Quels sont les effets du mariage quant au patrimoine des époux ?
Seuls les aspects personnels ne doivent pas masquer tous les effets pécuniaires du mariage. Le législateur est intervenu afin de prévoir un statut matrimonial de base qui s’impose à tout couple, figurant aux articles 212 à 226 du Code Civil.
Suivant le régime matrimonial choisi par le couple, d’autres règles s’appliqueront pour la gestion de leurs biens.
Attention : statut matrimonial et régime matrimonial ne doivent pas être confondus.
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I) Le statut matrimonial de base est le régime primaire :
Le régime primaire désigne un ensemble de règles impératives, applicables à tous les couples mariés, quel que soit leur régime matrimonial. Ces dispositions, introduites par la loi du 13 juillet 1965, sont d’ordre public (article 226 du Code civil) et visent à concilier l’indépendance des époux avec la protection des intérêts familiaux. Quels sont les principes généraux ?
- Applicabilité universelle : Ces règles s’imposent à tous les époux, sans qu’ils puissent y déroger par contrat.
- Objectifs principaux :
- Assurer l’indépendance des époux dans la gestion de leurs biens et leurs choix personnels.
- Protéger les intérêts de la famille, notamment en cas de crise ou de comportement nuisible d’un des conjoints.
A) Les rapports des époux entre eux
Le mariage instaure des obligations réciproques entre les époux, notamment en matière de secours, de contribution aux charges du mariage, et d’indépendance professionnelle. Ces principes, codifiés dans le Code civil, visent à équilibrer solidarité et autonomie au sein de l’union matrimoniale.
1. Le devoir de secours et la contribution aux charges du mariage
a) Le devoir de secours
-
Définition :
Le devoir de secours consiste à fournir une aide financière ou matérielle à son conjoint en situation de besoin. Ce devoir est d’ordre public (article 212 du Code civil) et demeure en vigueur :- Pendant la vie commune.
- En cas de séparation de fait, de corps, ou de divorce (article 270).
- Après le décès d’un conjoint :
- Obligation alimentaire due par la succession (article 767).
- Droit de jouissance gratuite du logement familial pendant un an (article 763).
-
Mise en œuvre :
Le devoir de secours prend la forme :- D’une pension alimentaire lorsque les époux ne vivent plus ensemble.
- D’un soutien matériel direct dans le cadre de la vie commune.
b) La contribution aux charges du mariage
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Champ d’application :
- La contribution aux charges du mariage dépasse la satisfaction des besoins alimentaires.
- Elle inclut les dépenses nécessaires à la vie familiale : logement, habillement, loisirs, voyages, etc. Ces dépenses profitent à toute la famille.
-
Proportionnalité aux ressources : Conformément à l’article 214 du Code civil, chaque époux participe à proportion de ses facultés respectives.
- Si un époux n’a pas de revenus, sa contribution peut être exécutée en nature, par exemple en s’occupant du foyer ou en assistant l’autre époux dans son activité professionnelle.
- Les dispositions de l’article 214 sont impératives et s’appliquent quel que soit le régime matrimonial.
-
Jurisprudence :
- Arrêt du 15 mai 2013 (1ère chambre civile) : Le remboursement des dépenses liées à un logement familial indivis est considéré comme une contribution aux charges du mariage, proportionnelle aux revenus de chaque époux.
- Arrêt du 12 juin 2013 (1ère chambre civile) : Le remboursement par un époux séparé de biens des emprunts pour un terrain ou une maison indivise relève de la contribution aux charges du mariage, sans nécessairement dépasser ce devoir.
-
Manquement à l’obligation : En cas de défaillance d’un époux, l’autre peut saisir le juge aux affaires familiales (JAF) pour fixer une contribution (article 214). Cette procédure est simple et rapide, sans besoin d’un avocat.
2. L’indépendance pour les actes de la vie professionnelle
a) Liberté professionnelle
L’article 223 du Code civil garantit l’indépendance professionnelle des époux :
- Chaque époux peut choisir librement sa profession, sans autorisation préalable.
- Cette liberté, acquise historiquement :
- 1938 : La femme peut exercer une profession, mais son mari conserve un droit de veto.
- 1965 : Suppression de ce droit d’opposition, consacrant une égalité professionnelle entre époux.
b) Gestion des revenus professionnels
L’article 224 du Code civil régit la perception et la gestion des revenus :
- Chaque époux perçoit ses propres rémunérations et peut en disposer librement.
- Toutefois, cette autonomie est conditionnée par l’obligation de s’acquitter des charges du mariage avant toute autre utilisation des revenus.
En résumé : Les rapports entre époux combinent des obligations de solidarité, comme le devoir de secours et la contribution aux charges du mariage, avec le respect de l’indépendance, notamment en matière professionnelle. Ces règles, encadrées par le Code civil, garantissent à la fois l’équilibre des responsabilités familiales et la liberté individuelle de chaque conjoint.
B) Les rapports des époux avec les tiers
Dans le cadre du mariage, les époux sont soumis à des règles spécifiques concernant leurs relations avec les tiers, notamment en matière de dettes, de gestion des biens et de protection du logement familial. Ces dispositions visent à garantir à la fois la solidarité conjugale et la protection des intérêts individuels.
1. La solidarité des dettes du ménage
a) Principe de solidarité
L’article 220 du Code civil pose une règle fondamentale : les dettes contractées par un époux pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants engagent solidairement les deux époux. Cela signifie que le créancier peut demander le paiement de la totalité de la dette à l’un des époux, indépendamment de celui qui l’a contractée.
- Origine historique :
Avant 1965, la jurisprudence avait développé la théorie du mandat tacite, selon laquelle un époux (souvent la femme) était présumé agir avec l’accord de l’autre pour les actes de la vie courante. Depuis 1965, cette solidarité est inscrite dans la loi.
b) Champ d’application de l’article 220
-
Dépenses couvertes par la solidarité :
- Entretien du ménage : Logement, nourriture, habillement, santé, etc.
- Éducation des enfants : Scolarité, loisirs, activités sportives, etc.
La jurisprudence adopte une interprétation large, incluant des dépenses non contractuelles si elles sont liées à ces objets.
-
Application en cas de séparation de fait :
La solidarité s’applique même lorsque les époux ne vivent plus ensemble, sauf en cas de séparation légale (décision judiciaire autorisant les époux à résider séparément).
c) Exceptions à la solidarité
L’article 220 du Code civil prévoit des limites à la solidarité pour protéger le conjoint non contractant :
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Dettes manifestement excessives :
- Dépenses disproportionnées par rapport au train de vie du couple ou inutiles (ex. : achats somptuaires).
- Bonne foi du créancier : Si le créancier ignorait la situation matérielle des époux, la solidarité peut être écartée.
-
Achats à crédit ou emprunts :
- La solidarité ne s’applique pas aux achats à tempérament ou aux emprunts, sauf si ces derniers concernent des sommes modestes nécessaires aux besoins courants.
- Si les deux époux donnent leur consentement exprès à l’acte, la solidarité est rétablie de plein droit.
d) Jurisprudence notable
- Arrêt du 27 novembre 2001 (1ère chambre civile) :
Pour qu’un emprunt relève de la solidarité, il doit être :- Destiné aux besoins ménagers.
- D’un montant modique.
- Nécessaire à la vie courante.
2. Le pouvoir de passer des actes concernant les meubles détenus individuellement
a) Principe du pouvoir individuel
L’article 222 du Code civil confère à chaque époux le pouvoir de gérer seul les meubles qu’il détient individuellement, pour des actes d’administration ou de disposition. Ce pouvoir est présumé pour les tiers de bonne foi.
b) Limites du principe
Certains biens sont exclus de cette présomption de pouvoir :
- Biens non susceptibles de détention individuelle :
- Droits incorporels (ex. : droits d’auteur, parts sociales).
- Biens affectés au logement familial :
- Meubles meublants nécessaires à la vie familiale.
- Biens personnels présumés appartenir à l’autre conjoint :
- Linge personnel, instruments de travail, etc.
3. La protection du logement familial
a) Principe de protection
L’article 215, alinéa 3, du Code civil protège le logement familial en interdisant à un époux de disposer seul des droits assurant le logement de la famille et des meubles qui le garnissent.
b) Champ d’application
-
Actes concernés :
- Vente ou donation de la pleine propriété.
- Constitution d’une hypothèque.
- Conclusion d’un bail portant sur le logement familial.
-
Situation de propriété :
- Si le logement appartient aux deux époux, leur consentement mutuel est requis.
- Si le logement appartient à un seul époux, il ne peut le vendre ou l’hypothéquer sans l’accord de l’autre.
c) Sanction en cas de non-respect
L’acte passé sans le consentement requis est frappé de nullité relative, qui peut être invoquée :
- Par l’époux dont le consentement fait défaut.
- Délai de prescription :
- Un an à compter du jour où l’époux lésé a eu connaissance de l’acte.
- En tout état de cause, pas plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial.
En résumé : Les rapports entre époux et tiers s’organisent autour de principes de solidarité, de pouvoir individuel et de protection des biens familiaux. Si les époux sont solidaires pour les dettes liées à l’entretien du ménage et à l’éducation des enfants, des limites existent pour éviter les abus. En matière de gestion des biens, la présomption de pouvoir individuel est encadrée par des exceptions. Enfin, le logement familial bénéficie d’une protection renforcée, interdisant les actes unilatéraux susceptibles de compromettre la stabilité du foyer.
C) Les règles spéciales en période de crise
Le régime primaire prévoit des mesures spécifiques pour gérer les situations où un époux est incapable de manifester sa volonté ou met en péril les intérêts familiaux. Ces mesures incluent la représentation conventionnelle, l’habilitation judiciaire, et l’intervention judiciaire.
a) Représentation conventionnelle
- Article 218 du Code civil :
Un époux peut donner un mandat révocable ad nutum (à tout moment) à son conjoint pour le représenter dans les actes que le régime matrimonial lui attribue.- Exemple : Ce dispositif est souvent utilisé en cas de longue absence ou d’impossibilité temporaire.
b) Habilitation judiciaire
-
Article 219 du Code civil :
Lorsqu’un époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté, l’autre peut demander au juge de se faire habiliter pour le représenter.- L’habilitation peut être :
- Générale, pour l’ensemble des actes nécessaires.
- Spécifique, pour un acte particulier (ex. : vente d’un bien propre).
- L’habilitation peut être :
-
Article 217 du Code civil :
Si un époux a besoin de l’autorisation de l’autre pour passer un acte (ex. : acte grave portant sur un bien commun), il peut demander au juge de l’autoriser à agir seul si le conjoint est dans l’incapacité de donner son consentement.
c) Intervention judiciaire en cas de comportement nuisible
-
Article 220-1 du Code civil :
Si le comportement d’un époux est jugé nuisible pour la famille (ex. : dilapidation de patrimoine, endettement excessif, violences), l’autre époux peut saisir le juge aux affaires familiales (JAF).-
Conditions d’intervention :
- Manquements graves aux devoirs conjugaux.
- Mise en péril des intérêts familiaux.
-
Mesures possibles par le JAF :
- Interdire à l’époux fautif de disposer seul de ses biens propres ou communs.
- Empêcher le déplacement de certains meubles importants.
- Nommer un administrateur provisoire pour gérer le patrimoine du couple.
-
Durée : Ces mesures ne peuvent excéder trois ans.
-
d) Résidence séparée pour violences conjugales
- Articles 515-9 et suivants du Code civil :
En cas de violences conjugales, des mesures spécifiques permettent :- D’attribuer le logement familial à l’époux victime.
- D’éloigner l’époux violent par une interdiction de résidence commune.
- De garantir une protection pour les enfants et les biens familiaux.
II) Le régime matrimonial secondaire
Le régime matrimonial secondaire s’ajoute au régime primaire, qui régit les principes fondamentaux applicables à tous les couples mariés. Les époux choisissent librement leur régime matrimonial avant le mariage, généralement en fonction de leurs besoins patrimoniaux ou professionnels. En l’absence de contrat de mariage, le régime légal s’applique automatiquement : la communauté réduite aux acquêts.
A) Le régime légal : la communauté réduite aux acquêts
Ce régime, par défaut, distingue entre biens communs et biens propres :
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Biens communs :
- Incluent les biens acquis par les époux à titre onéreux pendant le mariage, qu’ils proviennent des revenus professionnels ou de l’épargne commune.
- Ces biens représentent la richesse générée par l’effort commun du couple.
-
Biens propres :
- Incluent :
- Les biens possédés avant le mariage.
- Les biens reçus pendant le mariage par donation ou succession.
- Incluent :
-
Gestion des biens :
- Biens propres : Chaque époux conserve une gestion exclusive de ses biens propres.
- Biens communs :
- Les actes courants d’administration relèvent d’une gestion conjointe ou concurrente.
- Les actes de disposition importants (vente, hypothèque) nécessitent un accord des deux époux.
- En cas de désaccord profond sur les biens communs, les règles de gestion concurrente s’appliquent.
-
Dettes :
- Chaque époux engage ses biens propres et les biens communs pour les dettes qu’il contracte, sauf exceptions prévues par l’article 220 du Code civil.
- Les gains et salaires de l’autre époux sont protégés et ne peuvent être saisis pour régler ces dettes.
B) Les régimes conventionnels
Si les époux souhaitent déroger au régime légal, ils peuvent opter pour un régime conventionnel via un contrat de mariage établi par un notaire. Ces régimes sont choisis en fonction des spécificités patrimoniales et des activités professionnelles des époux.
1. La communauté universelle :
Dans ce régime, tous les biens des époux sont mis en commun, qu’ils soient acquis avant ou pendant le mariage, ou reçus à titre gratuit.
- Caractéristiques : Une seule masse de biens communs. Idéal pour les couples cherchant une solidarité patrimoniale totale.
- Avantages : Simplifie la gestion et le partage des biens. Très favorable au conjoint survivant, surtout en cas de clause d’attribution intégrale au survivant.
- Inconvénients : Expose l’ensemble du patrimoine commun aux créanciers de chaque époux.
2. La séparation des biens :
Dans ce régime, chaque époux conserve la propriété exclusive de ses biens. Il n’existe pas de masse commune.
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Caractéristiques :
- Chaque époux gère son patrimoine (biens apportés, acquis avec ses revenus, ou reçus à titre gratuit).
- L’obligation de contribution aux charges du ménage est maintenue.
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Avantages :
- Protège les patrimoines individuels contre les dettes du conjoint.
- Idéal pour les couples exerçant des professions à risque (ex. : entrepreneurs).
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Inconvénients : Peut désavantager l’époux économiquement plus faible, notamment en cas de divorce.
3. La participation aux acquêts :
Ce régime combine les avantages de la séparation des biens et de la communauté.
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Caractéristiques :
- Pendant le mariage : Fonctionne comme une séparation de biens.
- À la dissolution : Le régime devient communautaire, et les richesses accumulées par le couple (acquêts) sont partagées équitablement.
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Avantages :
- Préserve l’indépendance patrimoniale pendant le mariage.
- Protège l’époux économiquement désavantagé en cas de séparation ou de décès.
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Inconvénients : Le calcul des acquêts et la liquidation peuvent être complexes.
C) Les questions fondamentales des régimes matrimoniaux
Quel que soit le régime choisi, trois problématiques principales se posent :
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Propriété des biens :
- Séparation des biens : Chacun reste propriétaire exclusif de ses biens.
- Communauté : Certains biens deviennent communs, formant une masse partagée.
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Responsabilité vis-à-vis des créanciers :
- En régime communautaire, les créanciers peuvent saisir les biens communs pour les dettes d’un époux.
- En séparation de biens, les créanciers ne peuvent saisir que les biens propres du débiteur.
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Gestion des biens :
- Régimes communautaires : Gestion conjointe ou concurrente pour les biens communs, avec cogestion pour les actes graves.
- Régime séparatiste : Chaque époux gère librement ses biens.
En résumé : Le régime matrimonial secondaire est choisi par les époux avant leur mariage ou s’impose par défaut (communauté réduite aux acquêts). Les régimes conventionnels (communauté universelle, séparation de biens, participation aux acquêts) offrent des solutions adaptées à différentes situations patrimoniales et professionnelles. Chaque régime répond à des besoins spécifiques en matière de propriété, de responsabilité face aux créanciers, et de gestion des biens.