Le renvoi en droit international privé
Le renvoi est un concept en droit international privé qui se produit lorsque la règle de conflit de lois d’un État renvoie à une autre règle de conflit de lois d’un autre État pour déterminer la loi applicable à une situation internationale.
Le renvoi peut se produire dans deux cas :
Lorsque la règle de conflit de lois d’un État renvoie à la loi d’un autre État pour résoudre un conflit de lois, et que la règle de conflit de lois de l’autre État renvoie à nouveau à la loi de l’État d’origine. Par exemple, la règle de conflit de lois française en matière de succession peut renvoyer à la loi nationale du défunt, mais si cette loi nationale renvoie à la loi française, il y a un renvoi.
Lorsque la règle de conflit de lois d’un État renvoie à la loi d’un autre État pour résoudre un conflit de lois, mais que la loi de l’autre État renvoie à une troisième loi. Par exemple, la règle de conflit de lois française en matière de contrats peut renvoyer à la loi du pays où le contrat a été conclu, mais si cette loi renvoie à une autre loi, il y a un renvoi.
- Droit international privé L3
- La compétence des tribunaux français en droit international
- Les conflits de juridiction dans l’Union européenne
- La règle de conflit unilatérale
- La méthode conflictualiste : critique, contestation
- Le mécanisme du renvoi
- L’ordre public et application de la loi étrangère
Le renvoi peut poser des problèmes dans la mesure où il peut conduire à une incertitude quant à la loi applicable à une situation internationale. Par conséquent, la plupart des systèmes juridiques évitent le renvoi et adoptent une solution directe pour éviter une telle incertitude.
Le renvoi est un mécanisme qui existe, qui est utilisé par la jurisprudence française comme étrangère, mais la raison de son existence est beaucoup plus pratique, pragmatique que théorique.
Depuis l’arrêt « Forgo » du 24 juin 1878, on accepte le renvoi.
Forgo est un enfant naturel Bavarois, il a vécu en France, puis est retourné en Allemagne. Cependant, va se poser le problème de sa succession mobilière.
La règle qui doit être appliquée, c’est celle du dernier domicile du défunt. C’est donc la loi bavaroise. Cependant, l’enjeu de cette affaire, est colossal, eu égard au montant important de cette succession. Selon le droit bavarois, ce sont des collatéraux éloignés qui peuvent hériter, alors que selon le droit français, c’est l’administration des domaines qui devrait hériter.
Dans cette affaire, va se poser la question de savoir si l’on doit prendre en considération le domicile de fait ou le domicile de droit. En l’espèce, le domicile de droit se trouve en Allemagne, et le domicile de fait se trouve en France.
La Cour de cassation a pour la première fois considéré qu’il y a renvoi au premier degré effectué par la règle de conflit étrangère à la loi du for.
Mais il y a aussi renvoi au deuxième degré. À partir de cet arrêt, la jurisprudence française va alors accepter le renvoi.
Comment expliquer théoriquement ce renvoi ? Au fil du temps, trois explications théoriques vont être dégagées :
-Le « renvoi délégation » a été dégagé par Kahn et Bartin (fin XIX° siècle) : la règle de conflit française va déléguer au droit étranger le soin de désigner la loi applicable (respect de la souveraineté).
-Le « renvoi règlement subsidiaire » a été élaboré par Le Rebour Pigeonnière : il part de l’idée que la loi étrangère désignée par la règle de conflit française ne se reconnaît pas compétente, il est alors absurde de forcer l’application de la loi étrangère. Le for n’abandonne pas sa souveraineté, mais la règle de conflit étrangère est porteuse d’une solution de remplacement, c’est le règlement subsidiaire. On laisse le soin à la règle de conflit étrangère de désigner une loi compétente.
-Le « renvoi coordination » de Batifol : il s’agit de coordonner deux règles de conflit : la règle de conflit qui va déclencher le mécanisme de conflit de loi, et la règle de conflit étrangère qui va être prise en considération.
En définitive, le renvoi est une mise en œuvre de la règle de conflit française qui implique une interprétation de la règle de conflit étrangère et donc une articulation à trouver entre la règle de conflit étrangère et la règle de conflit française, entre les deux systèmes. Batifol dit : « Il faut faire vivre ensemble les systèmes ».
L’arrêt « Soulié » de 1910, est un grand arrêt qui a suivi l’arrêt « Forgo » en en reprenant le même principe.
Premier constat : le renvoi n’est possible que car il y a des règles de conflit différentes avec des critères de rattachement différents (exemple : le domicile de fait et le domicile de droit dans l’affaire de succession mobilière qui a opposé la France et l’Allemagne).
Deuxième constat : très tôt la jurisprudence a validé tant le renvoi au premier degré qu’au second degré pour des raisons pratiques de prévision des parties.
La jurisprudence a toujours empêché le double renvoi : il est pratiqué en Angleterre, et il consiste à appliquer par le juge du for le renvoi tel que l’aurait appliqué le juge désigné par la règle de conflit du for s’il avait été désigné.
Ce double renvoi n’est pas pratiqué en France. Quand on parle de ce renvoi, on opère une confusion entre la compétence judiciaire et la compétence législative.
La jurisprudence française a toujours condamné le renvoi dans un certain nombre de matières (en matière de régimes matrimoniaux, de contrat), car ces matières sont gouvernées par l’autonomie de la volonté (la règle de conflit est donc différente des autres).
La question qui se pose est de savoir si en matière de filiation, le renvoi peut jouer ?
La jurisprudence l’a exclu dans un premier temps (arrêt de la Cour d’appel de Paris en 1976, en 1983…).
Il y eut une polémique relative à l’article 314-14 du code civil pour certains auteurs (Cet article est consécutif à une loi de 1972 qui porte la réglementation du conflit de lois). Cet article donne compétence à la loi nationale de la mère au moment de la naissance. Cet article n’exclue pas clairement le renvoi, mais des auteurs considèrent que cet article contient une désignation directe et impérative de la loi applicable (aucune raison de faire jouer le renvoi).
De façon générale, il y a plutôt exclusion de renvoi, chaque fois qu’il existe une règle de conflit alternative.
Cela nous apprend que le renvoi n’est pas un mécanisme mis en place pour revenir systématiquement sur le droit du for.
Le renvoi permet de prendre en considération le droit étranger.
Le mécanisme du renvoi rend même au droit étranger le caractère impératif qui est un peu perdu par le mécanisme conflictuel.
Quand le renvoi fonctionne, c’est qu’on interpelle le droit étranger pour savoir si ce droit veut de sa compétence ou non.
Nous sommes là dans une démarche typiquement unilatéraliste.
Les auteurs qui sont allés jusqu’au bout de la démarche unilatéraliste (quadri et Francescakis) sont partis d’une réflexion sur le renvoi pour y aboutir.
Finalement, le renvoi est peut être une application du principe de proximité (Lagarde) : si on retient la loi étrangère, est ce que ce n’est pas parce que l’on retient les lois qui ont le plus de contact, de proximité avec les situations en cause.
Le renvoi a été et est toujours (mais moins) un moment fort de contestation de la règle de conflit, mais en même temps, le renvoi a été défendu par les conflictualistes, car on peut le considérer comme le mécanisme pragmatique qui donne la bonne solution.