hiérarchie des normes : la pyramide de Kelsen

Hans Kelsen, juriste autrichien, a apporté une contribution majeure au positivisme juridique avec sa théorie de la hiérarchie des normes, représentée sous la forme d’une pyramide. Selon Kelsen, chaque norme tire sa légitimité d’une norme supérieure. À la base de cette pyramide se trouvent les normes de moindre importance (règlements, décrets) qui doivent respecter les normes de rang supérieur (les lois). Au sommet de cette hiérarchie se trouve la Constitution, norme fondamentale de tout système juridique, qui confère aux autres normes leur légitimité.

Dans cette conception :

  • Un décret est valable s’il est conforme aux lois en vigueur ;
  • Une loi est légitime si elle respecte la Constitution ;
  • La Constitution est la source suprême de toutes les normes juridiques d’un État.

Pour Kelsen, cette hiérarchie des normes est essentielle pour garantir la cohérence et la stabilité du système juridique. L’ordre juridique ne repose pas sur un idéal de justice, mais sur une conformité formelle des normes entre elles, assurant ainsi la sécurité et la prévisibilité nécessaires à l’organisation de la société.

Le droit positif et la finalité sociale

En France, la plupart des juristes sont attachés à une vision positiviste du droit, estimant que le droit doit répondre aux besoins concrets de la société. Le droit est ainsi perçu comme un outil destiné à garantir la sécurité juridique et l’ordre social. La loi permet aux individus de prévoir les conséquences de leurs actes et d’agir en fonction de règles claires et stables. La sécurité juridique est donc au cœur de la fonction du droit positif.

Les juges, en appliquant la loi, cherchent à trouver une solution juste pour les cas particuliers qui leur sont soumis, tout en respectant les textes. Le droit positif assure ainsi un cadre structuré et prévisible, permettant aux individus de s’organiser et d’interagir au sein de la société.

Droit naturel et droit positif : vers une complémentarité

Si le droit naturel représente un idéal de justice immuable, le droit positif est, lui, destiné à organiser la vie en société de manière pragmatique. Pour les partisans du droit naturel, le droit positif gagne en légitimité lorsqu’il s’inspire des principes du droit naturel, et les lois injustes peuvent alors être critiquées et contestées au regard de ces idéaux. Ainsi, le droit naturel joue un rôle de guide moral pour le droit positif, incitant les législateurs à orienter les règles vers une plus grande justice et équité.

Exemple de complémentarité :

  • Les droits de l’homme : Inspirés des principes du droit naturel, les droits de l’homme sont considérés comme inaliénables et universels, et ils ont influencé les constitutions nationales ainsi que le droit international.
  • Droit humanitaire : Dans les conflits armés, des principes de droit naturel inspirent les règles de protection des civils, codifiées dans des conventions internationales comme celles de Genève.

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