La légitimité de Napoléon Ier, empereur des français

Napoléon Ier, d’où tire-il sa légitimité en tant qu’empereur

L’Empire commence le , quand le sénatus-consulte proclame Napoléon Bonaparte « empereur des Français ». Le plébiscite du confirme cette désignation. Empereur des Français sous le nom de Napoléon 1er, il fut l’artisan du redressement de la France après la Révolution, avant d’être le conquérant de l’Europe, ce qui entraîna sa perte.

On opère une distinction entre la légitimité d’origine et la légitimité d’exercice. La légitimité d’origine se situe à un niveau supérieur, moral, absolu. Un régime est légitime quand l’origine du pouvoir est conforme à des postulats (souveraineté royale, populaire…), fondés sur des dogmes relevant de la croyance (droit divin, naturel…). C’est dire qu’un régime donné ne peut pas être légitime aux yeux de tout le monde : une royauté sera illégitime pour un républicain / une république ne pourra pas être légitime pour un royaliste, même s’il existe un large consensus autour du régime.

≠ Légitimité d’exercice : niveau inférieur, matériel et non plus moral donc relatif : il offre satisfaction aux populations pour qu’elles soient satisfaites du régimes = légitimité fragile, proche de la simple popularité. La légitimité d’exercice pourrait donner naissance à une légitimité d’origine.

Après la Révolution, crainte du retour de la royauté. Avant, les Bourbons avaient une forte légitimité des deux natures par le temps, les lois fondamentales…

Après son coup d’État, Bonaparte s’est construit une légitimité d’origine pour contrer les Bourbons.

  1. I – Un climat favorable

Incapacité de la Révolution à se stabiliser et se fixer. La France vient de connaître un excès d’idéologique avec les Jacobins, excès auquel va succéder un vide idéologique. Le Premier consul réussit là où les autres avaient échoué auparavant : il parachève et met un terme à la Révolution.

 

En présentant au peuple la nouvelle Constitution de l’an VIII, Bonaparte peut proclamer que la Révolution est terminée. Mais quel type de pouvoir va-t-on établir dans cette France qui sort de la Révolution ?

 

Beaucoup des outrances commises durant la Révolution sont dues à un excès de puissance du législatif, qui avait eu tendance à s’identifier au souverain. La Convention et ses comités ont exercé une sorte de dictature collégiale. Chez les experts en matière constitutionnelle (avec Sieyès), l’heure est désormais au renforcement de l’exécutif, déjà amorcé sous le Directoire en vertu de la constitution de l’an III. + Opposition entre monarchie et souveraineté du peuple.

 

En l’an VIII, on reste en République, la monarchie est toujours bannie depuis 1792. Mais l’idée monarchique a conservé assez de crédit en France pour pouvoir être utilisée avec profit (cf les premières élections législatives en 1795 puis 1797), sans employer le mot même de monarchie. De même, la souveraineté du peuple a donné lieu à tant d’excès que l’idée pourrait être neutralisée si l’on employait les mots véritables.

 

Ainsi, sous le Consulat on voit apparaître deux aspects du régime napoléonien : une réalité monarchique et une base populaire.

 

  1. II – Une légitimité populaire

A / L’utilisation de la souveraineté du peuple

= Système de dilution de la souveraineté, dont la base est vaguement démocratique mais qui débouche sur un système de cooptation oligarchique des nominations.

Comme les constitutions de l’an I et de l’an III, la Constitution de l’an VIII est soumise à un référendum (// peuple souverain). L’article 39 indique en toutes lettres le nom des trois consuls : Bonaparte, Cambacérès, Lebrun, mais le pouvoir revient en réalité au Premier consul. Il n’y a pas de loi sans projet du premier consul. → C’est le peuple souverain qui a désigné par référendum les consuls = Napoléon devient le premier représentant de la nation.

 

B / Le déclin de la souveraineté

Bonaparte est un ancien lecteur de Rousseau, même s’il reconnaît ne l’avoir pas toujours bien compris + officier jacobin = il ne faut pas s’étonner de voir le premier consul afficher péremptoirement sa fidélité à la souveraineté du peuple. Bonaparte considère que tous les pouvoirs dérivent du peuple ; la souveraineté du peuple est inaliénable (orthodoxie révolutionnaire).

 

En 1800, Bonaparte dit qu’il veut « gouverner les hommes comme le grand nombre veut l’être. »

 

Quatre ans plus tard en 1804, il ne se réfère plus à la notion de volonté : « La souveraineté réside dans le peuple français, en ce sens que tout doit être fait pour son bonheur et pour sa gloire. » → La souveraineté semble se dissoudre dans la légitimité de Bonaparte, et pourtant n’est pas morte.

 

En 1802, deuxième référendum qui pose la question de consulat à vie ; en 1804, un troisième vote pose la question de l’hérédité impériale : ces votes renforcent encore la légitimité populaire de Bonaparte. Cependant, il faut noter qu’il intervient à chaque fois une question constitutionnelle de bien plus grande ampleur que celles posées au peuple, réforme qui n’est pas soumise au peuple mais par un sénatus-consulte (qui intervient avant même le référendum en 1804). → Glissement, dérapage régulier : par le biais du Sénat, Bonaparte annexe progressivement la majeure partie du pouvoir constituant.

Une fois la définition de cette souveraineté du peuple allégée, cette incompatibilité avec l’hérédité du pouvoir peut être surmontée.

 

  1. III – Une légitimité mixte

L’idée de rétablir un pouvoir héréditaire, impensable durant la Révolution, a fait son chemin ; même si l’on se place du point de vue du peuple souverain, la différence est-elle grande entre 1802 et 1804 ? C’est un autre cap franchi en 1804 puisque Napoléon fait donner à son pouvoir une consécration religieuse : le recours au droit divin introduit une seconde légitimité d’origine (A) ; avec la première légitimité d’origine, la synthèse sera difficile (B), même après l’épisode des Cent jours (C).

 

A / Une légitimité de droit divin

Le sacre de Napoléon est censé faire de ce nouvel empire une monarchie de droit divin : deux légitimités d’origine se superposent. Napoléon entend bien fonder une dynastie, qu’il appelle la « Quatrième race » = dans la continuité historique (des Mérovingiens, Carolingiens, Capétiens). Selon lui, c’est Dieu qui a voulu que Napoléon établisse cette nouvelle dynastie : nouveau catéchisme de 1806, théologie politique imitée de Bossuet : « Dieu qui crée les empires et les distribue selon sa volonté, en comblant notre empereur de dons, l’a établi notre souverain. » Le mot « souverain » désigne ici sans contestation possible la personne de l’empereur.

 

En cours de rédaction, on a modifié les textes du catéchisme impérial. Dans ses premières moutures, on signalait la souveraineté populaire, mais cette intervention du peuple dans le régime politique a disparu dans la rédaction définitive. → Comment faire la synthèse entre cette légitimité et dynastie de droit divin, et la légitimité populaire, d’un esprit totalement différent ?

 

B / La synthèse impossible

En 1804, la rupture politique a été beaucoup moins brutale : la République française a survécu pour un temps + le titre de Napoléon est alors « empereur par la grâce de Dieu et les constitutions de la République ». En 1807, on enlève les mots « de la république » = pouvoir constitué.

 

Néanmoins, on peut se poser un certain nombre de questions : c’est certes le peuple souverain qui a voulu une nouvelle dynastie, mais maintenant que cette dynastie est installée, n’est-elle pas légitime de par le droit divin et lui seul ?

 

Pendant la Révolution, les Jacobins avaient cultivé l’idée d’une représentation souveraine du peuple par eux-mêmes qui s’identifiaient au peuple. → Chez Napoléon, dérive homologue : seul représentant du peuple et souverain + sous l’Empire, on voit réapparaître le mot « sujets » qui vient remplacer le mot « citoyens ».

 

Napoléon, qui avait l’initiative des lois, légiférait souvent par simple décret (afin d’éviter de passer par les assemblées) ou par sénatus-consultes. = Actes inconstitutionnels, mais si Napoléon est devenu le souverain et n’est plus un organe constitué, la faute est désormais vénielle.

 

En revanche, le jour où Napoléon va être battu, les Français risquent de ne plus supporter cette situation = système fragile. Néanmoins, Napoléon sent le danger ; dans les premières semaines de 1814, il essaie de revenir aux sources et replonger son pouvoir à sa source : « Je ne tiens pas la couronne de mes pères, mais de la volonté de la nation qui me l’a donnée. »

 

C / Les Cent jours et Sainte-Hélène

À son retour de l’île d’Elbe en 1815, Napoléon publie l’acte additionnel à la Constitution de l’Empire, nouvelle Constitution qui fait retour aux principes de la souveraineté du peuple et donc logiquement soumise à la ratification des Français. = Le peuple redevient le souverain, le constituant durant les Cent jours. D’un autre point de vue, il ne renonce pas à la légitimité dynastique de droit divin = double légitimité ambiguë, qui va subsister dans le Mémorial de Sainte-Hélène qui nous montre tantôt le monarque dans toute sa légitimité dynastique, tantôt un Napoléon simple magistrat soumis à la volonté nationale. → Un successeur de Napoléon se retrouverait dans le flou, à mi-chemin entre une souveraineté théorique et une souveraineté active, dans laquelle le peuple n’exercerait qu’occasionnellement le pouvoir constituant ; la première souveraineté pourrait escamoter la seconde.

 

→ La légitimité d’origine de Napoléon était conçue double : il essayait de rallier à la fois les Français attachés à la Révolution et les nostalgiques de la monarchie. Si l’on y réfléchit bien, il a réussi à rester au pouvoir 14 ans, en satisfaisant le besoin des masses, assurant la reprise économique, la paix intérieure… Mais sa principale force était sa légitimité d’exercice, très proche de la popularité, et aussi fragile que la popularité.

 

Depuis la Révolution française, les changements de régimes politiques ont vu prédominer les facteurs matériels, conjoncturels, sur tous les arguments de légitimité, qui n’ont servi qu’à habiller des faits.