Les effets du mariage quant au patrimoine des époux
Seuls les aspects personnels ne doivent pas masquer tous les effets pécuniaires du mariage. Le législateur est intervenu afin de prévoir un statut matrimonial de base qui s’impose à tout couple, figurant aux articles 212 à 226 du Code Civil.
Suivant le régime matrimonial choisi par le couple, d’autres règles s’appliqueront pour la gestion de leurs biens.
Attention : statut matrimonial et régime matrimonial ne doivent pas être confondus.
- 1) Le statut matrimonial de base est le régime primaire :
Ces règles ont la particularité d’être applicables à tous les couples quel que soit le régime matrimonial choisi (article 226 du Code Civil) et d’ordre public (la volonté des époux ne pourrait pas les écarter).
Cet ensemble de règles résulte de la loi du 13 juillet 1965 qui a réformé le droit des régimes matrimoniaux. Il est qualifié de régime primaire. Son objectif est de tenter d’assurer l’indépendance des époux et en même temps la sauvegarde des intérêts familiaux. L’étude portera successivement sur les rapports des époux entre eux puis ceux des époux avec les tiers.
a) Les rapports des époux entre eux
- Le devoir de secours et la charge du mariage
Article 212 du Code Civil : « Les époux se doivent mutuellement … secours ».
Article 214 du Code Civil : « Si les conventions matrimoniales ne règlent pas la contribution des époux aux charges du mariage, ils y contribuent à la proportion de leurs facultés respectives ».
Le devoir de secours n’apparaît isolément par rapport à la contribution aux charges du mariage, lorsque la vie commune cesse. Si l’un des époux établit qu’il se trouve dans le besoin, l’autre lui devra une pension alimentaire destinée à couvrir ses besoins élémentaires. Le devoir de secours consiste à aider financièrement quelqu’un dans le besoin, l’aider à subsister, ce devoir demeure jusqu’au prononcé du divorce (article 270 du Code Civil) et en cas de décès de l’époux (obligation alimentaire due par la succession article 767 du Code Civil ; droit de jouir gratuitement du logement commun pendant un an à compter du décès : article 763 du Code Civil).
L’article 214 du Code Civil impose aux époux de participer aux dettes contractées par le mariage, cela dépasse la simple satisfaction des besoins alimentaires. Pour que cette contribution aux charges existe, il n’est pas nécessaire qu’un époux soit dans le besoin (CA Bordeaux le 14 juin 2000). En principe lorsque les époux vivent ensemble, le devoir de secours est remplacé par la contribution aux charges du mariage, qui subsiste en cas de simple séparation met fin aux devoirs du mariage : article 270 du Code Civil nouveau. Dans l’hypothèse du divorce pour rupture de la vie commune, le devoir de secours subsiste : article 239 ancien du Code Civil et en cas de séparation des corps : article 303 du Code Civil.
Chacun des époux doit participer aux dépenses nécessaires à la vie du ménage. Ces charges dépendent du train de vie du ménage. Sont considérées comme des dépenses nécessaires celles relatives à l’habillement, aux loisirs, au logement, à l’alimentation, voyages… Les « charges du mariage » se définissent essentiellement par leur caractère familial : ces dépenses profitent à toute la famille, pas seulement à un des époux. Chaque époux y contribue à proportion de ses facultés respectives. Si l’un n’a pas de revenus, l’autre contribuera intégralement aux charges du ménage. Celui qui reste au foyer ou qui aide son époux dans son activité professionnelle exécute sa contribution en nature.
Arrêt de la première chambre civile le 15 mai 2013, n°11-26 933 : rappelle que les dispositions de l’article 214 du Code Civil sont d’ordre public et s’appliquent à tout couple marié peu importe le régime matrimonial choisi « Mais attendu qu’après avoir relevé, par motifs adaptés que l’immeuble indivis constituait le logement de famille, la Cour d’appel a pu décider que le paiement des dépenses afférentes à l’acquisition et à l’aménagement de ce bien participait de l’exécution par le mari de son obligation de contribuer aux charges du mariage ; que la portée de la présomption instituée par la clause de répartition de ces charges n’ayant pu être débattue devant les juges de fond, ceux-ci, qui, sans être tenus de suivre les parties dans le détail de leur argumentation, ont constaté que, pendant toute la durée de la vie commune, le mari avait disposé de revenus confortables tandis que ceux de son épouse, qui avait travaillé de manière épisodique, avaient été beaucoup plus faibles et irréguliers, ont souverainement estimé que les paiements effectués par le mari l’avaient été en proportion de ses facultés contributives ».
Arrêt de la première chambre civile du 12 juin 2013 n°11-26 748 : Ne dépasse pas nécessairement le devoir de contribuer aux charges du mariage le remboursement par un des époux séparé de biens des emprunts destiné à l’acquisition indivise d’un terrain puis à la construction du logement familial.
Si un des époux ne remplit pas cette obligation, son conjoint peut demander au JAF de fixer sa contribution (en cas de crise, article 214 du Code Civil : procédure très simple et rapide, sans ministère d’avocat).
- L’indépendance pour les actes de la vie professionnelle
Le mari et la femme peuvent choisir leur profession sans autorisation préalable. Les régimes matrimoniaux fixent le sort des gains et salaires ainsi que des biens que chaque époux peut engager par son activité professionnelle.
Article 223 du Code Civil : « Chaque époux peut librement exercer une profession ».
Si le mari a toujours eu cette liberté, la femme en revanche ne pouvait exercer une activité professionnelle sans l’accord de son mari. C’est à partir de 1938 qu’elle a pu exercer une profession sauf opposition de son mari. Ce droit de véto a disparu en 1965.
Article 224 du Code Civil : « Chaque époux perçoit lui-même ses rémunérations et peut en disposer librement après s’être acquitté des charges du mariage ».
b) Les rapports des époux avec les tiers
- La solidarité des dettes du ménage
Lorsqu’un époux passe un contrat avec un tiers, celui-ci est-il seul engagé par son acte ou engage-t-il en même temps son conjoint ? Le Code Civil n’avait rien de prévu. La jurisprudence a voulu protéger les tiers contractants en faisant appel à la théorie du mandat tacite : « La femme est censée avoir reçu un mandat tacite de son mari pour les actes de la vie courante ».
Depuis 1965, l’article 200 du Code Civil pose le principe de la solidarité des dettes du ménage. « Chacun des époux à pouvoir pour passer seul les contrats qui ont pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants : toute dette ainsi contractée par l’un oblige l’autre solidairement ». C’est une véritable solidarité (le créancier peut demander le paiement de la totalité de la dette à l’un deux).
Cela a deux conséquences :
- · L’article 220 du Code Civil s’applique même si les époux sont séparés de fait. Sa seule limite est la séparation légale lorsque les époux ont été autorisés par décision de justice à ne plus résider ensemble.
- · La solidarité concerne toutes les dépenses d’entretien du ménage ou d’éducation des enfants. Elles visent les dépenses de la vie courante comme le logement, la nourriture, les vêtements… et celles provoquées par l’éducation des enfants comme la scolarité, les loisirs… La jurisprudence a adopté une conception large. Elle estime que l’article 220 du Code Civil qui fait peser sur les époux une obligation solidaire a vocation à s’appliquer à toute dette même non contractuelle ayant pour objet l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants et n’opère aucune distinction entre l’entretien actuel et futur du ménage.
Cette règle est tempérée par la loi elle-même qui prévoit que cette solidarité ne jouera pas :
- · Article 220 alinéa 2 du Code Civil : pour les dettes manifestement excessives eu égard au train de vie du couple, à l’utilité ou l’inutilité de la dépense (exemple : achat somptuaire) à la bonne foi du contractant (celui-ci ignorait la situation matérielle des époux)
- · Article 220 alinéa 3 du Code Civil : pour les achats à crédit payés par fraction ou achats à tempéraments, pour les emprunts.
La loi exclut la solidarité pour les emprunts à moins que ces derniers ne portent « sur des sommes modestes nécessaires aux besoins de la vie courante ». Mais la loi restaure la solidarité pour les achats à crédit et emprunts conclus avec le consentement des deux époux. La jurisprudence retient ici une conception plus étroite comme le démontre l’arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de Cassation le 27 novembre 2001 qui a fait l’objet de nombreux commentaires. Pour qu’un emprunt relève de la solidarité des dettes du ménage, il faut démontrer que l’emprunt à un objet ménager, qu’il est modique, enfin qu’il est nécessaire aux besoins de la vie courante.
Mais lorsque les deux époux ont consenti personnellement à l’acte d’emprunt ou d’achat à tempérament et de façon expresse, la solidarité joue à nouveau de plein droit.
- Le pouvoir de passer des actes concernant les meubles détenus individuellement
C’est le cas des époux qui veut aliéner seul un meuble dont il est possesseur.
Aux termes de l’article 222 du Code Civil, l’époux est réputé, à l’égard des tiers de bonne foi, avoir le pouvoir de faire seul l’acte d’administration ou de disposition sur le bien qu’il détient individuellement.
Il existe cependant des limites à cette présomption de pouvoir : sont exclus du champ d’application de l’article 222 du Code Civil à la fois les immeubles et les meubles insusceptibles de détention individuelle (essentiellement sur les droits incorporels qui ne peuvent faire l’objet d’une main mise matérielle), les meubles meublant le logement familial et les meubles corporels dont la nature fait présumer la propriété de l’autre conjoint comme le linge personnel, les instruments de travail…
- La protection du logement familial
Article 215 alinéa 3 du Code Civil : « Les époux ne peuvent l’un sans l’autre disposer des droits par lesquels est assuré le logement de la famille ni les meubles meublant dont il est garni ».
Cela vise les actes d’aliénation de la pleine propriété du logement familial et de constitution d’hypothèque ou de bail. Cette règle est utile non pas quand le logement appartient aux deux puisqu’alors le consentement des deux époux est requis, mais quand il est la propriété exclusive de l’un des époux. Dans ce cas, pour le vendre ou l’hypothéquer, l’accord des deux est requis. Si l’un d’eux n’a pas donné son consentement, il pourra demander l’annulation de l’acte. Il s’agit d’une cause de nullité relative qui se prescrit au bout d’un an à compter du jour ou l’époux dont le consentement manque a eu connaissance de l’acte, sans que cette action soit intentée plus d’un an après la dissolution du régime matrimonial.
c) Les règles spéciales en période de crise
Le mariage était une institution de longue durée, le législateur a prévu des dispositions applicables dans le cas où l’un des époux ne pourrait manifester sa volonté ou lorsque ses actes deviendraient dangereux pour la famille.
- La représentation conventionnelle :
- Article 218 du Code Civil: un époux peut donner mandat révocable ad nutum à l’autre époux afin de le représenter dans l’exercice des pouvoirs que le régime matrimonial attribue, en cas de longue absence par exemple.
- L’habilitation judiciaire :
- · Article 219 du Code Civil : lorsqu’un époux se trouve hors d’état de manifester sa volonté et qu’il doit accomplir un acte particulier comme la vente d’une maison qui lui est propre, le conjoint a la faculté de se faire habiliter à représenter son époux, soit d’une manière générale, soit pour un acte particulier.
- · Article 217 du Code Civil : lorsqu’un conjoint ne peut manifester sa volonté et ou l’autre conjoint aurait besoin de son autorisation pour passer un acte, ce dernier peut être autorisé par justice à passer l’acte concerné.
- L’intervention judiciaire :
Article 220-1du Code Civil : lorsque le comportement d’un des époux est nuisible pour la famille, le JAF peut être saisi par l’autre conjoint pour obtenir une mesure urgente à condition qu’il constate :
- · Des manquements graves d’un époux à ses devoirs
- · La mise en péril des intérêts de la famille
- · Le juge pourra prescrire toutes les mesures urgentes justifiées dans l’intérêt de la famille
Il pourra interdire à cet époux de faire sans le consentement de l’autre des actes de disposition tant sur ses biens propres que sur ceux de la communauté, le déplacement de certains meubles, confier à un administrateur provisoire dans la gestion du patrimoine des conjoints… Cette représentation ne pourra excéder 3 ans.
Sur la résidence séparée des époux en cas de violences conjugales : article 515-9 et suivants du Code Civil.
- 2) Le régime matrimonial secondaire :
Au régime primaire précédemment décrit, s’ajoutent les régimes matrimoniaux. Ceux-ci sont choisis par les époux au moment du mariage, avant la célébration de celui-ci. Si aucun régime n’est choisi par les époux au moment du mariage, c’est le régime légal qui s’impose : la communauté réduite aux acquêts.
a) Le régime légal : la communauté réduite aux acquêts
Ce régime distingue :
- Les biens communs acquis par les époux pendant le mariage
- Les biens propres (biens dont chacun était propriétaire avant de se marier + biens acquis à titre gratuit par chaque époux pendant le mariage).
Chacun gère ses biens propres. Pour les biens communs, il y a gestion conjointe pour les actes d’administration et la majorité des actes de disposition. En cas de désaccord profond, on applique les règles de la gestion concurrente. Quant aux dettes, chaque époux par ses activités engage ses biens propres et les biens communs, sauf les gains et salaires de l’autre article 220 du Code Civil.
b) Les régimes conventionnels
A côté de ce régime légal, il existe des régimes conventionnels. S’il en est choisi un par les époux, un notaire devra obligatoirement établir un contrat de mariage. Ce choix se fait en fonction de la profession des époux, de leurs fortunes respectives… S’ils le souhaitent, les époux pourront éventuellement changer de régime matrimonial au cours de leur vie maritale (procédure particulière soumise à l’homologation).
- La communauté universelle : tout est mis en commun :
- Le régime de la séparation des biens :
Tout se passe comme si les époux n’étaient pas mariés. Il n’y a que des biens personnels à chaque époux et pas de masse commune. Chacun gère son patrimoine : les biens apportés et ceux acquis grâce à ses revenus, sous réserve de sa participation aux charges du ménage et aux devoirs du mariage. Lorsqu’il y a dissolution de l’union, il n’y a en principe pas de partage.
- Le régime de la participation aux acquêts :
Régime tendant à concilier tous les avantages. Jusqu’à la dissolution du mariage, tout se passe comme dans le régime de la séparation des biens. Au moment de la dissolution, on applique le régime de la communauté et la masse commune est divisée en deux.