LE POUVOIR CONSTITUANT

Le pouvoir constituant désigne l’autorité compétente pour élaborer ou réviser une constitution, c’est-à-dire pour établir les règles fondamentales qui régissent l’exercice du pouvoir politique dans un État. Par essence, ce pouvoir appartient au souverain, car il définit les limitations et l’organisation du pouvoir souverain dans l’État.

Cette notion repose sur le principe de l’autolimitation du souverain, selon lequel seul le souverain peut fixer les bornes de son propre pouvoir. Ainsi, lorsque la souveraineté évolue, passant par exemple d’une monarchie absolue à une souveraineté populaire, les modalités d’exercice du pouvoir constituant changent également.

I. Évolution historique

1. Le pouvoir constituant sous la souveraineté monarchique

Dans les régimes monarchiques, le pouvoir constituant est exercé par le roi en tant qu’unique détenteur de la souveraineté. Deux procédés illustrent cette période :

  • L’octroi
    Le roi établit une constitution qu’il « accorde » à ses sujets. Ce procédé est un acte unilatéral dans lequel le souverain limite volontairement son pouvoir.
    Exemples historiques :

    • En France, la Charte constitutionnelle de 1814, octroyée par Louis XVIII lors de la Restauration.
    • En Russie, la Constitution de 1905, octroyée par le Tsar Nicolas II sous la pression des mouvements révolutionnaires.
  • Le pacte
    Contrairement à l’octroi, le pacte résulte d’une négociation entre le roi et ses sujets. Cette démarche implique la reconnaissance implicite d’une légitimité populaire ou nationale.
    Exemple historique :

    • La Charte de 1830, issue de la Monarchie de Juillet sous Louis-Philippe, est un exemple de constitution négociée entre le roi et le peuple, marquant une transition vers une souveraineté partagée.

2. Le pouvoir constituant sous la souveraineté démocratique

Avec l’avènement de la souveraineté populaire ou nationale, le pouvoir constituant passe du roi au peuple. Ce changement s’accompagne de nouvelles méthodes d’élaboration constitutionnelle, fondées sur la participation démocratique :

  • L’assemblée constituante
    Les représentants élus par le peuple sont spécialement mandatés pour rédiger une nouvelle constitution. Ce procédé combine la souveraineté populaire avec la représentation, permettant une élaboration approfondie et collective du texte.
    Exemples historiques :

    • La Convention nationale en France (1792-1795), chargée de rédiger la première République française.
    • L’Assemblée constituante tunisienne (2011-2014), qui a élaboré la constitution après la révolution.
  • Le référendum
    Pour s’assurer que le texte élaboré correspond à la volonté populaire, il peut être soumis à une ratification par référendum. Ce procédé renforce la légitimité démocratique de la constitution.
    Exemple :

    • La Constitution française de 1958, approuvée par référendum le 28 septembre 1958, marquant la naissance de la Vème République.

3. Le pouvoir constituant dérivé

Le pouvoir constituant dérivé se distingue du pouvoir constituant originaire. Tandis que ce dernier est exercé lors de l’établissement initial de la constitution, le pouvoir constituant dérivé intervient pour modifier ou réviser une constitution existante.

  • Modalités démocratiques ou représentatives
    La révision d’une constitution peut être confiée au peuple, à travers un référendum, ou à des représentants (parlement ou assemblée ad hoc).

    • En France, l’article 89 de la Constitution de 1958 prévoit que les révisions constitutionnelles peuvent être approuvées par référendum ou par le Congrès (réunion des deux chambres du Parlement) avec une majorité qualifiée.
  • Une intervention moins directe du peuple
    La modification d’une constitution est souvent considérée comme un acte moins fondamental que son établissement. Par conséquent, l’intervention directe du peuple est moins systématique et peut être évitée, à condition que la procédure suive des règles établies garantissant sa légitimité.

 

II. L’établissement des constitutions et le pouvoir constituant originaire

Lorsqu’un État traverse une rupture totale avec l’ordre ancien, entraînant la nécessité de reconstruire les fondements du régime politique, la question de l’élaboration d’une nouvelle constitution se pose. Ce contexte, souvent qualifié de « table rase », se produit dans les cas de création d’un nouvel État, de révolution politique, ou de disparition de l’ancien régime (ex. : l’effondrement de l’URSS en 1991). Dans ces circonstances, la légitimité démocratique impose que le peuple joue un rôle central dans l’établissement de la nouvelle constitution. Deux procédés principaux sont généralement utilisés : l’assemblée constituante et le référendum direct.

A) L’assemblée constituante

Une assemblée constituante est une assemblée élue par le peuple avec pour mandat explicite de rédiger une nouvelle constitution. Elle peut également cumuler un rôle législatif temporaire, en plus de ses fonctions constituantes. Ce procédé, historiquement éprouvé, reste pertinent et utilisé dans les situations de transition démocratique.

Exemples historiques

  • États-Unis (1787) : La Convention de Philadelphie élabora la Constitution américaine, encore en vigueur aujourd’hui.
  • France : L’Assemblée constituante de 1789-1791 qui posa les bases de la première Constitution française. D’autres exemples incluent les assemblées de 1848, 1871, et celles de 1945-1946 pour la IVe République.
  • Europe de l’Est (post-1990) : Après la chute des régimes communistes, plusieurs pays ont établi leurs nouvelles constitutions par des assemblées constituantes (ex. : Pologne, Hongrie, République tchèque).

Modalités d’approbation des projets constituants

  1. Assemblées souveraines
    L’assemblée adopte directement le texte, qui entre en vigueur sans être soumis à l’approbation populaire.
    Exemples :

    • France (1791, 1848, 1875).
    • Grèce (1975) et Portugal (1976).
  2. Assemblées limitées
    L’assemblée soumet le texte qu’elle a élaboré à un référendum populaire pour approbation. Si le peuple rejette le texte, une révision ou une refonte complète est nécessaire.
    Exemples :

    • France (IVe République) : Deux projets constitutionnels furent présentés en 1946. Le premier, proposé en avril, fut rejeté en mai. Le second, élaboré par une nouvelle assemblée constituante, fut adopté en octobre.
    • Espagne : La Constitution de 1978, élaborée par les Cortes Generales, fut approuvée par référendum le 6 décembre 1978.

B) Le référendum direct

Dans ce procédé, le peuple est uniquement invité à ratifier un texte élaboré par le pouvoir en place, sans participer à sa rédaction, ni directement, ni via une assemblée constituante. Le texte est généralement rédigé par l’exécutif provisoire ou par un gouvernement bénéficiant d’une délégation de pouvoir.

Exemples historiques

  1. Constitutions napoléoniennes

    • Constitution de l’an VIII (1799), de l’an X (1802), et de l’an XII (1804). Ces constitutions furent ratifiées par plébiscite.
    • Acte additionnel de 1815.
  2. Constitution de 1958 (Ve République)
    Le général de Gaulle et son gouvernement furent mandatés par l’Assemblée nationale pour rédiger une nouvelle constitution. Le texte, préparé en collaboration avec des experts (dont Michel Debré), fut adopté par référendum le 28 septembre 1958, avec près de 80 % d’approbation.

  3. États nouveaux
    Le référendum direct est souvent utilisé dans les États nouvellement indépendants pour légitimer rapidement une rupture avec l’ordre ancien. C’est un outil pour légaliser des transitions souvent initiées par un pouvoir de fait.

Avantages et limites

Critères Assemblée constituante Référendum direct
Participation populaire Participation indirecte via des représentants élus. Participation limitée à la ratification du texte.
Légitimité démocratique Forte (représentation du peuple et débats). Peut être perçue comme limitée (texte imposé).
Efficacité Plus long et complexe. Rapide, mais moins transparent.
Flexibilité Permet des ajustements et débats approfondis. Peu d’espace pour des corrections une fois le texte soumis.

Combinaison des deux procédés

Le cumul des deux procédés est souvent considéré comme une solution idéale : une assemblée constituante élabore la constitution, et le peuple la ratifie par référendum. Ce modèle assure une double légitimité démocratique et garantit une large acceptabilité du texte.
Exemple : La France en 1946, où le premier projet de constitution fut rejeté, démontrant que la ratification populaire n’est pas une simple formalité.

 

III. La révision des constitutions et le pouvoir constituant institué

Le pouvoir constituant institué est celui prévu et organisé par les institutions en place pour permettre la révision de la constitution. Ce mécanisme repose sur l’idée que la constitution, bien que fondamentale, doit pouvoir être adaptée aux évolutions politiques, sociales ou économiques. Cependant, la procédure de révision doit être plus exigeante que celle utilisée pour une loi ordinaire, afin de préserver la stabilité et la suprématie de la constitution.

A) L’initiative de la révision

L’initiative de réviser la constitution peut être confiée à différentes autorités politiques (exécutif, législatif, voire directement au peuple), selon les priorités du régime politique concerné.

En France

  • Sous la IVe République, l’initiative était principalement centrée sur le parlement, reflétant le caractère parlementaire du régime.
  • Sous la Ve République, l’article 89 de la constitution attribue l’initiative au Président de la République, sur proposition :
    • soit du Premier ministre,
    • soit des membres du Parlement.

L’article 89 établit ainsi un équilibre entre l’exécutif et le législatif. Par ailleurs, l’utilisation de l’article 11, relatif aux référendums législatifs, a été détournée en 1962 et 1969 par le général de Gaulle pour réviser la constitution. Cette interprétation controversée visait à contourner les procédures contraignantes de l’article 89.

Exemples internationaux

  • États-Unis : L’initiative de révision appartient :
    • soit à 2/3 des membres du Congrès,
    • soit à 2/3 des États fédérés.
  • Suisse : Les citoyens peuvent initier une révision par le biais d’une initiative populaire. Ce modèle reflète une démocratie directe, bien que cette possibilité reste limitée dans d’autres systèmes.
  • Italie : Une procédure similaire existe, mais elle est moins utilisée que dans le cas suisse.

Les travaux préparatoires

Dans certains cas, l’initiative peut être accompagnée de travaux d’experts pour éclairer le débat. Par exemple, en France, le comité présidé par Georges Vedel (1992-1993) a joué un rôle clé dans la réflexion sur une révision constitutionnelle. Ce type de démarche peut renforcer la légitimité et la qualité des révisions proposées.

 

B) projet de révision

Un projet de révision, qu’il émane de l’exécutif ou du législatif, doit être soumis à une procédure complexe avant son adoption :

  1. Passage devant les deux chambres :

    • En France, un projet doit être voté en termes identiques par l’Assemblée nationale et le Sénat.
    • Le rôle des deux chambres garantit un équilibre institutionnel et une validation approfondie du texte.
  2. Adoption finale :

    • La révision peut être soumise à référendum populaire ou, en France, au Congrès (réunion des deux chambres à Versailles), nécessitant une majorité qualifiée des 3/5 des suffrages exprimés.
    • Ces exigences visent à empêcher les révisions précipitées ou partisanes.

 

C) Problèmes et limites du pouvoir constituant institué

Complexité et détournements

La complexité de la procédure peut inciter à des contournements. En France, le général de Gaulle a utilisé l’article 11 pour soumettre directement des révisions constitutionnelles au référendum, court-circuitant l’article 89. Ce précédent a soulevé des débats sur la légitimité et les risques de telles pratiques.

La souveraineté populaire et l’autolimitation

Un enjeu fondamental réside dans la relation entre le peuple souverain et la constitution qu’il a instituée :

  • Si le peuple est lié par la procédure qu’il a adoptée, cela renforce l’idée d’un État de droit, où le souverain est soumis aux règles qu’il a lui-même fixées.
  • Si le peuple peut contourner ou modifier ces règles à tout moment, cela pourrait nuire à la stabilité constitutionnelle et miner la crédibilité des institutions.

Le rôle du référendum

Le référendum, instrument de souveraineté populaire, reste un outil controversé pour la révision constitutionnelle. Bien qu’il puisse renforcer la légitimité démocratique, il peut aussi être utilisé à des fins politiques, comme ce fut le cas sous le général de Gaulle. Ce débat pourrait ressurgir, notamment si des candidats à l’élection présidentielle proposent des révisions majeures.

Le cours complet de droit constitutionnel est divisé en plusieurs parties :

 

 

Isa Germain

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