Le principe « l’accessoire suit le principal » en droit

L’accessoire suit le principal

La maxime Accessorium Principale Sequitur illustre l’idée selon laquelle un bien, dit « accessoire », est juridiquement subordonné à un bien « principal », au point que son sort dépend de celui du bien auquel il se rattache. Cette dépendance peut s’expliquer par un lien matériel (par exemple, lorsque le bien accessoire est physiquement attaché au principal) ou par une logique d’utilité (certains objets ou équipements sont indispensables à l’exploitation ou à la jouissance du bien principal).

Les dispositions du Code civil relatives à la distinction entre les immeubles par nature, les immeubles par destination et les biens meubles permettent de comprendre le fonctionnement du principe « l’accessoire suit le principal ». De même, l’étude des fruits (naturels, industriels ou civils) et de la distinction entre fruits et produits (dont l’extraction altère la substance du capital) illustre la manière dont la loi et la jurisprudence encadrent la question des biens générés par un autre bien.

I. Les immeubles par destination : des meubles rattachés à un immeuble

A. Définition et justification

Les immeubles par destination sont, en réalité, des meubles qui, en raison de leur affectation et de leur propriétaire commun, suivent le régime juridique de l’immeuble auquel ils se rattachent (articles 524 et 525 du Code civil). Sans changer de nature (ils restent, physiquement, des biens meubles), ils deviennent juridiquement traités comme s’ils étaient immeubles. On parle de « fiction » au sens où la loi leur confère un statut d’immeuble pour des considérations pratiques (unité de régime, impossibilité de dissocier sans nuire à l’exploitation, etc.).

B. Conditions générales pour qu’un meuble soit considéré comme immeuble par destination

  1. Identité de propriétaire :

    • Le meuble et l’immeuble doivent appartenir au même propriétaire. Un locataire ne peut donc pas créer, à son profit, l’effet d’immeuble par destination sur un meuble lui appartenant.
  2. Volonté d’immobilisation :

    • Le propriétaire doit avoir la volonté de soumettre le meuble au sort de l’immeuble. Cette intention est souvent déduite des circonstances objectives (par exemple, si le meuble est fixé de manière pérenne ou indispensable à l’exploitation du fonds).

C. Modalités spécifiques

  • Attache à perpétuelle demeure (article 525 du Code civil) :
    • Il s’agit d’un degré important de fixation matérielle, sans pour autant qu’il y ait incorporation complète. Par exemple, un miroir scellé au mur par des boiseries, qui ne peut être retiré sans détériorer la structure, est regardé comme immeuble par destination.
  • Affectation à l’exploitation du fonds (article 524 du Code civil) :
    • Les meubles nécessaires à l’activité agricole, industrielle ou commerciale exercée sur le fonds sont « réputés » immeubles par destination. En pratique, la jurisprudence exige que l’équipement soit indispensable à l’exploitation.

D. Régime applicable

  • Le meuble par destination suit le régime juridique de l’immeuble auquel il est rattaché. En conséquence, en cas de vente du bâtiment, ces biens sont présumés compris dans la cession.
  • Toutefois, si un créancier disposait d’une sûreté antérieure sur le meuble, l’immobilisation ne le prive pas de son droit ; le meuble, pour ce créancier, peut retrouver sa nature mobilière (ex. privilège du vendeur de meuble).
  • En droit pénal, il n’existe pas de « vol d’immeuble », mais le bien redevient de facto un meuble s’il est soustrait (par exemple, démonter et emporter un meuble fixé au mur peut constituer un vol d’un meuble).

II. Les fruits : définition, catégories et régime juridique

A. Notion de fruits et distinction avec les produits

  1. Fruits :

    • Les fruits sont des richesses nouvelles générées par un bien (le « capital ») sans en altérer la substance. Le Code civil (articles 583 et 584) classe les fruits en trois catégories principales :
      • Fruits naturels : produits spontanés de la terre ou croît des animaux, obtenus sans intervention technique importante (article 583 al. 1).
      • Fruits industriels : résultent d’une culture ou d’un travail humain sur le fonds (article 583 al. 2).
      • Fruits civils : revenus perçus en contrepartie de la jouissance d’un bien (loyers, intérêts, redevances, etc.) (article 584).
  2. Produits :

    • Les produits (au sens civiliste) désignent les biens dont l’extraction altère ou réduit la substance du capital (minerai, pétrole, gaz, etc.). Lorsqu’on exploite un gisement, la source se tarit progressivement.
  3. Cas particulier des bénéfices et des dividendes :

    • La jurisprudence assimile souvent les bénéfices d’une exploitation (une entreprise, une société) à des fruits industriels ou civils, selon les cas, car ils résultent de l’exploitation d’un « capital » (l’actif social).
    • Les dividendes sont la part de bénéfice distribuée aux associés, ce qui les rapproche des fruits civils : ils sont acquis une fois les conditions remplies (constatation du bénéfice, décision de distribution).

B. Régime juridique des fruits

  1. Moment d’appropriation

    • Fruits naturels et industriels : la propriété se transfère à celui qui a droit aux fruits (propriétaire, usufruitier, locataire selon conventions) au moment de leur « perception » (récolte, enlèvement…). Tant qu’ils ne sont pas séparés du capital, ils font partie intégrante du bien. (article 520 du Code civil)
    • Fruits civils : s’acquièrent au jour le jour, proportionnellement à la durée de jouissance (article 586 devenu 585 ou 580 selon les recodifications successives, mais principe inchangé). Ainsi, par exemple, le bailleur acquiert chaque jour une fraction du loyer total.
  2. Accession et droit de jouissance

    • Article 546 du Code civil : la propriété d’une chose emporte le droit sur tout ce qu’elle produit, via l’accession.
    • Si la jouissance est concédée (usufruit, bail, commodat), c’est alors le titulaire de cette jouissance qui acquiert les fruits, en vertu de l’accession. Le propriétaire nu n’a pas droit aux fruits pendant la durée de l’usufruit.
  3. Conséquences pratiques

    • En cas de vente d’un bien fructifère, sauf clause contraire, les fruits non encore séparés au jour du transfert profitent à l’acquéreur, tandis que ceux déjà séparés appartiennent au vendeur.
    • Pour les dividendes, la jurisprudence a précisé que les associés n’y ont droit qu’à compter de la décision de mise en distribution (cumulant clôture des comptes, existence d’un bénéfice distribuable, décision de l’assemblée).

III. Portée du principe « l’accessoire suit le principal »

A. Principe général : la subordination d’un bien à un autre

  • En vertu de la maxime Accessorium Principale Sequitur, l’accessoire, lorsqu’il est lié à un principal, partage le même régime juridique et le même sort que ce principal (notamment en cas de vente, de transmission, de constitution de sûretés).
  • La subordination peut être matérielle (le bien accessoire est incorporé ou fixé), fonctionnelle (il sert l’exploitation, l’utilité ou la valeur du bien principal) ou encore juridique (un meuble par destination, un droit attaché à un autre droit, etc.).

B. Applications diverses

  1. Exemple de l’attache à perpétuelle demeure :
    • Le miroir scellé dans un immeuble (art. 525 du Code civil) est un meuble, mais il est traité comme immeuble par destination, et suit donc le sort de l’immeuble.
  2. Exemple de la cession du fonds de commerce :
    • Les éléments incorporels et corporels (enseigne, clientèle, matériel…) sont censés suivre le sort de la vente du fonds s’ils sont considérés comme indispensables à l’activité.
  3. Exemple des fruits :
    • Les fruits (accessoires) appartiennent à celui qui a la jouissance ou la propriété du capital (principal).

C. Limites et correctifs

  • Exceptions : un créancier peut, dans certains cas, revendiquer le meuble redevenu meuble si l’affectation à l’immeuble lui cause un préjudice injustifié (par exemple, privilège du vendeur du meuble antérieur à l’immobilisation).
  • Volonté contraire du propriétaire : la loi admet que le propriétaire, en aménageant la situation matérielle ou en stipulant dans l’acte de disposition, exclue l’accession ou la qualification d’immeuble par destination s’il le souhaite.

IV. Évolutions législatives et jurisprudences récentes

  1. Recodification de la responsabilité du fait des produits défectueux

    • Les articles 1386-1 et suivants du Code civil, qui définissaient la notion de « produit » (en incluant notamment les biens meubles incorporés à un immeuble), ont été recodifiés par l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 et sont désormais placés dans les articles 1245 et suivants du Code civil.
    • Le contenu demeure proche : un « produit » comprend tout bien meuble, y compris lorsqu’il est incorporé dans un immeuble (article 1245-2 du Code civil).
  2. Maintien de la distinction fruits/produits

    • Le Code civil n’a pas subi de réforme majeure sur la distinction fruits (naturels, industriels, civils) et produits. Toutefois, la jurisprudence continue d’affiner l’analyse des bénéfices et des dividendes comme des fruits pour l’associé ou l’exploitant, dès lors qu’ils n’entament pas la substance du capital.
  3. Perspectives

    • Les principes de l’immeuble par destination n’ont pas été fondamentalement modifiés. Cependant, dans le cadre des projets de réforme du livre II du Code civil (régissant les biens), plusieurs propositions doctrinales (dont le projet Catala) ont suggéré de clarifier la définition des biens meubles et immeubles et d’harmoniser les règles sur les biens « par destination » ou les biens « rattachés fonctionnellement ». Aucune refonte globale n’a encore été adoptée.
    • Les techniques modernes (montage immobilier, affectation de biens à des entreprises unipersonnelles, exploitation numérique) soulèvent de nouvelles questions sur la qualification de certains actifs en tant que accessoires ou composants d’un patrimoine immobilier ou professionnel.

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