Qu’est-ce que le raisonnement juridique ?

Les méthodes de raisonnement juridique

En droit, les juristes s’appuient sur des méthodes de raisonnement logique qui empruntent largement aux principes du raisonnement mathématique et des sciences exactes. Ces méthodes permettent d’analyser les situations juridiques de manière structurée et cohérente, en établissant des liens logiques entre les principes et les conséquences, tout en prenant en compte les spécificités du droit. Voici les principales méthodes de raisonnement juridique utilisées :

  1. La méthode comparative : Cette méthode consiste à étudier les similitudes et différences entre les solutions juridiques à des problématiques similaires dans différents contextes, qu’ils soient historiques ou géographiques. Cette approche aide à comprendre l’évolution des règles juridiques et à évaluer les priorités sociétales des différents systèmes.

  2. La méthode hypothético-déductive : Inspirée des sciences exactes, elle repose sur un postulat de départ (principe ou norme fondamentale) dont on déduit des conséquences logiques. Par exemple, en droit de la famille, le choix du principe monogamique par rapport au polygamique résulte d’un postulat normatif, influencé par des valeurs de justice sociale et de morale.

  3. La méthode a contrario : Ce raisonnement repose sur l’inférence de solutions inverses en fonction des situations inversées. Lorsqu’une règle s’applique dans un cas précis, a contrario, elle ne s’applique pas dans le cas contraire. Par exemple, si une personne doit avoir 18 ans pour obtenir un permis de conduire, a contrario, une personne de moins de 18 ans ne peut pas obtenir ce permis.

  4. La méthode par l’absurde : Ici, une solution est écartée si elle aboutit à des conséquences absurdes ou moralement inacceptables. Cette méthode est souvent employée pour tester les limites d’un raisonnement ou d’une norme et pour rejeter des interprétations qui contrediraient les valeurs fondamentales de la société.

Tableau des méthodes de raisonnement juridique

Méthode de raisonnement Description Exemples Utilité principale
Comparative Analyse les éléments similaires ou distincts dans des contextes historiques et géographiques Évolution des droits des femmes, droits des travailleurs par pays Comprendre l’évolution des normes et évaluer leur pertinence dans divers contextes
Hypothético-déductive Déduit des conséquences logiques à partir de postulats juridiques Monogamie vs. polygamie, légalisation de l’IVG Fonde les normes sur des principes sociétaux pour en tirer des effets applicables
A contrario Déduit une solution inverse pour une situation opposée Statut d’étudiant, inscription au registre du commerce Facilite la déduction sans multiplication des règles explicites
Par l’absurde Écarte des interprétations menant à des conséquences absurdes ou inacceptables Âge de la majorité, limite de l’IVG Maintient une cohérence morale et logique dans les décisions juridiques
 


A/ Les méthodes comparatives

La méthode comparative consiste à analyser des éléments similaires et distincts dans différents contextes pour mieux comprendre les structures et évolutions juridiques. Dans le domaine juridique, cette comparaison se fait sur deux axes principaux :

  • Le temps (dimension historique) : cette approche permet d’analyser l’évolution des problématiques sociales et juridiques sur une longue période. Elle éclaire sur les solutions adoptées par les sociétés à travers l’histoire, ce qui aide à comprendre les transformations des normes et des valeurs. Par exemple, on peut étudier comment la condition des femmes mariées a évolué au fil du temps en France ou comment le statut des salariés a été modifié selon les contextes économiques et sociaux.

  • L’espace (dimension géographique) : la comparaison entre différents pays ou systèmes juridiques permet d’identifier comment des sociétés distinctes traitent des problématiques similaires. Cela inclut des comparaisons sur des questions comme les droits des femmes en politique ou les droits des travailleurs dans différents pays. Cette approche met en lumière les priorités différentes en matière de droits sociaux, économiques, ou culturels, et aide à évaluer les solutions de manière critique.

Ces méthodes de comparaison historique et géographique sont particulièrement utiles pour comprendre l’évolution de principes juridiques et évaluer l’efficacité ou les implications des différentes solutions adoptées.
B/ La méthode hypothético-déductive

La méthode hypothético-déductive est un raisonnement emprunté aux sciences exactes, fondé sur l’élaboration d’hypothèses ou de postulats à partir desquels sont déduites des conséquences logiques. En droit, ce type de raisonnement se base sur des principes fondamentaux ou des règles de base, que l’on peut considérer comme des postulats juridiques. À partir de ces principes, on déduit les conséquences juridiques, également appelées effets juridiques.

Ces principes peuvent correspondre à des choix de société ou à des normes juridiques (règles morales ou principes de justice sociale). Par exemple, le choix du système monogamique, par opposition à la polygamie, repose sur un postulat sociétal qui reflète des valeurs et des normes précises, même si la réalité sociologique peut parfois différer de ce modèle. D’autres exemples incluent des principes juridiques comme la légalisation de l’interruption volontaire de grossesse (IVG), qui s’oppose à des conceptions antérieures interdisant cette pratique, ou les principes de protection de l’enfance, des personnes handicapées, ou des femmes, qui incarnent des choix normatifs en faveur de la justice sociale.

La méthode hypothético-déductive permet donc de structurer le raisonnement juridique en s’appuyant sur des postulats fondamentaux, pour en tirer des conséquences précises et applicables dans des situations diverses, et favorise une analyse approfondie des fondements éthiques et sociaux des normes en vigueur.


C/ La méthode de raisonnement a contrario

La méthode a contrario consiste à partir d’une solution connue pour en déduire, par opposition, une solution inverse applicable à une situation inversée. En droit, ce raisonnement est particulièrement utile car il permet d’éviter la multiplication de règles explicites, en permettant de déduire des solutions sans avoir besoin de les spécifier.

Exemples concrets d’application de ce raisonnement :

  • Statut d’étudiant : Le statut d’étudiant est réservé aux personnes répondant aux critères définis ; a contrario, ceux qui ne satisfont pas à ces critères ne peuvent en bénéficier.

  • Inscription au registre du commerce en Allemagne : En droit allemand, une personne inscrite au registre du commerce est considérée comme commerçante ; a contrario, une personne non inscrite ne peut pas être reconnue comme commerçante. En revanche, en France, l’inscription au Registre du Commerce et des Sociétés (RCS) n’est pas suffisante pour acquérir ce statut, car des critères supplémentaires sont requis.

  • Permis de conduire : En France, il faut avoir atteint 18 ans pour se présenter à l’examen du permis de conduire ; a contrario, les personnes de moins de 18 ans ne peuvent pas s’inscrire à ces épreuves, bien qu’elles puissent dès 16 ans passer l’examen théorique du code.

La méthode a contrario permet ainsi de structurer le droit de manière efficace, en utilisant les règles existantes pour en déduire des applications inverses sans devoir établir explicitement des interdictions ou des exclusions.


D/ La méthode de raisonnement par l’absurde

Le raisonnement par l’absurde consiste à envisager une solution potentielle et à la rejeter si elle aboutit à des conséquences absurdes ou insoutenables. Ce raisonnement est largement utilisé en droit pour écarter des interprétations qui mèneraient à des résultats contraires aux principes moraux ou logiques.

Exemples de raisonnement par l’absurde :

  • Âge de la majorité : Abaisser l’âge de la majorité à un niveau excessivement bas conduirait à des situations absurdes, comme confier des responsabilités juridiques à des enfants. Ce raisonnement limite ainsi la possibilité de fixer un seuil d’âge trop bas.

  • Limite de l’IVG : La limite légale pour l’interruption volontaire de grossesse (IVG) en France est fixée à 14 semaines depuis 2021 (précédemment 10 semaines), non pas sur des bases strictement scientifiques, mais selon des critères éthiques visant à respecter un équilibre moralement acceptable. Une extension indéfinie de cette limite pourrait être perçue comme moralement insoutenable.

En rejetant les solutions qui aboutissent à des conséquences absurdes ou éthiquement inacceptables, cette méthode de raisonnement contribue à maintenir une cohérence morale et logique dans les décisions juridiques.

 

 

 

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