Le principe de l’opportunité des poursuites et ses limites

Le principe de l’opportunité des poursuites 

  C’est un principe dur à comprendre, mais qui permet de cerner les limites. L’opportunité des poursuites c’est la liberté d’appréciation laissée au Procureur de la République qui apprécie la suite à donner aux plaintes et dénonciations conformément à l’article 40 du CPP (Code de Procédure Pénale). C’est le système adopté en France. Au contraire, le principe de la légalité des poursuites signifie qu’en présence d’une infraction, la poursuite est automatique. Ce dernier système est adopté en Allemagne, en Pologne, en Estonie, en Espagne, en Grèce, et, avant, dans les pays du bloc 

Le procureur de la République va donc pouvoir décider d’engager ou de ne pas engager des poursuites après la commission d’une infraction. L’opportunité des poursuites permet le classement sans poursuite devant un tribunal, notamment lorsque l’auteur d’une infraction est inconnu ou lorsque le ministère public estime opportun un tel classement.

   

 C’est ce déclenchement des poursuites qui marque le début du procès pénal. Tant que des poursuites n’ont pas été déclenchées, il n’y a pas de procès. Par exemple, au cours d’une enquête préliminaire ou de flagrance, il n’y a pas de procès. Ici, une juridiction est saisie de l’action : une juridiction d’instruction ou de jugement.

 

 Cette décision de mettre en mouvement l’action publique est une décision d’une gravité extrême. D’une certaine manière, il n’en est pas de plus grave dans un État de droit. Une personne est présentée comme potentiellement coupable d’une infraction.

 

 En raison de la gravité de cet enjeu, il s’agirait de dire que ce pouvoir ne soit pas attribué à n’importe qui, mais qu’il soit réservé à un magistrat dont ce serait la prérogative exclusive, en tant qu’il serait l’autorité de poursuite dont il revient de prendre la décision de poursuivre. Ce magistrat existe, il s’agit du procureur de la République.

 

 Ce monopole du ministère public qui pourrait paraître souhaitable, n’est pas viable car on peut craindre que le ministère public, placé sous l’autorité du garde des sceaux, ne déclenche pas l’action publique. On a donc du conférer un pouvoir concurrent à la partie lésée.

 

 On recherche donc un équilibre entre des impératifs pouvant être contradictoires. Il s’agit de trouver une position de compromis.

Section 1 : La signification du principe 

  Il y a, en présence de cette situation, deux façons de répondre. Une infraction a été commise, la question est de savoir si on la poursuit. À cette question, on peut apporter des réponses variables et on voit que cette réponse n’est pas toujours la même dans certains pays. On a des pays dans lesquels l’équivalent du ministère public, une fois informé de la commission d’une infraction, doit poursuivre. C’est le système de la légalité des poursuites. On a aussi des systèmes dans lesquels le parquet reste libre de sa décision. Le parquet peut choisir de déclencher ou non les poursuites. 

  Dans le premier cas, le parquet est une sorte d’automate, alors qu’il s’agit d’un vrai magistrat dans le second cas : il apprécie une situation et agit en conséquence. C’est le système de l’opportunité des poursuites : le ministère public déclenche les poursuites s’il pense que cette décision est opportune, donc conforme à l’intérêt général. 

  Quand on pose le problème ainsi, on ne le voit que sous un angle restreint car la question de l’opportunité des poursuites ne se pose pas seulement au moment du déclenchement des poursuites. Le problème de la légalité ou de l’opportunité des poursuites se pose tout au long de la procédure. Au stade de l’exercice de l’action publique, la question peut se poser de savoir si l’on va opter pour la légalité ou l’opportunité dans l’exercice des poursuites. 

 

  • 1. L’appréciation d’opportunité lors du déclenchement des poursuites

  Il semble qu’il y a une opposition radicale entre le système de légalité et d’opportunité. Dans le premier, le parquet ne se pose pas de question et doit déclencher les poursuites, même s’il estime personnellement que ces poursuites sont inopportunes. Le principe de l’opportunité apparaît plus intelligent car il n’y a pas d’obligation de déclencher des poursuites. À la vérité, ce système d’opportunité peut apparaître curieux. Si une infraction a été commise, il devrait être naturel de conclure qu’il faut la poursuivre. Le droit pénal est soumis au principe de légalité tandis que la procédure pénale est soumise au principe d’opportunité. 

  On a, dans la juxtaposition de ces principes, la recherche délicate d’un équilibre. La légalité des poursuites jointe à la légalité criminelle donnerait un système pénal trop rigide. 

  La légalité criminelle, assouplie par l’opportunité, permet d’instaurer une justice répressive plus humaine et permet de dire qu’une infraction existe mais que l’on n’en poursuivra pas l’auteur . Effectivement, ce n’est pas parce qu’une infraction a été commise qu’il faut ipso facto déclencher les poursuites. 

  Si un enfant de 13 ans a volé quelques cerises : on a un vol. Mais est-ce que le parquet va être inspiré en le citant devant une juridiction répressive ? En revanche, si un vol est commis par un récidiviste, il est utile que lui soit rappelé que certaines choses ne se font pas. 

  Le principe opportun est plus humain et permet à la justice de ne pas opérer à l’aveugle. Bien sûr, le principe de l’opportunité a un danger : que le ministère public prenne la décision de ne pas poursuivre pour de mauvaises raisons, pas dans le souci de protéger l’intérêt général, mais car il est un parquet partisan, servile. C’est pourquoi le Code de Procédure Pénale à l’article 40-1 affirme le principe de l’opportunité. 

 

  • 2. L’appréciation d’opportunité lors de l’exercice des poursuites

  Dans un système de légalité, le parquet ou l’équivalent doit « soutenir l’accusation jusqu’au bout », de la même manière qu’il doit déclencher les poursuites. Il doit tout faire pour obtenir la condamnation, et mener les poursuites à leur terme. 

  Selon le principe d’opportunité, on peut dire que, de la même manière que le parquet est libre de déclencher les poursuites, il est libre de soutenir ou non l’accusation jusqu’au bout. Dans un système d’opportunité, il faudrait admettre que le parquet, après avoir déclenché les poursuites, puisse se raviser et dire à la juridiction qu’il compte arrêter les poursuites. 

  On consacre néanmoins le principe de la légalité à ce stade des poursuites. Une fois que les poursuites ont été exercées, on trouve le système de la légalité. En France, le parquet ne peut dessaisir la juridiction une fois que la décision d’engager les poursuites, a été prise, mais il est libre pour les décisions de relaxe. 

 

Section 2 : Les limites du principe 

 Cette liberté dans le choix accordé au ministère public connaît des atteintes voire des entraves. Tantôt, le parquet peut vouloir poursuivre et en sera empêché, tantôt il se peut qu’il ne veuille pas poursuivre mais que cela se fasse quand même.

  • 1. La volonté de poursuivre entravée

  Il arrive que le ministère public veuille poursuivre sans pouvoir le faire. Ces hypothèses sont diverses et étonnantes. Parfois, l’obstacle aux poursuites provient du délinquant lui-même. Cet obstacle peut résulter d’une immunité . 

  Cette immunité peut avoir différentes origines : elle peut être politique comme celle du président de la république ou judiciaire comme dans le cas des propos tenus par un avocat devant une juridiction qui ne sont alors ni diffamation ni injure. 

  Il ne faut pas confondre cette immunité avec l’inviolabilité parlementaire qui bénéficie aux députés et sénateurs, et qui ne s’oppose pas au déclenchement des poursuites. La seule conséquence est que ces poursuites peuvent être suspendues à la demande de l’assemblée considérée (Assemblée nationale ou Sénat). 

Parfois, on a des obstacles aux poursuites qui proviennent d’une autre autorité que le parquet. Il arrive en effet que ce ministère public ne puisse poursuivre qu’après avoir eu une décision d’une autre autorité (par exemple, dans le cas de l’atteinte à la vie privée). Il ne pourra poursuivre, dans certains cas, que si une plainte a été déposée . Tant qu’il n’y a pas cette plainte, le procureur ne peut pas poursuivre. Parfois, cette plainte doit émaner d’une administration. Parfois encore, il faut avoir recueilli un avis d’une tierce autorité. En matière fiscale, il peut engager les poursuites après avoir obtenu l’avis de l’administration fiscale. 

 

  • 2. La décision de ne pas poursuivre contrecarrée

  L’idée est que l’action publique va parfois être mise en mouvement en dehors d’une quelconque initiative du ministère public, y compris contre son éventuel avis contraire. Cette opposition est indifférente. On a plusieurs hypothèses de cette nature. 

     Au stade de l’instruction, la chambre de l’instruction a le pouvoir d’étendre les poursuites à des faits qui n’étaient pas visés dans le réquisitoire introductif d’instance du procureur de la République. Ce réquisitoire normalement ne déclenche l’action publique qu’à propos des faits qu’il vise. Ici, la chambre de l’instruction a la possibilité d’étendre le champ de l’instruction à des faits qui n’ont pas été visés dans le réquisitoire. La chambre de l’instruction met donc en mouvement elle-même les poursuites.  

      Au stade du jugement, les juridictions de jugement peuvent toujours poursuivre d’office les infractions commises à leur audience. Ce sont les « infractions d’audience ».  

      La partie privée lésée, partie civile, a le pouvoir de déclencher les poursuites en déclenchant l’action civile devant les juridictions répressives. C’est un cas important dans lequel la décision du ministère public de ne pas poursuivre va être contrecarrée.  

 

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