Le règlement des difficultés de compétence (juge judiciaire ou administratif)

Le règlement des difficultés de compétence

 

 La répartition des compétences dans un système juridictionnel dualiste soulève des difficultés. Cette répartition des compétences n’étant pas simple, il y a assez souvent de telles difficultés.

 

Inévitablement on a prévu un organe spécifique pour les régler : Pour se prononcer exclusivement sur le juge compétent pour connaitre des litiges. La seule vocation de cette institution est de désigner l’ordre juridictionnel compétent pour statuer sur un litige. Le Tribunal des Conflits n’est pas juge du litige, sans dans quelques cas très rares.

 

 Si cet organe n’avait pas été crée, on aurait pu se trouver confronté à des dénis de justice. Cette fonction a été d’abord confiée au Roi, puis (A partir du Consulat), on a confié cette mission à l’organe crée pour conseiller le 1er Consul dans ses attributions juridictionnelles : Le Chef d’Etat assisté du Conseil d’Etat.

 

L’attribution d’une compétence au Chef d’Etat aidé du Conseil d’Etat était troublante : Un des ordres juridictionnels semblait proéminer. La loi du 24 mai 1872 reconnait la justice déléguée au Conseil d’Etat ; elle crée également un Tribunal des Conflits, qui est la juridiction spécialisée dans le règlement des difficultés de compétence.

 

 

Section 1 : Le Tribunal des Conflits

 

Sous-section 1 : La composition du Tribunal des Conflits

 

 L’intérêt de notre système, mis en place par la loi du 24 mai 1872, est d’avoir donné au Tribunal des conflits une composition qui le met en dehors de la juridiction administrative, grâce à une composition paritaire (5 membres du Conseil d’Etat et 5 membres de la Cour de Cassation).

 Le Tribunal des conflits comprend également 2 commissaires du Gouvernement, qui sont, comme c’était le cas dans la juridiction administrative, chargés d’exposer au Tribunal des conflits la solution qu’appelle, selon eux, le litige qui leur est soumis en termes de répartition des compétences. Ces commissaires du Gouvernement sont, issus l’un du Conseil d’Etat et l’autre de la Cour de cassation. On respecte donc, ici encore, la parité.

 Cette composition a l’avantage de permettre que les litiges concernant la répartition des compétences soient examinés par des membres des deux juridictions suprêmes de ces deux ordres. Aucun autre membre ne siège. Il y a toutefois une limite de taille : Le Tribunal des conflits est, en droit, présidé par le Garde des Sceaux. En formation de jugement, cela fait 11 membres, ce qui permet d’assurer qu’un ordre de juridiction soit désigné. Néanmoins, cette présence du ministre de la justice est choquante au regard de la séparation des pouvoirs, et au regard du principe de séparation des autorités administratives et judiciaires (Le Garde des Sceaux est organe de l’Etat, qui est souvent la partie défenderesse dans les litiges passant devant le Tribunal des conflits). Cette présence ne se manifeste néanmoins que dans les hypothèses très rares de partage des voix. La présidence du Tribunal des conflits est donc assurée par le Vice-président, c’est-à-dire un des membres du Tribunal des conflits désigné par ses membres (On alterne entre Conseil d’Etat et Cour de cassatin). Le dernier cas de partage des voix remonte à 1997.

 

 Le Tribunal des conflits parvient à se passer dans son fonctionnement « quotidien » de la présidence du Garde des Sceaux, car les décisions ne sont pas acquises dans un esprit bloc contre bloc. Cette institution fonctionne parfaitement bien et on peut voir souvent des mélanges de voix, voire l’unanimité. Cela explique que le Garde des Sceaux ne soit que rarement sollicité.

 

Sous-section 2 : Un juge du fond

 

 C’est un cas de figure très exceptionnel car le Tribunal des conflits n’a pas été crée pour trancher des litiges au fond. Il désigne simplement l’ordre et ne se mêle même pas de la répartition des compétences au sein de cet ordre. Néanmoins, c’est une juridiction importante qui permet d’éviter les dénis de justice. Or il peut s’en produire dans un autre cas de figure que des difficultés de compétence : Lorsque chaque ordre de juridiction a rendu de manière compétente des décisions qui, sur le fond, son inconciliables. On peut avoir un déni de justice dans ce cas. Aucun des deux ordres ne peut imposer sa décision à l’autre. On a donné au Tribunal des conflits le soin de trancher au fond le litige dans ces cas là.

 Cette compétence a été révélée par un cas d’espèce : Accident de la circulation (Véhicule privé avec conducteur et passager blessé + Véhicule militaire donc public). Le passager attaque le conducteur de la voiture devant laquelle il était devant le juge judiciaire. Les juridictions judiciaires écartent la responsabilité et rejettent le recours. Le passager se tourne vers l’Etat en engageant sa responsabilité pour faute du conducteur du véhicule militaire. Les juridictions administratives rejettent la responsabilité. Les deux décisions sont donc inconciliables sur le fond. Le Tribunal des conflits a donc été compétent pour l’occasion.

 

 Cette hypothèse est très rare, le plus souvent il ne juge que les difficultés de compétence.

 

 

 

Section 2 : Les conflits

 

 Le Tribunal des conflits est souvent intervenu dans l’histoire pour dégager des principes de répartition de compétence. Cette saisine du Tribunal des conflits est toujours le signe de quelque chose d’insatisfaisant. Quand on le saisit, c’est qu’on a véritablement une incertitude sur la juridiction compétente. Qui dit conflit de compétence dit peut-être des années de procédures écoulées sans que soit décidée la compétence de l’une ou de l’autre juridiction.

 Le Tribunal des conflits n’était initialement saisi que pour régler les conflits. Depuis un demi siècle, il peut également prévenir les conflits, sans attendre qu’un conflit ne soit cristallisé.

 

Sous-section 1 : Le règlement des conflits

 

§1 : Le conflit positif

 

 Il a longtemps été le cas de figure le plus fréquent de la saisine du Tribunal des conflits. Il se produit lorsque la compétence de l’ordre juridictionnel administratif est revendiquée à l’occasion d’une affaire dont est saisie la juridiction judiciaire. Il n’existe pas de mise en œuvre du conflit positif dans l’hypothèse inverse.

 Il faut tout de même préciser certaines choses :

  • Le Conflit positif ne fait pas intervenir le juge administratif (Il n’a rien à faire dans cette procédure et peut même ne pas être au courant). C’est donc l’administration qui revendique le bénéfice des textes révolutionnaires. Le conflit positif sert à l’administration à revendiquer son privilège de juridiction.
  • Le préfet du département a compétence pour initier cette procédure de conflit positif et élever le conflit positif, c’est-à-dire saisir le Tribunal des conflits.

 

A)  Les juridictions 

 

 La procédure de conflit positif ne peut pas être déclenchée devant n’importe quelle juridiction judiciaire :

  • Le préfet doit passer par le ministère public de la juridiction judiciaire concernée. S’il n’y en a pas, on ne peut pas élever le conflit.
  • Le préfet ne peut pas élever le conflit devant la Cour de Cassation car on n’est pas en présence d’un juge du fond, mais d’un juge du droit. C’est trop tard.
  • Il est également impossible d’élever le conflit devant la Cour d’assises (Et les hypothèses sont limitées devant les juridictions répressives correctionnelles ou de police, quand la compétence de la juridiction administrative est fondée sur un texte, ou qu’il existe une question incidente).

 

B)  La procédure 

 

 Le préfet est le représentant de l’Etat et peut donc agir devant une juridiction judiciaire qui serait incompétente. Quand c’est une personne publique qui est attaquée, celle-ci peut demander au préfet d’élever le conflit.

 Il doit d’abord faire un déclinatoire de compétence : Il adresse à la juridiction judiciaire, via le ministère public, cet acte demandant à la juridiction judiciaire de se déclarer incompétente. Il est recevable tant que la juridiction en question n’a pas statué de manière définitive sur sa compétence. Le tribunal doit donc statuer sur le déclinatoire de compétence. Si le tribunal judiciaire n’est pas d’accord, il le rejette et doit surseoir à statuer 15 jours. Pendant ces 15 jours, le préfet va réexaminer la situation et peut élever le conflit en saisissant formellement le juge administratif d’un conflit positif.

 Le Tribunal des conflits a 3 mois pour statuer, il va d’abord se prononcer sur la régularité de procédure de conflit, puis il examine la question en cherchant le juge compétent. S’il estime que le préfet a eu raison d’élever le conflit, il annule la procédure devant la juridiction judiciaire et confirme l’arrêté d’élévation du conflit en donnant compétence au juge administratif que les demandeurs peuvent saisir sous 2 mois. Sinon il le rejette et l’instance reprend son cours devant le juge judiciaire.

 Le conflit positif peut également être élevé pour une question incidente qui se pose devant le juge administratif.

 

 

§2 : Le conflit négatif

  C’est lorsqu’aucun ordre de juridiction n’admet sa compétence. Il y a un fort risque de déni de justice. Cela peut être normal lorsque le litige porte sur un acte de Gouvernement (Susceptibles d’aucun recours) mais c’est rare. Il y a nécessairement l’un des deux ordres de juridiction qui est compétent. Le Tribunal des conflits doit annuler la décision de la juridiction qui se trompe et renvoyer devant elle le jugement de l’affaire au fond.

 

 Cette procédure ne peut être mise en œuvre qu’après décision d’incompétence de chacun des deux ordres de juridiction, et il faut que ces deux décisions portent sur le même litige et que l’un des deux ordres se trompe. Quand ces trois conditions sont réunies, il y a conflit négatif.

 

Sous-section 2 : La prévention des conflits

 

 Il y a deux mécanismes crées par un décret de juillet 1960, et destinés à permettre au Tribunal des conflits de désigner l’ordre juridictionnel compétent sans attendre la cristallisation d’un conflit négatif ou positif.

 

§1 : La prévention des conflits négatifs

  Pour éviter de perdre tout le temps que peut représenter l’apparition d’un conflit négatif est d’interdire au second ordre juridictionnel saisi qui a des doutes sur sa compétence, de se déclarer lui-même incompétent. Dans ce cas cet ordre doit obligatoirement saisir le Tribunal des conflits. On peut ainsi gagner plusieurs années.

 Cette procédure de prévention des conflits négatifs a été si bien perçue par les juridictions des deux ordres qu’elle fonctionne « trop » bien. On a quelquefois des juridictions du second ordre qui, par crainte de toute difficulté, créent des difficultés de compétence là où il n’y en a pas et renvoient au Tribunal des conflits sans que les doutes sur leur compétence ne soient sérieux.

 

§2 : La prévention des difficultés de compétence

  Un tout autre mécanisme a été instauré par le décret de 1960. Il permet aux deux juridictions souveraines ayant un doute sur la compétence, même en l’absence de tout conflit, de saisir pour avis le Tribunal des conflits en lui demandant de désigner l’ordre compétent. Cela peut permettre de résoudre la difficulté bien plus tôt.

 Il serait encore mieux de permettre les juridictions du fond des deux ordres de saisir également pour avis le Tribunal des conflits.