La prohibition de l’injonction
Le pouvoir d’injonction, c’est la possibilité d’ordonner une obligation de faire ou de ne pas faire. Le principe fondé sur la jurisprudence, veut que le juge administratif ne puisse user du pouvoir d’injonction, mais également de l’astreinte, à l’égard de l’administration.
Par cette injonction, le juge est confronté à une double interdiction. Il ne doit, en aucun cas, ordonner l’accomplissement d’actes juridiques positifs, comme par exemple la délivrance d’une autorisation, ou la prise d’un arrêté de cessibilité en matière d’expropriation.
En pratique, cette interdiction pour le juge administratif de se substituer à l’autorité administrative, n’est guère absolue
- &1 : Critique de cette prohibition
Repose sur le principe de séparation juridictionnelle et administrative (= il n’appartient pas au juge d’adresser des injonctions à l’administration, ni de faire acte d’administration active)
=> interdiction fondée sur aucun texte, car fondée sur doctrine (= le JA n’exerce pas l’imperium)
- Cours de contentieux administratif
- Définition et objet du Contentieux administratif
- L’arbitrage en droit administratif
- Histoire du Contentieux administratif
- Conseil d’État : Composition, compétence, fonctionnement
- Tribunal administratif et CAA : fonctionnement, compétence
- Les juridictions administratives spécialisées
A) Sur le plan organique
On a permis au juge d’imposer une injonction et une astreinte, par une construction jurisprudentielle dont le fondement était fortement teinté de politique. (=> La ferrière : cette prohibition n’était pas, par nature, étrangère au juge administratif, cette construction était nécessaire.)
– Le CE a permis l’utilisation de l’imperium : CE ; 10/05/1974 : la faculté du juge d’imposer une injonction et une astreinte pour l’exécution des mesures d’instruction, s’applique uniquement pour les décisions de fond, faculté reconnue au juge en vertu d’un principe général du droit.
– introduction de nombreuses AAI dotées du pouvoir d’injonction envers l’administration. C’est donc contradictoire de reconnaitre à l’administration ce pouvoir, et non au juge.
– Le juge judiciaire ne s’est jamais gêné pour en adresser à l’administration.
Ex : voie de fait, le juge judiciaire, compétent même pour réparer (injonction à l’administration).
=> Peu de cohérence : c’est une construction historico-politique.
B) Sur le plan pratique (isolement du système français)
– La France isolée dans cette autolimitation du Juge Administratif : juge anglais a toujours eu un pouvoir d’injonction contre l’administration, sauf contre la couronne ; juge allemand admet l’injonction générale à l’administration.
– Isolée aussi avec au moment de la CESDH dans les 80’s
– évolution du droit communautaire en 1990 : le juge national exerce des pouvoirs d’injonction, auprès de l’administration, chaque fois du moins qu’on applique le droit communautaire.
— On comprend de moins en moins cette interdiction, surtout avec l’influence du droit communautaire : peu cohérent de limiter le juge administratif. D’où évolution.
- &2 : La pratique de l’injonction
La pratique de l’injonction est un acte d’administration active.
A) Vocabulaire
L’histoire de l’injonction s’est développée de façon un peu curieuse. En réalité, plusieurs situations sont envisageables :
- — 1/ L’injonction proprement dite : c’est un ordre fait à l’administration de faire quelque chose (accomplir un acte, produire un document, avoir un comportement…)
- — 2/ Il y a ensuite l’astreinte. C’est la sanction d’une injonction. L’astreinte n’est pas en soit un ordre, mais une sentence qui s’exécute si l’ordre n’est pas exécuté. (Peine procédurale).
- — 3/ l’acte d’administration active : le juge reprend la plume à l’administration et le reprend à sa place.
- — 4/ L’acte en déclaration de droit qui consiste non pas à prendre l’acte lui-même mais de terminer la déclaration de compétence liée pour autorité administrative.
B) Les injonctions
L’injonction, sous ses différentes formes, a été et est pratiquée depuis longtemps.
— 1/ Les injonctions de procédure
Ce sont des ordres formulés par le juge en cours de procédure (de litige) en direction de l’administration pour demander la communication de pièces, la comparution d’une personne… Il s’agit d’injonction d’ordre à l’administration. Ces injonctions ont toujours existé.
Ces injonctions sont sanctionnées. Non pas par une astreinte, mais sur le terrain de la preuve : si l’administration ne défère pas à l’injonction, la sanction est réputée acquise. La sanction est donc un renversement de la charge de la preuve. Ces injonctions de procédure ont pris une importance particulière dès lors que s’est développée l’injonction de référée.
En matière de référé : il faut aller vite. Dans le cadre de cette procédure accélérée, le juge demandera souvent à l’administration de présenter des documents.
— 2/ Le sursis à exécution (suspension depuis loi de juillet 2000).
Cela correspond au renversement non suspensif du recours. CE sursis correspond à un ordre à l’administration de ne plus appliquer l’acte en question : suspendre son exécution. C’est donc un ordre ; une injonction de procédure.
Pour autant, l’acte n’est pas plus illégal qu’il ne l’était antérieurement. Ces procédure de sursis devenues suspension sont devenues nombreuses.
— 3/ Injonction pour assurer les mesures d’exécution. (Loi du 16 juillet 1980).
Il fut créé une procédure d’exécution qui, à l’époque, était remise exclusivement au Conseil d’Etat. Par la suite (clairement depuis le Code de justice administrative), les tribunaux administratifs et Cour Administrative d’Appel ont les mêmes compétences pour l’exécution de leurs décisions.
Il peut s’agir de demande d’information sur une exécution d’une décision. Mais il peut ensuite être ordonné l’exécution d’un jugement. Le pouvoir d’astreinte a aussi été rendu. Le juge a récupéré ce pouvoir. Mais ce n’est que si l’administration n’exécute pas que le jugement est complété par la procédure d’injonction à exécution.
C) L’acte d’administration active
Ce sont les hypothèses où le juge surmonte son interdiction de faire des actes d’administration active, sur la base de textes particuliers. L’interdiction s’est déduite de ces autorisations ! Cette interdiction est même en contradiction avec l’essence du juge (puisque l’imperium est normalement la base même de son pouvoir).
Ces textes sont nombreux, ils ont été en se multipliant.
— 1/ Loi de 1917, sur les établissements dangereux, incommodes ou insalubres. Loi modifiée par la loi de 1976 sur les établissements classés pour la protection de l’environnement.
Pour le contentieux de ces établissements classés, la loi de 1917 met en place un système original : les uns sont soumis à autorisation administrative préalable (les plus dangereux) ; les autres sont soumis à un régime de déclaration. L’autorisation appartient au préfet. L’autorisation peut comporter des prescriptions spéciales sur les conditions d’exploitation. C’est une réalité assez complexe qui encadre l’administration.
Les recours : la loi de 1917 et celle de 1976 ont classé ce recours dans le registre du plein contentieux : le juge a le pouvoir d’annulation et il a aussi le pouvoir de réformer l’acte, de le corriger, de le compléter. Le juge fait acte d’administration.
— 2/ La loi de 1980 pour les immeubles menacés de ruine
Le maire peut ordonner d’office des travaux aux propriétaires si l’immeuble constitue un danger pour le public. Le maire agit par voie d’arrêté. Le juge administratif, en cas de recours, peut également refaire l’arrêté, le corriger, le compléter ou l’annuler en tout ou partie.
— 3/ Le contentieux électoral (élections locales, ordinales…)
Le juge a des pouvoirs considérables. Il est une sorte d’instance ayant la capacité de se substituer au bureau de vote pour proclamer les résultats. Ses pouvoirs sont étendus : il peut réformer les décisions de l’organe de recensement (qui a recensé la participation au vote), il a un plein pouvoir sur le mécanisme électoral qui l’amène à se substituer à l’autorité administrative (le bureau de vote) pour proclamer les résultats.
— C’est ici un contentieux réaliste. Les irrégularités commises dans le scrutin, la campagne, la propagande et les opérations électorales, sont prises en compte que si elles sont susceptibles d’avoir eu une influence sur le résultat du scrutin. (Attention : on peut sanctionner autrement, pénalement ou civilement… Mais sur le terrain du droit électoral, le juge administratif est réaliste : peu importe l’illégalité, dès lors que le résultat est tel que cela n’aurait pas changé l’issu du scrutin, on doit conserver le résultat).
— 4/ Le contentieux fiscal
Le juge administratif peut modifier les évaluations faites par l’administration fiscale : il peut diminuer ou augmenter l’imposition ; il peut prononcer la décharge des droits auquel le contribuable était assujetti par l’administration.
— Dans toutes ces hypothèse, il y a pratique d’acte administratif. Il y a des textes.
— Mais dans le contentieux fiscal, le juge s’est donné de lui-même ce pouvoir.
— Dans le contentieux électoral, le juge a élargi le porté des textes.
D) Systématisation dans le CJA (Code de justice administrative)
Loi du 8 février 1995 : trois articles rangés sous le titre « exécution des décisions » (du juge administratif). Cette loi consacre et généralise les actes d’injonction et les actes d’administration active.
— 1/ L’article L911-1 : lorsqu’une décision de justice implique nécessairement que des mesures d’exécution soient prises par l’administration, et si le juge est saisi de conclusions en ce sens par le requérant, il peut prescrire à l’administration de prendre la mesure dans un délai fixé l’injonction.
— Désormais, l’injonction peut se prendre dès la décision.
— 2/ L’article L911-2. Concerne ici l’hypothèse dans laquelle la décision annulée est une décision de refus. L’annulation d’un refus crée une situation dans laquelle l’acte de refus annulé ne donne aucune décision positive. Le juge, saisi de conclusions en ce sens, pourra prescrire à l’administration de prendre une autorisation positive dans un délai déterminé.
— Injonction sur un acte prescrit (initialement refusé).
— 3/ L’article L911-3. Cet article complète les deux premiers en indiquant que le juge peut assortir l’injonction de 911-1 et de 911-2 d’une astreinte dont elle fixe l’effet. Ce n’est pas automatique (comme les antibiotiques).
Nous sommes ici dans un dispositif complet du droit commun : il touche tous les contentieux. Il ne remet toutefois pas en cause l’utilité des règles particulières vues ci-dessus qui vont plus loin.
— Le juge a retrouvé son imperium (pouvoir de commandement). Ceci en fait de plus en plus un vrai juge, au regard de la CEDH, mais aussi au regard de la CJCE.
- &3 : Limites et survie de l’injonction
Elle doit être demandée et même si c’est le cas le juge prendra ces mesures si les textes nécessitent qu’ils les prennent. Il n’y a pas une suite logique de toute annulation suivie de l’injonction.
(Arrêt Migot, 14 mars 2003. M. Migot attaque l’abandon du mécanisme de le TIPP flottante. Migot est député. Il n’attaque pas en tant que député mais en tant qu’utilisateur de voiture. Il demande l’annulation de cette « non décision » de faire flotter la TIPP et il demande l’injonction de rétablir rétroactivement cette TIPP et en tirer les conséquences financière. Double conclusion : annulation et injonction sur la base de 911-1. Le Conseil d’Etat accueille les prétentions de MIGOT : injonction est faite à l’Etat, dans un délai de deux mois, de prendre les arrêtés rétroactifs, pour la période intermédiaire, et sur la base de ces arrêtés, de rembourser aux contribuables le trop perçu du fait du non flottement de la TIPP).
Sur le plan théorique, faut-il apprécier de la même façon l’intérêt à agir pour demander l’injonction et l’injonction elle-même ? En tout état de cause, l’intérêt à agir était en l’espèce demandé par M. Migot, député. Son préjudice n’est ni direct, ni important.
Autre piste dans le pouvoir d’injonction : distinguer le contentieux des actes individuels du contentieux des actes réglementaires :
— Dans le contentieux des actes individuels, l’acte concerne une personne seule qui se bat contre l’administration.
— Dans l’acte réglementaire, l’intérêt à agir est facile à obtenir. Mais l’intérêt d’obtenir une mesure d’annulation qui concernerait tout le monde semble large. Cette piste était fermée car le Conseil d’Etat, antérieurement à l’arrêt MIGOT avait admis le contentieux de l’injonction sur la base d’acte réglementaire.
— La division ne peut pas passer par là.
Toutefois, la jurisprudence Migot doit être rejetée. Il doit y avoir une appréciation différente, distinguée de la pure théorie de l’intérêt à agir.
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