La fonction publique et l’administration locale : le statut des agents de l’État au Moyen-âge
La pratique du gouvernement rend nécessaire la délégation d’une partie du pouvoir du roi à des agents exerçant des taches déterminées sous le contrôle royal. Tous ces agents n’ont pas le même statut. Certains sont des officiers, d’autres des commissaires.
Traditionnellement le pouvoir des officiers et des commissaires reposait sur une délégation de l’autorité royale temporaire et révocable. Cependant, une distinction va se faire entre les commissaires dont la mission cesse dès qu’elle a été remplie et les officiers qui sont chargés d’un office qui va se perpétuer à travers ses titulaires successifs.
I – Les officiers
Au XIIIe siècle, apparition du personnel technique.
Les agents sont recrutés par le roi en fonction de leurs capacités. La technicité grandissante de l’administration nécessite un recours à un personnel qualifié.
Les officiers sont souvent des juristes qui ont acquis des compétences. Jusqu’au XIVe ils sont issus du clergé et de la noblesse, puis de la riche bourgeoisie marchande.
Le service du roi prend un aspect de carrière (cursus honorum) : études de droit puis service d’une clientèle privée.
La gestion commune des affaires du roi assure une diversité sociale des officiers.
Au XVe les officiers constituent un groupe à part situé entre noblesse et tiers état.
Entre le Moyen-Age et l’époque moderne, le statut de ces officiers va se trouver bouleversé.
Inamovibilité des officiers : ils gardent l’office durant leur vie (caractère viager). Puis l’hérédité de leur charge finit par s’imposer.
1. L’inamovibilité
Jusqu’au XVe le roi reste libre de nommer et révoquer les officiers. Il leur confère des fonctions rémunérées, limitées dans le temps et dans l’espace. Le roi peut suspendre, destituer sans aucun motif. Les officiers vont acquérir une stabilité progressivement, qui s’explique par leurs compétences. L’intérêt des affaires publiques entraine la stabilité des officiers.
Au début du XVe, l’office est conféré par le roi sans limitation de durée > service ininterrompu.
La guerre civile rend les officiers vulnérables aux luttes partisanes. Ils vont chercher à obtenir du roi un statut protecteur. Pour cela, ils vont se fonder sur le droit canonique qui reconnaît l’inamovibilité aux titulaires de bénéfices ecclésiastiques.
1467 : l’ordonnance de Louis XI affirme que l’office est conféré seulement s’il est libre de tout titulaire (il est vacant dans trois cas : mort de l’officier, résignation volontaire de l’officier ou forfaiture lorsque l’officier a commis une faute grave).
L’inamovibilité des officiers est alors presque reconnue. L’office acquiert un caractère viager : indépendance à l’égard du roi de l’officier.
La stabilité des offices explose avec l’apparition de la patrimonialité des offices.
2. La patrimonialité des offices : vénalité et hérédité
Patrimonialité : fait d’utiliser une charge ou une fonction comme un bien personnel. Elle va prendre deux aspects différents : la vénalité puis l’hérédité.
Le caractère viager de l’office va inciter les officiers à considérer leur charge comme un bien personnel qu’ils peuvent vendre (vénal) ou transmettre à des proches (héréditaire).
a) La vénalité des offices
Elle va s’installer par étapes. Cette habitude apparaît lorsque l’officier se démet de sa charge en faveur d’un proche moyennant une compensation pécuniaire. La royauté admet la vénalité mais ne l’organise pas : période de la vénalité occulte. En fait, les officiers vont s’inspirer d’une disposition du droit canonique pour avoir la main sur le devenir de leur office. Il existait en droit canonique une pratique appelée résignation en faveur d’un tiers. Dans le domaine du droit canonique la cession du bénéfice d’un clerc vers un autre devait obligatoirement se faire à titre gratuit et devait intervenir au minimum 40 jours avant la mort du clerc titulaire du bénéfice ecclésiastique. Les officiers royaux vont s’inspirer de cette pratique mais vont la dépasser. La pratique va s’imposer dès le XIVe de céder son office à un tiers alors qu’on est encore en fonction. Cette cession s’effectue moyennant finance. Un officier peut donc résigner sa charge au profit d’un tiers qu’il présente au roi. Si le roi l’estime capable il acceptera de le nommer.
Dans la seconde moitié du XVe des ordonnances interdisent les cessions monnayées. La royauté refuse ainsi le caractère vénal des cessions. Elle essaye de faire jurer à chaque titulaire d’un office qu’il n’a versé aucune somme d’argent au précédent titulaire de l’office.
A la fin du XVe une véritable vénalité occulte des offices est imposée à la royauté qui décide d’essayer d’en tirer partie.
Seconde étape : la royauté organise la vénalité des offices.
Elle va reprendre à son compte à partir du XVIe le système de vénalité des offices. Dans un premier temps la vénalité est pratiquée uniquement sur les offices vacants. Les offices sont donc cédés par le roi moyennant finance : on parle de parties casuelles et inopinées.
Peu de temps après, on ouvre un bureau des parties casuelles. La vénalité devient donc officielle et va se répandre de plus en plus. Les officiers vont donc exiger qu’on leur reconnaisse officiellement le droit de disposer de leur charge. La royauté va accepter moyennant le versement au trésor royal d’une taxe d’un montant équivalent au quart de la valeur légale de l’office.
b) L’hérédité des offices
A partir de la seconde moitié du XVe sous le règne de Charles IX la royauté a de plus en plus besoin d’argent et elle va s’inspirer des dispositions canoniques pour essayer de récupérer le plus grand nombre possible d’offices gratuitement. La royauté décrète en s’appuyant sur la règle des 40 jours qu’un office qui n’est pas résigné par son titulaire 40 jours avant sa mort revient à la royauté et tombe dans les parties casuelles. Cette règle va susciter de nombreuses oppositions et la royauté va alors accepter de délivrer à certains officiers moyennant finance des lettres de survivance. A la fin du XVIe Charles IX décide dans un édit que tous les officiers qu’il souhaite peuvent être dispensés de la règle des 40 jours à partir du moment où ils acceptent de payer au roi un tiers de la valeur de leur charge. On parle de tiers denier.
Peu d’officiers étaient en mesure de payer ce tiers denier.
Un système va être développé en 1604 par un financier, Charles Paulet, qui fait accepter par le conseil du roi un arrêt prévoyant l’hérédité des offices moyennant le versement d’une taxe annuelle équivalente à 1/60ème de la valeur légale de l’office. La taxe est appelée la Paulette.
Désormais l’office est presque librement transmissible aux héritiers soit par voie testamentaire soit ab intestat (sans dimension testamentaire).
Il va devenir difficile pour le roi de racheter les offices.
3. Les conséquences de la patrimonialité
La patrimonialité va avoir des conséquences financières et politiques. Elle procure des revenus considérables grâce à la paulette et la création de nouveaux offices.
Les charges sont extrêmement recherchées et leur prix ne cesse d’augmenter. Le prix élevé des offices va les rendre accessibles uniquement à l’aristocratie et à la haute bourgeoisie. Les revenus que l’on tire des offices sont assez modestes et les officiers vont essayer de compenser le prix d’achat en faisant payer aux sujets toutes sortes de taxes plus ou moins justifiées.
Au bout d’un moment, la royauté ne pourra plus racheter les offices. L’avantage de la patrimonialité est de permettre de faire passer un certain nombre d’offices des mains de la noblesse à celles de la bourgeoisie. Les bourgeois vont par le biais des offices accéder à une carrière. Mais la patrimonialité va donner aux titulaires des offices une certaine indépendance qui va dans un premier temps être salutaire mais dans un second temps devenir trop importante. L’hérédité va donner une sensation d’impunité totale aux officiers et l’indépendance des officiers va devenir telle qu’elle va très vite se manifester de manière parfois agressive à l’égard de la royauté.
L’engouement de la bourgeoisie pour les offices va détourner la bourgeoisie d’investissements notamment en matière industrielle. Donc retard de la France sur les industries d’autres pays européens. L’engouement pour les offices va rendre parfois l’administration très lourde à gérer et donc inefficace.
La patrimonialité fait perdre au roi le contrôle de ses agents et la maitrise de leur recrutement.
La royauté va se tourner vers les commissaires.
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B ) Les commissaires
1. Le statut des commissaires
La commission est une fonction déléguée par le roi de manière temporaire. Le commissaire est révocable ad nutum (= à tout moment) par la décision souveraine du roi et l’étendue de ses fonctions dépend aussi de la volonté du roi.
C’est une fonction publique conférée par délégation du roi de manière extraordinaire. La commission intervient pour répondre à un besoin précis et limité dans le temps de la royauté.
C’est le roi qui décide d’instituer une commission et d’en doter le titulaire des pouvoirs exigés par la mission à remplir. Le commissaire reçoit une lettre de commission dans laquelle le roi précise ses attributions. Le roi peut à tout moment mettre fin à la commission.
2. Les conséquences de la pratique des commissions
La royauté a utilisé les commissions pour lutter contre une trop grande indépendance des officiers. Elle a donc pris l’habitude de confier de préférence les missions délicates à des commissaires. Les postes clés du gouvernement sont confiés à des commissaires.
Avec le temps, certains commissaires connaissent une certaine stabilité. Ils sont choisis pour leurs compétences et celles ci les rendent à certains moments indispensables à la royauté. La révocation du titulaire une fois sa mission terminée n’est pas systématique. Les commissions sont attribuées de manière assez stable.
On constate que pour certains commissaires le roi accorde des lettres de survivance par lesquelles il promet au titulaire de la commission que son fils pourrait lui succéder.