La légalité des mesures de police administrative

La légalité des mesures de police administrative

L’exercice du pouvoir de police est strictement encadré par le droit. Dans un État de droit, ce pouvoir doit s’exercer dans des limites précises pour garantir les libertés individuelles. La jurisprudence a rappelé que les restrictions de police sont des exceptions à la règle de la liberté, selon la formule de Louis Corneille dans l’affaire Baldy en 1917 : « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Cette affirmation illustre le principe fondamental selon lequel toute mesure de police doit être subordonnée à un cadre juridique et être soumise au contrôle du juge administratif.

En résumé, le pouvoir de police est soumis à des contrôles stricts pour garantir qu’il soit exercé dans le respect des libertés fondamentales et de la légalité, il s’agit de trouver un équilibre entre la protection de l’ordre public et la préservation des droits individuels.

II ) Les conditions de légalité des mesures de police

L’exercice du pouvoir de police administrative est soumis à des exigences précises en matière de compétence, de forme, et de fond. Ces conditions sont essentielles pour garantir la légalité des mesures de police, qui peuvent restreindre les libertés publiques dans l’objectif de préserver l’ordre public.

Ces conditions assurent que le pouvoir de police ne soit utilisé que pour des motifs légitimes et de manière encadrée.

A) Les conditions de compétence et de forme

Les mesures de police administrative doivent remplir des critères de compétence et de forme, aussi appelées conditions de légalité externe, pour être considérées comme valides.

  • Compétence : La mesure doit être prise par l’autorité compétente. Lorsqu’une autorité dépasse ses compétences, la mesure encourt l’annulation. Par exemple, dans l’affaire Ville de Melun (CE, 2 décembre 1932), une interdiction préfectorale d’une course de taureaux a été annulée car il s’agissait d’une compétence du maire, et non du préfet.
  • Forme : La mesure doit respecter les formes et les procédures établies par la loi. Par exemple, la loi de 1979 impose que toute décision individuelle de police soit motivée. Une mesure qui manque de motivation est illégale. De plus, selon la loi du 12 avril 2000, l’autorité administrative doit respecter le principe du contradictoire en permettant à la personne concernée de présenter ses observations avant toute décision défavorable. Le non-respect de cette procédure constitue un motif d’annulation.

B) Les conditions de fond

Les conditions de fond, ou légalité interne, se réfèrent aux objectifs et aux effets de la mesure de police. Elles exigent que celle-ci poursuive un but légal, soit strictement nécessaire, proportionnée, et respecte les libertés fondamentales.

  • But de la mesure : La mesure de police doit viser la préservation de l’ordre public. Une mesure prise dans un autre but, comme des considérations financières ou personnelles, est illégale pour détournement de pouvoir. Dans l’affaire Demoiselle Rault (CE, 14 mars 1934), le Conseil d’État a annulé une mesure de police prise par un maire pour des motifs personnels.
  • Nécessité et proportionnalité : Toute mesure de police doit être nécessaire pour maintenir l’ordre public, et elle doit être proportionnée à la gravité des troubles qu’elle vise à prévenir. Le contrôle de proportionnalité permet au juge d’examiner si une mesure moins restrictive aurait pu suffire. Dans l’arrêt Benjamin (CE, 19 mai 1933), un maire avait interdit une conférence pour éviter des troubles à l’ordre public, mais le Conseil d’État a estimé que des mesures moins restrictives, telles que la présence policière, auraient pu suffire.
  • Respect des libertés fondamentales : Certaines libertés comme la liberté de réunion, de manifestation, et de presse sont protégées de manière particulière, et leur restriction nécessite un cadre légal précis. En effet, seules des lois peuvent limiter ces libertés en imposant des régimes de déclaration ou d’autorisation préalable. Dans l’affaire Daudignac (CE, 22 juin 1951), l’arrêté d’un maire exigeant une autorisation pour exercer l’activité de photographe filmeur a été annulé en raison de l’absence de base législative.
  • Interdictions générales et absolues : Les interdictions générales sont souvent considérées comme illégales car elles entravent excessivement la liberté. Par exemple, dans l’affaire Abbé Olivier (CE, 19 février 1911), le Conseil d’État a partiellement annulé un arrêté municipal qui interdisait toute manifestation religieuse dans l’espace public. Toutefois, il peut y avoir des situations d’urgence où une interdiction générale est justifiée, comme l’a montré l’affaire ministre de l’Intérieur contre époux Leroy (CE, 12 mars 1968), où l’interdiction des photographes filmeurs sur une route touristique au Mont Saint-Michel pendant la haute saison a été considérée comme nécessaire pour garantir la sécurité.

II ) Les recours contre les mesures de police

Les mesures de police administrative, qui peuvent restreindre les libertés individuelles pour préserver l’ordre public, sont soumises à divers types de contrôles juridictionnels afin de garantir leur légalité et leur légitimité. Selon la nature de l’acte de police (loi ou arrêté administratif), ces recours varient.

Contrôle des mesures de police législatives par le Conseil constitutionnel

Lorsque la mesure de police est prévue par une loi, elle peut être contestée devant le Conseil constitutionnel par deux voies :

  • Contrôle a priori : Ce contrôle a lieu avant la promulgation d’une loi, notamment lorsque le Conseil constitutionnel est saisi par certaines autorités (Président de la République, Premier ministre, etc.). Dans ce cadre, le Conseil examine la conformité de la loi aux principes constitutionnels. Par exemple, dans la décision Fouilles des véhicules (1977), le Conseil constitutionnel a jugé que les fouilles systématiques sans lien avec une infraction commise étaient contraires à la liberté individuelle.
  • Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) : Une fois promulguée, une loi peut être contestée par un justiciable devant une juridiction, qui peut saisir le Conseil constitutionnel sur le fondement d’une QPC. Le Conseil peut ainsi invalider des dispositions législatives portant atteinte aux droits et libertés garanties par la Constitution. Les décisions du Conseil constitutionnel ont affirmé que tout contrôle d’identité devait reposer sur des circonstances particulières justifiant la mesure, et ce pour prévenir des atteintes à l’ordre public.

Recours contre les mesures de police administratives devant le juge administratif

Les arrêtés administratifs (réglementaires ou individuels) pris par des autorités de police peuvent être attaqués devant le juge administratif par différentes voies :

  • Recours en excès de pouvoir : Ce recours, ouvert à toute personne ayant un intérêt à agir, vise à annuler une décision administrative pour illégalité. Le juge administratif examine alors la légalité externe (compétence et forme) et la légalité interne (but et proportionnalité) de la mesure de police. Par exemple, un arrêté municipal instaurant des restrictions à la liberté de circulation sans justification légale pourrait être annulé pour excès de pouvoir.
  • Action en responsabilité : Si une mesure de police entraîne un préjudice anormal et spécial pour une personne, celle-ci peut engager la responsabilité de l’administration devant le juge administratif, qui peut accorder des dommages et intérêts.

Recours devant le juge judiciaire : la voie de fait

Dans des cas exceptionnels où l’administration porte atteinte de manière grave à une liberté individuelle ou au droit de propriété, le juge judiciaire peut être saisi dans le cadre de ce qu’on appelle une voie de fait. Cette notion, permettant de faire juger des actes administratifs par le juge judiciaire, implique :

  • Une atteinte grave aux libertés fondamentales, c’est-à-dire une action de l’administration qui sort de son cadre légal au point de violer la Constitution. Dans l’affaire Action française (1935), un préfet de police avait saisi de manière arbitraire des journaux, ce qui a constitué une voie de fait. Le Tribunal des conflits a alors renvoyé l’affaire devant le juge judiciaire, considérant qu’une telle action échappait à la compétence du juge administratif en raison de la gravité de l’atteinte aux droits fondamentaux.
  • Limitation de l’application de la voie de fait : La jurisprudence récente du Tribunal des conflits a restreint cette notion aux cas où l’administration soit a porté atteinte à une liberté individuelle, soit a totalement anéanti le droit de propriété. En revanche, une saisie temporaire de journaux ne serait plus considérée comme une voie de fait après la décision Bergond du 17 juin 2013, qui a précisé qu’un simple empiètement sur des droits ne suffit plus pour établir une voie de fait.

Questions fréquentes sur la légalité des mesures de police

Pourquoi les mesures de police doivent-elles respecter la légalité ?

Les mesures de police doivent respecter la légalité afin de garantir les libertés individuelles dans un État de droit. Cela signifie que chaque mesure de police, qui représente une restriction à la liberté, doit être justifiée et contrôlée. Comme l’a souligné la jurisprudence avec l’affaire Baldy de 1917, « la liberté est la règle, la restriction de police l’exception ». Toute mesure doit donc être subordonnée à un cadre juridique strict et à un contrôle juridictionnel.

Quelles sont les conditions de compétence et de forme des mesures de police ?

Pour être légales, les mesures de police doivent respecter les conditions de compétence et de forme, appelées conditions de légalité externe. La compétence se réfère au fait que l’autorité prenant la mesure doit être compétente pour le faire. Par exemple, un préfet ne peut pas interdire une activité qui relève de la compétence du maire. La forme impose que les procédures légales soient respectées, comme la nécessité de motiver une décision ou d’informer les personnes concernées, selon les lois en vigueur.

Quels critères de fond doivent remplir les mesures de police ?

Les mesures de police doivent remplir des conditions de fond pour être légales : elles doivent avoir pour but la préservation de l’ordre public, être nécessaires et proportionnées, et respecter les libertés fondamentales. La mesure doit poursuivre un objectif légal et s’abstenir de tout détournement de pouvoir. Par exemple, une mesure disproportionnée, qui va au-delà de ce qui est nécessaire pour éviter un trouble à l’ordre public, peut être annulée par le juge.

Qu’est-ce qu’une interdiction générale et absolue, et pourquoi est-elle souvent illégale ?

Une interdiction générale et absolue restreint une liberté de manière excessive, sans justification limitée au contexte ou aux individus concernés. Cela est généralement considéré comme illégal car cela va au-delà de la restriction nécessaire à l’ordre public. Cependant, en cas d’urgence, une interdiction générale peut être temporairement justifiée, si elle est la seule manière d’assurer la sécurité publique.

Comment contester une mesure de police législative ?

Les mesures de police prévues par la loi peuvent être contestées devant le Conseil constitutionnel :

  • Contrôle a priori : avant la promulgation de la loi, pour vérifier sa conformité aux principes constitutionnels.
  • Question Prioritaire de Constitutionnalité (QPC) : après la promulgation, un justiciable peut soulever une QPC pour demander au Conseil constitutionnel de vérifier la conformité de la loi aux droits et libertés garantis par la Constitution.

Quels recours sont disponibles contre les mesures de police administratives ?

Les mesures de police administratives peuvent être contestées par plusieurs types de recours devant le juge administratif :

  • Recours en excès de pouvoir : permet d’annuler une décision illégale.
  • Action en responsabilité : permet de demander des dommages et intérêts si une mesure de police a causé un préjudice anormal. Dans les cas d’atteinte grave aux libertés fondamentales, il est possible de saisir le juge judiciaire en invoquant la voie de fait.

Qu’est-ce que la voie de fait en matière de police administrative ?

La voie de fait se produit lorsqu’une mesure de police porte atteinte de manière grave à une liberté individuelle ou au droit de propriété, dépassant ainsi le cadre légal de l’administration. Dans ces cas, le juge judiciaire est compétent pour en connaître. Toutefois, la notion de voie de fait a été restreinte récemment, limitant son application aux cas où l’administration anéantit totalement un droit fondamental.