Les actions des autorités de police administrative
La police administrative peut se définir comme étant une activité de l’administration dont l’objectif est le maintien de l’ordre public en prévenant les atteintes à cet ordre public, ou en y mettant fin, dans le respect des droits et libertés.
Les mesures de police administrative sont soumises à un encadrement strict en raison de leur impact potentiel sur les libertés publiques. Ces mesures, souvent contraignantes, sont mises en place pour préserver l’ordre public, mais elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est strictement nécessaire. Le régime juridique de la police administrative reflète cette vigilance en intégrant des mécanismes de contrôle et de limitation destinés à éviter toute atteinte arbitraire aux droits fondamentaux.
I) Nature des mesures de police
Les mesures prises par les autorités de police administrative suivent un cadre strict qui définit leur nature et leur typologie. Le respect de ce cadre juridique est essentiel pour assurer la légalité de ces mesures, qui visent à maintenir l’ordre public tout en encadrant les libertés individuelles.
Caractère unilatéral et autoritaire des mesures de police
Les autorités de police agissent en principe par voie de mesures unilatérales, c’est-à-dire des actes qui ne nécessitent pas le consentement des personnes concernées. La jurisprudence interdit le recours au contrat dans ce domaine, car les actes de police imposent des obligations de faire ou de ne pas faire de manière contraignante. Ces mesures restreignent ou encadrent certaines activités afin de prévenir les troubles à l’ordre public. Leur finalité est donc plus souvent d’interdire ou de restreindre, sauf si une loi en matière de police spéciale prévoit expressément des mesures d’autorisation.
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Principe de gratuité des mesures de police
Étant donné que la police administrative est une mission de service public, ses interventions sont financées par les impôts et ne doivent en principe pas donner lieu à une redevance. Cette gratuité découle du fait que la police administrative vise à protéger la collectivité dans son ensemble, sans imposer de frais supplémentaires aux citoyens pour l’exercice de ces mesures.
Types de mesures : réglementaires et individuelles
Les mesures de police administrative se présentent généralement sous deux formes : réglementaires ou individuelles.
- Les mesures réglementaires :
- Ces actes sont généraux et impersonnels, et visent à encadrer des situations pour une population ou un espace déterminé. Elles incluent par exemple des régulations générales sur des activités telles que la circulation routière, les horaires d’ouverture de commerces, ou encore les règles d’urbanisme.
- Les mesures réglementaires peuvent aller de l’interdiction générale et absolue à des régulations plus souples qui encadrent certaines activités. Elles peuvent imposer des restrictions de manière globale, comme l’interdiction de la circulation de véhicules lourds dans certaines zones urbaines ou la limitation des nuisances sonores en zones résidentielles.
- Les mesures individuelles :
- Ces mesures concernent une personne, un groupe ou une activité particulière et consistent en l’application concrète de prescriptions générales. Par exemple, un maire peut interdire un spectacle public jugé contraire à l’ordre public, ou encore imposer à un propriétaire de réaliser des travaux sur un bâtiment pour des raisons de sécurité.
- Dans le cadre de polices spéciales, la loi peut exiger des autorisations préalables pour certaines activités. Par exemple, pour ouvrir un établissement recevant du public, une autorisation spécifique est souvent requise. Ce système d’autorisation préalable relève du régime préventif.
Régime préventif et répressif des mesures de police
Les mesures de police peuvent obéir à deux régimes distincts selon leur finalité : le régime préventif et le régime répressif.
- Régime préventif :
- Il s’agit de mesures prises avant que l’activité en question ne commence, dans le but d’éviter d’éventuels troubles. Par exemple, la délivrance d’une autorisation de manifestation publique en est une illustration. Ce régime est restrictif, car il limite d’emblée l’exercice d’une liberté par des contrôles administratifs.
- Régime répressif :
- À l’inverse, les mesures répressives interviennent après la survenue d’un trouble, pour sanctionner un comportement ou rectifier une situation. Ce régime est plus libéral, car il repose sur la possibilité pour les citoyens d’exercer librement leurs droits et libertés, tant qu’ils ne transgressent pas la loi. Par exemple, une amende pour non-respect du code de la route relève de ce régime.
Nature juridique des mesures de police
Les mesures de police administrative prennent souvent la forme d’actes administratifs unilatéraux, ces derniers peuvent être contestés devant le juge administratif en cas de non-respect des conditions de compétence, de forme ou de fond. Par ailleurs, certaines mesures de police peuvent inclure des opérations matérielles (par exemple, la fermeture physique d’un établissement dangereux), ou des actions de maintien de l’ordre (comme des dispersions de rassemblements non autorisés).
II) Régime juridique des mesures de police administrative
Le régime juridique des mesures de police administrative repose sur un ensemble de règles qui encadrent l’exercice du pouvoir de police. Ces règles précisent non seulement les obligations des autorités compétentes, mais aussi les garanties procédurales et les conditions exceptionnelles qui peuvent être invoquées en situation de crise.
A) Obligation de prendre des mesures de police
Les autorités de police ont une obligation de prendre certaines mesures pour protéger l’ordre public, notamment lorsque des risques graves sont identifiés. La jurisprudence, à travers des arrêts comme CE, 23 octobre 1959, Doublet, a posé les conditions de cette obligation : la mesure de police doit être indispensable pour faire cesser un péril grave ou imminent. Dans ce contexte, le refus d’une autorité de prendre une mesure nécessaire peut être sanctionné pour excès de pouvoir. Par exemple, dans l’affaire CE, 8 juillet 1992, un maire a été condamné pour ne pas avoir pris de mesures face à des nuisances sonores causées par un stand de tir. Le juge peut ainsi annuler un refus injustifié d’agir en matière de police, notamment si cela porte atteinte à la tranquillité publique.
En outre, l’abstention d’un maire à adopter des mesures de sécurité nécessaires peut engager sa responsabilité administrative. L’arrêt CE, 3 novembre 1982, Rossi en est un exemple, dans lequel la faute du maire résidait dans son refus d’interdire la circulation de véhicules dans un jardin public dangereux. Cette jurisprudence montre que les mesures de police peuvent être réglementaires (applicables à une généralité de personnes) ou individuelles (ciblant des situations spécifiques). Dans l’arrêt CE, 1er juin 1973, Demoiselle Ambrigo, un maire a été condamné pour avoir refusé de prendre une mesure individuelle demandée par un administré concernant un bâtiment en ruine.
B) Obligation de motivation et respect du contradictoire
Les mesures individuelles de police sont soumises à une obligation de motivation en vertu de la loi du 11 juillet 1979 et de l’article L.211-1 du Code des relations entre le public et l’administration (CRPA). Cette obligation permet aux destinataires de comprendre les raisons de la décision, particulièrement lorsqu’il s’agit de mesures restreignant les libertés publiques ou ordonnant des actions défavorables, comme des perquisitions (CE, 6 juillet 2016, Napole). Le refus d’accorder une autorisation dans le cadre de la police spéciale, par exemple, doit également être motivé (art. L.211-2 CRPA).
Les mesures de police individuelle doivent également respecter le principe du contradictoire. En vertu de l’article L.121-1 du CRPA (issu de la loi du 12 avril 2000), l’autorité administrative doit permettre à la personne concernée de présenter des observations avant toute décision défavorable. Cela garantit un droit de défense et contribue à la légitimité de la mesure adoptée.
C) Extension exceptionnelle des pouvoirs de police
Dans certaines situations de crise, les autorités publiques peuvent être amenées à adopter des mesures de police renforcées afin de préserver l’ordre public. Ces situations, en raison de leur gravité, entraînent un passage d’une légalité ordinaire à une légalité de crise, dans laquelle les règles de contrôle sont assouplies et les pouvoirs de l’administration élargis. Les dispositifs juridiques encadrant ces pouvoirs de crise incluent notamment l’état de siège, l’état d’urgence et l’application de l’article 16 de la Constitution.
a) Législation de crise et renforcement des pouvoirs de police
- L’état de siège : Ce régime, prévu dans le Code de la défense, se caractérise par le transfert de pouvoirs de police des autorités civiles aux autorités militaires. Ce transfert permet aux militaires d’exercer des prérogatives étendues, incluant la restriction de certaines libertés fondamentales, afin de répondre à une situation d’extrême urgence. En état de siège, les pouvoirs militaires peuvent procéder à des perquisitions, interdire des réunions ou encore contrôler la presse.
- L’état d’urgence : Prévu initialement par la loi du 3 avril 1955, l’état d’urgence est déclaré par le gouvernement en cas de péril imminent menaçant la sécurité publique ou en cas de calamité publique. Bien que les autorités civiles conservent leurs prérogatives, elles bénéficient de pouvoirs accrus. Par exemple, elles peuvent ordonner des perquisitions sans l’aval d’un juge judiciaire, restreindre la circulation des personnes, ou fermer certains établissements. La loi du 30 octobre 2017 a renforcé ces mesures pour mieux répondre aux menaces terroristes, en intégrant des dispositions relatives à la sécurité intérieure dans le droit commun.
Ces régimes, bien qu’exceptionnels, ne visent pas à instaurer un régime arbitraire. L’objectif est d’ajuster temporairement l’équilibre entre ordre public et libertés individuelles, tout en maintenant un certain contrôle juridictionnel.
b) Contrôle juridictionnel exercé par le juge administratif
Même en situation de crise, le juge administratif reste compétent pour contrôler les mesures adoptées. Ce contrôle s’exerce notamment sur :
- La proportionnalité des mesures : Le juge administratif, en cas de recours, évalue si la mesure est adaptée, nécessaire et proportionnée. Il peut ainsi annuler les mesures manifestement excessives, ou juger de la légalité des perquisitions administratives ordonnées dans le cadre de l’état d’urgence. Par exemple, dans l’avis rendu par le Conseil d’État le 6 juillet 2016, le juge a précisé les limites des perquisitions administratives et leur régime juridique.
- Les recours en responsabilité : Les personnes affectées par des mesures illégales ou par des conditions matérielles inappropriées lors de leur exécution (comme une perquisition abusive) peuvent engager la responsabilité de l’État. Le juge administratif évalue ces situations sur la base d’une faute simple, et non d’une faute lourde, simplifiant ainsi l’accès à l’indemnisation. En ce qui concerne les tiers qui subissent des dommages indirects, ils peuvent bénéficier d’un régime de responsabilité sans faute, fondé sur le principe de l’égalité des citoyens devant les charges publiques.
c) Jurisprudence et circonstances exceptionnelles
Les circonstances exceptionnelles ont conduit le Conseil d’État à reconnaître une légalité élargie pour les autorités administratives en temps de guerre ou de crise. Dans l’arrêt Dames Dol et Laurent du 28 février 1919, le juge administratif a jugé légales certaines mesures non expressément prévues par la loi, mais jugées nécessaires pour l’ordre public, telles que la restriction de la liberté individuelle ou de la liberté de commerce et d’industrie. Dans ce cas, les mesures du préfet maritime visant à restreindre les activités des personnes vivant dans un camp retranché ont été considérées comme légitimes en raison des exigences de la situation, bien qu’elles ne soient pas couvertes par l’état de siège formellement établi en 1849.
III) La légalité des mesures de police
Pour un panorama complet, voir la fiche sur la légalité des mesures de police :
En résumé, dans un État libéral, le pouvoir de police est encadré et limité pour préserver les libertés individuelles. Une mesure de police, restreignant les libertés, ne peut être justifiée que dans des cas exceptionnels et doit être soumise au contrôle du juge administratif.
- Conditions de légalité des mesures de police :
- Compétence et forme : Les mesures de police doivent être adoptées par les autorités compétentes et selon les procédures prescrites. Toute déviation entraîne l’annulation (ex. Ville de Melun, 1932).
- Conditions de fond : La mesure doit viser exclusivement l’ordre public et être strictement nécessaire. Un contrôle de proportionnalité est appliqué, vérifiant que des alternatives moins restrictives pour les libertés ne sont pas possibles (ex. Arrêt Benjamin, 1933).
- Interdictions générales : Les interdictions absolues sont présumées illégales, sauf circonstances exceptionnelles où la sécurité publique l’exige (ex. Mont Saint-Michel, 1968).
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Recours contre les mesures de police : Les mesures de police peuvent être contestées devant le juge administratif par un recours en excès de pouvoir, ou dans le cas de violation grave des libertés, devant le juge judiciaire (ex. Action française, 1935).