Le statut juridique de l’embryon et du fœtus

LA PERSONNALITÉ JURIDIQUE DE LA PERSONNE PHYSIQUE : le début

Aujourd’hui tous les êtres humains sont des personnes physiques, c’est-à-dire des personnes juridiques, c’est-à-dire se trouvent dotés de la personnalité.

En effet, se trouvent abolis : tout d’abord, depuis 1848 dans les colonies françaises, l’esclavage ; ensuite, depuis 1819, le droit d’aubaine, ôtant toute personnalité aux étrangers ; enfin, depuis la loi du 31 mai 1854, la mort civile frappant les condamnés aux peines perpétuelles et déterminante de l’ouverture de leur succession et de la dissolution de leur mariage.

Par là, à l’époque contemporaine, le droit semble devoir être le décalque de la médecine dans la définition de la personne physique, simple être humain.

En vérité cette observation se révèle infondée lorsque l’être humain se trouve pris en considération par le droit : en effet, les limites et le contenu de la notion de personne physique se révèlent différents selon l’angle juridique ou biologique sous lequel on se place.

Le droit remodèle la nature : la notion juridique de personne physique, ne coïncide pas nécessairement avec la notion biologique, notamment sur le plan de la vie humaine ; aussi bien, convient-il d’abord de délimiter dans le temps la personnalité, c’est-à-dire d’aborder le problème de son existence.

Par ailleurs, l’homme vivant en société, il faut le distinguer de ses semblables ; aussi bien, convient-il de délimiter dans l’espace la personne, c’est-à-dire de poser le problème de l’individualisation de celle-ci.

Biologiquement, l’existence d’une personne physique se situe entre deux dates extrêmes : celle de la naissance et celle de la mort.

Il faut distinguer la naissance du statut juridique de l’embryon et du fœtus

1 – Le statut juridique de l’embryon et du fotus

L’embryon et le fœtus n’ont pas la personnalité juridique. Ils peuvent certes l’avoir, rétroactivement, par l’application de l’adage Infans conceptus…. mais, précisément parce qu’il s’agit d’une rétroactivité, encore faut-il que l’enfant soit né et, même, qu’il naisse vivant et viable. L’embryon et le fœtus sont donc, juridiquement, des choses.

Ainsi a-t-il été jugé que le principe de la légalité des délits et des peines, qui impose une interprétation stricte de la loi pénale, s’oppose à ce que l’incrimination d’homicide involontaire d’autrui soit étendue au cas de l’enfant à naître dont le régime juridique relève de textes particuliers sur l’embryon et le fœtus.

II reste que l’embryon et le fœtus ne peuvent sans doute pas être considérés comme n’importe quelle chose. Rendant d’ailleurs compte de la difficulté qu’il y a à ranger l’embryon dans la catégorie des choses ordinaires, le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé a cru bon, au sujet de l’embryon, de parler de « personne humaine potentielle ».

La formule est cependant contestable puisque, juridiquement, une personne existe ou n’existe pas, la

« personne humaine potentielle » ne correspondant à aucune catégorie définie. On doit, semble-t-il, considérer que, à défaut d’être juridiquement des personnes, l’embryon et le fœtus sont tout de même des êtres vivants, leur appartenance à l’humanité justifiant un traitement un peu particulier. Comme a pu le faire observer un auteur, il ne serait pas si choquant d’admettre qu’ils sont des choses au sens juridique, dès lors que ces choses bénéficient « d’un statut à part […], qui mettrait en avant [leur] appartenance à l’humanité ». Ainsi, en matière de procréation médicalement assistée, et en dehors même du fait que la terminologie retenue par le législateur emprunte tantôt au droit des personnes, tantôt au droit des biens, faut-il relever qu’est affirmée l’interdiction des recherches sur l’embryon humain, encore que la loi du 6 août 2004 ayant révisé les lois bioéthique du 29 juillet 1994 ait permis, à titre d’exception, des expérimentations « lorsqu’elles sont susceptibles de permettre des progrès thérapeutiques majeurs et à la condition de ne pouvoir être poursuivies par une méthode alternative d’efficacité comparable, en l’état des connaissances scientifiques », et ceci pour une période transitoire de cinq ans. En outre, le principe de l’absence de toute rémunération en la matière3, ainsi que celui selon lequel un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielle, renvoyant à l’idée d’extrapatrimonialité, témoignent eux aussi d’une volonté de conférer un statut original à l’embryon.

On remarquera d’ailleurs, sur un autre terrain, qu’au sujet de l’interruption volontaire de grossesse, le Conseil constitutionnel, dans une décision du 15 janvier 1975 rendue en examen de la loi Veil, avait considéré que la loi du 17 janvier 1975 n’admet qu’il soit porté atteinte au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu’en cas de nécessité et selon les conditions et limitations qu’elle définit. Et d’ajouter qu’aucune de ces dérogations n’est contraire à l’un des principes fondamentaux de la République ni ne méconnaît le principe énoncé dans le Préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la Nation garantit à l’enfant la protection de la santé, non plus qu’aucune des autres règles à valeur constitutionnelle édictées par le même texte.

La loi de 1975 affirme donc le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie, donc bien avant la naissance, et l’interruption volontaire de grossesse ne vient y porter atteinte qu’à titre exceptionnel, soit qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse pour motif thérapeutique lorsque l’enfant à naître est atteint d’un mal incurable au moment du diagnostic ou que la vie de la mère est mise en danger par la grossesse, soit qu’il s’agisse d’une interruption de grossesse justifiée par la détresse de la mère. Alors que la première peut avoir lieu à n’importe quel moment de la grossesse, la seconde ne peut plus être pratiquée passées les douze premières semaines de celle-ci.

Le sujet continue semble-t-il de soulever des passions. Pour preuve les controverses suscitées par l’arrêt Perruche de l’Assemblée plénière de la Cour de cassation du 17 novembre 2000 par lequel la Haute juridiction a condamné un médecin, qui n’avait pas diagnostiqué la rubéole dont était atteinte une femme enceinte, à réparer le préjudice de l’enfant né gravement handicapé. Certains, pour contester le bien-fondé de la solution de l’Assemblée plénière, ont fait valoir qu’il n’y avait en réalité pas de lien de causalité entre la faute du médecin et le handicap de l’enfant, le handicap trouvant seulement sa cause dans la rubéole de la mère. On a encore critiqué l’arrêt au motif que le préjudice souffert par l’enfant ne serait pas, en tout état de cause, son handicap mais, plus radicalement, le fait même d’être né puisque si le médecin n’avait pas commis l’erreur de diagnostic qui lui était reprochée, la mère aurait avorté et l’enfant n’existerait pas. Sans reprendre l’ensemble de la discussion, au demeurant aujourd’hui close depuis que le législateur, par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, est venu briser cette jurisprudence, la réparation du préjudice constitué par la naissance d’un enfant handicapé relevant désormais de la solidarité, on relèvera tout de même qu’il n’est pas anodin que l’arrêt, qui s’inscrit dans la logique de la législation sur l’interruption volontaire de grossesse, ait fait l’objet de débats aussi vifs. Ceux que l’arrêt a heurté ne l’ont-ils pas été, fondamentalement, par le fait que la Cour de cassation, constatant que la mère avait la possibilité d’avorter et avait fait connaître sa volonté en ce sens au cas où l’enfant serait atteint d’un mal incurable, en a déduit que la faute du médecin l’avait empêchée d’avorter en la trompant sur l’existence du mal de l’enfant ?


On observera, en tout état de cause, que même après la loi du 4 mars 2002, l’affaire Perruche pourrait bien connaître un prolongement européen, d’autant que, à propos de la réparation du préjudice souffert par les parents cette fois, la Cour européenne des droits de l’homme a, le 6 juillet 20041, admis la recevabilité, au regard des articles 6 § 1, 8, 13, 1er du protocole n° 1 combiné avec l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, de la requête de parents qui, en raison de l’application aux instances en cours de l’article 1er de la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, n’avaient pas pu obtenir réparation pour les charges particulières découlant, tout au long de la vie de l’enfant, de son handicap, non détecté pendant la grossesse à la suite d’une inversion des résultats des analyses.

Concrètement, la Cour de Strasbourg a admis la recevabilité du grief reprochant à la loi du 4 mars 2002 d’avoir créé « une inégalité de traitement injustifié entre les parents d’enfants handicapés en raison d’une faute médicale ou de la faute d’un tiers qui peuvent obtenir réparation de l’entier préjudice par une action en responsabilité, et les parents d’enfants dont le handicap n ‘a pas été décelé avant la naissance en raison d’une faute qui, (eux), ne peuvent obtenir réparation que de leur préjudice personnel, l’indemnisation des autres charges relevant d’un mécanisme de solidarité nationale ».

2 – Le commencement de la personnalité juridique

Pour être doté de la personnalité juridique, l’individu doit être né vivant et viable. Cette exigence se trouve exprimée par un certain nombre de textes particuliers. Ainsi, en matière de filiation, l’article 311-4 du Code civil dispose-t-il qu’ « aucune action n’est reçue quant à la filiation d’un enfant qui n’est pas né viable ». En matière successorale, l’article 725 énonce que « pour succéder, il faut exister à l’instant de l’ouverture de la succession ou, ayant déjà été conçu, naître viable ». L’article 906, alinéa 3, du Code civil prévoit encore que « la donation ou le testament n’auront leur effet qu’autant que l’enfant sera né viable ». De ces textes particuliers, on induit le principe général selon lequel la naissance marque le point de départ de la personnalité juridique. Encore faut-il, on l’a vu, que l’enfant soit né vivant et viable.

Partant, l’enfant mort-né n’a pas la personnalité juridique et est même considéré ne jamais l’avoir eu. Il faut en outre que l’enfant né vivant soit viable, autrement dit qu’il soit doté de tous les organes nécessaires à la vie, organes qui doivent donc avoir atteint un niveau de développement suffisant. Si ces conditions sont remplies et, donc, que l’enfant naît vivant et viable, alors il aura la personnalité juridique, aura un patrimoine et pourra hériter.

Au principe qui vient d’être exposé, il faut apporter un tempérament : l’enfant simplement conçu est réputé né chaque fois qu’il y va de son intérêt. C’est ce qu’exprime l’adage Infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur. Cette solution, que l’on retrouve dans quelques articles du Code civil permettant, précisément, de faire remonter la personnalité juridique jusqu’au moment de la conception, repose sur un mécanisme original. Il y a là en effet une fiction qui conduit, comme son nom l’indique, à méconnaître la réalité : on fait comme si l’enfant était né alors qu’il est simplement conçu, et ce dans le but de lui octroyer la personnalité juridique. La Cour de cassation, élargissant les quelques hypothèses visées par le Code civil, a fait de cette solution un principe général qu’elle n’a d’ailleurs pas hésité à viser au soutien d’une cassation. L’application de cette fiction juridique suppose cependant que quelques conditions soient remplies.

Il faut, d’abord, que l’enfant finisse par naître vivant et viable : la fiction opère rétroactivement, de telle sorte que, techniquement, elle consiste à conférer de façon rétroactive la personnalité juridique à un enfant né vivant et viable en la faisant remonter jusqu’à sa conception.

Par conséquent, l’enfant qui ne naîtrait pas vivant et viable ne pourrait pas bénéficier de cette fiction : on ne saurait donc, dans ce cas, considérer qu’il avait la personnalité juridique dès sa conception. On rappellera que certains ont cru pouvoir trouver dans l’adage Infans conceptus… un moyen de contester l’interruption volontaire de grossesse, faisant valoir que, puisque la personnalité juridique peut exister dès la conception, l’embryon et le fœtus seraient des personnes. Ce raisonnement, juridiquement inexact, repose sur une méconnaissance de la première condition posée à la mise en œuvre de la fiction considérée : encore une fois, la possibilité de faire remonter la personnalité juridique jusqu’à la conception suppose, in fine, que l’enfant naisse vivant et viable, ce qui, par hypothèse, n’est pas le cas en cas d’interruption volontaire de grossesse de sorte que, dans ce cas de figure, la personnalité juridique n’a jamais existé.

Il faut ensuite, pour que s’applique l’adage Infans conceptus…, qu’il y aille de l’intérêt de l’enfant, autrement dit qu’il y aille de son intérêt d’être considéré comme né plus tôt. L’intérêt peut, par exemple, exister si son père est décédé pendant la grossesse de la mère : grâce à l’adage Infans conceptus…, l’article 725 du Code civil s’appliquera et l’enfant pourra succéder à son père. De la même manière, l’article 906 du Code civil permettra à l’enfant simplement conçu de recevoir des donations. Et la jurisprudence a élargi ces hypothèses, donnant ainsi à l’enfant simplement conçu la possibilité de bénéficier d’une assurance vie. Dans l’affaire ayant donné lieu à l’arrêt précité de la première chambre civile de la Cour de cassation du 10 décembre 1985, on aurait certes pu, a priori, s’interroger puisque c’était ici la mère qui était désignée comme bénéficiaire de l’assurance. Aussi bien, n’était-ce pas son intérêt que soient pris en compte les enfants simplement conçus au jour du décès du père de façon à augmenter le montant de la prime ? En réalité, l’intérêt de l’enfant était bien en cause, le mode de calcul de la prime attestant que celle-ci était au moins pour partie destinée à l’éducation des enfants.

Si ces conditions sont remplies – l’enfant est né vivant et viable, et il y va de son intérêt de faire remonter l’acquisition de sa personnalité juridique au jour de sa conception -, on peut mettre en œuvre l’adage Infans conceptus… Il restera tout de même alors, très concrètement, à déterminer la date de la conception de l’enfant, notamment lorsque l’intérêt de l’enfant est d’ordre successoral et que se pose la question de savoir s’il était déjà conçu au jour du décès de son auteur. Le Code civil a ici posé deux présomptions : la première intéresse la période légale de la conception qui se situe entre le 180e et le 300e jour avant la naissance tandis que la seconde – Omni meliore momento – permet de retenir comme jour de la conception au sein de cette période de 121 jours le jour qui apparaît être le plus favorable à l’enfant.