Le régime primaire du mariage

Qu’est-ce que le régime primaire du mariage ?

Le régime primaire est un ensemble de règles juridiques applicables à tous les mariages en France, indépendamment du régime matrimonial choisi (communauté réduite aux acquêts, séparation de biens, etc.). Il établit des principes minimaux visant à garantir l’équilibre et la solidarité entre les époux tout en préservant leur autonomie. Ce régime, impératif et d’ordre public, ne peut être écarté par des conventions.

Le régime primaire vise à :

  1. Favoriser la solidarité conjugale (contribution aux charges, protection du logement familial).
  2. Préserver l’autonomie personnelle des époux (libre disposition des revenus et des biens propres).
  3. Prévenir et gérer les conflits (mesures de crise pour protéger les intérêts familiaux).

Les règles du régime primaire peuvent être regroupées en trois catégories :

  1. Les dispositions favorisant l’association des époux.
  2. Les dispositions assurant l’indépendance minimale des époux.
  3. Les dispositions permettant de gérer les conflits.

Section 1 – Les dispositions favorisant l’association des époux.

A) Le devoir de secours entre époux

Le devoir de secours entre époux, prévu par l’article 212 du Code civil, est une obligation matérielle distincte du devoir d’assistance, qui relève davantage d’un soutien moral. Ce devoir joue un rôle complémentaire à celui de l’obligation de contribuer aux charges du mariage (article 214), bien qu’il puisse, dans certaines circonstances, exister de manière autonome.

I. Principe du devoir de secours

1. Absorption par l’obligation de contribuer aux charges du mariage
  • En principe, le devoir de secours est intégré dans l’obligation de contribuer aux charges du mariage, prévue par l’article 214 du Code civil :
    • Charges du mariage : Incluent les dépenses nécessaires à l’entretien du ménage et à l’éducation des enfants.
    • Modalités de contribution :
      • Fixées dans le contrat de mariage, si les époux en ont conclu un.
      • À défaut, proportionnelles aux facultés respectives des époux (revenus, patrimoine, etc.).
2. Contribution en nature ou en argent
  • Lorsque les époux vivent ensemble :
    • La contribution peut se faire en nature (travaux domestiques, soins aux enfants).
    • En argent, lorsque l’un des époux dispose de revenus plus importants.
  • En cas de séparation de fait, cette contribution prend la forme d’un versement d’une somme d’argent par l’époux le plus aisé à l’autre.

II. Différence entre contribution aux charges et obligation alimentaire

1. L’obligation alimentaire de droit commun
  • Définition : Fournir à une personne dans le besoin ce qui est strictement nécessaire à sa survie.
  • Condition essentielle : Justifier d’un état de besoin.
2. Contribution aux charges du mariage
  • Objectif : Offrir à l’époux moins favorisé une condition de vie équivalente à celle de l’époux le plus aisé.
    • Exigence d’un niveau de vie similaire.
    • Pas de nécessité de prouver un état de besoin.
  • Illustration : L’époux le plus riche doit hisser l’autre à son niveau de bien-être (Carbonnier).
  • Cela peut inclure des dépenses au-delà du minimum vital (par exemple, loisirs, confort).

III. Autonomie du devoir de secours

Dans certaines situations, le devoir de secours peut se détacher de l’obligation de contribuer aux charges du mariage. Cela survient dans deux hypothèses spécifiques :

1. Déchéance de la contribution aux charges du mariage
  • Faute de l’époux créancier :
    • Si un époux a, par exemple, quitté le domicile conjugal de manière injustifiée, il peut être déchu de sa créance de contribution aux charges du mariage.
    • Cependant, il conserve son droit au devoir de secours pour des besoins strictement alimentaires (par exemple, des besoins vitaux).
2. Ruine de l’époux chargé des charges du mariage
  • Si un époux s’est engagé par contrat de mariage à prendre en charge toutes les dépenses du ménage mais qu’il est devenu insolvable, l’autre époux peut invoquer le devoir de secours.
  • Dans ce cas, le devoir de secours s’apparente à une obligation alimentaire de droit commun :
    • Il suppose un état de besoin.
    • Se limite au strict minimum nécessaire à la survie.

IV. Sanction du devoir de secours

1. Sanction civile
  • Le non-respect de l’obligation de contribuer aux charges du mariage ou du devoir de secours est sanctionné comme une obligation alimentaire :
    • Possibilité de recourir au juge aux affaires familiales (JAF).
    • Exécution forcée via une saisie sur les revenus de l’époux débiteur.
2. Sanction pénale
  • En cas de non-respect grave, le débiteur peut être poursuivi pour abandon de famille (article 227-3 du Code pénal), notamment si l’inexécution met en péril la subsistance de l’époux créancier ou des enfants.

En résumé, le devoir de secours est une obligation matérielle entre époux, distincte mais souvent intégrée dans la contribution aux charges du mariage. Il garantit une solidarité financière pendant le mariage, même en cas de séparation de fait. Si ce devoir est autonome, il devient une créance alimentaire classique, nécessitant de prouver un état de besoin. Les sanctions peuvent être civiles ou pénales, selon la gravité du manquement.


B) Le statut du logement de la famille

Le logement familial bénéficie d’un statut juridique particulier visant à protéger les intérêts de la famille. L’article 215, alinéa 3, du Code civil impose des restrictions importantes sur les actes concernant ce logement et les meubles qui le garnissent, indépendamment de la propriété de l’un ou l’autre des époux.

I. Protection juridique du logement familial

1. Domaine d’application
  • La protection concerne :
    • Le logement de la famille :
      Tous les droits permettant d’assurer le logement familial (propriété, droit au bail, parts dans une société propriétaire de l’immeuble).
    • Les meubles meublants :
      Les biens nécessaires à l’usage courant du logement familial.
    • Les actes concernés :
      Tous les actes de disposition (vente, donation, échange, apport en société, etc.).
      • Exception : Le legs n’est pas inclus dans le champ de l’article 215 (jurisprudence critiquée). Toutefois, la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant a compensé cette lacune en attribuant au conjoint un droit au logement temporaire ou viager.
2. Consentement des époux
  • Tout acte de disposition du logement familial nécessite l’accord des deux époux, même si le bien appartient exclusivement à l’un d’eux.
  • Le consentement peut être :
    • Tacite : Non exprimé explicitement mais déduit des circonstances.
    • Spécifique : Doit porter sur les éléments essentiels de l’acte, notamment le prix de vente.
3. Portée de la protection
  • Saisissabilité : Le logement familial reste saisissable par les créanciers :
    • Créanciers des deux époux.
    • Créanciers personnels de l’époux propriétaire.
  • Cette saisissabilité limite en partie la protection conférée par l’article 215.

II. Sanction en cas de violation

  • Nullité relative : Si un acte de disposition est réalisé sans le consentement requis, il peut être annulé à la demande de l’époux non consulté.
  • Limitation : Cette action est réservée à l’époux lésé et ne peut être intentée par des tiers.

III. Lien avec la résidence familiale

  • Cette protection patrimoniale est une extension des règles personnelles sur la communauté de vie.
    • Les époux doivent choisir ensemble la résidence familiale (article 215, alinéa 2).
    • La protection du logement vise à préserver l’unité du foyer et la stabilité du cadre de vie.


C) Le statut des dettes ménagères

Les dettes ménagères, prévues par l’article 220 du Code civil, concernent les engagements financiers contractés pour l’entretien du ménage ou l’éducation des enfants. Cet article vise à assurer le bon fonctionnement du foyer en facilitant l’accès au crédit tout en imposant une solidarité entre époux.

I. Règles principales

1. Pouvoir individuel de contracter : Chaque époux peut passer seul les contrats relatifs à l’entretien du ménage ou à l’éducation des enfants. Avant 1965, les femmes mariées étaient juridiquement incapables de conclure de tels contrats, ce qui restreignait leur autonomie.

2. Solidarité des époux : La dette contractée engage solidairement les deux époux, quel que soit l’époux signataire. Les créanciers peuvent réclamer le paiement :

  • À l’un des époux.
  • Aux deux conjointement.

II. Limites à la solidarité

1. Dette manifestement excessive : La solidarité ne s’applique pas si la dette est manifestement excessive. Critères d’appréciation (pouvoir souverain des juges) :

  • Train de vie du ménage.
  • Utilité de l’opération.
  • Bonne ou mauvaise foi du créancier.

2. Achat à tempérament : Les achats à tempérament, c’est-à-dire payables par échéances différées, sont exclus de la solidarité, même s’ils concernent l’entretien du ménage.

3. Emprunts : En principe, les emprunts contractés par un époux, même pour l’entretien du ménage, ne bénéficient pas de la solidarité, sauf s’ils sont modestes : Par exemple, un emprunt pour des besoins courants.

III. Conséquences juridiques

  • Les contrats non couverts par la solidarité restent valables, mais seuls les biens ou revenus de l’époux contractant peuvent être saisis en cas d’impayé.

 

Section 2 – Les dispositions assurant l’indépendance minimale des époux.

1. Libre disposition des revenus professionnels (article 223 du Code civil)
  • Chaque époux dispose librement de ses revenus professionnels, qu’il peut utiliser sans l’accord de son conjoint.
    • Ce principe traduit l’égalité et l’autonomie économique au sein du couple.
    • Il reflète également le droit personnel de chaque époux d’exercer une profession librement, sans ingérence de l’autre.
2. Libre disposition des biens personnels (article 225 du Code civil)
  • Chaque époux conserve la gestion exclusive de ses biens propres, qu’il peut administrer et disposer librement.
    • Ce principe s’applique à tous les régimes matrimoniaux, mais son importance est accrue dans le régime de la communauté réduite aux acquêts.
    • Effets sur le régime de communauté :
      • Interdiction des clauses d’unité d’administration :
        • Avant 1985, une femme pouvait confier contractuellement à son mari la gestion de ses biens propres, souvent pour des raisons de confort administratif.
        • Depuis la loi du 23 décembre 1985, cette pratique est illicite. La gestion des biens propres appartient exclusivement à chaque époux.
      • Mandat temporaire :
        • Un époux peut confier la gestion de ses biens propres à l’autre via un mandat, mais ce dernier est révocable à tout moment.
3. Importance des règles d’indépendance

Ces règles, en transposant au plan patrimonial l’égalité personnelle entre époux, empêchent toute domination économique de l’un sur l’autre et protègent la dignité et les droits individuels dans le cadre du mariage.

 

Section 3 – Les dispositions permettant de gérer les conflits.

Lorsque les principes de solidarité conjugale et d’autonomie sont compromis par des comportements graves, le juge aux affaires familiales (JAF) peut intervenir pour protéger les intérêts de la famille.

1. Conditions d’application

Deux conditions doivent être remplies :

  • Manquement grave aux obligations conjugales : Cela peut concerner des obligations personnelles (ex. : violences conjugales) ou patrimoniales (ex. : dilapidation des biens communs).
  • Mise en péril des intérêts de la famille : Le comportement incriminé doit mettre en danger le patrimoine, la sécurité, ou le bien-être familial.
2. Mesures pouvant être ordonnées

Le juge peut prendre toutes mesures urgentes nécessaires pour protéger la famille. L’article 220-1 cite deux exemples :

  • Interdiction de disposer des biens sans consentement : Empêche un époux d’aliéner ses biens personnels ou les biens communs.
  • Interdiction de déplacer les meubles : Empêche un époux de retirer des meubles du logement familial, sauf à des fins strictement nécessaires.

D’autres mesures peuvent être prises selon les besoins spécifiques de la situation, comme :

  • Nomination d’un administrateur judiciaire : Pour gérer temporairement les biens communs.
  • Interdiction de l’usage de certains biens : Par exemple, interdire à un mari alcoolique d’utiliser la voiture familiale.
3. Cas spécifiques : violences conjugales

Depuis la loi du 26 mai 2004, le juge peut également :

  • Autoriser la résidence séparée des époux.
  • Attribuer le logement familial à l’époux victime de violence conjugale, même si celui-ci n’en est pas propriétaire.
4. Durée des mesures
  • Les mesures prises au titre de l’article 220-1 sont temporaires, avec une limite de trois ans. Elles visent à stabiliser la situation en attendant une éventuelle solution durable (ex. : divorce).

Laisser un commentaire