LE PRÉAMBULE DE LA CONSTITUTION
La décision rendue par le Conseil constitutionnel le 16 juillet 1971 est un tournant majeur dans l’histoire constitutionnelle française. En déclarant la liberté d’association comme principe à valeur constitutionnelle, il consacre également la valeur normative du préambule de la Constitution de 1958. Cette décision élargit le champ des normes constitutionnelles en intégrant dans le bloc de constitutionnalité des textes essentiels, notamment la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, le préambule de la Constitution de 1946 et, plus récemment, la Charte de l’environnement de 2004.
Section 1 – Le texte du préambule de la constitution
Voici le texte du préambule de la Constitution : Le peuple français proclame solennellement son attachement aux Droits de l’homme et aux principes de la souveraineté nationale tels qu’ils ont été définis par la Déclaration de 1789, confirmée et complétée par le préambule de la Constitution de 1946, ainsi qu’aux droits et devoirs définis dans la Charte de l’environnement de 2004.
En vertu de ces principes et de celui de la libre détermination des peuples, la République offre aux territoires d’outre-mer qui manifestent la volonté d’y adhérer des institutions nouvelles fondées sur l’idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité et conçues en vue de leur évolution démocratique.
- Droit constitutionnel
- Les théorie sur l’origine de l’État
- La notion d’État : définition, fonction…
- Les éléments constitutifs de l’État : pouvoir, territoire, population
- Le pouvoir dans l’État : origine, organisation, légitimité
- La résistance au pouvoir : de la contestation à la révolution
- Les caractères de la norme juridique / règles de droit
I) Le préambule de la Constitution de 1958 : un socle normatif enrichi
A. Le contenu du préambule
Le préambule de la Constitution de 1958, tel que modifié par la loi constitutionnelle du 1er mars 2005, affirme solennellement l’attachement de la République à plusieurs textes fondamentaux :
- La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui établit les principes universels de liberté, d’égalité, de sûreté et de propriété.
- Le préambule de la Constitution de 1946, qui ajoute des droits économiques et sociaux, tels que le droit au travail, à la santé, et à la protection sociale.
- La Charte de l’environnement de 2004, qui consacre les droits liés à la protection de l’environnement, y compris le principe de précaution.
Par ailleurs, le préambule souligne le principe de libre détermination des peuples, en particulier dans les territoires d’Outre-Mer, pour leur permettre de participer à l’évolution démocratique dans le respect des valeurs républicaines.
B. Le bloc de constitutionnalité
La décision de 1971 élève le préambule et les textes auxquels il renvoie au rang de normes constitutionnelles. Ce « bloc de constitutionnalité » contient désormais :
- Les articles de la Constitution de 1958.
- Le préambule de 1958 et les textes auxquels il fait référence.
- Les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR).
Cette évolution permet au Conseil constitutionnel de contrôler la conformité des lois non seulement aux articles explicites de la Constitution, mais aussi aux droits et principes proclamés dans le préambule.
II) Enjeux et portée de la reconnaissance du préambule
A. L’universalité des droits fondamentaux
L’intégration des textes révolutionnaires comme la Déclaration de 1789 donne à la Constitution de 1958 une portée universelle. La liberté, l’égalité et la souveraineté nationale ne sont pas seulement des principes nationaux, mais des idéaux partagés à l’échelle internationale. Le contrôle constitutionnel garantit que ces droits sont protégés dans le cadre des lois françaises.
B. L’élargissement des droits sociaux et environnementaux
Avec l’ajout du préambule de 1946 et de la Charte de l’environnement de 2004, les droits constitutionnels ne se limitent plus aux libertés barrières, qui protègent l’individu contre l’État. Ils incluent désormais des libertés créances, qui obligent l’État à agir pour garantir des droits tels que :
- Le droit au logement.
- Le droit à la santé.
- Le droit à un environnement sain.
Cette évolution reflète un passage de l’État gendarme à l’État providence et, plus récemment, à un État soucieux des enjeux environnementaux.
C. Une base pour le contrôle constitutionnel
La décision de 1971 renforce le rôle du Conseil constitutionnel en lui donnant la possibilité de censurer des lois contraires aux principes du préambule. Par exemple :
- En 1995, il reconnaît le droit au logement comme un objectif à valeur constitutionnelle.
- En 2008, il valide des mesures de précaution environnementales sur la base de la Charte de l’environnement.
Section 2 – Les déclarations des droits
Les déclarations des droits occupent une place centrale dans l’histoire des régimes démocratiques et constitutionnels. Elles visent à affirmer les droits fondamentaux des individus, leur protection contre les abus et à guider les gouvernements dans l’organisation d’une société juste. Ces textes, qu’ils soient sous forme de préambules, de déclarations autonomes ou intégrés dans les constitutions, ont évolué au fil des siècles, reflétant les contextes sociaux, politiques et philosophiques.
I) Existence générale des déclarations des droits au préambule
1. Origine et évolution des déclarations des droits
A. Les prémices : Magna Carta et Habeas Corpus
L’idée de protéger les droits des individus face au pouvoir remonte à la Magna Carta de 1215, un texte imposé au roi Jean Sans Terre par les barons d’Angleterre, qui limite le pouvoir royal. Plus tard, l’Habeas Corpus Act de 1679 en Angleterre introduit une garantie fondamentale : l’interdiction des détentions arbitraires, jetant les bases de la sûreté individuelle.
Ces textes initiaux posent le cadre d’un état de droit où la liberté individuelle est un principe structurant.
B. Les déclarations révolutionnaires
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États-Unis
Les premières déclarations modernes émergent durant la révolution américaine. La Déclaration d’indépendance des États-Unis (1776) proclame les droits inaliénables de l’individu, et les amendements de 1791 à la Constitution américaine (Bill of Rights) garantissent la liberté d’expression, de religion et d’association, ainsi que la protection contre les abus étatiques. -
France
En France, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 reste un texte fondamental. Elle s’inspire des philosophes des Lumières comme Rousseau (volonté générale), Montesquieu (séparation des pouvoirs) et Locke (droits naturels). Ce texte consacre :- La liberté individuelle (articles 1 et 4).
- L’égalité juridique (article 1).
- La souveraineté nationale (article 6).
- La sûreté et la propriété (articles 2 et 17).
Ces déclarations posent les fondements des « libertés barrières » : elles définissent des limites au pouvoir de l’État pour préserver les droits des citoyens.
2. Les évolutions au XIXe et XXe siècles
A. Du formalisme juridique à l’élargissement des droits
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Critiques marxistes et émergence des droits sociaux
Les révolutions industrielles et les inégalités croissantes ont conduit à critiquer l’individualisme des déclarations de droits classiques. Des penseurs, notamment marxistes, ont dénoncé l’illusion d’une égalité purement juridique dans un contexte d’inégalités sociales et économiques.
Ainsi, les droits sociaux (éducation, santé, travail) émergent comme des revendications nouvelles à la fin du XIXe siècle. En France, les grandes lois de la Troisième République (liberté de presse, liberté syndicale, école gratuite et obligatoire) traduisent cette évolution. -
Reconnaissance des libertés créances
Au XXe siècle, les déclarations intègrent des droits créances, par lesquels les citoyens demandent des prestations positives de l’État. L’idée de l’État-providence émerge, garantissant :- Droits économiques et sociaux : droit au travail, à la protection sociale, à l’éducation.
- Droits culturels : accès à la culture, protection des minorités.
Exemple notable : la Constitution française de 1946, qui inclut un préambule proclamant :
- Le droit à la santé, au repos, à l’éducation et à la sécurité sociale.
- L’égalité entre hommes et femmes dans tous les domaines.
B. Les droits de la troisième génération
À partir de la seconde moitié du XXe siècle, des droits de solidarité apparaissent. Ces droits transcendent les frontières nationales et concernent :
- La protection de l’environnement (Charte de l’environnement en France, 2004).
- Les droits des peuples à disposer d’eux-mêmes.
- La lutte contre l’exclusion sociale.
La fraternité (ou solidarité) devient un thème central des déclarations modernes. Elle illustre la trilogie républicaine (liberté, égalité, fraternité), chaque notion prenant une importance particulière à des époques distinctes :
- Fin XVIIIe siècle : rêve de liberté.
- XIXe siècle : quête d’égalité.
- XXe et XXIe siècles : consolidation de la solidarité.
3. Déclarations modernes et leur application
A. Les constitutions après la Seconde Guerre mondiale
Dans l’après-guerre, de nombreuses constitutions intègrent des déclarations des droits pour affirmer les valeurs démocratiques. Ces textes visent également à prévenir les dérives autoritaires.
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Exemples européens
- Constitution italienne (1947) : met l’accent sur les droits sociaux et le rôle de l’État dans la réalisation du bien-être.
- Constitution allemande (1949) : garantit les droits fondamentaux dès son préambule, tout en tirant les leçons des abus nazis (principe de dignité humaine).
- Constitution espagnole (1978) : renforce les droits sociaux et politiques après la transition démocratique post-franquiste.
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Pays ex-communistes
Après 1989, les pays d’Europe de l’Est adoptent des constitutions affirmant les droits fondamentaux dans un contexte de transition démocratique. Ex. : la Constitution polonaise (1997).
B. L’Union européenne et les droits fondamentaux
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Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
Adoptée en 2000, cette charte regroupe les droits civils, politiques, économiques et sociaux. Elle s’inspire des traditions constitutionnelles communes aux États membres et intègre les droits des générations précédentes :- Libertés classiques : liberté d’expression, de réunion.
- Droits sociaux : conditions de travail, sécurité sociale.
- Droits environnementaux : développement durable.
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Limites et défis
Le passage des déclarations à l’effectivité reste un défi. Si les droits sont proclamés, leur mise en œuvre dépend des moyens alloués par les États ou les juridictions compétentes. Par exemple :- Loi DALO (2007) : La loi sur le droit au logement opposable a permis aux citoyens sans domicile ou mal logés de saisir l’État pour obtenir un logement décent. Cependant, malgré cette avancée :
- Les demandes DALO dépassent les capacités de logement disponibles, surtout dans les grandes agglomérations comme Paris, Lyon ou Marseille.
- Les procédures judiciaires pour faire valoir ce droit sont longues, laissant de nombreux demandeurs dans des situations précaires.
- Le manque de logements sociaux disponibles limite l’efficacité de la loi.
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Le droit à un environnement sain : La Charte de l’environnement de 2004 a introduit des droits ambitieux comme le principe de précaution. Cependant :
- Des conflits d’intérêts économiques freinent leur application, notamment sur des projets d’infrastructure (exemple : Notre-Dame-des-Landes).
- Les procédures judiciaires environnementales sont souvent longues et coûteuses, limitant l’accès des citoyens à ces protections.
- L’objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre (inscrit dans la loi énergie-climat) est loin d’être atteint, comme l’a souligné le Conseil d’État en 2021, en condamnant l’État pour inaction climatique.
- Loi DALO (2007) : La loi sur le droit au logement opposable a permis aux citoyens sans domicile ou mal logés de saisir l’État pour obtenir un logement décent. Cependant, malgré cette avancée :
II) Le cas de la France contemporaine
Aujourd’hui, le système français de déclaration des droits repose sur une structure issue d’un empilement historique de textes fondamentaux. Ces textes, imbriqués comme des poupées russes, s’inscrivent dans une continuité qui remonte à la Déclaration de 1789, enrichie par les apports de 1946, et étendue plus récemment par des contributions modernes comme la Charte de l’environnement de 2005.
1. Une déclaration construite par l’histoire
A. La Déclaration de 1789 : l’héritage révolutionnaire
La Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, qui figure explicitement dans le préambule de la Constitution de 1958, reste la pierre angulaire du système. Elle synthétise les idéaux des Lumières (liberté, égalité, souveraineté nationale) et pose des libertés barrières, protégeant l’individu contre les abus du pouvoir étatique. Parmi ses contributions majeures :
- La garantie des libertés individuelles et collectives.
- La consécration de la propriété privée comme droit inviolable (article 17).
- L’idée que la loi est l’expression de la volonté générale (article 6).
Ces principes, bien que formulés à la fin du XVIIIe siècle, continuent d’influencer la jurisprudence et les pratiques législatives contemporaines.
B. Le préambule de 1946 : l’extension aux droits sociaux
La Constitution de 1946, qui succède à la Seconde Guerre mondiale, enrichit cette tradition en y ajoutant des droits sociaux et économiques, souvent qualifiés de libertés créances. Le préambule de 1946 fait référence aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », consolidant les conquêtes démocratiques du XIXe siècle (liberté d’association, liberté syndicale, liberté de la presse, etc.).
Il proclame également des droits considérés comme « particulièrement nécessaires à notre temps » :
- Égalité des sexes : en particulier dans la sphère politique, renforcée par la révision constitutionnelle de 1999 sur la parité.
- Droits sociaux et économiques : droit au travail, droit syndical, droit de grève (encadré par la loi), droit à la santé et à la protection sociale.
- Droits culturels et éducatifs : droit à l’instruction, à la culture, et à un développement harmonieux.
Le préambule de 1946 se distingue par son approche volontariste, assignant à l’État la responsabilité active de garantir ces droits, transformant ainsi le rôle de l’État de simple protecteur à fournisseur de prestations positives.
C. La Constitution de 1958 et l’apport moderne de la Charte de l’environnement
La Constitution de la Cinquième République ne crée pas de nouveaux droits fondamentaux, mais elle intègre les acquis des régimes précédents. Le préambule de 1958 se contente d’entériner la Déclaration de 1789 et le préambule de 1946.
Cependant, en 2005, la Charte de l’environnement est adossée à la Constitution. Elle introduit des droits environnementaux inédits, tels que :
- Le droit à un environnement sain.
- Le principe de précaution.
- L’obligation pour chacun de contribuer à la préservation de l’environnement.
La Charte constitue l’un des rares apports récents au bloc de constitutionnalité et reflète les préoccupations contemporaines liées à la crise écologique.
2. Une valeur juridique et normative
La principale question concernant ces déclarations des droits est leur portée juridique. Ces textes ne sont pas de simples déclarations philosophiques : ils ont une valeur normative, consolidée par la jurisprudence et l’action des juridictions nationales.
A. Les textes intégrés au bloc de constitutionnalité
Depuis la décision Liberté d’association (1971) du Conseil constitutionnel, le préambule de la Constitution de 1958, incluant la Déclaration de 1789, le préambule de 1946, et la Charte de l’environnement, est reconnu comme ayant la même valeur que les articles de la Constitution. Cela signifie que ces textes :
- Protègent les droits fondamentaux contre toute atteinte législative.
- Peuvent être invoqués dans le cadre du contrôle de constitutionnalité.
B. Les principes à valeur constitutionnelle et les droits invocables
Certains principes, qualifiés de principes fondamentaux reconnus par les lois de la République (PFRLR), sont également intégrés au bloc constitutionnel. Par exemple :
- La liberté d’association (décision de 1971).
- L’indépendance des professeurs d’université (décision de 1984).
Ces principes, issus de la tradition républicaine, permettent de garantir la stabilité des libertés fondamentales tout en les adaptant à des contextes changeants.
C. L’essor des « objectifs à valeur constitutionnelle »
Par ailleurs, les droits sociaux, bien que parfois critiqués pour leur caractère programmatique, sont régulièrement interprétés comme des objectifs à valeur constitutionnelle. Par exemple :
- Le droit au logement (décision du 19 janvier 1995).
- La protection de la santé publique (décisions récentes sur les mesures liées à la pandémie de Covid-19).
Cependant, leur mise en œuvre dépend de la volonté et des moyens des pouvoirs publics, ce qui limite parfois leur effectivité.
3. Défis et perspectives
A. Les lacunes dans l’effectivité des droits
Le passage des droits proclamés à leur effectivité concrète reste un défi majeur. On a vu l’exemple de la loi DALO (2007) qui tente de garantir le droit au logement, la concrétisation de ce droit n’est pas aisée. Voici d’autres exempes :
B. L’évolution des droits fondamentaux
Les défis contemporains, tels que la crise climatique, les migrations, et les inégalités sociales, appellent à une mise à jour des droits fondamentaux. La question de l’introduction de nouveaux droits dans la Constitution, par exemple des droits numériques (protection des données personnelles) ou des droits liés à l’intelligence artificielle, commence à émerger dans le débat public.
C. La tension entre libertés et sécurité
Dans un contexte de lutte contre le terrorisme et les crises sanitaires, les gouvernements ont parfois restreint certaines libertés fondamentales (ex. : état d’urgence ou mesures de confinement). Cette tension pose la question de l’équilibre entre les droits individuels et les exigences collectives.