Le Tribunal des Conflits et les conflits de compétence

Le règlement des conflits de compétence : rôle et fonctionnement du Tribunal des Conflits

Le Tribunal des Conflits est une juridiction particulière, créée pour résoudre les différends relatifs à la compétence des juridictions. Contrairement aux juridictions ordinaires, son rôle n’est pas de juger le fond d’une affaire, mais de déterminer si un litige relève de la compétence de l’ordre judiciaire ou de l’ordre administratif. Il joue ainsi un rôle clé dans le système dualiste français, où coexistent deux ordres juridictionnels distincts.

1. Rôle et composition du Tribunal des Conflits

A. Fonction principale : arbitrer les conflits de compétence

Le Tribunal des Conflits intervient lorsqu’il existe une incertitude sur l’ordre juridictionnel compétent pour traiter un litige.

  • Les deux ordres concernés :
    1. L’ordre judiciaire : compétent pour les litiges entre particuliers ou en matière pénale.
    2. L’ordre administratif : compétent pour les litiges impliquant l’administration dans l’exercice de ses prérogatives de puissance publique.

B. Composition du Tribunal des Conflits

Le Tribunal des Conflits est composé de manière paritaire :

  • Quatre membres du Conseil d’État (ordre administratif).
  • Quatre membres de la Cour de cassation (ordre judiciaire).
  • Présidence : Traditionnellement confiée au Garde des Sceaux (ministre de la Justice), bien qu’elle soit souvent déléguée au vice-président, en raison des critiques concernant l’impartialité du ministre, qui pourrait favoriser l’ordre administratif.

2. Les différents types de conflits de compétence

Le Tribunal des Conflits intervient dans trois principaux cas de figure : conflit positif, conflit négatif, et conflit de décision.

A. Le conflit positif

Un conflit positif survient lorsque l’administration, partie à un litige, conteste la compétence d’un juge judiciaire, estimant que l’affaire relève de la juridiction administrative.

  1. Procédure en cas de conflit positif :

    • Initiative du préfet : Seul le préfet, en tant que représentant de l’État, peut élever un conflit positif.
    • Étapes clés :
      1. Déclinatoire de compétence : Le préfet envoie une demande au juge judiciaire, lui demandant de se déclarer incompétent.
      2. Arrêté de conflit : Si le juge judiciaire refuse, le préfet peut prendre un arrêté de conflit, suspendant la procédure en cours.
      3. Décision du Tribunal des Conflits :
        • Le Tribunal des Conflits examine si le juge judiciaire est compétent.
        • Si le juge judiciaire est déclaré incompétent, le litige est renvoyé devant une juridiction administrative.
  2. Exemple :

    • Une entreprise conteste une sanction administrative devant un tribunal civil. Le préfet estime que la sanction relève de la compétence administrative et élève un conflit positif pour protéger la compétence de l’administration.

B. Le conflit négatif

Un conflit négatif survient lorsque deux juridictions, l’une administrative et l’autre judiciaire, se déclarent successivement incompétentes pour traiter un litige. Cela crée un risque de déni de justice, interdit par l’article 4 du Code civil.

  1. Procédure en cas de conflit négatif :

    • Après une première déclaration d’incompétence par un juge, le justiciable saisit une juridiction de l’autre ordre.
    • Si cette juridiction se déclare également incompétente, elle doit saisir le Tribunal des Conflits pour qu’il tranche.
    • Si la juridiction ne respecte pas cette obligation, le justiciable peut lui-même saisir le Tribunal des Conflits.
  2. Exemple :

    • Un particulier poursuit une administration pour rupture abusive de contrat.
    • Le tribunal administratif se déclare incompétent, estimant que le contrat relève du droit privé. Le tribunal judiciaire, à son tour, se déclare incompétent, ce qui conduit à la saisine du Tribunal des Conflits.

C. Le conflit de décision

Un conflit de décision se produit lorsque deux juridictions, l’une administrative et l’autre judiciaire, rendent des décisions contradictoires sur le même litige.

  1. Exemple classique : arrêt Rosay (TC, 1933)

    • Deux juridictions avaient statué différemment sur la responsabilité d’un accident impliquant une administration.
    • La loi de 1932 a confié au Tribunal des Conflits la mission de trancher directement sur le fond pour éviter un déni de justice.
  2. Procédure :

    • Le Tribunal des Conflits peut être saisi par le justiciable en cas de déni de justice dû à des décisions contradictoires.
    • Il rend alors une décision sur le fond pour résoudre définitivement le litige.

3. Les décisions du Tribunal des Conflits : force et portée

A. Décisions motivées et jurisprudentielles

Les décisions du Tribunal des Conflits sont motivées et font jurisprudence, influençant durablement le partage des compétences entre les deux ordres juridictionnels.

B. Exemples de décisions marquantes

  1. Arrêt Blanco (1873) :

    • Établissement du critère de compétence administrative pour les litiges liés à l’exécution d’un service public.
  2. Arrêt Bergoend (2013) :

    • Redéfinition du critère d’atteinte à une liberté fondamentale, précisant les cas où l’ordre judiciaire peut intervenir face à l’administration.

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