Le statut du Président de la République

Le renforcement statutaire du Président sous la Cinquième République

Contrairement à ce que pourraient laisser entendre les expressions « régime présidentialiste », ce n’est pas seulement la branche présidentielle que l’on renforce en 1958.
En réalité la nouvelle répartition des rôles n’est pas dépourvue de toute ambigüité.
Finalement, on peut se poser la question suivante : les rapports entre président et premier ministre sous la Ve, duel ou duo ?

Indépendamment du facteur personnel, ce renforcement est lié à deux autres facteurs à la fois politiques et juridiques. Le président de la république sous la Ve est doté non seulement de sa propre légitimité qui en fait l’élu de la nation mais aussi de pouvoirs propres extrêmement importants en pratique.

Quel est le statut du président de la république? A) Un président élu de la nation

Ce n’est pas quelque chose qui allait de soi en 1958. Très vives contestations de la part des parlementaristes classiques, qui perdurent au long de la Ve république.

1. L’élection présidentielle modifie le système de partis
Aujourd’hui l’élection présidentielle au suffrage universel direct est considérée comme étant consubstantielle de la Ve république. Pourtant en France cela ne paraissait pas forcément évident. En effet, souvenir fâcheux : l’élection de Louis Napoléon Bonaparte le 10 décembre 1848 suivie d’un coup d’Etat le 2 décembre 1851. La France c’est la 2e constitution de la Ve république (G. Vedel).
Le chef de l’Etat va bénéficier de l’onction du suffrage universel et de ce fait sa légitimité va se trouver renforcée. Il est l’élu de la nation comme les parlementaires > fin du monopole des parlementaires sur ce point.
Cette légitimité va permettre une nouvelle lecture de la constitution. A partir de 62 la place du président n’est plus tout à fait la même : élargissement de la fonction présidentielle. De l’arbitre on passe au capitaine, d’institutionnelle la fonction présidentielle devient fondamentalement politique. Si tout cela est possible c’est aussi parce que le système des partis a été modifié par l’élection. L’élection permet de dépasser les partis politiques. Pour De Gaulle « il faut qu’au dessus des contingences politiques soit établi un arbitrage national qui fasse valoir la continuité au milieu des combinaisons ». L’idée est qu’il est nécessaire qu’un contact direct s’établisse entre le président et le peuple. Le référendum le permet, l’élection au suffrage universel le rend plus facile encore.
Plus encore qu’un dépassement des partis politiques, l’élection du président au suffrage universel direct depuis 62 va entrainer la construction d’un nouveau système de partis. Ce mode d’élection est favorable à la bipolarisation. En effet ne peuvent se maintenir au second tour de l’élection présidentielle que les deux premiers candidats arrivés en tête au premier tour. Ils deviennent presque automatiquement les deux leaders des deux coalitions de droite et de gauche.

2. Les modalités d’élection du Président de la République
Contrairement à l’élection des députés ou sénateurs, le mode d’élection du président est prévu par la constitution elle même.
Article 6 et 7 : le président est élu pour 5 ans au suffrage universel direct, à la majorité absolue des suffrages exprimés soit dès le premier tour soit à défaut le deuxième dimanche suivant. La constitution prévoit que l’élection est organisée 20 jours au moins et 35 au plus avant l’expiration des pouvoirs du président en exercice.
Pour présenter sa candidature il faut être inscrit sur les listes d’électeurs, avoir au moins de 23 ans, ne pas être frappé d’incapacité.
La loi organique du 18 juin 1976 pose d’autres contraintes plus lourdes qui ont pour objectif de limiter les candidatures fantaisistes : les candidats doivent être parrainés par 500 élus locaux ou nationaux originaires de 30 départements ou territoires différents sans que plus de 1/10 de ces parrains provienne du même département. C’est le Conseil Constitutionnel qui recueille ces parrainages, 18 jours au moins avant le premier tour. Chaque parrain ne peut parrainer qu’un seul candidat. Le Conseil Constitutionnel va publier au JO la liste des parrains avec le nom du candidat qu’ils parrainent. Ce système a permis de concilier deux exigences contradictoires : faire échapper l’élection présidentielle aux partis politiques ce qui suppose de ne pas trop élever la barre des parrainages et éviter une inflation des candidatures fantaisistes et peu représentatives ce qui oblige à ne pas trop abaisser la barre des parrainages. En 2002, 16 candidats malgré cette règle des 500 signatures, et 12 en 2007.
Le contentieux électoral : c’est le Conseil Constitutionnel qui s’en charge (article 58 de la constitution). N’importe qui ne peut pas contester l’élection présidentielle, c’est soit un autre candidat soit les préfets.

B. La question de la responsabilité du Président

En droit la notion de responsabilité renvoie à deux acceptions, la responsabilité compétence (désigne celui qui est responsable d’un dossier ou d’une affaire) et la responsabilité réparation (désigne celui qui doit rendre des comptes).

1. La question de la responsabilité politique du Président
Si l’on suit la lettre du texte de la constitution on constate que élu au suffrage universel direct le président de la république, véritable chef de l’exécutif en période de fonctionnement normal des institutions, le président de la république est politiquement irresponsable devant le Parlement.
L’ancienne rédaction de l’article 68 de la constitution était extrêmement claire sur ce point : « le président de la république n’est responsable des actes accomplis dans l’exercice de ses fonctions qu’en cas de haute trahison ». Aujourd’hui, la nouvelle rédaction des articles 67 et 68 de la constitution issue de la loi constitutionnelle du 23 février 2007 confirme l’idée selon laquelle toute espèce de responsabilité politique ordinaire est exclue par la constitution et seule une forme particulière de responsabilité pénale est prévue. Principe : « Le président de la république n’est pas responsable des actes accomplis en cette qualité ». Exceptions : article 53-2 de la Constitution (hypothèse où le président serait déféré devant la cour pénale internationale) et article 68 (procédure de destitution « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat »).
La source de son pouvoir étant le peuple, c’est devant le peuple que le président va être politiquement responsable. Cette responsabilité peut s’exprimer à deux moments : au moment de sa réélection ou non, et à l’occasion de l’organisation d’un référendum (article 11).

2. La question de la responsabilité pénale du Président
Depuis l’accession de Chirac à la présidence, le débat le plus sensible porte sur la responsabilité pénale du chef de l’Etat.
Conscient de l’imperfection du statut pénal du président, et pressé par les affaires politico juridiques qui le mettait en cause, Chirac s’était engagé à travailler sur la réforme de la responsabilité pénale du chef de l’Etat. Pour se faire il a fait appel à des juristes et notamment Pierre Avril (commission Avril, rapport rendu le 12 décembre 2002). Le rapport Avril insiste sur la nécessité de protéger la fonction présidentielle ; il réaffirme l’inviolabilité présidentielle. Mais il insiste en même temps sur le fait que cette protection doit être strictement proportionnée aux exigences de la fonction.
De cela il résulte deux conséquences. D’abord, l’immunité vise à protéger la fonction et non son titulaire. Cette immunité doit donc « être absolue aussi longtemps que dure le mandat ». Mais « elle doit aussi prendre fin avec lui ». D’où la proposition de la suspension de tous les délais de prescription ou de forclusion pendant la durée du mandat.
Ensuite, le souci de protéger la fonction exige qu’un mécanisme soit mis en place contre le président lui-même, notamment si celui ci manque à ses devoirs « d’une façon telle qu’elle se révèle manifestement incompatible avec la poursuite de son mandat ».
Procédure de destitution initiée et décidée par les parlementaires > critiquable.
On peut se demander s’il n’y avait pas une autre solution : confier ce rôle de destitution au Conseil Constitutionnel par exemple.
Quoi qu’il en soit, la loi du 23 février 2007 reprend intégralement les propositions du rapport Avril.
On constate que la Haute Cour de Justice disparaît au profit de la Haute Cour (Parlement dans son ensemble, présidé par le président de l’Assemblée Nationale).
De plus, est instituée une procédure de destitution du président de la république, laissée à l’initiative des parlementaires (article 68 alinéa 2), procédure qui ne peut être enclenchée « qu’en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». > Notion aussi difficile à définir que la ‘haute trahison’.
Enfin, la fonction présidentielle et protégée. Premièrement, on réaffirme l’absence de responsabilité politique du président devant le Parlement (article 67 alinéa 1) et deuxièmement impossibilité pour les juridictions d’entreprendre une action contre le président ou de solliciter son témoignage pendant la durée du mandat présidentiel (article 67 alinéa 2). Mais la protection cesse à l’expiration du mandat (article 67 alinéa 3).


C. Un statut contesté

1. La question du mode d’élection du Président
Critique dès la fin de l’ère gaullienne
Suffrage universel direct accusé de donner au président une trop forte légitimité.

Propositions de réforme régulières : certaines propositions tendent à aménager le système actuel, d’autres vont encore plus loin en cherchant à revenir au suffrage universel indirect.
Bernard Chantebout par exemple propose de supprimer le second tour des présidentielles pour parvenir à un vote « à la pluralité des voix ». Cette technique consiste à demander aux électeurs conviés uniquement au premier tour d’inscrire trois noms sur le bulletin de vote et de les classer par ordre de préférence décroissant. C’est le premier nom mentionné qui est d’abord le seul retenu. Si aucun candidat n’obtient la majorité absolue on ajoute au score de chacun les seconds choix. Si cela ne suffit pas on ajoute le troisième choix. Avantages selon Chantebout : cela supprimerait pour l’essentiel la bipolarisation, permettrait de faire élire un homme de compromis et permettrait de faire échapper l’élection des présidents au régime des partis politiques.

D’autres auteurs proposent de revenir au suffrage universel indirect. Idée que le suffrage universel direct n’est pas nécessairement synonyme de démocratie idéale. Deux auteurs soutiennent cette idée : le doyen Roussillon et le professeur Baumont. Ils veulent revenir à un système voisin du collège électoral de 1958 mais en modernisant les choses. D’abord ils veulent élargir le collège aux conseillers régionaux et ensuite ils veulent étendre le collège électoral à des représentants composés de personnalités non élues (du monde judiciaire, syndical ou universitaire). L’idée est de donner corps à l’image « d’un président décentralisé ».
L’attachement très fort des français au suffrage universel direct se repère par deux manières. D’abord les sondages, qui montrent que 80% des français y sont attachés, et ensuite le taux de participation qui montre que si on prend toutes les élections présidentielles depuis 1958 atteint les 80%.

2. La question de la durée du mandat présidentiel
1958 : on opte pour le septennat, héritage des républiques passées. Le septennat est établi pour la première fois en 1873. Il va jouer un rôle important sous les IIIe et IVe républiques : il va constituer le seul élément de stabilité de l’exécutif dans le contexte d’instabilité ministérielle.
Sous la Ve la question pouvait être posée en des termes nouveaux. La bipolarisation s’installe permettant de dégager des majorités de gouvernement, fin de l’instabilité ministérielle, ce à quoi s’ajoute le renforcement drastique des pouvoirs du chef de l’Etat élu au suffrage universel direct. La question de la durée du mandat sera abordée dès 1973 par Pompidou qui tente d’amorcer une réforme de la constitution pour passer à un quinquennat. Mais il va très vite se rétracter face à l’hostilité du Sénat.

En 1981 Valery Giscard d’Estaing dans son ouvrage Deux français sur trois se prononce pour un mandat de six ans renouvelable une fois, voire pour le quinquennat.
Mitterrand dans ses 110 propositions pour la France se prononce pour deux solutions : 5 ans renouvelables une fois, ou 7 ans non renouvelables.
Chirac lui est favorable à deux fois 5 ans.
Le principal intérêt de la réforme du quinquennat est double : il permet de renforcer l’autorité du président en rendant plus fréquent le renouvellement de sa majorité populaire. Il permet ensuite de faire coïncider les deux élections parlementaire et présidentielle.

Quatre éléments viennent contrer les avantages du quinquennat :
– il y a une certaine ambigüité face à cette réforme : le consensus de tous les hommes politiques en faveur du quinquennat est assez ambigu : certains veulent renforcer la présidence tandis que d’autres veulent l’affaiblir. Certains évoquent le quinquennat dans l’idée qu’il est plus facile d’une faire deux d’affilée (recherche d’un allongement)
– Lassitude des électeurs, développement de l’abstentionnisme
– Septennat permet au président d’avoir une certaine sérénité pour accomplir son programme
– Le quinquennat est censé éviter la cohabitation mais ce n’est pas si évident. Rien ne permet de dire que les électeurs vont envoyer au Parlement la majorité favorable au président lors des élections législatives.

Finalement, la loi constitutionnelle du 24 septembre 2000 adoptée par référendum met en place le quinquennat à l’article 6 alinéa 1 de la constitution. La loi constitutionnelle du 23 juillet 2008 limite désormais à deux mandats consécutifs le mandat présidentiel. Cette limitation a été voulue par le président Sarkozy contre l’avis du comité Balladur. Difficulté à trouver des arguments en faveur de cette réforme. Un seul exemple, les Etats Unis qui limitent également les mandats à deux consécutifs. Cette limitation vient heurter une règle, celle qu’en démocratie le peuple doit en principe rester libre de voter à plusieurs reprises pour le même candidat.