Le scrutin combiné : proportionnelle renforcée ou majoritarisée

La recherche d’un système combiné

L’idée d’un système combiné en matière électorale repose sur la volonté de concilier deux principes souvent opposés : la justice de la proportionnelle, qui garantit une représentation équitable des différentes forces politiques, et la stabilité majoritaire, nécessaire pour assurer une gouvernance efficace. Il ne s’agit pas d’un système mixte, qui pourrait prêter à confusion, mais bien d’une formule hybride conçue pour résoudre les failles des approches purement proportionnelles ou majoritaires.

Les objectifs principaux d’un système combiné

  • Corriger les effets négatifs de la proportionnelle : Le scrutin proportionnel pur tend à affaiblir le lien direct entre les élus et les électeurs, notamment en raison de l’absence de circonscriptions individuelles et du rôle prépondérant des listes de parti.  Ce mode de scrutin favorise également une fragmentation politique excessive, rendant plus difficile la formation de majorités stables.
  • Renforcer la stabilité politique : L’objectif est de limiter l’éparpillement des sièges en introduisant des mécanismes correctifs, tels que des primes majoritaires ou des seuils d’éligibilité. Cette approche permet d’assurer qu’une force politique dominante puisse gouverner, tout en maintenant une représentation significative pour les minorités.
  • Protéger la diversité des opinions : Contrairement à un système strictement majoritaire, un système combiné cherche à ne pas écraser les petites formations ou courants politiques émergents.

Exemples de systèmes combinés

  1. La proportionnelle renforcée ou majoritarisée : Ce modèle conserve une répartition proportionnelle des sièges, mais introduit un correctif majoritaire pour garantir une majorité claire à la liste ou au parti arrivé en tête.

    • En France, ce principe est appliqué aux élections municipales dans les communes de 1 000 habitants et plus, ainsi qu’aux élections régionales. Par exemple :
      • Aux municipales, 50 % des sièges sont attribués à la liste gagnante (prime majoritaire), tandis que les sièges restants sont répartis proportionnellement.
      • Aux régionales, une prime de 25 % des sièges est accordée à la liste arrivée en tête, le reste étant réparti proportionnellement.
  2. Le véritable scrutin mixte : Ce mode de scrutin combine deux logiques distinctes au sein d’un même processus électoral, attribuant :

    • Une partie des sièges selon un scrutin majoritaire uninominal (élection de candidats individuels dans des circonscriptions), renforçant ainsi le lien entre élus et électeurs.
    • L’autre partie des sièges selon un scrutin proportionnel, permettant une représentation des courants minoritaires.
    • Exemple : Ce système est utilisé en Allemagne pour les élections au Bundestag, où les électeurs disposent de deux votes : un pour élire un représentant de leur circonscription et un autre pour désigner une liste proportionnelle.
  3. Les évolutions récentes en Europe :

    • En Italie, le scrutin proportionnel a été progressivement ajusté pour inclure une prime majoritaire, permettant à la coalition gagnante d’obtenir une majorité parlementaire stable.
    • En Grèce, des réformes ont introduit des primes de sièges pour le parti en tête, à condition qu’il dépasse un certain seuil.

 

A) Le système électoral de l’Allemagne

Le système électoral allemand, instauré dans la République fédérale d’Allemagne (RFA) et élargi à toute l’Allemagne après la réunification en 1990, demeure un exemple emblématique de scrutin mixte avec compensation proportionnelle. Contrairement à une idée reçue, ce système n’est pas un simple mélange de scrutin majoritaire et proportionnel : son objectif est de garantir une représentation proportionnelle fidèle, tout en conservant un lien direct entre les élus et leurs circonscriptions.

Les bases du système : scrutin mixte et correction proportionnelle

  1. Répartition des sièges :

    • La moitié des sièges du Bundestag est attribuée par un scrutin uninominal majoritaire à un tour dans des circonscriptions (représentation locale directe).
    • L’autre moitié est répartie en fonction d’un vote de liste, qui corrige les déséquilibres créés par le scrutin majoritaire afin de garantir la proportionnalité globale.
  2. Mécanisme d’ajustement :
    Si un parti remporte plus de sièges directs qu’il ne devrait en avoir selon la proportionnalité des voix (grâce à sa performance dans les circonscriptions), des sièges supplémentaires (Überhangmandate) et des sièges compensatoires (Ausgleichsmandate) sont ajoutés pour rétablir l’équilibre. Ce mécanisme explique pourquoi le Bundestag dépasse régulièrement son seuil théorique de 598 sièges : après les élections de 2021, il comptait 736 membres, et ce chiffre pourrait augmenter encore en 2025.

  3. Double vote :
    Chaque électeur dispose de deux voix :

    • La première pour élire un représentant direct dans sa circonscription au scrutin majoritaire.
    • La seconde pour choisir une liste régionale, influençant la répartition proportionnelle.

Exemple pratique

Imaginons un Bundestag de 736 sièges (nombre actuel). Voici comment les sièges pourraient être répartis :

  • Les électeurs votent pour un candidat dans leur circonscription (voix majoritaire) et pour une liste nationale ou régionale (voix proportionnelle).
  • Parti A (SPD) : 40 % des voix au niveau national. Grâce aux résultats dans les circonscriptions, il remporte 160 sièges directs, mais sa proportionnalité (40 % des 736 sièges = 294) nécessite qu’il reçoive 134 sièges compensatoires via les listes.
  • Parti B (CDU/CSU) : 38 % des voix. Il gagne 190 sièges directs et 90 sièges supplémentaires pour atteindre sa proportion proportionnelle (38 % de 736 = 280).
  • Parti C (Verts) : 15 % des voix, mais seulement 15 sièges directs. Il obtient 96 sièges compensatoires pour garantir une représentation proportionnelle.
  • Parti D (FDP) : 7 %, sans sièges directs, mais se voit attribuer 52 sièges compensatoires grâce à son score national.

Particularités actuelles du système allemand

  1. Seuil minimal de 5 % :
    Un parti doit obtenir au moins 5 % des voix nationales ou remporter au moins trois sièges directs pour entrer au Bundestag. Ce seuil empêche une fragmentation excessive tout en favorisant les grands partis.

  2. Surreprésentation contrôlée :
    En 2023, une réforme a été adoptée pour limiter l’inflation des sièges causée par les mécanismes compensatoires. Ces changements entreront en vigueur pour les élections fédérales de 2025, visant à maintenir un Bundestag d’environ 630 sièges, tout en préservant la proportionnalité.

  3. Diversité politique :
    Le système permet une large représentation des forces politiques. Lors des dernières élections fédérales de 2021, le Bundestag comprenait six partis majeurs, dont :

    • SPD : 25,7 % des voix → 206 sièges.
    • CDU/CSU : 24,1 % → 197 sièges.
    • Verts : 14,8 % → 118 sièges.
    • FDP : 11,5 % → 92 sièges.
    • AfD : 10,3 % → 83 sièges.
    • Die Linke : 4,9 % (seuil compensé par 3 mandats directs) → 39 sièges.

Inspirations et adaptations internationales

  • Nouvelle-Zélande : Depuis 1996, ce pays utilise une représentation proportionnelle mixte similaire. Les électeurs votent pour un candidat local et une liste nationale, garantissant une diversité politique tout en favorisant la gouvernabilité.
  • Réformes en Allemagne : L’Allemagne a servi de modèle pour plusieurs démocraties cherchant à combiner proximité locale et proportionnalité nationale, tout en limitant la fragmentation politique grâce à des seuils d’entrée.

Une réflexion pour la France ?

Le modèle allemand continue d’être évoqué comme une inspiration potentielle pour réformer le système électoral français. Il permettrait :

  • Une représentation plus équitable des forces politiques, en intégrant une dose de proportionnelle.
  • La conservation d’une proximité locale, grâce à l’élection directe de députés dans les circonscriptions.

Cependant, la complexité du système et l’ajout de sièges compensatoires restent des obstacles politiques majeurs, car ils pourraient déstabiliser les partis dominants.

En résumé, le système électoral allemand demeure un exemple sophistiqué et performant, alliant scrutin majoritaire et proportionnalité compensée. Ce modèle garantit une juste représentation des suffrages tout en évitant l’éparpillement des sièges, s’adaptant aux défis contemporains par des réformes régulières. Il reste une source d’inspiration pour d’autres démocraties à la recherche d’équilibre entre proximité locale et diversité politique.

B) Les municipales en France

Les élections municipales en France sont régies par un système électoral combinant représentation proportionnelle et prime majoritaire, visant à assurer à la fois la gouvernabilité des communes et la représentation des diverses sensibilités politiques. Ce système a connu des ajustements notables au fil du temps, notamment pour les grandes métropoles.

Fonctionnement général du scrutin municipal

  • Communes de moins de 1 000 habitants :
    Le scrutin est majoritaire plurinominal à deux tours avec possibilité de panachage. Les électeurs peuvent modifier les listes en rayant ou ajoutant des noms, et les candidats ayant obtenu le plus de voix sont élus.

  • Communes de 1 000 habitants et plus :
    Le scrutin est un scrutin de liste à deux tours avec représentation proportionnelle et prime majoritaire. Les listes doivent être complètes et respecter la parité homme-femme.

    • Premier tour :
      Si une liste obtient la majorité absolue des suffrages exprimés, elle reçoit une prime majoritaire équivalente à 50 % des sièges à pourvoir. Les sièges restants sont répartis proportionnellement entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5 % des voix, y compris la liste majoritaire.

    • Second tour :
      Si aucune liste n’atteint la majorité absolue au premier tour, un second tour est organisé. Les listes ayant obtenu au moins 10 % des suffrages exprimés au premier tour peuvent s’y présenter. La liste arrivée en tête au second tour reçoit la prime majoritaire de 50 % des sièges, et les autres sièges sont répartis proportionnellement entre les listes ayant obtenu au moins 5 % des voix.

Exemple :
Dans une commune de 40 sièges, si la liste A obtient 51 % des voix au premier tour, elle reçoit 20 sièges en prime majoritaire. Les 20 sièges restants sont répartis proportionnellement entre les listes A, B et C, en fonction de leurs résultats respectifs, ce qui peut conduire la liste A à détenir une majorité confortable au conseil municipal.

Cas particulier des grandes villes : la loi PLM

La loi du 31 décembre 1982, dite loi PLM (Paris, Lyon, Marseille), instaure un mode de scrutin spécifique pour ces trois grandes villes, les divisant en secteurs ou arrondissements, chacun élisant ses conseillers municipaux. Une partie de ces conseillers siège également au conseil municipal central, chargé d’élire le maire de la ville.

Évolutions :  Depuis 2022, des discussions sont en cours pour réformer ce mode de scrutin afin de permettre une élection plus directe des maires de Paris, Lyon et Marseille. Le président Emmanuel Macron a exprimé en janvier 2024 son souhait d’une « réforme en profondeur » de la loi PLM pour harmoniser le mode de scrutin avec celui des autres communes françaises. Cependant, la mise en œuvre de cette réforme reste incertaine, et les prochaines élections municipales de 2026 pourraient encore se dérouler selon le système actuel. Le Mon de

Extension du modèle aux élections régionales

Le succès du système combinant proportionnelle et prime majoritaire aux municipales a inspiré une réforme similaire pour les élections régionales. La loi du 19 janvier 1999, modifiée par celle du 11 avril 2003, a instauré un scrutin de liste à deux tours avec une prime majoritaire de 25 % des sièges pour la liste arrivée en tête, les 75 % restants étant répartis proportionnellement entre toutes les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Ce système vise à assurer une majorité stable tout en garantissant la représentation des différentes sensibilités politiques au sein des conseils régionaux.

En résumé, le système électoral français pour les municipales et les régionales combine représentation proportionnelle et prime majoritaire pour assurer à la fois la stabilité des exécutifs locaux et la représentation des diverses forces politiques. Des réformes sont en discussion pour adapter et harmoniser ces modes de scrutin, notamment dans les grandes métropoles, afin de renforcer la démocratie locale.

 

C) La recherche de scrutins mixtes

Les modes de scrutin varient considérablement d’un pays à l’autre. Certains systèmes tentent de concilier des approches majoritaires et proportionnelles, non pas en les fusionnant dans un système hybride, mais en attribuant une partie des sièges selon chaque méthode. Ces recherches, bien que fréquentes, n’ont pas toujours conduit à des réformes durables. Analysons quelques exemples marquants et leurs implications.

Approche mixte : des exemples internationaux

  • Russie (1993-2003, puis 2016) :
    Après le retour du pluralisme, la Douma a adopté un système mixte pour ses 450 sièges. La moitié était élue au scrutin uninominal majoritaire à un tour (modèle britannique), tandis que l’autre moitié utilisait la proportionnelle nationale selon la méthode de Hondt. Ce système, visant à diversifier la représentation, a été abandonné en 2007 au profit d’une proportionnelle intégrale pour favoriser les grands partis nationaux.

Cependant, la réforme de 2016 a réintroduit un système mixte. Aujourd’hui, 225 députés sont élus au scrutin uninominal majoritaire et 225 autres à la proportionnelle, marquant un retour à une stratégie équilibrée entre intérêts locaux et nationaux.

  • Japon (depuis 1994) :
    À la suite d’une réforme électorale, le Japon répartit les sièges entre 289 élus au scrutin majoritaire et 176 élus à la proportionnelle dans 11 circonscriptions régionales. Cette répartition favorise un équilibre entre les enjeux locaux et nationaux, tout en incitant à la stabilité politique. En 2021, ce modèle a encore démontré son efficacité lors des élections législatives, renforçant la position du Parti libéral-démocrate tout en permettant une représentation d’oppositions minoritaires.
  • Italie (1993-2005, puis après 2017) :
    Entre 1994 et 2001, 75 % des sièges étaient attribués au scrutin majoritaire et 25 % à la proportionnelle, avec un seuil de 4 % dans les régions. Ce modèle a consolidé les grandes coalitions politiques, avant d’être abandonné en 2006 au profit d’une proportionnelle intégrale.

Depuis la réforme de 2017 (loi Rosatellum), l’Italie est revenue à un système mixte. Aujourd’hui, 37 % des sièges sont pourvus au scrutin majoritaire uninominal, tandis que 63 % sont attribués à la proportionnelle avec des seuils de représentation. Cette formule a permis, lors des élections de 2022, une victoire claire de la coalition de droite, tout en maintenant une représentation des forces politiques variées.

  • Nouvelle-Zélande (depuis 1996) :
    La Nouvelle-Zélande utilise un système mixte dit de représentation proportionnelle mixte (Mixed Member Proportional, MMP). 72 sièges sont pourvus au scrutin majoritaire uninominal et les autres (48 actuellement) à la proportionnelle. Ce modèle, adopté via référendum, assure une grande diversité politique, tout en maintenant un lien fort entre les élus et leurs circonscriptions. Ce système a permis l’émergence de partis minoritaires tout en garantissant la gouvernabilité.
  • Allemagne (depuis 1949) :
    Le Bundestag combine scrutin majoritaire et proportionnelle compensatoire. La moitié des députés est élue directement dans des circonscriptions, tandis que l’autre moitié est répartie pour refléter la répartition proportionnelle des votes au niveau national. Ce système, utilisé aussi pour les élections régionales, favorise une représentation équilibrée tout en maintenant la stabilité politique. Lors des élections fédérales de 2021, ce système a permis au Parti social-démocrate de former un gouvernement de coalition malgré une fragmentation croissante.

La réflexion en France

En France, l’introduction d’un scrutin mixte est un sujet récurrent depuis plusieurs décennies. La question principale concerne l’intégration d’une dose de proportionnelle dans un système majoritaire. Voici quelques tentatives et propositions notables :

  • Commission de 1993 : Sous François Mitterrand, un rapport a suggéré d’ajouter au scrutin à deux tours une proportionnelle nationale pour 10 à 20 % des sièges. Cette idée visait à mieux représenter les courants politiques minoritaires, mais n’a pas convaincu l’opinion publique.
  • Débats récents : La proposition de « dose de proportionnelle » revient régulièrement avant les élections présidentielles. Tous les grands partis politiques s’y intéressent, bien qu’aucun consensus n’ait été trouvé.

Les enjeux politiques et effets des modes de scrutin

La complexité des systèmes électoraux découle autant de considérations techniques que de stratégies politiques. Étant donné que les lois électorales sont votées par les parlementaires, elles reflètent souvent les intérêts des partis en place. Deux effets majeurs sont à considérer :

  • Effet immédiat : Le mode de calcul des sièges modifie directement les résultats électoraux.
  • Effet à long terme : Le système de scrutin façonne progressivement le paysage politique, influençant la formation et la stabilité des partis.

Selon Maurice Duverger, les systèmes électoraux engendrent plusieurs tendances générales :

  • Regroupement des partis : Les scrutins majoritaires favorisent la concentration des partis en deux blocs principaux (deux partis en cas de scrutin à un tour, deux coalitions pour un scrutin à deux tours, comme en France).
  • Éparpillement avec la proportionnelle : Une forte amplitude proportionnelle, notamment à l’échelle nationale, encourage l’émergence de partis minoritaires. Cependant, des seuils minimaux peuvent limiter cette fragmentation.
  • Distorsion des résultats : Tout système électoral, même proportionnel, déforme dans une certaine mesure la volonté populaire pour répondre à des impératifs de gouvernance.

Interaction entre systèmes électoraux et partis politiques

Le lien entre systèmes électoraux et systèmes de partis est bidirectionnel : le mode de scrutin influence la structuration des partis, mais il est également le produit de ces mêmes partis. Par exemple :

  • Le système électoral agit comme un « frein » ou un « accélérateur » des dynamiques partisanes. Il peut encourager la simplification (bipartisme) ou la complexification (multipartisme) selon le contexte.
  • L’évolution des partis ne dépend pas exclusivement du mode de scrutin. En France, l’essor du parti gaulliste ou le déclin des partis communistes sont liés à des facteurs historiques, économiques et sociaux.

Ce qu’il faut retenir :  Les systèmes de scrutin mixte, bien que parfois critiqués pour leur complexité, demeurent une clé essentielle de la représentation démocratique. Chaque méthode introduit une distorsion entre le suffrage exprimé et sa traduction en sièges. Les élections, au-delà de leur dimension politique, constituent un moment crucial de structuration des opinions et des partis.

En résumé, les scrutins mixtes cherchent à concilier les avantages du majoritaire et de la proportionnelle, mais leur adoption et leur efficacité dépendent autant des logiques techniques que des enjeux politiques.

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