Le rapport entre la règle de droit et l’équité
Bien que l’équité et la règle de droit partagent un objectif commun — la réalisation de la justice — elles demeurent des notions distinctes. L’équité représente une recherche de justice idéale, une application du droit qui, sans en trahir les principes, permet de l’adapter aux spécificités d’un cas pour éviter des solutions excessivement rigides. La règle de droit, quant à elle, reste formelle et codifiée, appliquée de manière abstraite et générale.
Résumé : L’équité et la règle de droit visent toutes deux la justice. L’équité, recherche de justice idéale, nuance la rigidité du droit en tenant compte des situations particulières, tandis que le droit reste formel et général. En France, le juge applique d’abord le droit, mais peut utiliser l’équité pour tempérer des cas précis, notamment en arbitrage. L’équité demeure ainsi un complément essentiel au droit, sans s’y substituer.
Tableau de comparaison entre la règle de Droit et l’Équité
Aspect | Équité | Règle de Droit |
---|---|---|
Définition | Idéal de justice, vise à tempérer le droit pour éviter des décisions trop rigides | Système formel et codifié, appliqué de manière abstraite et générale |
Rôle dans le Droit | Complément au droit, offrant une justice plus humaine dans certains cas | Base des décisions judiciaires, prioritaire sur l’équité |
Types d’Équité | Objective (principes généraux d’atténuation) et Subjective (adaptation au cas particulier) | Non applicable ; la règle de droit prime |
Intervention du Juge | Permise pour nuancer la rigueur en cas de lois trop strictes (ex. article 1135 du Code civil) | Décision fondée sur les textes de loi, rarement modifiée par l’équité |
Limites | Utilisée seulement comme appui, ne peut remplacer le droit | Doit être appliquée même si elle semble injuste dans certaines situations |
Rôle en Arbitrage | Peut être appliquée seule si convenu par les parties, sans référence stricte au droit | Non nécessaire si l’arbitre choisit de statuer uniquement en équité |
Citation de Portalis | L’équité complète le droit dans les cas obscurs ou incomplets | « Quand la loi est claire, il faut la suivre » |
- Introduction au droit (L1)
- Histoire du droit français
- Les sources juridiques (loi, jurisprudence, coutume…)
- La séparation entre droit privé et droit public
- Quelles sont les différentes branches du droit ?
- Quelle est l’organisation des juridictions civiles en France?
- Quels sont les caractères et sources du droit objectif ?
I- L’influence de la règle d’équité sur la règle de droit
Les rapports entre la règle de droit et l’équité sont anciens et fondamentaux, permettant au droit de tempérer sa rigueur. L’équité, en effet, aide le droit à éviter un excès de rigidité en apportant une flexibilité qui rend la règle plus juste dans certaines situations. Cette relation remonte au droit canonique, où Saint Thomas d’Aquin affirmait que l’équité ne contredit pas ce qui est juste par nature, mais s’oppose à ce qui est juste selon une application trop stricte de la loi. L’équité permet ainsi de moduler le droit, le rendant moins mécanique et plus humain.
Deux formes d’équité se distinguent en pratique :
-
L’équité objective : Elle constitue un ensemble de principes que les juges développent parallèlement aux règles de droit, afin d’adoucir l’application de lois trop rigides. Par exemple, dans des situations où l’application littérale d’une règle pourrait mener à des injustices, le juge peut se référer à l’équité pour ajuster la règle sans la transgresser. Cet usage de l’équité permet au juge d’atténuer la rigueur de la loi dans un souci de justice.
-
L’équité subjective : Ici, le juge adapte la règle de droit en fonction des particularités d’une affaire, tenant compte de la situation spécifique des parties en cause. Cette interprétation au cas par cas permet au juge de nuancer l’application de la règle de droit pour mieux répondre aux exigences de la justice. Ainsi, en matière de licenciement, un juge pourrait moduler les conséquences en fonction de la situation personnelle d’un salarié, tout en restant dans le cadre légal.
II- Le rôle de l’équité devant le juge étatique
A) Le principe
En droit français, un juge ne peut en principe pas fonder sa décision uniquement sur l’équité. Son rôle est de trancher les litiges en se basant sur des règles de droit précises et applicables. Cependant, il peut arriver que la loi elle-même autorise le juge à considérer l’équité comme un critère complémentaire lors de l’application de la règle de droit, permettant d’adapter celle-ci aux circonstances spécifiques du litige.
- Exemple : article 1135 du Code civil
Cet article permet au juge, lorsqu’il examine un contrat, de ne pas seulement appliquer les lois et les stipulations contractuelles, mais aussi de tenir compte de l’équité pour résoudre le litige. L’objectif est d’ajuster la règle de droit en fonction de l’intention des parties et des circonstances particulières.
Cependant, fonder une décision sur l’équité introduit un risque de subjectivité qui pourrait aboutir à des jugements inéquitables. Les juges privilégient donc l’application stricte de la règle de droit, même si elle peut sembler inéquitable dans certaines situations, plutôt que de la remplacer par un raisonnement purement équitable.
-
Cour de cassation, chambre sociale, 11 mai 1994 : Dans cette affaire, le Conseil des prud’hommes avait refusé de verser des indemnités à un salarié licencié pour faute, en s’appuyant uniquement sur l’équité. La Cour de cassation a cassé cette décision, rappelant que le juge ne peut écarter une règle de droit pour statuer uniquement selon l’équité, même si la règle de droit peut sembler inéquitable.
-
Cour de cassation, chambre sociale, 4 décembre 1996 : Ici, le Conseil des prud’hommes s’était basé sur l’équité en l’absence de règle de droit spécifique. La Cour de cassation a rappelé que l’équité ne constitue pas une source de droit et que la décision de justice doit toujours être fondée sur une règle de droit existante.
En somme, les articles 627, alinéa 2 et 12 du Code de procédure civile confirment que l’équité ne peut pas se substituer à la règle de droit. La Cour de cassation rappelle donc systématiquement que l’équité ne peut pas fonder seule une décision, et qu’elle n’est tolérée que dans des cas limités pour accompagner la règle de droit et non la remplacer.
B) Le tempérament
Dans certains cas exceptionnels, la loi permet ou impose au juge de prendre en compte l’équité pour appliquer la règle de droit de manière plus juste et adaptée aux situations spécifiques des parties en conflit. Certains articles illustrent cette exception :
- Article 700 du Code de procédure civile
Cet article permet au juge de condamner une partie au remboursement des frais de procédure (les dépens) engagés par l’autre partie. Dans cette décision, le juge peut tenir compte de l’équité et de la situation économique et financière des parties. Par exemple, si une partie réclame 500 000 € au titre des dépens, le juge peut réduire ce montant pour que la décision reste équitable et proportionnée aux moyens de la partie condamnée.
Dans certains domaines non impératifs, les parties peuvent également demander au juge de statuer en équité. Cela signifie que le juge peut ne pas appliquer strictement les règles ordinaires de procédure et statuer en tenant compte des circonstances particulières, en ajustant la règle de droit au cas spécifique.
- Exemple : Article 12 du Code de procédure civile
Cet article, notamment dans le cadre de l’arbitrage, permet au juge de trancher le litige en équité lorsque les parties l’y autorisent expressément. Cela reste néanmoins limité aux situations où la règle de droit elle-même prévoit l’application de l’équité comme critère complémentaire.
L’équité selon Portalis
L’équité est un concept fondamental qui accompagne le droit mais ne peut s’y substituer. En 1804, Portalis, l’un des principaux rédacteurs du Code civil, a expliqué dans son discours préliminaire que l’équité pouvait intervenir lorsque la loi est incomplète ou imprécise. Dans ce discours, Portalis déclarait : « Quand la loi est claire, il faut la suivre ; quand elle est obscure, il faut en approfondir les dispositions ; si on manque de lois, il faut consulter l’équité. »
Ainsi, l’équité joue un rôle d’accompagnement du droit, permettant d’adapter une règle parfois trop générale ou inadéquate aux spécificités de certains cas, sans pour autant en faire la base unique d’un jugement. Portalis illustre ici que le recours à l’équité permet de réaliser les objectifs de justice du droit, en comblant les lacunes et en interprétant le droit dans une finalité d’équité.
III- Le rôle de l’équité devant l’arbitre
En matière d’arbitrage, l’équité occupe un rôle encore plus central. Contrairement au juge étatique, dont le pouvoir est limité par les règles de droit, l’arbitre tire son autorité de la convention d’arbitrage. Les parties au contrat d’arbitrage peuvent convenir des règles que l’arbitre appliquera pour rendre sa sentence. Ce pouvoir offre une plus grande latitude aux arbitres dans l’application de l’équité.
- Statuer en droit ou en équité : Dans certains contrats, les parties peuvent expressément demander à l’arbitre de statuer en équité, plutôt que sur la base stricte de la règle de droit. Cela signifie que l’arbitre peut fonder sa décision uniquement sur ce qu’il estime être juste, sans se référer aux règles juridiques applicables.
L’application de l’équité par l’arbitre permet ainsi d’obtenir des solutions adaptées, souples et individualisées, en se fondant davantage sur les circonstances concrètes de l’affaire et les attentes des parties que sur une application rigide de la loi. L’équité confère donc à l’arbitre la capacité de rendre une justice qui réponde plus étroitement aux exigences de l’affaire, notamment lorsque la loi paraît inadéquate ou trop sévère.
En conclusion, bien que la règle de droit et l’équité poursuivent toutes deux la justice, l’équité introduit un degré de flexibilité qui rend le droit plus humain et adaptable.
Le cours Introduction au droit français est divisé en plusieurs fiches (notion de droit, patrimoine, organisation judiciaire, sources du droit, preuves…)
- Introduction au droit français La séparation du droit privé et du droit public Les différentes branches du droit Les caractères du droit objectif Les sources juridiques (loi, jurisprudence, coutume…) Définition de la doctrine juridique Conflit entre la Constitution et les traités internationaux L’élaboration de la loi Histoire du droit français Le rapport entre la règle de droit et la morale Le rapport entre le droit et l’équité Le rapport entre le droit et la religion Conflit entre la loi et un traité international Les Principes généraux du droit ( PGD) L’interprétation de la règle de droit Conflit entre la loi et la Constitution Jurisprudence, source du droit? argument pour et contre Conflit temporel de normes juridiques Les sources supralégislatives
- La preuve par l’aveu judiciaire ou extrajudiciaire Définition et objet de la preuve Preuves et sources des droits subjectifs La preuve littérale Le serment (décisoire, supplétoire, estimatoire) La preuve légale, morale ou libre La charge de la preuve : principe et exception
- L’organisation des juridictions civiles en France
- La notion de patrimoine Le droit à l’image Le droit au respect de la vie privée Le Droit au respect du corps humain La distinction droits réels et droits personnels