Le procès en contrefaçon

Le procès en contrefaçon :

Qui doit-on poursuivre, comment peut-on déterminer si oui ou non il y a contrefaçon, comment les recours entre les différents responsables s’opèrent-ils, faut-il prouver la mauvaise foi (élément intentionnel) du contrefacteur, telles sont les questions qui seront abordées successivement.

  • 1 : La personne qui poursuit :

Le demandeur peut être :

  • Une personne physique créateur ou une société d’auteurs (L 321-1) bénéficiaire d’un mandat de gestion des droits, ou un cessionnaire de droits. Il a été jugé à l’égard de la SACEM que l’auteur ne perd pas le droit d’agir concurremment à la SACEM en contrefaçon des droits patrimoniaux : Civ 1ère 24 févr 1998, D 1998, 213, note Françon), mais c’est une question qui divise encore la jurisprudence (contra Paris 23 juin 2004, Expertises 2004,347 ; Versailles 13 mars 20008, CCE 2008, chron 6, n°9). Il semble logique d’admettre, en tout cas, à l’instar de la CA de Paris (23 juin 2004, GP 5-6 janv 2005, 26) que si la société n’agit pas l’auteur puisse intenter l’action oblique. Un autre arrêt semble même aller plus loin en jugeant que la SPEDIDAM peut agir pour sauvegarder les droits patrimoniaux d’un interprète alors pourtant que celui-ci n’était pas membre de la société (Paris 25 oct 2006, CCE 2007, chr n°4, 23).
  • Le licencié ou le distributeur n’a, sauf clause contraire lui donnant mandat d’agir, pas droit à agir en contrefaçon car il n’est titulaire que d’un droit personnel et pas d’un droit privatif (Paris 12 janv 2005, PI 2005, n°43). Il devrait cependant pouvoir agir en concurrence déloyale (Com 12 févr 2002, Prop intellect 2002, n°5, 107, Obs Passa).
  • Le cessionnaire : Si un auteur a cédé tous ses droits patrimoniaux il ne peut plus agir en contrefaçon, du moins en ce qui concerne les droits patrimoniaux : Civ 1ère 3 avr 2007, JCP 2007.IV.1975.
  • Ce peut aussi être un syndicat professionnel, car, en vertu du code du travail, ils ont peuvent agir pour la défense des intérêts collectifs de la profession, ce qui englobe les cas où les œuvres des professionnels sont contrefaites. Mais dans ce cas la jurisprudence exige que des individus victimes directes de la contrefaçon interviennent à la procédure
  • Si c’est une personne morale qui exploite l’œuvre et agit, elle est présumée être titulaire des droits sans avoir à prouver qu’on lui a cédé les droits : voir par exemple Civ 1ère 22 févr 2000, Légipresse 2000.I.71. C’est là une disposition très importante en pratique, que la cour de cassation a étendue aux modèles même lorsque l’auteur personne physique est procéduralement joint à l’instance intentée par le demandeur (contra Paris 29 oct 2004, PI 2006, n°38 dont l’arrêt a été cassé par Com 20 juin 2006, PI 2006, n°80).

  • 2 : La mesure de la contrefaçon :

Côté demandeur la contrefaçon s’apprécie en fonction des ressemblances et non des dissemblances (la cour de cassation ne cesse de rappeler ce principe). Si le défendeur soulève que les ressemblances sont techniques ou ne résultent que de réminiscences provenant d’une source d’inspiration commune il lui incombera d’en apporter la preuve (Civ 1ère 16 mai 2006).

  • Pour un texte la reproduction des « coquilles » sera un élément essentiel. Elle prouvera à l’évidence la reproduction.

  • Pour un site internet la ressemblance des couleurs, de la mise en page, du graphisme, du style. Très souvent, comme en matière de dessins les tribunaux se réfèrent à « l’impression d’ensemble » (ex Com 26 mars 2008, n°06-22.013)

  • Pour un jeu vidéo ou une œuvre dramatique la ressemblances des personnages, des lieux, de l’intrigue, des événements

  • Côté défendeur les axes de défense le plus souvent invoqués sont les suivants :

  • Que la présomption de titularité des droits de la personne morale (voir supra) n’a pas lieu de jouer. Si l’avocat du demandeur ne connaît pas la jurisprudence précitée il risque d’avoir du mal à prouver que son client est bien le titulaire des droits d’auteur ; d’où l’importance de connaître l’existence de cette présomption jurisprudentielle.

  • Que l’œuvre est banale et non originale.

  • Qu’elle est antériorisée, d’où l’intérêt que peut avoir le dépôt d’une enveloppe Soleau auprès de l’INPI, ou le dépôt du logiciel créé auprès d’organismes agréés tels que l’APP.

  • Qu’il faut justifier être titulaire des droits, argument fondé lorsqu’il s’agit d’une œuvre audiovisuelle sans producteur : Paris 14 janv 2004, GP 5-6 janv 2005, 26 a ainsi, pour un vidéoclip, exigé la présentation du contrat qui avait été conclu en amont.

  • 3 : La détermination des responsables :

En cas de contrefaçon l’auteur actionnera généralement celui qui utilise en bout de chaîne l’œuvre contrefaite.

Le prestataire technique appellera alors en garantie le fournisseur de contenu. Généralement une clause du contrat prévoit que le cédant garantit au cessionnaire la jouissance paisible des droits, mais, même à défaut de clause, la garantie légale d’éviction jouera. Tout contrat transférant la propriété d’un droit corporel ou incorporel implique ipso facto une garantie contre l’éviction (Civ 1ère 13 mars 2008, CCE 2008, n°64).

En tant que professionnel la jurisprudence exige que le diffuseur vérifie la continuité de la chaîne des droits transmis (voir par ex Civ. 1ère 7 avr 1999, D 1999, Somm 123). Tout professionnel est en effet tenu de vérifier que son cédant est titulaire des droits. La jurisprudence est constante en ce sens : par exemple les imprimeurs sont souvent « épinglés » s’ils n’ont pas vérifié les droits, ou encore des débitants (Paris 26 avr 2006, CCE 2006, n°105) encore que l’on trouve de la jurisprudence en sens contraire (Versailles 6 mai 2003, GP 21-23 nov 2003, p21). De même le distributeur et l’importateur sont aussi responsables, même si on trouve des arrêts qui épargnent les professionnels non spécialistes (ex Paris, 2 arrêts, 31 mars 2004, Prop Intellect 2004,970).

En matière de publicité il y a une orientation particulière. Même si l’annonceur est un professionnel et même s’il a fourni des éléments contrefacteurs c’est l’agence qui est seule responsable, sauf à prouver la mauvaise foi de l’annonceur.

Lorsqu’il y a cession il ne semble pas que le cessionnaire ait pour obligation de vérifier le contenu exact des droits cédés par les contrats antécédents, mais seulement l’existence des droits ; une pareille exigence se heurterait à la difficulté pratique d’obtenir communication de ces contrats. Il n’en reste pas moins que le cessionnaire a grand intérêt à vérifier que le cédant est bien titulaire des droits qu’il prétend céder et ne pas se contenter d’une clause de garantie.

La question est ensuite de savoir si le revendeur peut se retourner contre son propre vendeur sur le fondement de la garantie légale d’éviction. La jurisprudence semblait divisée sur ce point : la 1ère chambre civile avait présumé irréfragablement la mauvaise foi du professionnel (Civ 1ère 17 juill 1990), le privant ainsi de tout recours en garantie, sauf cependant au cas où il aurait stipulé une clause de garantie en sa faveur, alors qu’au contraire la chambre commerciale a admis le recours en garantie, quitte à partager les responsabilités entre les défendeurs (Com 4 févr 2004, Prop Intellect 2004, 942). Mais il semble que la 1ère chambre civile se soit montrée moins rigoriste qu’elle ne le fut en 1990, puisqu’elle a admis récemment que le concours de l’acquéreur d’une photo à sa propre éviction ne supprime pas son recours en garantie, sauf si mauvaise foi (25 mai 2005, Légipresse 2005.I.122). Idem avec Civ 1ère 13 mars 2008 (JCP 2008.IV.1712) à propos d’un acquéreur professionnel. Il semble donc, sauf mauvaise foi, que l’on s’oriente vers l’absence de responsabilité du professionnel non spécialiste du secteur concerné. Mais, parfois, les juges du fond rendent une justice de Salomon : par exemple il a été jugé que le cessionnaire pouvait appeler, à concurrence des 2/3 son cédant des droits inexistants, cela en dépit du devoir de vérification de tout cessionnaire (Paris 14 oct 2004, JCP 2005.IV.2034). Il n’est pas certain que ce type de décision se maintienne, dans la mesure où les chambres commerciales et civiles semblent avoir trouvé une commune attitude.

  • 4 : La question de la mauvaise foi :

– Au civil la contrefaçon est pratiquement une question de responsabilité objective. En théorie le défendeur est admis à prouver sa bonne foi et à renverser la présomption de faute que les tribunaux peser sur lui. Mais en pratique il n’y arrivera pratiquement jamais, la Cour de cassation répétant que au civil la bonne foi est indifférente (Civ 1ère 29 mai 2000, Propriétés intellectuelles oct 2001, 71).

Une affaire de vidéogrammes contrefaisants vendus par la FNAC est révélatrice de la sévérité des juridictions. La CA de Paris avait jugé : «au regard du droit civil l’exploitation reproduisant une oeuvre originale constitue une contrefaçon indépendamment de toute autre faute » (Paris 10 mars 1999, D 2000, Som 207, obs Hassler). Bien qu’il soit évident que le responsable d’un établissement de vente au public ne peut pas matériellement vérifier la chaîne des droits de tous les produits qu’il met en vente, le pourvoi contre l’arrêt a malgré tout été rejeté (Civ1ère 26 juin 2002, CCE 2002, n°81).

Au civil les complices sont condamnés solidairement aux dommages-intérêts, sans pouvoir exciper de leur bonne foi. Pour la victime les chances de pouvoir recouvrer des dommages-intérêts auprès de personnes solvables en sont décuplées.

– A la différence des juridictions civiles la mauvaise foi est un élément constitutif nécessaire de l’infraction poursuivie au pénal.

Avec le nouveau code pénal (121-3 CP) il n’y a plus, sauf pour les contraventions, d’infractions matérielles.

Certes en matière de contrefaçon la mauvaise foi est présumée, mais le prévenu peut s’exonérer en prouvant sa bonne foi,

La présomption de mauvaise foi ne résulte pas des textes mais de la jurisprudence, qui l’applique plus sévèrement à des professionnels qu’à des non professionnels.

Le plus souvent les circonstances de fait suffisent à inférer la mauvaise foi (ex copies vendues à bas prix, absence de diligences pour vérifier l’origine des droits), ce qui fera que les juges ne feront même pas référence à la présomption de mauvaise foi, celle-ci leur paraissant évidente.

Pour renverser la présomption il faut prouver avoir fait des diligences (par exemple avoir vérifié la chaîne des droits) et, en fait, prouver une erreur quasi invincible.

Certains arrêts sont moins sévères : Paris 24 sept 2003, JCP 2004.I. 113, n°3 exige la preuve de la connaissance par le contrefacteur de l’existence de l’œuvre contrefaite

A la différence de ce qui se passe pour l’auteur du délit, en ce qui concerne son complice, il faut démontrer la mauvaise foi positivement, c’est-à-dire prouver qu’il a agi en connaissance cause, preuve difficile à rapporter. C’est là un facteur qui, une fois de plus, fait préférer la voie civile à la voie pénale. Par exemple il a été jugé que le fournisseur d’accès internet qui offre à la vente illicitement (non respect des délais dans le cadre de la chronologie des médias) un DVD de film, n’est pas condamnable en tant que complice de la contrefaçon faute d’avoir démontré l’existence de l’élément intentionnel du délit (TGI Paris 21 juin 2006, Dt de l’immat sept 2006, p20).

  • 5 : Le chiffrage du préjudice :

Bien sûr les juges appliquent les principes du droit de la responsabilité civile : on répare tout le préjudice, rien que le préjudice, à savoir le gain manqué et perte subie (= les conséquences économiques négatives), ce qui excluait, avant la loi du 29 octobre 2007, la prise en considération, du moins en théorie, du profit réalisé par le contrefacteur ou des redevances qu’auraient rapportées l’exploitation de l’oeuvre. Mais chacun sait combien ce sacro-saint principe est souvent inapplicable pour évaluer la contrefaçon, particulièrement en ce qui concerne la perte subie. Prenons, par exemple, la vente contrefaisante de produits diététiques par reproduction à l’identique d’une marque déposée (l’analyse est transposable au droit d’auteur). Pour évaluer le vrai préjudice il faudrait nommer un expert, en l’occurrence un expert comptable, avec mission d’évaluer le marché pertinent, combien de produits contrefaisants ont été vendus, de voir si la victime de la contrefaçon aurait pu vendre une même quantité de produits, ce qui n’est pas évident si les lieux de vente sont situés à un endroit géographiquement différent, de soupeser la marge bénéficiaire du contrefait sur chaque produit vendu. Autant lire dans le marc de café ! Qui plus est il est facile au défendeur de faire valoir qu’il n’est pas certain que les clients du contrefacteur auraient été acheter chez le demandeur à l’action si la contrefaçon n’avait pas eu lieu ; la voie est alors libre pour une indemnisation croupion fondée sur la perte de chance. Il y a de quoi décourager les plaignants de s’adresser à la justice.

Quant au gain manqué on recherchera l’avilissement de la marque ou du produit contrefait, la perte éventuelle de marché, toutes choses très difficiles à mesurer.

Finalement l’habitude prise, de plus en plus fréquente en justice, qui consiste, notamment lorsque la preuve du préjudice est difficile à rapporter, à ne pas nommer d’expert parce que son analyse, coûteuse et longue, ne débouchera pas sur une certitude de préjudice, doit être approuvée. Fixer « à la louche », arbitrairement, un montant forfaitaire de dommages-intérêts, sans aucune motivation, est encore préférable. La loi de 2007, via le forfait entérine cette pratique. En tout cas le forfait ne pourra être inférieur au prix de la redevance de licence qu’aurait pu espérer le contrefait. Le cas échéant le forfait englobera le préjudice moral (par ex atteinte à la réputation) que la loi de 2007 consacre. Même si le justiciable peut être frustré par la technique du forfait la victime de la contrefaçon, dans ce mécanisme, peut espérer que le juge, sans le dire, aura prononcé des dommages-intérêts punitifs, dont on sait qu’une partie de la doctrine a souhaité en vain l’introduction en droit positif pour réprimer la contrefaçon[24]. L’arbitraire proclamé serait moins hypocrite que l’utilisation d’un principe d’indemnisation très largement inapplicable et inadapté à la contrefaçon et dont les conséquences profitent largement aux contrefacteurs.

Si le juge cherche toutefois à se rapprocher du préjudice réel l aloi de 2007 lui offre la possibilité de tenir compte des recettes procurées par la contrefaçon dans l’appréciation du préjudice. Il pourra ainsi estimer que ces recettes sont plus ou moins équivalentes au préjudice subi par la victime.