Les actions relatives à la filiation : procédure, caractères, conflits

Les règles communes aux actions relatives à la filiation

Les actions en matière de filiation, régies par les articles 318 et suivants du Code civil, permettent d’établir ou de contester un lien de filiation. Ces actions sont encadrées par des règles communes qui concernent à la fois les aspects procéduraux et les principes fondamentaux qui leur sont attachés. Ces règles garantissent un cadre juridique structuré, respectant les droits des parties et l’intérêt supérieur de l’enfant.

Section I – La procédure

La procédure d’établissement contentieux de la filiation est divisée en trois étapes principales : la compétence (I), le déroulement de l’instance (II), et le jugement (III). Cette procédure est encadrée par des règles strictes en raison de l’importance des enjeux liés à l’état des personnes.

I. La compétence

A) La compétence matérielle

L’article 318-1 du Code civil confère une compétence exclusive aux tribunaux judiciaires (TGI) pour statuer sur les actions relatives à la filiation, en raison de leur gravité. Ces actions touchent à l’état civil des personnes, ce qui justifie cette exclusivité.

  • Exemple : Dans une procédure de divorce, le juge aux affaires familiales (JAF) n’a pas compétence pour statuer sur une action en contestation de paternité. Si une telle demande est formulée, elle doit être portée devant le tribunal judiciaire.

Pour les constatations de possession d’état et l’établissement d’actes de notoriété, l’article 317 du Code civil, issu de la loi du 13 décembre 2011, attribue désormais cette compétence au juge d’instance (anciennement juge des tutelles).

B) La compétence territoriale

Le droit commun de la compétence territoriale s’applique conformément à l’article 42 du Code de procédure civile.

  • Le tribunal compétent est celui dans le ressort duquel le domicile du défendeur se trouve.
    Ce principe garantit que le défendeur soit jugé devant le tribunal le plus proche de son lieu de vie.

II. Le déroulement de l’instance

Les actions en matière de filiation présentent des particularités procédurales spécifiques destinées à protéger les droits des parties et l’ordre public.

A) Participation d’un enfant

Un enfant mineur peut être partie à une action relative à la filiation :

  • Demandeur : Par exemple, dans une action en recherche de paternité.
  • Défendeur : Par exemple, dans une action en contestation de paternité.

Si l’enfant est mineur, il sera représenté par :

  • Son représentant légal.
  • Un tuteur ad hoc en cas de conflit d’intérêts avec le représentant légal (par exemple, si ce dernier est partie adverse à l’action).

B) Protection de la vie privée

Pour préserver l’intimité des parties :

  • Les audiences se tiennent en Chambre du Conseil (article 1145 du Code de procédure civile), c’est-à-dire à huis clos.
  • Seul le prononcé du jugement est rendu en audience publique.
  • La reproduction des débats dans la presse est interdite.

C) Intervention du ministère public

Le ministère public joue un rôle important, car les affaires de filiation touchent à l’ordre public et à l’état des personnes.

  • Il a communication préalable de toute affaire relative à la filiation (article 425-1 du Code de procédure civile).

D) Pouvoirs du juge

Le juge dispose de pouvoirs étendus en matière de recherche de preuves. Il peut ordonner :

  • Des expertises biologiques, telles que des analyses ADN ou sanguines.
  • Des mesures probatoires, y compris d’office, pour établir la filiation.

III. Le jugement

A) Publicité et opposabilité

  • Le jugement est rendu en audience publique.
  • Il est opposable erga omnes (article 324 du Code civil), c’est-à-dire à tous, même à ceux qui n’étaient pas parties au procès. Cette opposabilité générale déroge au principe de l’autorité relative de la chose jugée (article 1351 du Code civil).

B) Tierce opposition

Les tiers affectés par le jugement peuvent introduire une tierce opposition dans un délai de dix ans (article 321 du Code civil).

  • Si la tierce opposition est admise, le jugement devient inopposable au tiers qui l’a formée.
  • Cependant, la Cour de cassation a précisé que le jugement conserve toute son autorité à l’égard des parties initiales (Civ. 1re, 27 octobre 1981).

C) Nature et effets du jugement

Le jugement en matière de filiation a un effet déclaratif :

  • Il constate une situation (par exemple, un lien de filiation existant).
  • Il peut avoir un effet rétroactif, notamment sur :
    • L’attribution de l’autorité parentale.
    • Le nom de l’enfant.
    • Les droits successoraux.

En résumé : La procédure relative à l’établissement contentieux de la filiation repose sur des règles de compétence matérielle et territoriale adaptées à la gravité des actions. Le déroulement de l’instance garantit la protection des mineurs et de la vie privée, tout en donnant au juge des pouvoirs étendus pour rechercher la vérité. Enfin, le jugement, déclaratif et opposable à tous, peut produire des effets rétroactifs, consolidant ainsi la situation juridique de l’enfant.

 

Section II – Les caractères des actions relatives à la filiation

Les actions relatives à la filiation, en tant qu’elles touchent à l’état des personnes, sont soumises à des règles spécifiques et distinctives qui en reflètent l’importance et la gravité. Ces actions, encadrées par des principes de droit civil, présentent trois caractères principaux : elles sont indisponibles, transmissibles, et prescriptibles.

1. Une action indisponible

L’indisponibilité des actions relatives à la filiation découle du principe selon lequel l’état des personnes est hors du champ des conventions privées.

Règles générales

  • Impossibilité de renoncer à l’action :
    L’article 323 du Code civil (ancien article 311-9) précise que les actions relatives à la filiation ne peuvent faire l’objet de renonciation, de transaction ou de convention. Ainsi :
    • Une mère ne peut renoncer par avance à engager une action en recherche de paternité.
    • Il est interdit de conclure une convention pour renoncer à un droit relatif à la filiation, comme dans le cas des conventions de mères porteuses, jugées contraires à l’ordre public (Assemblée plénière, 31 mai 1991).
    • L’acquiescement à un jugement relatif à la filiation est également prohibé.

Exceptions

  • Procréation médicalement assistée (PMA) :
    L’indisponibilité des actions connaît une exception en cas de PMA. Les articles 311-19 et 311-20 du Code civil prévoient que les époux ou partenaires ayant consenti à une PMA ne peuvent contester la filiation de l’enfant issu de cette procédure.

2. Une action transmissible

Contrairement aux anciennes règles d’intransmissibilité, les actions relatives à la filiation peuvent désormais être transmises aux héritiers dans certaines conditions (article 322 du Code civil). Ce changement reflète une évolution majeure dans le traitement de ces actions.

Transmission aux héritiers

  • Les héritiers du titulaire de l’action peuvent agir lorsque ce dernier est décédé avant l’expiration du délai imparti pour agir.
    Par exemple, si un parent décède avant d’avoir pu engager une action en recherche de filiation, ses héritiers peuvent exercer cette action en son nom.

Poursuite des actions en cours

  • Si le titulaire de l’action a déjà engagé une procédure avant son décès, ses héritiers peuvent la poursuivre, sauf en cas de désistement ou de péremption de l’instance (article 322, alinéa 2).

Suppression des limites antérieures

Avant la réforme, l’intransmissibilité des actions était strictement encadrée (ancien article 311-8 du Code civil) :

  • L’action n’était transmissible que si le titulaire était décédé mineur ou dans les cinq ans suivant sa majorité ou son émancipation.
    Cette restriction a été supprimée, élargissant ainsi les possibilités d’action pour les héritiers.

3. Une action prescriptible

Bien que l’état des personnes soit en principe indisponible, les actions relatives à la filiation sont soumises à la règle de la prescription, ce qui délimite le délai pendant lequel ces actions peuvent être exercées.

Délai de prescription

  • L’article 321 du Code civil (ancien article 311-7) fixe un délai de prescription de droit commun de 10 ans, sauf si des dispositions spécifiques prévoient un délai plus court.

Point de départ de la prescription

  • Actions en réclamation d’état : La prescription court à partir du jour où l’individu a été privé de son état.
  • Actions en possession d’état : La prescription court à partir du jour où l’individu est entré en possession de son état.

Suspension du délai pour les mineurs

  • À l’égard de l’enfant, le délai de prescription est suspendu pendant toute sa minorité (article 321 du Code civil). L’enfant peut donc agir dans les dix années suivant sa majorité.

Consolidation des situations après prescription

Après l’expiration du délai de prescription, les situations établies de fait, comme la possession d’état, deviennent juridiquement consolidées. Cela signifie qu’elles ne peuvent plus être remises en question.

En résumé : Les actions relatives à la filiation présentent des caractères spécifiques qui reflètent leur importance juridique et leur lien avec l’état des personnes :

  1. Indisponibilité : Elles ne peuvent faire l’objet de renonciation, de transaction ou de convention, sauf exceptions (notamment pour la PMA).
  2. Transmissibilité : Les héritiers peuvent exercer ou poursuivre ces actions sous certaines conditions, en cas de décès du titulaire.
  3. Prescriptibilité : Elles sont soumises au délai de prescription de droit commun de 10 ans, avec suspension pour les mineurs.

 

Section III – Le principe chronologique général en matière de filiation

Pour prévenir les conflits de filiation, l’ordonnance du 4 juillet 2005 a institué un principe chronologique général qui consacre la primauté de la filiation établie en premier lieu. Ce principe est codifié à l’article 320 du Code civil, qui dispose :

« Tant qu’elle n’a pas été contestée en justice, la filiation légalement établie fait obstacle à l’établissement d’une autre filiation qui la contredirait. »

Ainsi, le premier lien de filiation juridiquement établi prévaut et bloque la reconnaissance d’une filiation contraire, sauf si la première filiation est annulée par une décision de justice.

Des conflits de filiation peuvent survenir lorsqu’un enfant est rattaché, ou pourrait l’être, à deux personnes différentes pour le même lien parental. Ces conflits peuvent opposer :

  1. Deux filiations de même nature (deux paternités ou deux maternités).
  2. Deux filiations de nature différente (paternité légitime et paternité naturelle).

I) Les conflits entre filiations de même nature

A) Conflits entre paternités légitimes

Un conflit entre deux paternités légitimes peut survenir si une femme remariée n’a pas respecté le délai de viduité de 300 jours après la dissolution de son mariage (article 228 du Code civil).
Dans ce cas, la présomption de paternité peut profiter au premier ou au second mari.

Règles applicables :

  • Période légale de conception : Selon la présomption « omni meliore momento » (article 311 alinéa 2 du Code civil), l’enfant peut choisir la date de sa conception à l’intérieur de cette période. Il s’agit d’une présomption simple qui peut être renversée.
  • Recherche de la filiation la plus vraisemblable : Aux termes de l’article 311-12 du Code civil, le juge est tenu de rechercher, par tous moyens de preuve, la filiation la plus vraisemblable pour résoudre le conflit.

B) Conflits entre paternités naturelles

Un conflit entre paternités naturelles peut se produire lorsqu’un enfant fait l’objet de plusieurs reconnaissances en des lieux différents.
Dans ce cas, l’article 338 du Code civil dispose que la première reconnaissance prévaut, sauf si elle est contestée en justice.

II) Les conflits entre filiations de nature différente

Les conflits entre filiations de nature différente opposent une filiation légitime à une filiation naturelle. Le principe chronologique s’applique : la filiation établie en premier empêche l’établissement de la seconde, sauf contestation judiciaire.

A) Cas où une paternité naturelle est déjà établie

Lorsque la filiation naturelle a été établie en premier, elle bloque l’établissement d’une filiation légitime (articles 323 à 328 du Code civil).

  • Exemple exceptionnel : Un couple légitime revendique un enfant reconnu auparavant comme enfant naturel. Dans ce cas, la filiation naturelle prime sur la filiation légitime tant qu’elle n’a pas été annulée.

B) Cas où une paternité légitime est déjà établie

La filiation légitime est présumée dès lors que l’enfant est né pendant le mariage ou dans les délais légaux après sa dissolution (article 312 alinéa 1 du Code civil). Cette présomption empêche en principe l’établissement d’une paternité naturelle.

Situations de conflit possibles :

  1. Après un divorce :

    • Si un enfant est déclaré à l’état civil sous le nom du mari de sa mère après un divorce, il bénéficie de la présomption de paternité pour les enfants nés plus de 180 jours et moins de 300 jours après la dissolution du mariage.
    • Cette présomption « omni meliore momento » (article 311 alinéa 2 du Code civil) peut toutefois être renversée par la preuve d’une autre filiation.
    • Le juge doit alors trancher en recherchant la filiation la plus vraisemblable (article 311-12 du Code civil).
  2. En l’absence de possession d’état correspondant :

    • Si un enfant a un acte de naissance qui le désigne comme enfant légitime mais qu’il n’existe pas de possession d’état correspondante, deux cas sont possibles :
      • Reconnaissance par un tiers : Selon l’article 334-9 du Code civil, cet enfant peut être reconnu comme enfant naturel.
      • Action en recherche de paternité naturelle : L’enfant peut également intenter une action en recherche de paternité contre un autre homme.

Dans ces cas, les juges doivent résoudre le conflit en déterminant la filiation la plus vraisemblable, conformément à l’article 311-12 du Code civil.

En résumé : Le principe chronologique établi par l’article 320 du Code civil garantit que le premier lien de filiation juridiquement établi prévaut sur toute autre filiation ultérieure. En cas de conflit, qu’il oppose des filiations de même nature ou de nature différente, le juge doit rechercher la filiation la plus vraisemblable, en tenant compte de la chronologie des faits et des preuves. Ce principe contribue à stabiliser les situations familiales et à prévenir les conflits prolongés en matière de filiation.

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