La quatrième République
La naissance de la quatrième République s’inscrit dans un contexte marqué par l’affrontement idéologique entre deux visions du pouvoir à savoir le régime autoritaire de Vichy et les idéaux de la Résistance :
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Le régime autoritaire hérité de Vichy :
- Pendant l’Occupation, le régime de Vichy symbolise un État centralisé et autoritaire, dirigé par un chef fort (le maréchal Pétain) et dénué de toute démocratie parlementaire.
- Ce modèle de pouvoir, qui trouve écho dans certaines traditions politiques françaises, s’oppose aux aspirations démocratiques de la Résistance.
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Les idéaux de la Résistance :
- À travers le Conseil national de la Résistance (CNR), les mouvements de la Résistance imaginent une République idéale, réformée pour corriger les défauts de la troisième République tout en s’assurant d’un fonctionnement démocratique.
- Les débats au sein du CNR tracent les contours des institutions futures, notamment en insistant sur l’importance de la souveraineté populaire, la représentation démocratique, et la protection des libertés fondamentales.
Le projet de la quatrième République
1. Une volonté de rupture avec la IIIe République :
- Dès la libération, la construction d’une nouvelle République devient une priorité. L’objectif est de rompre avec l’instabilité chronique de la troisième République, marquée par des crises gouvernementales à répétition.
- Les débats constitutionnels de 1945-1946 s’articulent autour de deux impératifs :
- Protéger la souveraineté parlementaire, perçue comme la clé de la démocratie.
- Éviter les excès du pouvoir exécutif, accusé d’avoir favorisé les régimes autoritaires (Second Empire, Vichy).
2. Une instabilité institutionnelle persistante :
- Malgré les efforts pour rationaliser le parlementarisme, la quatrième République reproduit les travers de la troisième :
- Une souveraineté parlementaire exacerbée, qui fragilise l’exécutif.
- Des coalitions gouvernementales instables, incapables de gouverner durablement.
- Cette fragilité conduit à l’effondrement du régime dès la première grande crise, celle de l’Algérie, en 1958.
Liste des autres articles :
Section 1 – La Quatrième république : installation, institutions et instabilité
I. Le débat constitutionnel de 1945-1946 et la mise en place de la 4ème République
Le débat constitutionnel de 1945-1946 révèle les tensions profondes entre visions parlementaires et exécutives en France. Bien que le compromis final ait permis l’adoption de la Constitution, la IVe République naît sans réel enthousiasme populaire et reste marquée par des institutions fragiles. Ces failles structurelles contribueront à son effondrement en 1958, ouvrant la voie à la Ve République et à un rééquilibrage des pouvoirs.
Le contexte de la libération : vers une nouvelle Constitution
À la libération, la chute du régime de Vichy laisse un vide institutionnel que le gouvernement provisoire cherche à combler. Pour asseoir sa légitimité, il prépare un référendum national tout en organisant des élections à une Assemblée constituante. Ce référendum marque une étape clé dans l’histoire politique française.
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Le référendum du 21 octobre 1945 : un choix fondateur
- Deux questions sont posées aux citoyens :
- Souhaitent-ils que l’Assemblée élue ce jour ait un rôle constituant ?
- Acceptent-ils que cette Assemblée ne soit pas souveraine, et que son projet soit soumis à ratification populaire ?
- Résultats :
- Large approbation de ces propositions, confirmant implicitement que la Constitution de 1875 est abrogée.
- Ces élections marquent également une avancée historique : les femmes votent pour la première fois, en vertu de l’ordonnance de 1944.
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La composition politique de l’Assemblée constituante
- Tripartisme politique :
- Les trois grands partis issus de la Résistance dominent :
- Parti communiste (PC).
- Section française de l’internationale ouvrière (SFIO), représentant les socialistes.
- Mouvement républicain populaire (MRP), d’inspiration démocrate-chrétienne.
- Cette coalition symbolise l’unité nationale, mais des divergences idéologiques se dessinent rapidement.
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La démission de De Gaulle
- Le Général de Gaulle, figure centrale de la Résistance, est chef du gouvernement provisoire. Cependant, en janvier 1946, il démissionne en raison de désaccords sur la nature des institutions futures.
- Son départ reflète une tension croissante entre les visions institutionnelles : De Gaulle préconise un exécutif fort, ce qui s’oppose à l’orientation parlementaire majoritaire.
Premier projet de Constitution : échec et rejet
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Le contenu du projet : un régime d’assemblée
- Élaboré principalement par le PC et la SFIO, ce projet donne une place prépondérante à l’Assemblée nationale.
- Principales caractéristiques :
- Une assemblée unique concentre tous les pouvoirs.
- Le Président de la République, élu par cette Assemblée, a un rôle secondaire.
- Les partis politiques se voient conférer un statut officiel.
- Cette orientation jacobine rappelle le schéma de la Convention nationale de 1793, mais soulève de vives critiques.
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Les oppositions
- Le MRP et les partis de droite s’opposent à cette concentration des pouvoirs législatifs.
- De Gaulle critique vivement ce projet, qu’il juge déséquilibré et inefficace, évoquant le risque d’un retour à l’instabilité.
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Le rejet populaire
- Le 5 mai 1946, le projet est soumis à référendum.
- Résultat : 53% de « non », révélant un rejet clair du régime d’assemblée.
- Conséquence : dissolution de l’Assemblée constituante et organisation de nouvelles élections.
Deuxième Assemblée constituante : compromis et adoption
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Les nouvelles élections de juin 1946
- Le scrutin proportionnel départemental reste en vigueur, et le tripartisme domine toujours.
- Cependant, les leçons du premier échec incitent à associer le MRP à l’élaboration du nouveau projet.
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Le discours de Bayeux : l’alternative gaullienne
- Le 16 juin 1946, à Bayeux, De Gaulle présente sa vision des institutions :
- Un Président de la République fort, élu par un large collège, disposant de pouvoirs exécutifs étendus.
- Cette proposition, bien que novatrice, est rejetée par la majorité des partis, qui la jugent dangereusement proche du césarisme.
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Le compromis avec le MRP
- Le nouveau projet intègre une seconde chambre, le Conseil de la République, aux pouvoirs limités, pour apaiser les réticences du MRP.
- Ce compromis rappelle celui de 1875, avec la création du Sénat pour satisfaire les monarchistes.
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Le référendum du 13 octobre 1946
- La nouvelle Constitution est approuvée, mais de justesse :
- 53% de « oui » parmi les suffrages exprimés.
- Taux d’abstention élevé (31%), signalant une adhésion populaire limitée.
- La France semble divisée en trois blocs : les partisans du « oui », du « non », et les abstentionnistes.
La mise en place de la IVe République
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Promulgation et début du régime
- La Constitution est promulguée le 27 octobre 1946, marquant le début officiel de la IVe République.
- Elle introduit un régime parlementaire rationalisé, mais cette rationalisation se révèle rapidement insuffisante.
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Les premières élections et nominations
- Le 10 novembre 1946, des élections législatives sont organisées, avec une assemblée toujours dominée par le tripartisme.
- Le 16 janvier 1947, Vincent Auriol (SFIO) est élu Président de la République par le Parlement réuni en Congrès.
- Le lendemain, Paul Ramadier, également socialiste, est nommé Président du Conseil. Il obtient un vote de confiance le 21 janvier.
II. Les institutions de la IVe République : rationalisation manquée et instabilité structurelle
La IVe République, proclamée en 1946, repose sur un régime parlementaire visant à corriger les excès de la IIIe République, notamment son instabilité ministérielle. Cependant, les tentatives de rationalisation du parlementarisme échouent rapidement, laissant place à un système déséquilibré, dominé par une Assemblée nationale toute-puissante.
Un parlement bicaméral au rôle inégal
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Une Assemblée nationale prédominante
- Élue au suffrage universel direct et à la proportionnelle départementale, l’Assemblée nationale joue un rôle central. Elle dispose du pouvoir législatif, vote le budget, investit le Président du Conseil, et contrôle le gouvernement par la mise en œuvre de sa responsabilité politique.
- Avec ses 627 sièges et un scrutin proportionnel clair (modifié par la loi des apparentements de 1951 pour marginaliser les partis extrêmes), elle devient le cœur du pouvoir, héritant de la tradition de souveraineté parlementaire.
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Un Conseil de la République affaibli
- Remplaçant le Sénat, le Conseil de la République est conçu comme une institution secondaire.
- Élu au suffrage universel indirect, il ne peut ni renverser le gouvernement ni peser significativement sur la législation.
- Ce rôle affaibli accentue la concentration des pouvoirs au sein de l’Assemblée nationale, renforçant sa domination.
Un Président de la République réduit à une figure morale
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Un rôle essentiellement symbolique
- Le Président de la République est élu pour 7 ans par l’Assemblée nationale et le Conseil de la République réunis en Congrès.
- Ses pouvoirs sont limités : il peut désigner le Président du Conseil, mais cette nomination doit être ratifiée par l’Assemblée nationale.
- Tous ses actes doivent être contresignés par un ministre, ce qui le rend politiquement irresponsable.
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Une magistrature morale
- Sous Vincent Auriol (1947-1954) et René Coty (1954-1958), le Président de la République incarne une autorité morale plutôt qu’une force politique.
- René Coty, par exemple, fut élu au 13e tour de scrutin, symbolisant les difficultés institutionnelles et les divisions politiques.
Un gouvernement sous pression
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Le Président du Conseil : un rôle central mais contraint
- La fonction est enfin constitutionnalisée, contrairement à la IIIe République.
- Le Président du Conseil est désigné par le Président de la République, mais doit obtenir une investiture personnelle de l’Assemblée nationale, nécessitant une majorité absolue (316 voix sur 630 membres).
- Après sa nomination, il doit former son gouvernement et représenter son programme devant l’Assemblée, où il peut également demander une seconde investiture pour son équipe ministérielle (pratique non prévue mais devenue coutumière dès 1947, créant le système de la « double investiture »).
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Des pouvoirs limités par l’Assemblée nationale
- Bien qu’il dispose du pouvoir réglementaire et théoriquement de la dissolution, le Président du Conseil reste subordonné à l’Assemblée nationale.
- Le droit de dissolution, exercé par le Président de la République, est strictement encadré : il nécessite le renversement de deux gouvernements par la majorité absolue en 18 mois. Ce mécanisme, censé prévenir l’instabilité, est inefficace et ne sera utilisé qu’une seule fois, par Edgar Faure en 1955.
Les mécanismes de rationalisation : une inefficacité chronique
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La responsabilité politique
- Le gouvernement est responsable devant l’Assemblée nationale, et ce lien est formalisé à travers deux mécanismes principaux :
- La question de confiance, posée par le Président du Conseil après délibération avec son gouvernement. Le gouvernement est renversé si la majorité absolue vote contre lui.
- La motion de censure, initiée par les députés. Si elle obtient la majorité absolue, le gouvernement tombe.
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Les défaillances pratiques
- Le seuil de la majorité absolue (301 voix sur 600 députés) est conçu pour stabiliser le gouvernement, mais en pratique, il favorise l’instabilité politique.
- Exemple typique : un texte soutenu par le gouvernement peut être rejeté à la majorité relative (280 contre, 270 pour, 50 abstentions), ce qui place le gouvernement dans une position politiquement intenable, bien qu’il ne soit pas formellement renversé. Cette situation le pousse à démissionner sans que ce renversement ne compte pour activer une dissolution.
L’échec des institutions : les leçons de l’instabilité
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Un système ingouvernable
- La logique proportionnelle favorise une fragmentation des partis politiques, empêchant la formation de majorités stables.
- Les gouvernements successifs, soumis aux combinaisons partisanes, peinent à gouverner efficacement.
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Un droit de dissolution paralysé
- La procédure complexe pour dissoudre l’Assemblée limite drastiquement cet outil, pourtant crucial pour rétablir une stabilité gouvernementale.
- La seule dissolution en 1955, par Edgar Faure, échoue à résoudre les blocages institutionnels.
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Le spectre de la IIIe République
- Avec une moyenne d’un gouvernement tous les 8 mois, la IVe République reproduit les excès de la IIIe, aggravant son instabilité dans un contexte de crises (guerres de décolonisation, montée des tensions internationales).
III. L’instabilité politique : causes, manifestations et conséquences
La IVe République, établie après la libération de la France, s’ouvre sur un enthousiasme démocratique né des luttes de la Résistance. Cependant, cette période est rapidement marquée par une instabilité politique chronique, héritée en partie des pratiques de la IIIe République et exacerbée par de nouveaux défis internes et internationaux.
Les causes structurelles de l’instabilité
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Un système parlementaire exacerbé
- La IVe République repose sur un parlementarisme rationalisé, avec une responsabilité politique encadrée. Toutefois, la Constitution de 1946, malgré ses tentatives de limiter l’instabilité, maintient un système où l’Assemblée nationale prédomine sur l’exécutif.
- Le gouvernement reste soumis à une majorité parlementaire mouvante, ce qui entraîne des changements fréquents de ministères.
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Le poids des partis politiques
- Le paysage politique est dominé par deux partis hors système :
- Le Parti communiste français (PCF), exclu du pouvoir après la guerre froide en 1947.
- Le Rassemblement du peuple français (RPF), créé en 1947 par Charles de Gaulle pour s’opposer à un régime qu’il jugeait inefficace.
- L’absence de collaboration avec ces deux grands partis complique la formation de majorités stables.
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Une loi électorale fragmentant le paysage politique
- La loi des apparentements de 1951 vise à limiter le poids des partis extrêmes en favorisant les alliances entre partis modérés. Bien que partiellement efficace, elle ne parvient pas à enrayer les divisions internes des majorités parlementaires.
Les manifestations de l’instabilité
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Les débuts prometteurs avortés (1946-1951)
- Après l’exclusion des ministres communistes par Paul Ramadier en mai 1947, une coalition appelée la Troisième Force (MRP, radicaux, socialistes, etc.) tente de gouverner contre la double opposition du PCF et du RPF.
- Mais la multiplication des crises internes conduit à la formation de neuf gouvernements en cinq ans, avec une alternance constante entre centre-gauche et centre-droit.
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La législature 1951-1956 : retour des tensions
- Les apparentements limitent la représentation des partis extrêmes : le PCF et le RPF obtiennent ensemble 230 sièges sur 630.
- Cette période voit deux gouvernements marquants :
- Antoine Pinay (1951-1953) : il rétablit la confiance économique.
- Pierre Mendès France (1954-1955) : son gouvernement met fin à la guerre d’Indochine, mais est confronté aux prémices de la guerre d’Algérie.
- Malgré ces réalisations, l’instabilité persiste avec sept gouvernements en cinq ans.
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La législature 1956-1958 : la crise s’intensifie
- Une montée des tensions liées à la guerre d’Algérie empoisonne le climat politique.
- Le poujadisme, mouvement populiste d’extrême droite, émerge, ajoutant à la fragmentation politique.
- La majorité est incapable de gérer la crise algérienne. Entre 1956 et 1958, la France connaît quatre gouvernements, incapables de gouverner durablement.
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Le point de rupture : la crise du 13 mai 1958
- Les troubles en Algérie atteignent leur apogée avec le soulèvement d’Alger.
- Les militaires appellent au retour de Charles de Gaulle, jugé capable de restaurer l’ordre et de résoudre la crise.
- L’Assemblée nationale accorde les pleins pouvoirs à De Gaulle le 3 juin 1958, y compris le pouvoir constituant. Cette décision marque la fin de la IVe République.
Les conséquences de l’instabilité
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Un échec institutionnel
- Avec 24 gouvernements en 12 ans, la IVe République est incapable d’assurer une gouvernance stable.
- Les dissensions entre les partis et l’incapacité à former des majorités solides laissent un sentiment d’impuissance politique.
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Un échec face aux crises majeures
- Les guerres de décolonisation, notamment en Indochine et en Algérie, exposent les limites du régime.
- L’absence d’un exécutif fort et stable empêche des réponses adaptées à ces défis.
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Une leçon pour la Cinquième République
- L’échec de la IVe République a servi de leçon fondatrice pour la rédaction de la Constitution de 1958 :
- Renforcement de l’exécutif : un président doté de pouvoirs étendus (dissolution, référendum, nomination du Premier ministre).
- Rationalisation du parlementarisme : encadrement des motions de censure et limitation des crises gouvernementales.
Conclusion : l’instabilité comme moteur de la réforme. La IVe République, marquée par des idéaux démocratiques, s’effondre sous le poids de son instabilité politique et de son incapacité à gérer des crises majeures. Ce contexte conduit à la création d’un régime plus équilibré sous la Cinquième République, conçu pour éviter la répétition des erreurs passées et répondre aux besoins d’un exécutif fort et d’une gouvernance stable.
Section 2 – L’Héritage de la Quatrième République
Malgré son échec, la quatrième République laisse un héritage significatif qui façonne durablement la culture politique française. Cet héritage peut être résumé en trois idées principales.
1. La primauté de la liberté politique individuelle
- La quatrième République réaffirme l’importance de la liberté politique de l’individu, héritée des principes révolutionnaires de 1789.
- Cette liberté repose sur deux piliers institutionnels :
- Le suffrage universel, devenu un droit inaliénable garantissant à chaque citoyen une participation à la vie politique.
- La séparation des pouvoirs, conçue comme une protection contre les abus de l’exécutif.
2. La centralité de l’assemblée : un pouvoir législatif dominant
- L’Assemblée nationale, élue au suffrage universel, est perçue comme la véritable incarnation de la souveraineté nationale.
- En conséquence :
- La loi, produit de l’Assemblée, devient l’expression suprême de la volonté générale.
- Toute tentative de limiter le pouvoir législatif est perçue comme une menace pour la démocratie.
- Cependant, cette domination de l’Assemblée aboutit à un dysfonctionnement chronique :
- Les gouvernements sont constamment sous pression et fréquemment renversés.
- La stabilité nécessaire à une gouvernance efficace fait défaut.
3. La peur du césarisme : un danger jugé plus grave que l’instabilité
- Dans l’imaginaire politique de la quatrième République, le césarisme — incarné par un chef fort, concentrant les pouvoirs — est considéré comme une menace majeure.
- Les expériences du Second Empire, du régime de Vichy et des régimes autoritaires européens alimentent cette méfiance.
- Ce rejet d’un pouvoir exécutif fort conduit à privilégier un régime parlementaire dominé par l’Assemblée, même au prix d’une instabilité permanente.
I. La liberté assurée par le suffrage universel et la séparation des pouvoirs.
Le suffrage universel : un pilier de la liberté et de l’égalité républicaine
Depuis 1789, la figure du citoyen occupe une place centrale dans la construction politique française. Cette idée trouve son fondement dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, qui consacre le principe de souveraineté collective : le citoyen participe à l’exercice du pouvoir, incarnant la liberté politique.
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De l’exclusion au suffrage universel
Après les tâtonnements initiaux (distinction entre citoyens actifs et passifs, suffrage censitaire), le suffrage universel masculin est établi en 1848. Cette évolution marque un tournant : le vote cesse d’être un simple mécanisme de désignation des représentants pour devenir un droit fondamental et une expression directe de la liberté individuelle. En votant, chaque citoyen devient acteur de son destin, égal aux autres, avec une seule voix par personne.
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Un idéal de liberté et d’égalité
L’universalité du suffrage est perçue comme la solution à la quête d’égalité. Ce modèle idéaliste fait de l’égalité politique une réponse aux inégalités sociales, évacuant souvent le débat sur la question sociale. Contrairement à l’Allemagne de Bismarck, qui privilégie la protection sociale au détriment de la participation politique, la France postule que la liberté politique garantit en elle-même la justice sociale.
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Un citoyen protégé par la séparation des pouvoirs
Cette liberté politique s’appuie sur une architecture institutionnelle garantissant la protection du citoyen : la séparation des pouvoirs. Inspirée des théories de Montesquieu, elle repose sur le principe que « le pouvoir arrête le pouvoir », limitant ainsi les abus et préservant les droits fondamentaux.
La séparation des pouvoirs : une garantie constitutionnelle
La séparation des pouvoirs est érigée en dogme dès 1789, consacrée par l’article 16 de la DDHC : « Toute société dans laquelle la séparation des pouvoirs n’est pas déterminée n’a point de Constitution. »
Cependant, la mise en œuvre de ce principe a connu des variations significatives selon les périodes.
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Des applications fluctuantes sous la Révolution
- Constitution de 1791 : Ce texte, influencé par le modèle américain, incarne une séparation rigide des pouvoirs. Le roi et l’Assemblée législative exercent des fonctions distinctes sans interaction réelle. L’absence de mécanismes d’ajustement (responsabilité, dissolution) conduit rapidement à des blocages. Le conflit atteint son paroxysme avec la chute de la monarchie en 1792.
- Convention et Constitution montagnarde (1793) : La séparation des pouvoirs devient purement formelle. Le pouvoir législatif domine, avec une subordination étroite de l’exécutif, sauf pour le Comité de Salut Public, qui finit par dominer l’Assemblée.
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Le retour de la séparation sous les régimes monarchiques
- Directoire (1795) : Cette période marque un retour à une séparation plus équilibrée, bien que fragile.
- Monarchie de Juillet (1830-1848) : La Charte de 1830 est souvent vue comme une réalisation concrète des théories de Montesquieu. Le régime parlementaire dualiste s’installe :
- Le roi exerce des pouvoirs significatifs mais doit compter sur la confiance des chambres.
- Les ministres, conseillers du roi, sont également responsables devant les chambres.
Ce modèle, qualifié de « régime orléaniste », est souvent célébré par la doctrine comme un moment d’équilibre institutionnel, malgré les tensions politiques.
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Les dérives du parlementarisme sous la IIIe et IVe République
- La IIIe République naît d’un compromis monarchiste, mais la crise de 1877 marque le basculement vers un parlementarisme moniste, caractérisé par la domination absolue des assemblées sur l’exécutif.
- La IVe République aggrave cette tendance en instaurant un parlementarisme exacerbé, où l’instabilité gouvernementale devient chronique.
La réforme constitutionnelle de 1958 : rééquilibrer les pouvoirs
Face aux dérives des régimes précédents, la Cinquième République s’efforce de rétablir un équilibre institutionnel. La loi d’habilitation du 3 juin 1958 fixe cinq principes directeurs pour la nouvelle Constitution, dont la séparation des pouvoirs et l’indépendance de l’autorité judiciaire.
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Un exécutif renforcé
- La Cinquième République restaure un exécutif fort, incarné par un Président de la République doté de pouvoirs élargis (dissolution de l’Assemblée nationale, référendum, nomination du Premier ministre).
- Le régime parlementaire devient dualiste, avec une séparation fonctionnelle entre le Président, le gouvernement et le Parlement.
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Une séparation repensée
- Indépendance judiciaire : La réforme constitutionnelle consolide la séparation entre les pouvoirs législatif et judiciaire, créant un cadre institutionnel plus clair.
- Contrôle de constitutionnalité : L’instauration du Conseil constitutionnel en 1958 limite la toute-puissance législative en soumettant les lois au respect de la Constitution. Cette innovation rompt avec la tradition légicentrique des IIIe et IVe Républiques.
Le double héritage de la Révolution et de la République
La Cinquième République s’inspire de principes républicains fondamentaux tout en corrigeant leurs excès :
- Le suffrage universel reste central, mais il est combiné à un exécutif fort pour garantir la stabilité.
- La séparation des pouvoirs, tout en restant un principe sacré, est mise en œuvre de manière plus pragmatique, en tenant compte des réalités politiques et institutionnelles.
II. La souveraineté de la Nation, de l’assemblée, de la loi : héritages et critiques
La IIIe République s’est construite sur le principe de souveraineté nationale, une conception héritée de la Révolution française et théorisée par des penseurs comme Rousseau et Sieyès. Cette idée repose sur plusieurs piliers fondamentaux :
- La nation comme entité abstraite et souveraine : Contrairement à la souveraineté populaire (où le peuple exerce directement le pouvoir), la souveraineté nationale est déléguée à des représentants élus. Ces derniers sont investis d’un mandat représentatif, qui leur confère une indépendance vis-à-vis des électeurs.
- L’assemblée comme incarnation de la nation : Les représentants élus ne représentent pas leurs circonscriptions ou leurs électeurs, mais la nation dans son ensemble. L’assemblée, en tant qu’organe collectif, est donc vue comme le dépositaire légitime de la volonté générale.
- La loi comme expression de la volonté générale : Légicentrisme oblige, la loi votée par l’assemblée est perçue comme l’acte souverain par excellence. Elle ne saurait être remise en question ni soumise à des contrôles, car elle émane directement de l’assemblée-nation.
Les interdictions historiques : référendum, dissolution et contrôle de constitutionnalité
Cette souveraineté parlementaire a été jalousement protégée par une série d’interdictions qui visaient à préserver le pouvoir des assemblées :
- Prohibition du référendum législatif : Considéré comme une menace pour la souveraineté parlementaire, le référendum était associé aux pratiques plébiscitaires du Second Empire et à un pouvoir exécutif fort. La méfiance envers cet outil a perduré jusqu’à la Cinquième République.
- Prohibition de la dissolution : Si la dissolution de l’assemblée était théoriquement prévue, elle n’a été utilisée qu’une seule fois sous la IIIe République (crise de 1877) et une fois sous la IVe République (1955). L’échec de Mac-Mahon en 1877 a marqué une rupture, faisant de la dissolution un outil politiquement inacceptable.
- Prohibition du contrôle de constitutionnalité : L’idée qu’une institution puisse censurer la loi était perçue comme une atteinte à la souveraineté parlementaire. Sous la IIIe et la IVe République, il n’existait aucun mécanisme pour vérifier la conformité des lois à la Constitution.
La toute-puissance de l’assemblée sous la IIIe République
La domination du Parlement, renforcée par la Constitution Grévy (1879), a façonné un régime caractérisé par :
- L’hypertrophie parlementaire : L’assemblée nationale était au centre du système institutionnel, élisant le président de la République, contrôlant le gouvernement et légiférant sans limite.
- L’affaiblissement de l’exécutif : Le président de la République et le gouvernement étaient soumis à l’assemblée, dépourvus de moyens réels pour contrebalancer son pouvoir.
- L’instabilité chronique : Avec 104 gouvernements en 65 ans, la IIIe République a souffert d’une instabilité gouvernementale endémique, causée par une fragmentation politique et l’absence de mécanismes pour rétablir des majorités stables.
L’émergence de critiques : instabilité et légicentrisme
La domination parlementaire a suscité des critiques croissantes, notamment dans l’entre-deux-guerres, où l’instabilité a atteint des sommets (9 gouvernements entre 1924 et 1928). Les failles du système étaient devenues évidentes :
- L’instabilité comme frein à l’action : La fréquence des crises ministérielles paralysait l’action gouvernementale, notamment face aux défis économiques et sociaux.
- La toute-puissance de la loi : L’absence de contrôle de constitutionnalité signifiait que la loi pouvait intervenir dans tous les domaines, sans limitation ni garantie des droits fondamentaux.
- La méfiance envers le peuple : Le rejet du référendum et l’absence de dissolution reflétaient une méfiance à l’égard de l’électorat, perçu comme moins apte que l’assemblée à exprimer la volonté nationale.
La rupture de 1958 : un nouvel équilibre des pouvoirs
Avec la Cinquième République, l’objectif était de rompre avec les excès de la souveraineté parlementaire et d’instaurer un système plus équilibré. La Constitution de 1958 introduit trois mécanismes clés pour encadrer le pouvoir législatif :
- Le rétablissement du référendum : L’article 11 de la Constitution permet de soumettre des projets de loi directement au peuple, réintégrant ainsi une forme de souveraineté populaire dans le système.
- Le retour au droit de dissolution : L’article 12 redonne au Président de la République la possibilité de dissoudre l’Assemblée nationale. Depuis 1958, cet outil a été utilisé à cinq reprises, avec des succès variables (1962, 1968, 1981, 1988, 1997).
- Le contrôle de constitutionnalité des lois : Le Conseil constitutionnel, créé en 1958, a pour mission de vérifier la conformité des lois à la Constitution. Depuis la décision fondatrice de 1971, il joue un rôle central dans la protection des droits fondamentaux et l’équilibre institutionnel.
Vers un équilibre entre souveraineté parlementaire et efficacité
La Cinquième République ne renie pas totalement l’héritage de la IIIe République, mais elle cherche à en corriger les excès :
- La souveraineté nationale reste au centre du système, mais elle est partagée entre l’exécutif, le législatif et le peuple.
- Le rôle du Parlement est limité par des mécanismes comme le contrôle de constitutionnalité et la rationalisation du parlementarisme (encadrement des motions de censure, discipline majoritaire).
- L’exécutif, et notamment le Président de la République, dispose de nouveaux outils pour gouverner efficacement.
III. Le danger du césarisme
La IIIe République s’est construite sur une méfiance viscérale envers les pouvoirs exécutifs forts. Ce rejet est directement issu des traumatismes historiques liés au césarisme, c’est-à-dire au pouvoir personnel incarné par un chef charismatique et autoritaire. Cette défiance trouve ses racines dans plusieurs événements marquants :
- Louis XVI et la Révolution française : L’opposition entre le roi et l’Assemblée nationale a symbolisé la résistance d’un pouvoir absolu à la volonté populaire, conduisant à la chute de la monarchie.
- Le Premier Empire : La centralisation autoritaire de Napoléon Ier a culminé avec la défaite de Waterloo et la perte d’influence française.
- Le Second Empire : Le règne de Napoléon III, marqué par un pouvoir personnel fort, s’achève sur la défaite de Sedan (1870) et la perte de l’Alsace-Lorraine, laissant un stigmate durable.
L’échec des régimes autoritaires renforce la croyance, sous la IIIe République, qu’un pouvoir exécutif fort mène non seulement à la négation de la démocratie, mais aussi à la catastrophe nationale.
Le césarisme face à la souveraineté parlementaire
À partir de 1877, avec la Constitution Grévy, la IIIe République opère une rupture décisive avec l’idée d’un exécutif fort. Le Président de la République renonce à utiliser des outils comme le droit de dissolution et s’efface progressivement devant le Parlement. Ce basculement vers un parlementarisme moniste, où l’Assemblée domine le gouvernement et le chef de l’État, s’appuie sur l’idée que le pouvoir collectif des représentants garantit davantage de stabilité et de sagesse que celui d’un individu isolé.
Cependant, ce rejet du césarisme s’accompagne d’une tolérance implicite pour un autre danger : l’instabilité ministérielle, qui devient le prix à payer pour éviter toute concentration excessive du pouvoir.
Les paradoxes du suffrage universel
Le suffrage universel masculin, instauré dès 1848, représente un tournant démocratique majeur. Pourtant, il suscite des craintes parmi les élites républicaines :
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La peur des extrêmes : On redoute qu’une Assemblée élue au suffrage universel soit dominée par des courants radicaux ou socialistes, porteurs de bouleversements sociaux.
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Le conservatisme inattendu : En réalité, les scrutins de 1848 (élection présidentielle) et de 1871 (élections législatives après la guerre franco-prussienne) montrent que le suffrage universel tend à produire des résultats conservateurs, rassurant les partisans de l’ordre établi.
Face à cette ambivalence, la méfiance envers un chef de l’État élu au suffrage universel persiste. On préfère une République où le pouvoir réside dans une Assemblée, perçue comme un organe collectif plus équilibré.
L’instabilité comme conséquence et moindre mal
Si la souveraineté parlementaire garantit un équilibre démocratique, elle génère également une instabilité gouvernementale chronique, exacerbée par les pratiques institutionnelles de la IIIe République. Les chiffres en témoignent :
- 104 gouvernements en 65 ans, soit une durée moyenne de 8 mois par cabinet.
- De 1919 à 1924 : 6 gouvernements en 5 ans.
- De 1924 à 1932 : 19 gouvernements en 8 ans.
- De 1932 à 1940 : 17 gouvernements en 8 ans.
Cette instabilité découle de plusieurs facteurs :
- La facilité à renverser un gouvernement : La responsabilité ministérielle, mal encadrée, permet à une majorité parlementaire fragmentée de mettre fin rapidement à un cabinet.
- L’absence de dissolution : Le Président de la République, dépourvu de moyens pour convoquer de nouvelles élections, est incapable de rétablir une majorité stable.
- La fragmentation politique : L’émergence de nombreux partis, notamment dans les années 1930, rend impossible la constitution de majorités durables.
Le poids du césarisme dans l’échec de la IIIe République
Malgré l’instabilité, la IIIe République reste attachée à l’idée que le césarisme est le véritable danger. Cette méfiance est renforcée par les événements de 1940 :
- Le régime de Vichy : La concentration des pouvoirs entre les mains du maréchal Pétain est perçue comme une régression vers un pouvoir autoritaire, voire monarchique.
- La guerre et l’effondrement : L’échec du régime parlementaire face à la montée des périls internationaux, combiné à la dictature de Vichy, accentue la méfiance envers les pouvoirs forts.
En 1945-1946, lors de la fondation de la IVe République, ces leçons sont encore présentes. La nouvelle Constitution cherche à renforcer le parlementarisme tout en rationalisant son fonctionnement, mais sans véritablement résoudre le problème de l’instabilité.
1958 : une rupture avec la méfiance envers le pouvoir exécutif
La Cinquième République, instaurée en 1958, marque une rupture profonde avec l’héritage de la IIIe et de la IVe République. Sous l’impulsion du général de Gaulle, la nouvelle Constitution repose sur une logique inversée :
- La prééminence de l’exécutif : Le Président de la République, élu au suffrage universel direct à partir de 1962, devient le pivot des institutions.
- Une rationalisation du parlementarisme : Les mécanismes de motion de censure sont encadrés, et le droit de dissolution est réhabilité.
- La légitimation du césarisme : Le pouvoir présidentiel fort n’est plus vu comme un danger, mais comme un remède à l’instabilité.
La Cinquième République, en accordant une place centrale au Président, tranche avec l’idée que le césarisme constitue une menace plus grave que l’instabilité. Cette transformation illustre une prise de distance avec les valeurs et les pratiques héritées de la IIIe République.