Le Parlement et le gouvernement dans la procédure législative

Le rôle respectif du Parlement et du Gouvernement dans la procédure législative

La procédure législative sous la Ve République semble, à première vue, marquée par un principe de collaboration entre le Parlement (Assemblée nationale et Sénat) et le Gouvernement. En pratique, cependant, le Gouvernement dispose de moyens puissants pour orienter, accélérer ou contrôler la production législative, ce qui peut restreindre l’autonomie du Parlement.

Importance des pouvoirs de l’exécutif dans l’élaboration de la loi

À toutes les étapes de la procédure législative, le Gouvernement exerce une influence importante :

  • Initiative législative : En vertu de l’article 39 de la Constitution, l’initiative des lois appartient à la fois au Premier ministre et aux parlementaires, mais dans la pratique, une majorité écrasante des textes législatifs provient de l’exécutif. En effet, sur dix lois votées, environ neuf sont issues de projets de loi déposés par le Gouvernement, qui fixe également en grande partie l’ordre du jour parlementaire pour les faire adopter.
  • Contrôle du calendrier et des débats : Grâce à l’article 48 de la Constitution, le Gouvernement conserve une forte influence sur l’ordre du jour des assemblées, malgré la réforme de 2008 qui réserve des créneaux à l’opposition. De plus, la procédure accélérée (article 45) peut être activée pour limiter les échanges parlementaires et réduire la durée des débats, comme cela a été le cas pour la loi de réforme des retraites en 2023.
  • Moyens de pression en séance publique : En séance, le Gouvernement peut recourir au vote bloqué (article 44-3), imposant un vote unique sur le texte avec uniquement les amendements qu’il a acceptés, afin d’assurer la cohérence de la loi et de limiter les modifications. En cas de texte sensible, il peut aussi utiliser l’article 49-3 pour engager sa responsabilité sur un projet de loi, forçant ainsi l’adoption de ce texte sauf dépôt et adoption d’une motion de censure par les députés.

Rationalisation de la procédure législative : deux hypothèses

La rationalisation de la procédure législative sous la Ve République se traduit par une limitation de l’autonomie parlementaire au profit d’une plus grande stabilité et efficacité de l’action gouvernementale. Elle ouvre sur deux hypothèses principales :

  • Une collaboration renforcée entre le législatif et l’exécutif En théorie, la structure rationalisée de la Ve République permet une coopération entre les deux pouvoirs, où le Parlement contribue au processus législatif en amendant et en discutant les textes présentés par le Gouvernement. Les commissions parlementaires jouent un rôle clé dans l’examen et l’amendement des projets, et le Parlement a la possibilité d’influencer les textes finaux.
  • Une prépondérance de l’exécutif qui limite la résistance parlementaire En réalité, les moyens constitutionnels et techniques à la disposition du Gouvernement lui permettent de maintenir une forte mainmise sur la production législative. La multiplication des ordonnances (article 38) pour accélérer les réformes dans des domaines complexes ou urgents, comme les mesures sanitaires durant la pandémie de Covid-19, a illustré cette tendance. Le Parlement est souvent réduit à une fonction de validation a posteriori, surtout lorsque l’exécutif utilise des techniques comme le vote bloqué ou le 49-3 pour encadrer les débats.

 

I ) Le Parlement et le gouvernement dans la procédure législative normale

a) L’initiative


L’article 39 de la Constitution de la Ve République confie l’initiative législative à la fois au Premier ministre et aux membres du Parlement, distinguant ainsi les projets de loi émanant du gouvernement et les propositions de loi issues du Parlement.

L’article 39, alinéa 2 prévoit que les projets de loi sont délibérés en Conseil des ministres après avis du Conseil d’État. Cette délibération en Conseil des ministres symbolise l’accord des membres du gouvernement sur le texte proposé, en vertu de la responsabilité solidaire qui caractérise les régimes parlementaires. Cela signifie que le président de la République est informé des projets de loi et, en dehors des périodes de cohabitation, participe activement aux décisions du gouvernement, voire les impulse.

Les projets de loi peuvent être déposés indifféremment devant l’Assemblée nationale ou le Sénat, sauf dans certains cas :

  • Les projets de loi de finances et de financement de la sécurité sociale doivent être déposés d’abord à l’Assemblée nationale.
  • Les projets de loi relatifs aux collectivités territoriales doivent être déposés en premier lieu au Sénat, en raison de son rôle spécifique de représentant des collectivités territoriales.

Les propositions de loi

Les propositions de loi sont des initiatives individuelles ou collectives de parlementaires, généralement portées par les groupes parlementaires eux-mêmes. Leur dépôt n’est soumis à aucune condition de procédure spécifique, mais elles peuvent se voir opposer deux types d’irrecevabilités :

  1. Irrecevabilité de fond (article 41 de la Constitution) : Le gouvernement, ou depuis la réforme de 2008, le président de l’assemblée saisie peut s’opposer à une proposition de loi qui empiéterait sur le domaine réglementaire, réservé à l’exécutif. Bien que peu utilisée jusqu’à récemment, cette procédure pourrait connaître un regain d’intérêt, le président de l’Assemblée nationale jouant désormais un rôle renforcé en tant que gardien du domaine législatif.

  2. Irrecevabilité financière (article 40 de la Constitution) : Les propositions de loi ne peuvent pas être recevables si elles entraînent une diminution des ressources publiques ou une augmentation des charges publiques. Cette limitation vise à empêcher les parlementaires de proposer des mesures qui augmenteraient les dépenses publiques sans financement correspondant. Cependant, pour atténuer le caractère restrictif de cet article, le Conseil constitutionnel a précisé que le lien entre la proposition et son impact financier doit être direct.

Évolution et exemples récents

Les propositions de loi restent relativement peu promulguées par rapport aux projets de loi gouvernementaux. En moyenne, sur dix lois promulguées, neuf sont d’origine gouvernementale, en partie parce que les propositions de loi peinent souvent à franchir toutes les étapes du processus législatif. Cependant, l’importance des propositions de loi a augmenté ces dernières années, notamment depuis la réforme de 2008, qui accorde une journée par mois aux groupes parlementaires pour présenter leurs propres textes, renforçant ainsi la capacité de l’opposition à influer sur l’agenda législatif.

  • Exemple récent : En 2022, la proposition de loi sur l’allongement des délais de l’IVG (interruption volontaire de grossesse) est un cas de proposition de loi parlementaire ayant abouti. Elle a été votée après plusieurs débats, illustrant le rôle croissant des initiatives parlementaires dans les réformes sociétales.



b) La discussion et le vote

Cette phase est essentiellement parlementaire puisqu’elle se déroule (article 24 de la Constitution) devant les deux assemblées. Mais pour autant le gouvernement dispose à ce stade d’importants moyens de pression.

1) Le travail en Commissions

Les projets et propositions de loi sont examinés par une commission de la première assemblée saisie, soit une des commissions permanentes, soit exceptionnellement une commission spéciale à la demande de l’assemblée ou du gouvernement. La réforme constitutionnelle de 2008 a considérablement modifié cette procédure en renforçant le rôle des commissions. Depuis le 1er mars 2009, en application de l’article 42 de la Constitution, les discussions en séance publique portent désormais sur le texte amendé par la commission, et non sur le texte initial du gouvernement. Cette réforme vise à revaloriser le travail des commissions parlementaires et à leur accorder davantage d’influence sur le contenu des textes.

Dans le même souci de renforcer la qualité du travail législatif, la réforme de 2008 a instauré un délai de réflexion minimum avant l’examen d’un texte en séance publique (article 42, alinéa 3), sauf pour les lois de finances, les lois de financement de la sécurité sociale, ou en cas d’état de crise, afin d’encourager une meilleure analyse des projets.

La procédure accélérée (article 45, alinéa 2), qui remplace l’ancienne déclaration d’urgence, permet toujours au gouvernement d’accélérer l’examen d’un texte, mais de façon plus encadrée. En effet, le gouvernement ne peut déclencher cette procédure que si les conférences des présidents des deux chambres n’y opposent pas une objection conjointe.

Un exemple : la réforme des retraites de 2023. Le texte, initialement déposé par le gouvernement, a été intensivement amendé et discuté en commission, notamment en raison de son caractère controversé. Cette réforme a illustré l’influence des commissions permanentes, les débats en séance publique ayant porté sur le texte amendé par la commission des Affaires sociales.

2) La séance publique

Pour être discuté en séance publique, un texte doit être inscrit à l’ordre du jour. Avant la réforme de 2008, cet ordre du jour était principalement fixé par le gouvernement, qui pouvait privilégier ses projets de loi et écarter les propositions de loi parlementaires défavorables. La réforme de 2008 a introduit une modification de l’article 48 de la Constitution en confiant ce pouvoir à chaque assemblée, tout en réservant une journée par mois aux textes émanant de groupes minoritaires ou d’opposition, renforçant ainsi leur rôle.

Malgré cette avancée, le gouvernement conserve une certaine influence sur l’ordre du jour, et le succès de cette réforme dépend d’une utilisation mesurée de ses prérogatives par l’exécutif. Une fois le texte inscrit, le débat peut être interrompu par deux types de procédures :

  • Exception d’irrecevabilité : déposée par un ou plusieurs parlementaires pour contester la constitutionnalité du texte.
  • Question préalable : permet aux parlementaires de demander que le texte ne soit pas examiné.

La discussion en séance publique débute par les interventions du représentant du gouvernement et du rapporteur de la commission. Le débat se poursuit avec l’examen des articles et des amendements, proposés soit par le gouvernement, soit par la commission, soit par des parlementaires.

Le Conseil constitutionnel a encadré le droit d’amendement, précisant qu’un amendement ne doit pas excéder l’objet du texte initial, interdisant ainsi d’intégrer de nouvelles propositions de loi sous forme d’amendement. Ce cadre vise à limiter les dérives potentielles du droit d’amendement, qui a parfois été utilisé pour obstruer les débats, notamment dans les années 1980.

Le droit d’amendement et ses limitations

Le droit d’amendement est un outil essentiel, mais il a parfois été utilisé comme moyen d’obstruction. Pour limiter cette inflation d’amendements, la réforme de 2008 a modifié l’article 44, alinéa 1 de la Constitution, en introduisant des distinctions entre :

  • Amendements examinés en commission,
  • Amendements discutés en séance publique.

Ces nouvelles règles permettent d’appliquer des régimes juridiques distincts, organisés par les règlements des assemblées et des lois organiques. L’article 44, alinéa 2 permet également au gouvernement de s’opposer à tout amendement non préalablement soumis en commission, afin de prévenir les « amendements surprise ». Cette technique, bien que perçue par certains comme une atteinte au droit d’amendement, vise à rationaliser les débats et à éviter l’obstruction législative.

Un exemple : lors des débats de 2023 sur le texte de la loi d’orientation agricole. Les amendements ont été d’abord examinés en commission, puis en séance publique. L’objectif était de permettre un débat structuré et d’éviter les centaines d’amendements d’obstruction, pratique courante dans les dossiers sensibles, afin de ne pas entraver les discussions par des amendements redondants ou purement tactiques.


3) Les moyens gouvernementaux pour orienter le vote des parlementaires

Le gouvernement dispose de plusieurs outils constitutionnels pour influencer le vote des parlementaires, afin de garantir la cohérence des textes adoptés et de s’assurer de leur passage dans les délais fixés.

  • Article 44-3 de la Constitution : le vote bloqué
    L’article 44-3 permet au gouvernement de demander à l’Assemblée nationale de se prononcer sur tout ou partie d’un texte en ne retenant que les amendements acceptés ou proposés par le gouvernement. Cela impose une décision collective, sans ouvrir les débats à des amendements supplémentaires non validés par l’exécutif, ce qui permet de contourner les hésitations parlementaires et de s’assurer que le texte reste conforme à la volonté du gouvernement. Bien que cette technique soit souvent critiquée comme un outil d’imposition, elle est régulièrement utilisée pour assurer un texte cohérent face à une majorité parfois dispersée.

    • En 2020, lors de la pandémie de Covid-19, le gouvernement a eu recours au vote bloqué pour faire adopter la loi organisant l’état d’urgence sanitaire. En réduisant les amendements au minimum, cette technique a permis d’adopter rapidement des mesures exceptionnelles pour faire face à la crise.
  • Article 49-3 de la Constitution : l’engagement de la responsabilité du gouvernement
    L’article 49-3, instrument central du « parlementarisme rationalisé », permet au gouvernement de faire adopter un texte sans vote, en engageant sa responsabilité. La logique de cet article est celle du « tout ou rien » : soit l’Assemblée nationale adopte le texte en l’état, soit elle renverse le gouvernement par une motion de censure. Ce mécanisme est à la fois puissant et risqué, puisqu’il force les parlementaires de la majorité à soutenir le texte sans possibilité d’amendement pour éviter une crise gouvernementale. Bien que l’usage du 49-3 ait été limité par la révision constitutionnelle de 2008 (réservé aux lois de finances, de financement de la sécurité sociale, et une seule fois par session parlementaire pour d’autres textes), il reste un moyen de pression fort et parfois controversé, comme lors de la réforme des retraites en 2023.

    • Lors des débats sur la réforme des retraites en mars 2023, la Première ministre Élisabeth Borne a activé cet article pour adopter le texte sans vote, en raison de divisions au sein de la majorité et de l’opposition virulente de certains groupes parlementaires. Cela a suscité un intense débat public et parlementaire, plusieurs motions de censure ayant été déposées en réaction, bien qu’aucune n’ait finalement abouti.

Lorsque le texte est adopté dans l’Assemblée où il a été déposé, il est transmis à l’autre assemblée pour poursuivre le processus législatif. Si cette seconde assemblée n’y apporte aucune modification, la procédure législative est achevée. Dans le cas contraire, la procédure de navette parlementaire s’engage.



4) La navette parlementaire

La navette parlementaire, prévue par l’article 45 de la Constitution, permet d’obtenir un accord des deux chambres sur un texte dans des termes identiques. Ce processus de navette se poursuit jusqu’à l’adoption d’un texte commun.

  • Fonctionnement de la navette et possibilité d’interruption
    Le gouvernement peut interrompre la navette après deux lectures dans chaque chambre ou une seule lecture en cas de procédure accélérée (qui peut être contestée si les présidents des deux assemblées s’y opposent conjointement). En cas de désaccord persistant, une commission mixte paritaire (CMP) composée de 7 sénateurs et 7 députés est convoquée pour élaborer un compromis sur les points de divergence.

  • Commission mixte paritaire (CMP)
    La CMP joue un rôle crucial pour sortir de l’impasse en tentant de produire un texte de compromis. Le gouvernement conserve la possibilité d’opter pour la CMP ou de laisser la navette se poursuivre. En cas d’échec de la CMP à dégager un accord, l’Assemblée nationale peut être amenée à statuer seule sur le texte.

La réforme de 2008 a apporté de nouvelles garanties pour renforcer le contrôle parlementaire en matière de navette, en particulier pour les propositions de loi. L’article 45 alinéa 3 donne aux présidents des deux assemblées le pouvoir de convoquer une CMP, et non seulement au Premier ministre, en cas de proposition de loi. Les présidents des deux assemblées disposent également d’un droit de veto, en cas de procédure accélérée, lorsqu’une commission mixte est convoquée à l’initiative du gouvernement.

Lors de l’examen de la loi Climat et Résilience en 2021, les divergences entre l’Assemblée nationale et le Sénat ont été tranchées en CMP, permettant l’adoption finale du texte dans une version de compromis. Cette commission mixte a permis de maintenir certains points essentiels du texte tout en intégrant des amendements proposés par le Sénat, notamment sur la réduction des émissions de gaz à effet de serre dans les secteurs de l’industrie et du transport.



c) La promulgation et la publication

Les dernières étapes de la procédure législative, promulgation et publication, relèvent exclusivement de l’exécutif et échappent au contrôle direct du Parlement. Une fois le texte adopté par les assemblées, il revient au Président de la République de promulguer la loi, lui donnant ainsi sa force exécutoire. Par la promulgation, le président constate l’existence de la loi et ordonne son application. La date du décret de promulgation devient également la date officielle de la loi.

Délai et possibilités de contrôle avant promulgation

Le Président dispose d’un délai de 15 jours pour promulguer la loi, mais deux événements peuvent survenir pendant ce laps de temps :

  1. Contrôle de constitutionnalité (Article 61, alinéa 2 de la Constitution)
    Le Président, comme le Premier ministre, le président de chaque assemblée ou encore soixante députés ou sénateurs, peut saisir le Conseil constitutionnel pour vérifier la conformité de la loi à la Constitution. Si le Conseil déclare la loi inconstitutionnelle (Article 61, alinéa 1), celle-ci ne peut être ni promulguée ni appliquée.

    Exemples récents : En 2023, lors de l’adoption de la réforme des retraites, plusieurs recours au Conseil constitutionnel ont été déposés par des députés et sénateurs. Le Conseil a finalement validé la majorité des dispositions, sauf quelques-unes, permettant la promulgation immédiate du texte avec les modifications nécessaires.

  2. Demande de nouvelle délibération (Article 10, alinéa 2 de la Constitution)
    Le Président de la République peut aussi demander au Parlement de délibérer à nouveau sur le texte. Cette demande de relecture permet de corriger des éléments, notamment si un vice de procédure a été relevé ou si le Conseil constitutionnel a émis des réserves. Ce mécanisme permet d’éviter de recommencer entièrement le processus législatif.

    Exemple : En 2021, la loi sur la sécurité globale a fait l’objet de réserves du Conseil constitutionnel concernant certaines dispositions relatives à la liberté de la presse. Plutôt que de rejeter la loi en bloc, le Conseil a émis des réserves d’interprétation, et le gouvernement a demandé au Parlement de modifier certaines parties du texte pour se conformer aux exigences constitutionnelles.

La publication et l’entrée en vigueur

Une fois promulguée, la loi est publiée au Journal officiel par le Premier ministre, marquant son entrée en vigueur, sauf mention contraire fixant une date ultérieure. Le gouvernement gère ensuite les décrets d’application nécessaires à la mise en œuvre pratique de la loi, qui relèvent souvent des ministères concernés.

La maîtrise gouvernementale de la procédure

L’exécutif conserve une grande influence sur le processus législatif, notamment par le choix des textes inscrits à l’ordre du jour, la procédure accélérée (ou article 49-3) et, en cas de besoin, par la promulgation conditionnée à des ajustements. Cette maîtrise peut aller jusqu’à contourner en partie le Parlement pour l’adoption de certains textes, en particulier par voie d’ordonnances (article 38 de la Constitution).

Exemple : Lors de la crise sanitaire liée à la Covid-19, de nombreuses mesures d’urgence ont été adoptées par ordonnances, permettant au gouvernement de prendre des décisions rapides et de les soumettre au Parlement pour ratification a posteriori.


II ) La mise à l’écart du Parlement dans l’adoption de certains textes à valeur législative

Sous la Ve République, certains mécanismes permettent d’adopter des textes à valeur législative sans une implication directe du Parlement. S’ils visent à répondre à des situations spécifiques ou à accélérer des réformes, ces dispositifs peuvent parfois réduire le rôle du Parlement, soulevant ainsi des questions sur la démocratie représentative.

a) Les lois référendaires (article 11 de la Constitution)

Les lois référendaires permettent au président de la République de faire adopter une loi directement par le peuple, en contournant l’approbation parlementaire. Fondées sur l’article 11 de la Constitution, elles confèrent une légitimité populaire aux décisions prises, mais marginalisent le Parlement.

  • Exemple historique : La loi référendaire du 6 novembre 1962, adoptée sous Charles de Gaulle, a instauré l’élection du président de la République au suffrage universel direct. Cette réforme, acceptée par les Français, a renforcé le lien entre le chef de l’État et les citoyens tout en accentuant la marginalisation des parlementaires dans ce processus de décision.

  • Exemples récents : En 2021, un projet de référendum a été envisagé pour inscrire la protection de l’environnement dans la Constitution. Bien qu’annoncé, ce référendum n’a pas abouti en raison de l’absence d’accord entre les chambres parlementaires, illustrant la complexité du recours à l’article 11 pour des questions d’envergure constitutionnelle.

b) Les mesures prises sur le fondement de l’article 16 de la Constitution

L’article 16 de la Constitution permet au président de la République de cumuler les pouvoirs exécutifs et législatifs en cas de crise grave, lorsqu’il y a menace sur les institutions, l’intégrité du territoire ou l’indépendance nationale. Cette disposition d’exception, assimilée à une forme de « dictature temporaire », donne au président des pouvoirs étendus pour prendre des décisions immédiates.

  • Exemple d’application : La seule activation de l’article 16 remonte à 1961, durant le putsch des généraux en Algérie. Ce mécanisme a permis à Charles de Gaulle de stabiliser la situation sans passer par le Parlement, ce qui a suscité des critiques sur la concentration des pouvoirs.

  • Encadrement renforcé : Depuis la révision constitutionnelle de 2008, le Conseil constitutionnel est chargé d’examiner l’utilisation de l’article 16 après 30 jours pour éviter tout abus. Cette réforme a renforcé le contrôle sur ce dispositif, le limitant aux situations de crise majeure.

c) Les ordonnances de l’article 38 de la Constitution

Les ordonnances permettent au gouvernement, sur autorisation parlementaire, de légiférer temporairement dans des domaines réservés au législatif. L’article 38 encadre leur utilisation, mais dans la pratique, ce dispositif est devenu un outil majeur pour accélérer des réformes sensibles.

Fonctionnement et étapes des ordonnances

  1. Loi d’habilitation : Le Parlement vote une loi d’habilitation qui fixe le cadre dans lequel le gouvernement peut prendre des ordonnances, y compris la durée de la délégation de pouvoir et la date limite pour déposer un projet de loi de ratification.

  2. Prise des ordonnances : Après avis du Conseil d’État, les ordonnances sont prises en Conseil des ministres, puis signées par le président de la République. Pendant cette période, elles ont une valeur réglementaire et peuvent être contestées devant le Conseil d’État.

  3. Ratification : Pour obtenir une valeur législative, les ordonnances doivent être ratifiées par le Parlement. Sans ratification, elles restent des actes réglementaires. Avant 2008, certaines ordonnances recevaient une ratification « automatique » dans le cadre de dispositions d’habilitation élargies, mais la révision de 2008 interdit désormais cette pratique, renforçant le contrôle parlementaire.

Usage accru des ordonnances

  • Exemples : Le recours aux ordonnances s’est intensifié pour des réformes complexes et urgentes. En 2017, les ordonnances ont permis une réforme rapide du Code du travail, visant à flexibiliser les règles d’embauche et de licenciement pour favoriser l’emploi. En 2018, elles ont été utilisées pour la réorganisation de la SNCF. Plus récemment, durant la crise sanitaire de 2020-2021, les ordonnances ont permis des adaptations rapides des conditions de travail et de mesures économiques d’urgence, montrant l’utilité de ce mécanisme en situation de crise.

Ce dispositif a toutefois soulevé des critiques, car il limite le débat parlementaire.

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