L’irresponsabilité Présidentielle.

 

L’irresponsabilité présidentielle découle d’une tradition des régimes parlementaires où le chef de l’État est politiquement et juridiquement protégé. Sous la Cinquième République, cette tradition est maintenue, bien que le président y dispose de pouvoirs bien plus étendus que sous les régimes précédents. La révision constitutionnelle de 2007 a précisé les contours de cette irresponsabilité, tout en introduisant des nuances pour encadrer son exercice.

&1. L’irresponsabilité de droit.

A) Une irresponsabilité absolue dans l’exercice de ses fonctions

L’article 67 de la Constitution précise que le président n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité.

  • Cette irresponsabilité est absolue et s’étend à tous les actes réalisés dans l’exercice de ses fonctions.
  • Elle s’applique durant et après le mandat, garantissant ainsi une protection permanente pour les actions liées à ses fonctions présidentielles.

B) Les limites à l’irresponsabilité

Deux exceptions notables à cette règle :

  1. Poursuite devant la Cour pénale internationale (CPI) :
    L’article 53-2 de la Constitution prévoit que le président peut être jugé par la CPI pour des crimes graves (crimes de guerre, crimes contre l’humanité, etc.).

    • Par exemple, si un président est impliqué dans des violations massives des droits humains, il pourrait être poursuivi après la fin de son mandat.
  2. Procédure de destitution (article 68) :
    La révision de 2007 a instauré une procédure permettant de destituer un président en cas de manquement manifeste à ses devoirs, notamment en cas d’abus graves de ses fonctions. Cette procédure repose sur :

    • L’initiative parlementaire pour réunir la Haute Cour.
    • Une décision adoptée à une majorité des deux tiers.
      Si cette destitution est votée, elle met fin immédiatement au mandat du président.

&2. La responsabilité de fait devant le peuple.

 

A) Le contrôle indirect par les urnes

Même si le président est juridiquement irresponsable pour les actes accomplis dans le cadre de ses fonctions, il demeure responsable de fait devant le peuple, notamment à travers :

  • L’élection présidentielle :

    • Lorsqu’il se représente, l’élection constitue une forme de jugement sur son bilan.
    • Exemple : la défaite de Valéry Giscard d’Estaing en 1981 a été perçue comme une sanction de sa gestion économique et politique.
  • Les élections législatives :

    • Si le président perd sa majorité parlementaire, cela reflète une contestation de son action.
    • Exemple : En 1986, François Mitterrand a dû composer avec une cohabitation après la victoire de la droite aux législatives.
  • Les référendums :

    • Utilisés comme un plébiscite, ces consultations peuvent renforcer ou affaiblir la légitimité présidentielle.
    • Exemple : Charles de Gaulle a démissionné en 1969 après l’échec du référendum sur la réforme du Sénat, bien que cette question n’ait pas directement concerné son mandat.

B) Les risques politiques en cas d’échecs

La perte d’une majorité parlementaire ou l’échec d’un référendum affaiblissent considérablement l’autorité du président, même s’ils ne remettent pas en cause sa fonction. Cela peut entraîner une cohabitation ou des difficultés à gouverner efficacement.

&3. La responsabilité pénale du chef de l’état.

 

La révision constitutionnelle de 2007 a profondément modifié le régime de responsabilité pénale du chef de l’État en réécrivant les articles 67 et 68 de la Constitution. Elle a mis fin au régime antérieur qui reposait sur la notion de « haute trahison » et introduit un cadre plus précis, tout en instituant une nouvelle procédure de destitution.

A) Le nouvel article 67 : l’irresponsabilité pénale temporaire

L’article 67 organise une immunité temporaire et une responsabilité différée du président pour les actes accomplis avant ou pendant son mandat.

1. Principe d’inviolabilité durant le mandat

  • Aucune procédure judiciaire ne peut être engagée contre le président pendant la durée de son mandat, que ce soit pour des actes accomplis avant son élection ou pendant son exercice.
  • Le président ne peut pas être convoqué comme témoin, mis en cause comme accusé ou défendeur dans une action judiciaire, y compris civile ou administrative.

Cette immunité vise à protéger la fonction présidentielle et à éviter que le chef de l’État soit entravé dans l’exercice de ses missions par des procédures judiciaires.

2. Responsabilité différée après le mandat

À la fin de son mandat, un délai d’un mois s’écoule avant que le président puisse être poursuivi pour des actes détachables de ses fonctions.

  • Exemples récents :
    • Jacques Chirac a été condamné en 2011 pour des faits remontant à son mandat de maire de Paris, soit plus de 15 ans après les faits.
    • Nicolas Sarkozy a fait l’objet de plusieurs procédures après la fin de son mandat, notamment dans les affaires Bettencourt, Bygmalion et des soupçons de financement libyen.

3. Suspension des délais de prescription

Les délais de prescription sont suspendus pendant l’exercice du mandat présidentiel, afin d’éviter que l’immunité temporaire ne permette de contourner la justice.

4. Immunité non étendue aux collaborateurs

Dans un arrêt de la Cour de cassation du 19 décembre 2012, il a été précisé que cette immunité présidentielle ne s’étend pas aux membres de son cabinet ou à ses collaborateurs. Cet arrêt a notamment été rendu dans le cadre des enquêtes sur les sondages de l’Élysée sous la présidence de Nicolas Sarkozy.

B) Le nouvel article 68 : la procédure de destitution

La révision de 2007 a introduit une procédure de destitution inédite pour des manquements graves dans l’exercice de la fonction présidentielle.

1. Fondement : le « manquement manifestement incompatible »

Selon l’article 68, le président peut être destitué uniquement en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat.

  • Ce manquement est interprété de manière restrictive et concerne uniquement les actes qui empêchent le président d’exercer ses fonctions (non-respect de ses obligations constitutionnelles, par exemple).
  • Exemples possibles : un refus systématique de promulguer des lois ou un abus manifeste de ses pouvoirs constitutionnels.

2. Une sanction politique

La destitution est une sanction exclusivement politique : elle ne relève ni du civil, ni du pénal, ni de l’administratif. Elle met simplement fin au mandat présidentiel.

3. Procédure de destitution

La procédure se déroule en plusieurs étapes :

  • Initiative parlementaire :

    • Une proposition de destitution doit être adoptée par l’une des deux chambres du Parlement.
    • La proposition doit être signée par au moins un dixième des membres de l’Assemblée nationale ou du Sénat.
  • Vote des deux chambres :

    • La proposition est transmise à l’autre chambre.
    • Elle doit être adoptée à la majorité des 2/3 des membres dans chaque chambre.
  • Réunion de la Haute Cour :

    • La Haute Cour, composée des membres des deux chambres, est convoquée pour statuer dans un délai d’un mois.
    • La présidence est assurée par le président de l’Assemblée nationale.
    • Le vote à bulletin secret exige une majorité des 2/3 des suffrages exprimés pour destituer le président.

4. Effet de la destitution

En cas de destitution :

  • La décision prend effet immédiatement.
  • La vacance de la présidence est constatée par le Conseil constitutionnel, et l’intérim est assuré par le président du Sénat jusqu’à une nouvelle élection présidentielle.

5. Une procédure encore théorique

Depuis son adoption, la procédure prévue par l’article 68 n’a jamais été mise en œuvre. Elle reste toutefois un outil symbolique, reflétant un équilibre entre immunité présidentielle et responsabilité politique.

Conclusion.  Les articles 67 et 68 de la Constitution illustrent le statut particulier du président de la République : une immunité renforcée pendant le mandat pour protéger la fonction, mais aussi une possibilité de destitution politique en cas de manquement grave. Ce régime vise à préserver la stabilité institutionnelle tout en garantissant que le président reste redevable de ses actions, notamment après son mandat.

Isa Germain

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